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 [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos

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Voldago

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MessageSujet: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Jeu 4 Jan 2018 - 2:26

Edit : le lien pour s'inscrire est ici, s'il vous-plaît, je sais que beaucoup de personnes me lisent sans être inscrits et j'aimerais beaucoup avoir votre avis, l'inscription ne prend que quelques minutes !



Bonjour à tous,

Je vous présente ici le prologue de ma fan-fiction. C'est un cross-over entre Raiponce et la Reine des Neiges, se déroulant durant les événements du film. Je l'ai écrite de janvier à juillet dernier, mais je l'ai récemment reprise pour la corriger. L'histoire est centrée sur le point de vue de Raiponce, alors qu'elle se trouve à Arendelle pendant l'hiver provoqué par Elsa. Sans plus attendre, voici le prologue :

Prologue

Ce voyage devait être une simple formalité. « Tu te rendras à la cérémonie, tu présenteras tes hommages à la reine en notre nom, et tu reviendras auprès de nous une fois les festivités terminées. », lui avait dit son père. En tant que princesse héritière du royaume de Corona, Raiponce était la principale représentante de son pays ; et en cette année 1839, la tradition voulait que chaque nouveau monarque invitât des représentants de chaque nation à son couronnement. Quoi de plus naturel alors qu’elle fut envoyée par son père, roi de Corona, à la cérémonie de couronnement de la Reine Elsa d’Arendelle ? Cependant, il y avait un hic : les relations entre la reine en question et Raiponce étaient distantes, au mieux, depuis un tragique accident survenu trois ans plus tôt qui avait bouleversé la vie de la souveraine. Non pas qu’Elsa fusse particulièrement chaleureuse avec le reste du monde : Raiponce connaissait la reine pour être froide et solitaire. La princesse voyait donc sa confrontation à venir avec cette dernière avec une certaine appréhension ; d’autant plus qu’elle se sentait responsable de l’attitude d’Elsa et de son malheur, quoique injustement. Cette culpabilité avait réveillé en Raiponce des remords liés à une autre personne qu’elle avait faite souffrir, et créait chez la princesse un trouble qu’elle n’avait jamais connu.

Ses nuits en étaient devenues agitées et mères de cauchemars ; et la présence de son fidèle époux Eugène n’y changeait rien. Raiponce, pourtant d’ordinaire si joyeuse et insouciante, se sentait peu à peu gagnée par l’angoisse chaque jour passant. La jeune femme craignait ce qu’il adviendrait dans les jours à venir : qui pourrait deviner la réaction d’Elsa lors de leur rencontre ? Elle imaginait de plus mal cette reine si isolée, et à ses yeux si vulnérable, avoir les capacités de faire face aux manigances de la noblesse qui ne tarderait pas à se presser à ses portes. Dignitaires cupides et nobles ambitieux se déchireraient pour obtenir les faveurs de la reine, et la situation risquait vite de devenir explosive.

Tout cela irait encore si ce n’était pour ce mystère qui intriguait toutes les cours d’Europe : depuis treize ans, les portes du château d’Arendelle étaient fermées au monde extérieur. Les hypothèses allaient bon train : paranoïa de la famille royale, orgueil mal placé, préparation de terribles complots… Mais on ne pouvait remettre en cause l’étrangeté de cet ostracisme royal, et il semblait évident pour Raiponce qu’il était lié à l’isolement volontaire de la reine. Un sombre secret tourmentait Elsa. Et avec les portes du château ouvertes pour la première fois depuis treize ans, nul doute que les curieux se presseraient pour essayer de démêler le vrai du faux. Le mystère ne ferait certainement pas long feu sous l’inquisition des dizaines d’invités ; et que se produirait-il si le secret était découvert, nul ne pourrait le dire. Mais une crise couvait à Arendelle, et Raiponce risquait bien de s’y trouvée mêlée.

Au-delà de cela, un mauvais pressentiment tourmentait Raiponce et lui ne disait rien qui vaille : rien ne se passerait comme prévu, elle en aurait mis sa main à couper.




Voilà pour le prologue, je vous invite à me donner votre avis, même si vous n'êtes pas inscrit, car l'inscription ne prend que quelques minutes et ça me ferait vraiment plaisir ! Je mettrai très bientôt le chapitre 1 en ligne, qui est beaucoup plus long. Prenez ce prologue comme une mise en bouche ! Laughing
Merci d'avance pour vos avis !


Dernière édition par Voldago le Sam 6 Jan 2018 - 1:07, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Jeu 4 Jan 2018 - 18:56

Je vais suivre l'avancement de cette fanfiction de près ; Raiponce et Elsa étant deux princesses que j'adore. Ce prologue est bien sombre, j'attends leur confrontation de pied ferme. Smile
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Jeu 4 Jan 2018 - 22:19

Merci d'avoir pris le temps de commenter ! Oui, c'est une fic très sombre, même si le ton reste assez léger pendant les premiers chapitres (ça va empirer au fur et à mesure). Sans trop spoil, la confrontation entre les deux cousines est justement un tournant de l'histoire.

Je publierai le premier chapitre demain !


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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Ven 5 Jan 2018 - 17:11

Voici le premier chapitre :

Chapitre 1 : une nouvelle aventure

Là-haut, dans cette tour dissimulée dans la forêt de Corona, une femme criait. Sa plainte n’avait pas d’âge : était-elle celle d’une enfant, d’une jeune femme, d’une vieille femme aux doigts squelettiques et à la peau ridée ? Toujours était-il que ce cri était témoin d’une grande souffrance, de celle que l’on éprouve une seule fois. Il inspirait terreur et désarroi ; et pourtant, Raiponce se sentait irrésistiblement attirée par lui. Elle marcha, jusqu’au pied de cette tour maudite ; et après un papillonnement de paupières, se trouva à son sommet, dans une grande pièce où se mélangeaient souvenirs d’une enfance heureuse et sentiment d’une oppression à nulle autre pareille. Etendue devant Raiponce, une femme aux cheveux noirs et bouclés agonisait et gémissait d’une voix rauque. Sa chevelure virait au blanc, et le poids de la vieillesse marquait progressivement ses traits. La femme jeta un regard rempli de haine à Raiponce.

-Regarde, regarde ce que tu as fait, murmura-t-elle.

La femme poussa un hurlement faisant se dresser les poils sur l’échine de Raiponce. Elle griffa le sol de ses ongles qui se transformaient peu à peu en griffes arquées, et sa chair se ratatina sur ses os. La princesse regarda, tétanisée, se produire l’œuvre du temps : la malheureuse ne fut bientôt qu’un squelette sur lequel reposait un vêtement de tissu, et les os furent bientôt poussière. Ce n’est qu’un cauchemar, songea Raiponce. Ce n’est qu’un cauchemar. Fort heureusement, elle avait raison ; un instant plus tard, la princesse se réveilla sous les couvertures d’un lit moelleux et confortable, poussant un cri de surprise en se retrouvant dans un lieu qu’elle ne reconnaissait pas. Elle écarta les couvertures et se rassit précipitamment au bord de son lit. Mais elle revint vite à elle : Raiponce avait dormi dans sa cabine, à l’intérieur du navire qui la menait à Arendelle. Tout allait bien.

-Mauvaise nuit ? s’enquit un jeune matelot dont les bras étaient chargés de matériel.

La princesse peinait à distinguer ses traits dans l’obscurité de ses quartiers.

-Plutôt, oui, confessa-t-elle.

-Vous parliez, durant votre sommeil. Je crois que vous disiez le mot « mère ».

Raiponce se crispa quelque peu.

-Je suis désolé, ai-je été indiscret ? s’inquiéta le matelot.

-Non, non, ce n’est rien, assura la princesse. J’ai fait un cauchemar, au sujet de ma… « mère adoptive ».

-Il s’agit bien de la vieille femme qui vous a kidnappée étant enfant, n’est-ce pas ?

-C’est bien elle.

-Tout Corona connaît cette histoire. Cette femme –Gothel, je crois-, a utilisé durant des siècles le pouvoir d’une fleur magique pour conserver une jeunesse éternelle. Alors votre mère était enceinte de vous, elle est tombée gravement malade, et la fleur a été utilisée pour la guérir ; mais ses pouvoirs ont été transmis à vos cheveux par le biais de votre mère, et Gothel vous a enlevée pour utiliser votre chevelure afin de continuer à rester jeune. Vous avez été enfermée dans une tour durant dix-huit ans, jusqu’à ce que le prince Eugène arrive. Bien-sûr, il n’était qu’un voleur utilisant le pseudonyme de Flynn Rider à cette époque. Vous l’avez persuadé de vous guider dans le royaume pour découvrir le monde extérieur, et vous êtes tombés amoureux l’un de l’autre ; et quand Gothel a voulu vous récupérer, il a coupé vos cheveux pour qu’ils perdent leur pouvoir et vous libèrent de votre « mère » adoptive. Vous êtes revenue au château après dix-huit ans d’absence, vous êtes mariée avec Eugène, et voilà. Une très belle histoire, je trouve.

-C’est bien résumé, sourit la princesse. Mais j’ai cru un moment qu’elle ne s’achèverait pas si bien : Eugène avait été mortellement blessé par Gothel quand il m’a coupé les cheveux, et aurait perdu la vie s’il ne m’était resté une partie du pouvoir de la fleur. Je crois bien que je n’avais jamais eu aussi peur de toute mon existence.

-Soyez-en heureuse, Votre Altesse. Avoir peur de perdre quelqu’un montre à quel point vous l’aimez. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Sur ces sages paroles, le jeune homme quitta la cabine avec son matériel. Raiponce resta immobile un moment, puis songea qu’il était temps de monter sur le pont, d’autant que le voyage touchait à sa fin. La jeune femme quitta ses vêtements de nuit pour porter une fine robe rose avant de quitter ses quartiers, et de monter sur le pont par une échelle en bois, avant de se diriger vers l’avant du navire. La princesse s’accouda à la proue. Les bras croisés, elle observait silencieusement de son regard vert les voiles de son trois mâts frémir sous la brise légère de cette matinée d’été. Le temps était doux, et bien plus agréable qu’escompté : il était même pratiquement identique à celui de Corona. La princesse songea que les témoignages grandiloquents du personnel de son château, rapportant qu’elle allait se rendre dans un pays compressé par un climat glacial et une nuit sans fin à longueur d’année, étaient grandement exagérés : le temps n’était pas moins doux que la première fois où elle s’était rendue à Arendelle. Ces descriptions exagérées et farfelues n’avaient pas été sans lui rappeler les avertissements répétés de sa « mère » sur le monde extérieur, qui avaient visé à la garder enfermée dans sa maudite tour pour l’éternité par le biais du meilleur verrou qui puisse exister : sa propre peur. Dans les deux situations, les informations s’étaient avérées fausses ; et dans les deux situations, Raiponce avait quoi qu’il en soit décidé de faire fi des risques.

La princesse porta son regard vers Eugène, qui observait nonchalamment leur destination, et venait de s’accouder à la balustrade en se tournant les pouces. Quelques mèches de ses cheveux bruns  tombait sur ses sourcils, comme toujours. Raiponce pensa avec tendresse que si ce n’était pour son courage, elle serait certainement toujours sous la garde de Mère Gothel, prisonnière d’un enfer sans fin. Mais elle avait pu échapper à ce sort d’un simple geste d’Eugène qui avait à la fois tranché sa chevelure et le fil de sa terrible destinée. Ainsi, la magie habitant les cheveux de Raiponce s’était éteinte, et avec elle la vie de Gothel, la sorcière étant privée de la seule chose lui permettant encore de survivre, et le temps et la mort réclamant enfin leur dû. Enfin libre, la jeune femme avait pu goûter au véritable bonheur pour la première fois de sa vie, et avait épousé Eugène quelques temps après. Cependant, une ombre de culpabilité passait sur ce bonheur quand Raiponce se rappelait le sort de celle qui avait malgré tout été sa mère jusqu’à ses 18 ans.

La princesse se dirigea vers son époux et reposa elle aussi ses bras sur la balustrade, à la droite d’Eugène.

-J’espère qu’on nous réserve un accueil digne de ce nom, lança le prince. Ce voyage m’a donné faim.

-Moi qui croyais t’avoir vu engloutir une choucroute ce matin… répondit Raiponce avec un regard ironique.

-La haute-mer, ça creuse, se justifia Eugène.

-…trois rôtis de bœuf ces deux derniers jours…

-Je n’aurais pas voulu les gâcher.

-…également une meule entière censée survivre jusqu’au voyage de retour…

-Les rats commençaient à s’y intéresser, dit innocemment le jeune homme.

-Il n’y a pas de rats. Et pour finir, tu as même volé six des pommes de Maximus. Le pauvre a dû se rationner pendant tout le voyage, termina Raiponce d’une voix plaintive.

-Ça ne lui fera pas de mal de se mettre un peu au régime. Toute la journée, la seule chose qu’il fait, à part me faire des croche-pieds bien-sûr, c’est manger des pommes. Je suis pratiquement sûr que la moitié de sa paie y passe.

-Oh, Maximus devrait se mettre au régime, selon toi ? s’amusa la princesse en appuyant fortement sur le ventre d’Eugène de son index. M’est-avis que c’est plutôt toi que ces années passées au château ont engrossé…

Eugène eut un sursaut et se frotta douloureusement le ventre. Il haussa un sourcil provocateur et rétorqua à sa jeune épouse :

-Les années ne t’ont pas tellement gâtée non plus, commença-t-il.

Raiponce eut une inspiration indignée, et fit mine de donner un coup de poing au prince, mais Eugène lui retint le bras d’une main, l’autre se posant autour de son dos pour la rapprocher délicatement de lui. La princesse n’opposa aucune résistance et abandonna tout faux semblant, riant amoureusement avant de libérer sa main de l’emprise d’Eugène, la passant derrière son cou pour mieux l’embrasser. Raiponce ferma les yeux un instant, profitant simplement du baiser qu’elle partageait avec l’homme qu’elle aimait. Mais au bout de quelques secondes, ils furent interrompus par un soufflement irrité et la princesse releva ses paupières. Maximus, le poil d’un blanc brillant, les regardait avec exaspération. Perché sur sa tête, Pascal dormait paisiblement. Raiponce sourit et desserra son étreinte, faisant face au noble destrier.

-Je crois qu’il en a assez de nous voir nous embrasser tout le temps depuis une semaine, glissa Eugène.

Maximus hocha vigoureusement la tête, catapultant le pauvre caméléon sur le visage d’Eugène, ces derniers poussant un cri à l’unisson. Affolé, Eugène eut le réflexe d’agiter sa main devant son visage, envoyant Pascal s’écraser sur le plancher. La princesse gloussa et se pencha en tendant la main vers le caméléon, qui tira la langue d’un air furieux en direction d’Eugène avant de trottiner sur le bras de Raiponce et de grimper sur son épaule. La jeune femme se rapprocha de Maximus et serra ses bras autour de son cou, le caressant affectueusement.

-Nous serons bientôt arrivés, Max. Tu n’auras plus à nous supporter très longtemps. Et je suis sûre que tu pourras t’acheter toutes les pommes que tu voudras…
Le cheval hennit joyeusement, et recula pour retourner superviser l’arrivée au port. Raiponce se retourna vers son époux.

-D’un autre côté, il n’y avait pas vraiment d’autre occupation, n’est-ce pas ? plaisanta Raiponce. Et le lit de nos quartiers était tellement grand et confortable...

Entendant cela, Pascal se dissimula les yeux et devint rouge de gêne.

-Après tout ce temps, s’esclaffa le prince, le crapaud n’est toujours pas habitué.

-Et après tout ce temps, tu continues de l’appeler crapaud au lieu de caméléon, répliqua Raiponce en caressant doucement l’animal.

-Je ne serais plus vraiment moi, autrement, non ?

Les deux époux échangèrent un regard complice, puis la princesse baissa les yeux et soupira.

-C’est maintenant, n’est-ce-pas ? s’attrista la jeune femme. Après trois ans, il nous faut revoir celles dont les parents sont morts en se rendant à notre mariage.

Les iris de Raiponce s’humidifièrent et se teintèrent de tristesse. Elle sentit Eugène poser une main réconfortante sur son visage et elle releva ses yeux vers lui.

-Je suis sûr que tout se passera bien. C’étaient le frère de ta mère et sa femme. Ton oncle et ta tante. Ils n’auraient voulu rater ton mariage pour rien au monde, surtout après t’avoir perdue pendant dix-huit ans. Leurs filles ne t’en voudront pas, et elles savent très bien que tu avais envoyé un courrier pour les prévenir des conditions climatiques. Tu n’y es pour rien si la lettre n’est jamais arrivée. Et c’est un jour de fête après tout, la reine sera couronnée aujourd’hui et les portes du palais s’ouvriront pour la première fois depuis treize ans.

Raiponce s’efforça de sourire, le cœur légèrement rasséréné.

-Je ne sais pas, répondit cependant la princesse. Je ne m’inquiète pas pour la sœur de la reine, Anna, avec qui j’entretiens une correspondance épistolaire depuis la mort de ses parents, mais pour la reine elle-même. Elle m’a à peine répondu, et de façon très distante. Durant les échanges que j’ai eus avec sa sœur, j’ai eu l’impression que la reine évitait tout contact avec elle, et avec qui que ce soit d’autre d’ailleurs, comme si elle avait peur de quelque chose. Personne ne savait à quoi elle passait ses journées ; l’un des seuls à encore lui parler est le régent et Premier Ministre d’Arendelle, Magnus.

-Qu’est-ce qui pourrait pousser la reine à fuir jusqu’à sa propre sœur ? interrogea Eugène.

-J’aimerais le savoir. Si je pouvais les aider, peut-être que cela pourrait soigner un peu des souffrances qu’elles ont vécues…

-Alors il ne nous reste plus qu’à découvrir ce qui se trame ici, affirma le prince. Comment s’appelle le royaume, déjà ?

La princesse prit la main d’Eugène et l’entraîna avec elle vers la proue du navire. Ensemble, ils observèrent le royaume qui se dévoilait sous leurs yeux. Rien n’avait changé depuis trois ans. Par-delà le navire à trois mâts les devançant, se dressait un village enclavé dans une crique, aux maisons dont les couleurs allaient du vert au rose, en passant par le bleu. La plupart des habitations étaient rassemblées à proximité du port, à basse altitude, mais certaines se trouvaient plus haut, sur le versant de la montagne qui gardait l’autre côté du village. Un chemin sinueux, encadré de maisons, permettait de grimper en direction des hauteurs. De hautes murailles entouraient l’ensemble du royaume, bâties malgré les différences d’altitude. Plus bas, juste devant les navires, une ouverture encadrée de deux phares, à l’intérieur de la muraille, permettait de s’engouffrer dans le royaume pour s’amarrer au port. A leur gauche, le château de la famille royale, lui aussi entouré de murailles de pierre et de nombreuses tours de différentes tailles et aux toits verts, possédait des toits pentus à l’architecture semblable à celle d’un gâteau de mariage. Le sommet du palais était une fine tour triangulaire aux contours arrondis, qui semblait presque percer le ciel. Le tout était relié au village par un pont encadré des drapeaux portant l’emblème du royaume. C’était un endroit magnifique.

-Arendelle, répondit finalement Raiponce. C’est le royaume d’Arendelle.

Alors que le navire se rapprochait du passage entre les deux phares, Eugène lui donna un léger coup d’épaule en indiquant du menton une vitre située à mi-hauteur du palais. Là, une jeune femme, que Raiponce vit rousse malgré la distance, était perchée sur une planche de bois suspendue au-dessus du vide et s’en servait comme d’une balançoire.

-On dirait qu’il y a aussi des hystériques ici, plaisanta Eugène.

-C’est ma cousine Anna, suggéra Raiponce. Elle m’a toujours paru très… enthousiaste.

-Peut-être que ce séjour sera amusant, finalement, s’exclama Eugène.

-Tant qu’il ne se produit pas de catastrophe terrible menaçant de tous nous faire tuer, ça m’ira, sourit la jeune femme.

Le navire pénétrait à l’intérieur de l’enclave, à présent. Autour de lui, les deux phares se tenaient dressés, immobiles et imposants.

-Mais non, répondit Eugène avec confiance. Que pourrait-il arriver de mal, de toute façon ?

________


Voilà pour le premier chapitre ! N'hésitez-pas à me dire ce que vous en pensez ! Pour l'instant, ça reste une introduction des personnages et de leurs objectifs. C'est nécessaire pour préparer la suite. J'aime prendre mon temps Smile
Le prochain chapitre arrivera dans deux-trois jours.


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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Dim 7 Jan 2018 - 23:33

Chapitre 2 : L’arrivée à Arendelle

Raiponce descendit précautionneusement du navire par son étroite rampe en bois. Elle descendit sur un ponton en bois auquel était arrimé deux navires, dont le fier trois mâts qui les avait transportés, derrière eux. De l’autre, un homme descendait, dont la coupe de cheveux n’était pas sans lui rappeler celle d’Eugène, à ceci près qu’il était roux et possédait des favoris descendant jusqu’au-dessus du menton. Il marchait à reculons, essayant de faire descendre avec prudence un cheval par le filet. La robe de l’étalon était beige et une mèche noire se trouvait au-dessus de son front, au milieu d’une crinière blanche. L’homme quant à lui portait des gants et une veste blancs, laquelle se trouvait au-dessus d’une chemise bleue. Une cravate rouge parachevait son élégance naturelle. Il laissait une assez bonne impression à Raiponce, qui lui trouvait un air sympathique. Le voyant peiner pour persuader son cheval de descendre, la princesse s’avança sans attendre Eugène.

-Attendez, je vais vous aider, lança la jeune femme à l’inconnu. Je peux ?

L’homme la regarda un instant avant de se reconcentrer sur son étalon, qui s’obstinait à ne pas vouloir descendre en renâclant.

-Je vous en serais reconnaissant, répondit-il.

Raiponce posa doucement une main sur l’encolure du cheval, et de l’autre, lui caressa le poil entre les yeux. La bête se calma légèrement, fixant la princesse avec intérêt.

-Comment s’appelle-t-il ? demanda cette dernière.

-Sitron.

-Bonjour, Sitron, murmura la jeune femme en souriant. Je suis Raiponce. Allez, viens, ne t’inquiète pas.

Sitron hésita une seconde, puis obtempéra, descendant sur le ponton d’un pas claquant.

-Voilà, comme ça. Tu vois ? l’encouragea Raiponce.

Le cheval, tranquillisé, finit par se retrouver complètement sorti de la rampe et la princesse lui flatta l’encolure avec affection. Devant elle, l’homme posa un genou à terre avec déférence et baissa le regard.

-Je vous remercie, madame. C’est un honneur de rencontrer la princesse de Corona.

-Oh, je vous en prie, ce n’est rien, relevez-vous, rit Raiponce. Monsieur… ?

Son interlocuteur se releva lentement et inclina la tête.

-Hans. Le Prince Hans, des Îles du Sud.

-Enchantée, Hans, répondit la jeune femme en esquissant une révérence.

Raiponce entendit des pas derrière elle et se retourna. Eugène, vêtu d’une tunique pourpre, les rejoignit et se plaça à gauche de la princesse.

-Déjà en train de te faire des amis, hein ? Je te préviens, plaisanta Eugène, je ne suis pas disposé à te partager.

Raiponce leva les yeux au ciel.

-Hans, je vous présente Eugène, mon époux, qui est un vrai plaisantin. Eugène, voici Hans, prince des Îles du Sud.

Hans tendit la main vers l’ancien voleur, qui la serra vigoureusement.

-Enchanté, monsieur, dit Hans.

-Moi de même. Ravi de rencontrer un nouveau royal, s’exclama Eugène. Vous venez pour le couronnement, vous aussi ?

-C’est exact, confirma Hans d’un ton courtois. J’espérais rencontrer la reine et sa sœur.

-Vous aurez certainement plus de chances avec la princesse. A ce qu’il parait, sa sœur est un vrai glaçon.

-Eugène… s’exaspéra la princesse.

-Quoi ? protesta Eugène. C’est toi qui me l’as dit.

Le visage du prince des Îles du Sud s’éclaira significativement.

-Vous connaissez la famille royale d’Arendelle ? s’intéressa-t-il.

-Plus ou moins, reconnut avec gêne Raiponce. J’ai rencontré une fois la Princesse Anna, et à travers les lettres que je recevais d’elle, la princesse m’a toujours paru quelqu’un de très ouvert et d’optimiste. Elle avait hâte de découvrir le monde extérieur, et je suppose qu’elle bondira en dehors des murailles du château sitôt les portes ouvertes.

Ce que je comprends parfaitement, songea amèrement Raiponce.

-Et pas la Reine Elsa ? comprit Hans.

La princesse se mordilla légèrement la lèvre, embarrassée d’être entrée sur ce sujet-là. Elle opina légèrement du chef.

-Mais vous verrez bientôt tout cela vous-même.

Elle commença à reculer vers la terre ferme, suivie d’Eugène, et fit un signe de main à Hans.

-On se reverra au couronnement ! lança-t-elle.

Le prince les salua également, l’air pensif, comme s’il devait prendre une décision difficile. La dernière chose que Raiponce vit de lui avant de se détourner vers sa destination fut son visage mystérieux.

-Bienvenue à Arendelle ! s’exclama un homme au fort embonpoint vêtu d’une veste bleue. Les portes sont sur le point de s’ouvrir.

Raiponce inclina la tête avec un sourire, tandis que l’individu indiquait par de grands gestes qu’il fallait se diriger à gauche. La princesse et Eugène marchèrent à pas lents sur le ponton de bois auquel était arrimé le fier navire qui les avait transportés. En voyant les clous plantés des deux côtés du ponton et les lattes de bois irrégulières qui le composaient, Raiponce se félicita intérieurement d’avoir cédé aux suppliques de ses parents en acceptant de porter des chaussures en cuir noir au lieu de se présenter en va-nu pieds au couronnement et au bal donné en l’honneur de la Reine Elsa. En dépit de son dédain pour les chaussures, en porter était toujours plus agréable que d’avoir les pieds transpercés d’échardes et de morceaux de métal rouillé.

-Un homme charmant, n’est-ce pas ? jugea Raiponce en grimpant les marches de pierre qui menaient à la ville.

-Je ne sais pas trop, hésita Eugène. Il y avait quelque chose de bizarre chez lui.

La jeune femme s’immobilisa au sommet de l’escalier, intriguée.

-Tu crois ? s’étonna-t-elle. Comment cela ?

Eugène se gratta la tête, apparemment gêné.

-J’ai vécu toute ma jeunesse avec des voleurs, des manipulateurs et des menteurs. Mon instinct me dit que ce Hans est les trois à la fois. Sa voix, sa façon de s’exprimer… Tout avait l’air contrôlé. Il vaut mieux se méfier de lui.

-Mais c’est un prince, s’exclama Raiponce. Il a déjà toutes les richesses qu’il puisse rêver. Que pourrait-il vouloir voler ?

-Je ne sais pas, admit le jeune homme.

Il se détendit et sourit à son épouse, prenant sa main pour l’emmener vers le château.

-Ce n’est peut-être rien. Tu as sûrement raison, je ne devrais pas m’inquiéter.

La jeune femme étant persuadée de la bonne foi de Hans, songea qu’Eugène se montrait un tantinet paranoïaque sur les bords, et n’y pensa plus.

Raiponce et Eugène arrivèrent sur la place du village en passant sous un petit préau recouvrant quelques étals de fleurs multicolores à l’odeur délicieuse. En se retrouvant à l’air libre, ils virent sur leur chemin une sorte de grande croix de bois recouverte de fleurs aux couleurs estivales reliant également les extrémités du monument. Des serpentins multicolores accrochés en dessous du point central de la croix descendaient jusqu’au sol, ornant davantage la place de la joie ambiante.

-C’est très laid, si tu veux mon avis, glissa Eugène.

-Mais non, protesta Raiponce, c’est tout à fait charmant.

A proximité, un traineau chargé de glaçons, à côté desquels se trouvaient un jeune homme blond aux cheveux décoiffés et un renne possédant un pelage blanc et plus sombre vers l’arrière, et de longs et majestueux bois.

-T’as vu ça ? lança Eugène. Un cheval avec de grosses cornes.

-Eugène, soupira Raiponce, c’est un renne.

-C’est pareil, répliqua le prince en tâtant ses poches.

Il en sortit une pomme couleur rouge vif –appartenant évidemment à Maximus- et le tendit à l’animal, qui la renifla suspicieusement avant de s’en détourner avec mépris.

-Il préfère les carottes, leur expliqua le blond en tapotant le renne sur le dos. Des glaçons ?

-Non, merci, s’excusa Raiponce en s’éloignant. Nous risquons d’être en retard au couronnement. Bonne journée !

La princesse fut vite rejointe par Eugène, et les deux se dirigèrent vers la gauche du village, quittant à regret la dizaine d’étals fourmillant de vie, de couleurs et de marchandises, pour se frayer un chemin à travers la foule s’avançant vers le château dans une grande excitation. L’émotion était palpable chez les habitants, et pour cause ! Cela faisait plus de treize ans que les portes étaient fermées, que l’accès au château leur était interdit. A présent, ils allaient enfin pouvoir rencontrer leur reine et la princesse, un événement qui serait certainement historique pour la petite communauté. Pour les plus jeunes, c’était la première fois qu’ils pourraient se rendre à l’intérieur du château –ou la cour pour la populace- et découvrir cet endroit autrefois interdit. Raiponce se sentit proche de ces gens qui, comme elle jadis, n’avaient pu se rendre là où ils le désiraient, à la différence que la jeune femme n’avait même pas eu la possibilité de quitter l’exiguïté de sa tour.

Passant au centre du pont reliant le village au château, Raiponce observa les étendards verts et violets marqués de la silhouette de la reine qui bordaient le pont, accrochés à des lampadaires, et la princesse se demanda une fois de plus quel genre d’accueil elle pourrait bien leur réserver. A l’extrémité du pont de pierre, des portes en bois d’une dizaine de mètres gardaient l’accès au château, situées entre les murailles d’où de leur sommet s’affichaient d’autres écus. L’endroit était une véritable place forte : de bas toits de bois protégeaient les murailles, sur lesquelles des dizaines de soldats pouvaient défendre le château.

-Toujours aussi impressionnant, souffla Eugène en admirant les remparts. Tu crois que je pourrais voler sa couronne, à celle-là ?

-Je suis sûr que tu trouverais un moyen, s’amusa Raiponce en se rapprochant des portes en suivant toujours le mouvement.

Alors qu’elle se trouvait presque au niveau des portes, Raiponce entendit le grondement annonciateur de l’ouverture, et le passage se libéra en quelques secondes : les portes s’ouvrirent en quelques instants sous les yeux de Raiponce, accompagnées de celles situées deux mètres plus loin ouvrant directement sur la cour du château. Avant de pénétrer dans le château, la princesse voulut observer une nouvelle fois les murailles vues de près, mais un mouvement précipité devant elle attira son regard.

La princesse n’eut que le temps de voir une jeune femme rousse, cheveux enroulés au-dessus de sa tête dans un genre de chignon, portant une robe noire et verte, que la femme s’était déjà élancée derrière eux, vers le village. Interloquée, Raiponce s’arrêta momentanément, suivie de près par Eugène. Anna. En dépit des nombreuses personnes qui se pressaient derrière elle et qui la contournèrent, la dardant de regards agacés, la jeune femme chercha des yeux sa cousine et la retrouva bondissant sur la balustrade du pont.

Raiponce suivit du regard la course de cette jeune femme. Celle-ci passée treize années entières enfermée dans la tristesse solitaire d’une enfance cloîtrée à l’intérieur du château, se précipitait, radieuse. Elle semblait vouloir s’échapper le plus loin possible de cet endroit qui avait été sa demeure durant toute sa vie et que tout le reste de la population souhaitait découvrir, comme si elle craignait en restant un instant de plus que les portes ne se referment à tout jamais entre elle et sa liberté. Mais non, ce n’était pas de la crainte que l’on voyait dans cet élan de liberté. En ce moment précis, il sembla à la princesse que rien n’aurait pu atteindre Anna, qui désormais avait stoppé sa course pour s’accrocher à un lampadaire et tournoyer autour, emportée dans son euphorie. Et ce n’était plus sa cousine qu’elle voyait se précipiter hors du château d’Arendelle, mais elle-même, lorsqu’après dix-huit ans son désir de connaître le monde extérieur avait surpassé sa peur et que d’un geste de courage elle avait enfin quitté sa tour. Raiponce reconnut avec émotion la même détermination qui animait sa cousine, et sut qu’elle seule comprenait comment Anna pouvait se sentir à cet instant.

-Je suis heureux de voir qu’Anna a retrouvé sa joie de vivre, fit Eugène en redirigeant son regard vers Raiponce.

-Cela t’étonne ? rit son épouse. Je l’avais dit, elle n’attendait que l’ouverture des portes pour s’échapper du château.

-Je crois qu’elle me rappelle quelqu’un, mais je ne saurais dire qui…

-C’est sûrement de famille, répondit Raiponce.

-A propos, reprit Eugène, il serait temps d’aller voir ton autre cousine, la reine, non ?

D’un même mouvement, les regards des deux époux se tournèrent vers le château. Derrière les portes, la cour d’entrée se dévoilait devant eux, bondée de curieux et de citoyens d’Arendelle. Leur présence masquait l’entrée du château aux yeux de Raiponce, mais les étages supérieurs restaient visibles. La bâtisse était pratiquement entièrement grise, hormis les toits pentus verts du palais. Plusieurs fenêtres laissaient deviner des étages et des couloirs aux teintes rouges vives. Certaines parties du château étaient construites en porte à faux, et une structure pyramidale culminait en une haute et fine tour, touchant presque le ciel de sa grâce. Et plus bas, sur le balcon central de la façade, Raiponce repéra une personne vêtue de bleu et drapée dans une cape rose, dont le regard se portait sur la foule. Immédiatement, elle ressentit une boule d’angoisse se nouer au creux de son ventre et eut l’impression qu’une chape glaciale se déversait sur elle, car elle avait deviné par son emplacement et la manière dont elle était vêtue qu’il ne pouvait que s’agir de la future Reine Elsa. La respiration de Raiponce s’accéléra sensiblement, et la princesse fut tenaillée par l’anxiété devant l’inévitable confrontation qui allait suivre et la contraindre à affronter sa culpabilité. Serait-elle capable d’affronter le regard d’Elsa ? Des sentiments contradictoires se renforçaient et luttaient dans son esprit, s’excitant mutuellement : personne ne saurait raisonnablement lui reprocher la mort du roi et de la reine d’Arendelle, la jeune femme se le martelait sans cesse, mais il lui était impossible d’effacer les remords éprouvés en dépit de toute logique. C’était la voie de son cœur que de suivre les aléas de ses émotions, et elle ne se sentait pas prête, pas encore. Pas prête à soutenir le regard de la reine, ni à supporter l’éventualité d’une mauvaise tournure des choses. Ce pourquoi elle décida de…

-Allons voir Anna, lâcha subitement la princesse en saisissant le bras d’Eugène.

Son époux, qui venait à l’instant d’esquisser un mouvement vers le château, s’arrêta instantanément, perplexe.

-Hein ? Pourquoi maintenant ? On risque de rater la cérémonie…

-Mais non, répliqua Raiponce d’un ton qu’elle voulut rendre enjoué. La reine ne risque pas de commencer sans sa sœur, si ?

-Mais on ne sait même pas où elle est passée, soupira Eugène d’un ton maussade.

-Je suis sûre qu’on finira par la trouver, affirma la princesse en tirant son époux par le bras vers le village. Allez, ce sera drôle !

-Ce ne sera pas drôle ! geignit Eugène en roulant des yeux.

Pourtant, le jeune homme ne se débattit pas et se laissa traîner, résigné. Ils se mirent à zigzaguer à travers la foule compacte, prenant de plus en plus de vitesse en tâchant de ne bousculer aucun passant. Les visages perplexes et furieux qui les entouraient bientôt ne furent plus que de vagues formes indistinctes balayées par la vitesse, et Raiponce se sentit de plus en plus légère et insouciante alors qu’elle abandonnait derrière elle le château et la reine. La princesse ne pourrait retarder éternellement cette confrontation qu’elle redoutait tant. Mais seulement dix minutes, un court instant d’éternité… Cela n’avait plus d’importance. Les bannières filaient autour d’elle, et une douce brise d’été lui caressait le visage ; elle avait à peine une vingtaine d’années, elle était mariée et heureuse. Elle n’allait quand même pas se laisser aller si facilement, si ? Eugène avait raison, rien ne pouvait arriver de mal. Il ne se passerait rien de grave. Raiponce n’avait donc aucun souci à se faire. Elle n’était d’ailleurs pas en train de fuir, juste de goûter un instant à sa liberté chérie. Puis, elle rencontrera Elsa, qui ne lui en voudra absolument pas et l’accueillera avec amitié, et elle repartira chez elle le cœur libéré de tout remords. Alors, pourquoi s’inquiéter ?

Grisée et enthousiaste, Raiponce n’avait pas fait attention au détail du paysage qui avait défilé, et s’arrêta subitement en entendant résonner un tintement de cloches, annonciateur du couronnement, lui rappelant qu’elle était partie chercher Anna. Eugène, dont elle tenait toujours la main eut fort heureusement le temps de stopper sa course avant qu’il n’ait pu trébucher et entrainer Raiponce dans sa chute. Décoiffé et le souffle court, il lâcha la main de son épouse et se pencha en avant, mains sur les cuisses.

-C’est bon ? Tu as fini ? ironisa-t-il en reprenant sa respiration.

-Anna est sûrement dans le coin, répondit Raiponce en ignorant le sarcasme de son mari.

Elle jeta un œil autour d’elle. Ils étaient de retour sur la place du village, juste au-dessus des quais, à la différence près que celle-ci était vide de monde, la population entière s’étant soit rendue au château, soit était demeurée chez elle. Sans indice sur la localisation de sa cousine, la princesse songea une seconde à retourner au palais, quand elle entendit le son d’un corps tombant bruyamment dans l’eau. Raiponce, sans attendre Eugène, s’élança immédiatement dans la direction du bruit, descendant la pente menant aux quais et se dirigeant sur sa droite, courant sur le ponton de bois. Après quelques mètres, elle aperçut une chaloupe renversée en flottaison sur la mer, à demi-soulevée par quelqu’un que la princesse ne pouvait voir, et un cheval se tenant sur le sol au-dessus, observant d’un air inquiet l’individu. Il ne fallut qu’un instant à Raiponce pour reconnaître Sitron, et identifia alors instantanément l’homme qui rejeta la chaloupe sur le côté et apparut au grand jour : Hans.
Raiponce s’immobilisa devant le prince, gardant les dents serrées pour éviter de montrer son amusement devant la mauvaise posture de Hans, barbotant dans l’eau cristalline. Eugène, arrivant à l’instant, ne fut pas aussi diplomate :

-Alors, on prend un bain avant le couronnement ? lança-t-il au prince qui nageait vers le rebord. Un peu trop fraîche, si vous voulez mon avis.

-Eugène… soupira Raiponce en ne pouvant retenir un léger sourire.

-Non, ce n’est rien, répondit gracieusement le prince en levant les bras pour agripper l’extrémité du ponton. C’est vrai qu’elle est très fraîche.

La princesse et son époux se rapprochèrent quelque peu du rebord et se penchèrent pour tendre la main à l’infortuné Hans qui luttait pour se hisser hors des eaux. Raiponce contracta ses muscles pour tirer le prince vers le haut, rougissant sous l’effort. Avec son aide et celle d’Eugène, le prince des Îles du Sud parvint à se tirer de ce mauvais pas et se retrouva genou à terre, puis se redressa, ruisselant et trempé jusqu’aux os.

-Je dois une nouvelle fois vous remercier, sourit Hans en croisant les bras pour conserver un peu de chaleur. C’était une situation extrêmement inconfortable.

-Ça devient une habitude, remarqua  moqueusement Eugène. Mais dites-moi, comment vous êtes-vous retrouvé là ?

-Mon regard a été, comment dire, distrait, pendant un moment, par la vision d’une jeune femme. Vous savez ce que c’est, termina Hans en échangeant un regard avec le jeune homme.

Les hommes, se lamenta intérieurement Raiponce. Mais la princesse eut comme un déclic en faisant correspondre ce que Hans venait de dire avec ses propres souvenirs.

-Une jeune femme ? s’exclama-t-elle en agrandissant les yeux de surprise. Vous avez rencontré Anna ?

-C’est en effet avec la princesse d’Arendelle que j’ai eu l’honneur de converser, confirma Hans. Je l’ai trouvée fort charmante. Mais comment l’avez-vous deviné ?

-Oh, répondit Eugène, nous étions justement en train de la chercher. Enfin, Raiponce était en train de la chercher, moi je me suis juste laisser traîner. Nous étions sur le point d’aller rencontrer la Reine Elsa quand elle a soudainement décidé de faire demi-tour pour aller chercher Anna. Ce n’est pas trop surprenant, il est vrai que les femmes se montrent parfois imprévisibles, surtout quand elles ont leurs…
Raiponce lui enfonça violemment son coude dans l’estomac, ulcérée, ce qui coupa court à la réflexion machiste du jeune homme et lui bloqua la respiration.

-Eugène ! s’indigna-t-elle avec un regard indigné.

-Quoi ? répliqua Eugène en croisant ses bras pour protéger son ventre de toute nouvelle agression. J’expliquais juste que les femmes ont des problèmes que les hommes…

-Pardonnez-moi, le coupa précipitamment Hans d’une intonation assez gênée, j’éprouve beaucoup de plaisir à discuter avec vous, mais il me faut retourner au château pour changer ces vêtements avant le couronnement. J’espère que nous nous reverrons bientôt.
Il s’inclina brièvement et fit demi-tour, saisissant au passage la bride de son cheval pour le faire marcher avec lui, et se dirigea vers la place du village, les vêtements dégoulinant toujours d’eau de mer. Raiponce darda sur son époux des yeux excédés.

-Comment peux-tu te demander pourquoi nous n’avons pas d’amis alors que tu te comportes de la sorte ? soupira-t-elle. C’est affligeant, vraiment.

-Il fallait bien trouver un moyen de le faire fuir, expliqua Eugène en hochant la tête. Il semblait parti pour nous coller toute la matinée, avec ses courbettes et sa complaisance.

Raiponce était perplexe devant l’antipathie qu’éprouvait Eugène pour Hans, car elle continuait de le trouver très sympathique, et bien plus ouvert que beaucoup à Corona.

-Pourquoi le détestes-tu tant ? s’étonna Raiponce avec un geste interrogatif.

-Ce n’est pas que je le déteste, se défendit Eugène. Mais plus je lui parle, plus je crois que tout est faux chez lui. Il nous dit ce qu’il croit qu’on veut entendre, il s’adapte en fonction de celui qui est en face de lui. Tu n’as pas remarqué comme il changeait de ton selon qu’il s’adressait à toi ou à moi ? Et puis, cette rencontre opportune avec Anna, excuse-moi mais je trouve ça louche. Et s’il voulait se servir d’elle pour se rapprocher du trône ?

-Mais non, raisonna Raiponce, tu te fais des idées. Rien ne dit qu’il cherchera à revoir Anna. Laisse-lui au moins la journée pour montrer sa bonne foi.

Eugène lui lança un regard pour le moins dubitatif, ne semblant guère convaincu.

-Mouais. On verra, lâcha-t-il.

Cependant, Eugène avait instillé un certain doute dans le cœur de Raiponce, qui voyait à présent d’un nouvel œil l’intérêt d’Hans pour la famille royale. Elle essaya de se rappeler ce que ses parents lui avaient dit de lui quand ils lui avaient parlé des familles royales de la région… Il est le treizième fils. Aucune chance d’hériter du trône. La jeune femme secoua la tête. Non, cela ne se pouvait pas. Il avait l’air si élégant, si… inoffensif. C’était Gothel qui lui avait appris à se méfier de tout et de tout le monde, qui l’avait endoctrinée pour qu’elle voit en tout une menace. Je ne la laisserai plus contrôler ma vie. Elle est partie pour toujours. Cette certitude renforça sa détermination, et la princesse cessa de se torturer l’esprit.

-Nous devons retourner au château, rappela Raiponce avec force. Ils vont commencer sans nous. Et j’aimerais rencontrer le Premier Ministre Magnus avant de parler à Elsa, histoire de tâter le terrain.

-Tant qu’ils ne mangent pas tout… répondit Eugène en partant aux côtés de Raiponce vers le palais.

Tandis que la princesse repartait vers le lieu où l’attendait sa destinée, Raiponce se surprit à se sentir plus confiante et sereine que jamais, peut-être revigorée par son escapade. Elle songea une fois de plus, faisant écho aux paroles d’Eugène sur le navire : Que pourrait-il arriver de mal, de toute façon ?

_____

Voilà, à partir de maintenant je mettrai en ligne un chapitre chaque mercredi et dimanche ! Il y a en tout 17 chapitres, sans compter le prologue et l'épilogue. N'hésitez pas à commenter !


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 10 Jan 2018 - 22:27

Chapitre 3 : Un accueil glacial

Le temps de trajet du retour au château fut très court, Raiponce et Eugène étant trop pressés pour se laisser distraire par de nouvelles rencontres ou quelque autre escapade. Ils s’en retournèrent bien vite dans la cour, passant au travers des immenses portes désormais ouvertes. La crainte de la princesse de se voir rater la cérémonie était infondée : hormis la part importante de la population qui n’était pas invitée au couronnement à l’intérieur de la chapelle et qui restait de ce fait à patienter dans la cour, Raiponce pouvait apercevoir quelques nobles richement vêtus pénétrer dans le bâtiment noir et marron dont le haut clocher dominait la cour à la hauteur du château. Eugène et elle se frayèrent un chemin à travers les citoyens d’Arendelle, qui observaient avec un ravissement enfantin la somptueuse architecture du palais, pour se présenter devant l’entrée de la chapelle, encadrée de deux gardes. Ces derniers, apprenant leur identité, inclinèrent respectueusement la tête et les invitèrent à pénétrer à l’intérieur.

Rentrée dans le bâtiment, Raiponce observa longuement l’architecture du lieu : elle admira les vitraux en mosaïque laissant se déposer des raies de lumière des deux côtés de la chapelle, sur les invités assis sur les bancs en face de l’autel, et les nombreux piliers montant d’une vingtaine de mètres pour se rejoindre en un toit voûté de bois. Plus loin, en hauteur, un renfoncement dévoilait une douzaine de choristes habillés en rouge et discutant entre eux. Enfin, devant la princesse, que ne dissimulait pas totalement la file d’une demi-dizaine de personnes, la majestueuse Reine Elsa, au pied des quelques marches de l’autel, saluait les invités venus se presser à son couronnement, sa longue cape mauve se déposant gracieusement derrière-elle. Ses cheveux blonds platine étaient réunis en un chignon à l’arrière de sa tête, et ses doigts gantés d’un bleu ciel orné de symboles restaient entrelacés. Anna quant à elle restait en retrait, proche de l’autel, et retournée de l’autre côté dans une discussion amicale avec plusieurs invités.

Raiponce crut défaillir tant l’atmosphère semblait s’être réchauffée, et une vague de chaleur anxieuse parcourut tout son corps. Tout va bien se passer, voulut-elle se persuader. Elle jeta un œil du côté d’Eugène, toujours à ses côtés, dans l’espoir timide de trouver la force qui lui manquait. Son époux lui prit la main et lui donna un sourire réconfortant. Raiponce le lui rendit courageusement, et détourna la tête vers la reine, fermant les yeux une seconde pour rassembler sa volonté. Elle expira lentement, puis rouvrit doucement les paupières. Il n’y avait plus qu’un seul homme devant Elsa. Le Premier Ministre ne montre aucun signe de vie. Je ne pourrai pas lui parler avant de rencontrer Elsa, et je n’ai donc aucun moyen d’être sûre d’être bien accueillie. En dépit de son cœur qui s’affolait et lui intimait de faire demi-tour et de s’enfuir en courant, la princesse fit un pas en avant, puis se mit à marcher avec dignité vers l’autel, serrant fortement la main de son époux qui calait sa cadence sur la sienne. La princesse éprouva une reconnaissance émue pour Eugène, qui, malgré ses blagues de mauvais goût et son effronterie, était toujours là quand elle en avait le plus besoin.

Au bout de quelques secondes, le dernier invité fit demi-tour pour s’installer avec les autres, et Raiponce se retrouva face à la reine, qui leva vers elle ses yeux de glace, l’expression figée et, semblait-il, parfaitement sereine, quoique peut-être un peu appréhensive. Raiponce tâcha de montrer son plus beau sourire, et, finalement, fit fi de ses peurs pour s’adresser à la nouvelle reine d’Arendelle.

-Votre Majesté, commença Raiponce avec une révérence. C’est pour moi un grand honneur de vous rencontrer.

Son époux, les yeux voilés d’émerveillement devant la beauté de la reine, resta coït et en oublia de faire montre du respect qui lui était dû. Raiponce se racla la gorge avec gêne, et Eugène battit des paupières, comme sonné.

-Hmmm ? fit-il. Oh, oui, de même pour moi votre éminence.

-Majesté, glissa discrètement Raiponce.

-Votre Majesté, se corrigea Eugène, c’est ça. Désolé.

Elsa laissa apparaître l’ombre d’un sourire derrière son visage de glace, et inclina la tête en guise de salutation.

-Ne vous en faites pas, répondit la reine. Vous n’êtes pas le seul à avoir des problèmes avec le protocole. A qui ai-je l’honneur ?

Si elle avait été légèrement soulagée en voyant la reine se montrer plus avenante qu’elle ne la croyait, Raiponce eut une seconde d’hésitation, qu’elle voulut masquer alors qu’elle répondait :

-Voici mon époux Eugène, indiqua la princesse en faisant un geste vers son mari. Je suis la Princesse Raiponce de Corona, votre cousine.

La réalisation de l’identité de ses interlocuteurs eut l’air d’avoir l’effet d’une douche froide sur la souveraine. L’expression de son regard changea en l’espace d’un instant d’une curiosité bienveillante à une mélancolie amère, et les traits de son visage se fermèrent et s’assombrirent.

-Oh, murmura-t-elle en baissant les yeux, c’est vous.

Ni Eugène ni Raiponce n’osèrent émettre la moindre réponse. Les craintes de la princesse prenaient d’un seul coup une apparence bien plus réelle. Elle aurait voulu dire quelque chose, s’excuser peut-être pour la tragédie qui s’était produite, exprimer la terrible peine qui était la sienne, dire un mot réconfortant, ou même se défendre de la responsabilité de la mort des parents de la reine ; mais toute faculté de décision lui fit défaut, ainsi que tous les scénarios qu’elle avait imaginés pour se rassurer, et peut-être aussi le courage qui lui aurait été nécessaire ; et Raiponce ne dit rien. Elle resta immobile, pleine d’appréhension et de culpabilité. De même, Eugène gardait le silence, semblant attendre ne serait-ce que l’ombre d’un signe de la reine qui lui aurait donné l’autorisation de répondre. Finalement, passées cinq secondes qu’on aurait prises pour des heures, la reine releva les yeux vers le couple, le visage devenu complètement impassible.

-Profitez bien de votre séjour à Arendelle, lâcha-t-elle froidement.

Elle ne daigna même pas leur laisser le temps de lui répondre, ni ne les salua ; elle se contenta de se détourner d’eux, bras croisés, et de fixer résolument l’un des coins de la chapelle. La princesse sentit un début de panique la gagner alors qu’elle ne savait absolument pas comment elle devait réagir, et se passa la main dans les cheveux avec grand embarras. Eugène cependant tiqua, et fit un mouvement vers la reine, l’apostrophant avant que Raiponce ne puisse l’en empêcher :

-Ecoutez, votre Majesté, fulmina-t-il avec le regard dur. On est désolés de ce qui vous est arrivé –vraiment-, mais vous n’avez pas le droit de nous en tenir pour responsables.  On n’y est pour rien si le bateau de vos parents a coulé pendant qu’ils se rendaient à notre mariage. Autant accuser un vendeur de couteau des accidents domestiques. Nous avons tenté de vous prévenir ! Vous n’avez pas le droit de vous montrer injuste à ce point !

-C’est en se rendant chez vous qu’ils sont morts. Vous m’avez pris les seules personnes au monde qui pouvaient…

La reine s’était exprimée à voix basse, presque dans un souffle. Les paroles étaient comme sorties d’elles-mêmes, telle une manifestation de la rancœur profonde d’Elsa. Mais elle s’était interrompue, se retenant semblait-il de justesse de révéler quelque chose de vital. La reine demeurait droite, sans un mouvement. Si seulement elle avait reçu cette foutue lettre. Raiponce quant à elle avait finalement rassemblé tout son courage pour répondre :

-Ce n’étaient pas les seules personnes au monde, intervint-elle en se rapprochant d’Elsa. Il vous reste Anna, votre sœur.

Au nom d’Anna, la reine avait brièvement jeté un regard dans sa direction ; la princesse d’Arendelle était toujours plongée dans sa discussion, sans aucune idée de la confrontation qui avait lieu à peine à quelques mètres. Elsa pivota, tournant son visage vers Raiponce, ses yeux toujours aussi glacials.

-Cela ne vous concerne pas, asséna-t-elle avec fermeté. A présent, quittez les lieux. Vous n’êtes pas les bienvenus dans mon royaume.

Tandis que Raiponce restait sous le choc de la déclaration déraisonnée de la souveraine, celle-ci adressait un signe en direction de l’extérieur. A l’instant, deux gardes les rejoignirent, entourant Eugène et la princesse.

-Veuillez escorter ces individus hors de la chapelle, ordonna Elsa avant de faire demi-tour et d’apposer ses mains sur l’autel, demeurant stoïque.

La reine soupira et termina dans un murmure :

-Où est Magnus quand j’ai besoin de lui ?

Sans aucune ressource, n’ayant aucun recours lui venant à l’esprit, Raiponce ferma les yeux avec résignation et se détourna, entraînant Eugène, dont elle tenait encore la main, ne lui laissant pas l’occasion de lancer une autre provocation à la reine. Ils retournèrent à l’extérieur sous les regards curieux des invités, surveillés de près par les gardes qui les suivaient à la trace. Alors qu’ils venaient de sortir du lieu et que les gardes s’apprêtaient à refermer les portes, ils croisèrent Hans, portant des vêtements propres, qui se rendait au pas de course dans la chapelle sans sembler les voir. Sitôt rentré, les lourdes portes se refermèrent avec un claquement, et ce fut tout.

Quelques secondes à fixer les portes closes furent nécessaires à Raiponce pour que la princesse parvienne à réaliser complètement ce qui venait de se produire. Elle en comprit la totalité en deux temps : d’abord,  elle assimila le fait qu’Elsa venait tout bonnement de les expulser de son couronnement de façon tout à fait injuste. Puis, elle se rendit compte d’une vérité bien plus terrible : elle ne pourrait pas obtenir le pardon de la reine, et son sentiment de culpabilité n’en serait que plus fort. Tout s’écroulait pour la princesse. Son monde menaçait d’être englouti dans un océan de remords et de larmes, tel le navire du roi et de la reine d’Arendelle, et Raiponce se sentait tragiquement impuissante.

L’émotion devint trop lourde à supporter pour la princesse ; elle tomba à genoux sur les dalles de pierre de la cour, ne pouvant retenir des sanglots brisés. Tout lui devenait inaudible hormis ses pleurs qui la coupaient de ce qui l’entourait. Elle ne pouvait que vaguement distinguer des silhouettes danser devant la brume de ses larmes, et un homme agenouillé devant elle qui tendait une main secourable vers son visage, vain effort pour l’atteindre à travers son émoi et la réconforter. S’il avait lu en son esprit lors de cet instant, il aurait pu comprendre que rien de ce qu’il pouvait lui apporter ne serait suffisant pour soigner son mal. Raiponce ignorait même ce qu’il lui faudrait pour ce faire ; tout ce qui existait pour elle était son désespoir.

Alors elle resta là, égarée, effondrée, incapable de se résoudre à se relever pour, il le fallait pourtant, continuer, et faire face à tous ses démons. Il lui était tellement plus facile de se complaire dans ses larmes que d’arrêter ce flot nuisible et de tenter d’aller de l’avant, de soigner sa culpabilité. Elle n’avait qu’à s’abandonner totalement, et peut-être, peut-être que sa souffrance finirait par se tarir.
Mais paradoxalement, s’enfoncer dans la lâcheté du remords passif ne lui causa que davantage de souffrances encore, les larmes appelant d’autres larmes. Bientôt, elle n’en put plus, et sa douleur en devint intense au point qu’elle aurait accepté rageusement tout moyen de sortir de cet enfer infernal, fut il le premier qu’on lui aurait proposé et le plus déraisonné.

Cette volonté de mettre fin à cette souffrance infinie, induite par un instinct de survie surgi de sa partie la plus bestiale, lui conféra la force qui lui était nécessaire pour se sortir de son état d’impuissance et retourner dans « la vraie vie » qu’elle avait tant voulue découvrir alors qu’elle n’était qu’une jeune femme à peine sortie de l’enfance. Elle avait voulu vivre sa vie, accomplir ses propres choix ? Peut-être était-ce là le prix à payer : accepter les conséquences de ses actes et devoir continuer à avancer malgré cela. Raiponce prit alors une décision : elle ne savait pas comment, ni même si cela était juste, mais elle allait se libérer du fardeau qui lui pesait depuis si, si longtemps, et détruire la culpabilité dont elle souffrait tant en réparant un peu du mal qui avait été causé. Si Elsa refusait de lui pardonner, elle n’aurait d’autre choix que de se pardonner elle-même. Mais dans ce cas, comment arranger les choses ? La princesse n’eut pas à réfléchir plus de quelques secondes pour que la réponse lui vienne enfin : il lui fallait revoir Anna.

Prendre cette résolution fut pour Raiponce un immense soulagement, et elle sentit qu’un poids quittait ses épaules. Anna, elle, lui pardonnerait, Raiponce le savait. Elles avaient déjà échangé de nombreuses fois, et en se retrouvant face à la princesse une seconde fois, Raiponce serait enfin libre. Tant pis si Elsa s’entêtait dans sa froide rancœur ; après tout, on ne pouvait raisonnablement lui en vouloir pour l’accident de ses parents, n’est-ce pas ? C’était Elsa qui s’était montrée injuste et dure, et c’était à elle qu’il fallait en vouloir.  Ce fut donc vers la reine que Raiponce redirigea ses émotions négatives, et elle qui se retrouva haïe pour avoir refusé de lui pardonner. La princesse n’avait nul besoin du pardon d’une souveraine amère et cruelle. Celui d’Anna suffirait pour deux, et au diable la reine et son ressentiment.

Toute à ses réflexions, Raiponce ne s’aperçut alors que ses larmes avaient cessé de couler : son instinct de survie avait fait son office, et sa culpabilité s’était quelque peu atténuée. Forte de sa prise de décision, la princesse trouva enfin la force de se relever, essuyant ses yeux encore humides. Elle vit à ce moment qu’Eugène s’était lui aussi relevé, l’observant avec inquiétude. Il fit un pas vers elle, et la princesse le laissa la serrer dans ses bras.

-Ne t’en fais plus, la rassura son époux. C’est terminé. Demain, nous serons loin d’ici, et cette histoire n’aura plus d’importance.

La tentation d’écouter l’homme qu’elle aimait et de partir au large en abandonnant Arendelle et sa damnée souveraine fut véritable, mais brève. Raiponce avait conscience qu’elle ne pourrait jamais aller totalement de l’avant si elle ne parvenait pas à trouver la paix avec elle-même ici, maintenant.

-Non, refusa la princesse d’une voix teintée de regret. Nous devons rester, au moins jusqu’au bal de ce soir.

-Mais pourquoi ? s’étonna Eugène en desserrant son étreinte et en fixant son épouse des yeux. La reine nous a clairement fait comprendre qu’elle n’était pas disposée à nous accueillir. Plus rien ne nous retient ici.

Même s’il ne semblait pas comprendre, la princesse devait s’assurer qu’Eugène la soutiendrait. Elle en avait besoin.

-Je ne peux pas partir sans avoir parlé à Anna, plaida Raiponce. Je veux m’assurer que tout ira bien pour elle. C’est la moindre des choses.

Le visage d’Eugène trahit une certaine appréhension à l’idée d’avoir à revivre une rencontre possiblement traumatisante, ce que Raiponce comprenait parfaitement.

-Anna ne réagira pas comme sa sœur, affirma Raiponce. Elle n’a rien à voir avec elle. Rappelle-toi que nous l’avons déjà rencontrée une fois. D’ailleurs, nous nous apprécions beaucoup.

Malgré sa visible absence de motivation, Eugène parut se résigner à la décision de son épouse, lâchant un soupir fataliste.

-Je comprends. Si c’est vraiment ce que tu veux, je resterais avec toi jusqu’à ce que tu te sentes prête.

L’indéfectible loyauté de son mari la revigora complètement, achevant de lui faire retrouver confiance en elle : Raiponce ne pourrait perdre définitivement tout espoir tant qu’Eugène serait à ses côtés. La princesse enlaça le cou de son mari et l’embrassa tendrement.

-Merci, répondit-elle après s’être dégagée. Ce ne sera pas trop long, je te le promets.

-Ne t’inquiète pas pour ça. Alors, poursuivit Eugène, qu’est-ce que tu comptes faire ?

Raiponce se mura dans ses réflexions, recherchant une idée pour parler à Anna sans qu’Elsa ne s’en rende compte. Il lui en vint une assez rapidement :

-Attendons la fin de la cérémonie, proposa la princesse. Nous nous cachons à l’angle de la chapelle, et je ferai signe à Anna pour qu’elle nous rejoigne sans qu’Elsa en soit alertée.

-C’est nul, comme plan, la railla Eugène. On se fera repérer à tous les coups.

-Mais non, tu verras, l’encouragea Raiponce. C’est plus sûr que de risquer de la perdre de vue et de devoir la chercher dans tout le royaume.

-Ça reste nul.

-Eh bien tu n’as qu’à proposer mieux, ironisa la princesse en se dirigeant vers l’extrémité droite de la façade de la chapelle. En attendant, rien ne nous empêche d’essayer.

Raiponce dépassa le coin du bâtiment et se positionna dos au mur, penchant légèrement la tête pour attendre la sortie des convives. Elle fut rejointe par Eugène, qui se plaça juste derrière elle. Peu de temps s’écoula avant que la situation n’évoluât : l’écho assourdi de chants religieux leur parvint avant que la princesse n’ait pu commencer à s’ennuyer. Les murs de l’édifice, s’ils réduisaient certes l’amplitude du son et le déformaient, n’empêchaient pas Raiponce d’être touchée par l’émotion vibrante de la chorale. La jeune femme en effet avait préservé son attachement à l’art, sous toutes ses formes, seule expression de liberté qui lui avait été permise lorsqu’elle vivait dans sa tour.  Elle se souvenait avoir passé des journées entières à repeindre jusqu’au dernier recoin de sa prison dorée, cherchant inconsciemment à reproduire le souvenir de son royaume perdu. Même après qu’elle fut enfin revenue auprès de sa véritable famille, elle ne s’était jamais entièrement sentie complète, comme s’il lui manquait toujours quelque chose.

Le chant de la chorale s’éteignit doucement, et la princesse entendit moins d’une trentaine de secondes plus tard un homme psalmodier solennellement, dans la langue nordique, les paroles sacrées qui devaient sanctifier le règne de la souveraine. L’ordinateur termina dans le langage moderne :

-…la Reine Elsa d’Arendelle.

Le mantra fut aussitôt repris par les spectateurs de la cérémonie, qui se livrèrent ensuite à des applaudissements et des acclamations nourries. Une pointe d’amertume traversa l’esprit de Raiponce, qui rageait d’avoir été ainsi expulsée du couronnement pour lequel elle avait tout de même passé une semaine sur un navire qui aurait très bien pu subir le même sort que celui de la famille royale.
La princesse entendit bientôt le bruit distinctif de portes qui s’ouvraient, et elle put en jetant un œil discret voir un flot d’invités quitter la chapelle avec grand bruit, bavardant gaiement. A la suite de la foule de nobles, parmi lesquels Hans discutant avec des dignitaires étrangers, qui se dirigeaient vers le château, Raiponce put reconnaître Elsa marchant à l’écart de ses invités –ce qui ne surprit guère la princesse, qui avait pu goûter à l’antipathie de la reine-, et Anna, fermant la marche et restant à une distance significative de sa sœur. Raiponce y vit l’ouverture qui lui était nécessaire pour attirer la princesse d’Arendelle sans alerter la souveraine, et appela à mi-voix :

-Anna ?

La jeune femme se retourna  en entendant son nom, recherchant de ses yeux celle qui l’avait appelée. Un échange de regard avec sa cousine lui fut suffisant pour la reconnaître, en dépit du fait qu’elle ne l’avait plus vue depuis trois ans : une lumière éclaira le visage d’Anna, qui bondit retrouver la princesse de Corona. La joie qu’elle éprouvait de revoir enfin sa cousine avec qui elle avait échangé durant plusieurs années déborda tant que Raiponce manqua d’être étouffée sous l’étreinte d’Anna. Mais tandis qu’elle embrassait chaleureusement sa cousine, Raiponce ayant les yeux tournés vers la foule de nobles aurait juré avoir surpris un regard énigmatique de Hans dirigé vers Anna. Cela ne dura cependant qu’un instant, car Hans avait un battement de paupières plus tard son attention tournée sur les autres dignitaires, et Raiponce cessa d’y penser pour se concentrer sur Anna.

-Oh, Raiponce, s’écria joyeusement la princesse en libérant sa cousine de son étreinte, cela faisait tellement longtemps que j’attendais de te rencontrer de nouveau en chair et en os ! Comment vas-tu ? Le voyage s’est bien passé ? J’avais terriblement peur, la mer peut être si agitée parfois… Et Eugène est avec toi ! Je suis heureuse de vous revoir. Et voilà aussi Pascal ! Il est si adorable. Et au fait, comment vous trouvez Arendelle ? Ça fait treize ans que je ne l’aie pas vue de l’intérieur, il faut absolument qu’on la visite ensemble ! Vous me direz tout sur Corona. Mais je n’arrête pas de parler, et d’ailleurs, pourquoi n’étiez-vous pas à la cérémonie ? C’est vrai qu’elle était assez barbante, même s’il y avait un invité ou deux avec un physique avantageux…  Attendez, j’ai dit quoi ?

L’enthousiasme d’Anna, monopolisant certes la discussion, avait déteint sur Raiponce, qui éprouvait une grande joie en rencontrant sa cousine. Elle qui avait été sur le point d’exprimer son ressentiment vis-à-vis de la reine, n’eut pas le cœur de lui faire de la peine et opta pour lui dissimuler la vérité plutôt que d’élargir le gouffre qui la séparait de sa sœur.

-Eh bien, répondit-elle, c’est que nous sommes arrivés en retard et que…

-Votre sœur nous a plus ou moins bannis du royaume quand Raiponce a essayé de se montrer amicale avec elle, intervint platement Eugène.

-Eugène ! s’indigna Raiponce avec un regard alarmé en direction de sa cousine.

Elle craignait qu’Anna ne réagisse mal, que l’ombre de sa sœur ne vienne gâter sa première journée à l’extérieur de son château. Mais si un voile de tristesse passa effectivement sur le visage de la princesse, cette dernière n’eut pas l’air d’être plus surprise que cela.

-Elsa s’est toujours montrée distante, regretta Anna. Elle a pris l’habitude de fermer la porte à tout le monde, y compris à moi.

-Nous avions remarqué, ironisa Eugène.

-Je comprends sa réaction, répondit à contrecœur Raiponce. Elle a été très affectée par la mort de ses parents, c’est normal qu’elle se montre un peu… froide avec nous.

La princesse de Corona n’en pensait rien. Un bouillonnement intérieur la faisait presque vibrer de colère ; il lui causait une douleur presque physique de répondre cela alors que ton son corps se retenait pour ne pas hurler qu’elle n’avait rien à voir avec tout ça, qu’Elsa se montrait injuste… Raiponce trouva néanmoins la force de ne rien dire de cela, une nouvelle fois pour épargner Anna un maximum.

-Cela ne l’autorise pas à agir ainsi, objecta Anna en secouant la tête. Eugène et toi n’êtes pas responsables. Je suis sûre qu’Elsa le sait aussi, au fond d’elle-même. Elle finira par s’excuser.

-Vu l’accueil qu’elle nous a réservé, plaisanta Eugène, je pense qu’il  y a plus de chances qu’il se mette à neiger en juillet.

-Eugène… soupira son épouse.

-Mais non, je suis tout à fait sérieux. Après tout, nous sommes à Arendelle, ça serait étonnant qu’il ne se mette pas à neiger avant demain, si ?

L’humour du jeune homme dérida Anna, qui laissa échapper un petit gloussement.

-Oh, il ne fait pas si froid que ça, vous exagérez. Vous vous habituerez vite.

-Je ne sais pas si nous pourrons rester très longtemps, hésita sa cousine. Elsa nous a clairement fait comprendre qu’elle n’était pas disposée à nous accueillir.

-Mais non, ne t’en fais pas, la réfuta nonchalamment Anna d’un geste de la main. Je vous ferai rentrer au château, vous n’aurez qu’à vous montrer discrets jusqu’à ce que je persuade ma sœur de vous laisser rester.

-Je croyais que vous ne vous étiez plus parlées depuis treize ans ? risqua doucement Raiponce.
Anna se mordilla légèrement la lèvre, l’air embarrassé.

-Hmm, oui, c’est vrai, mais elle reste ma sœur, et je l’aime, même si je ne sais pas ce qu’elle ressent pour moi. Aujourd’hui sera la première occasion que j’aurai de renouer le contact avec elle, alors il faudra bien que je tente ma chance.

Le regard de la princesse d’Arendelle fut soudainement plus brillant et joyeux, retrouvant son optimisme habituel.

-Mais nous verrons tout ça ce soir. En attendant, nous avons tout le royaume à visiter. Vous venez ?

Rattrapée par son entrain, Anna sautilla un peu avant de faire brusquement volte-face et de s’élancer vers le village, laissant sur place Eugène et Raiponce.

-Oh non, elle court aussi, gémit le prince. Je suppose qu’on doit…

Son épouse l’agrippa fermement par le bras et se précipita à la suite de sa cousine, entraînant Eugène avec elle.

-…la suivre, termina Eugène avec résignation.

Le prince et Raiponce s’élancèrent, prêts à découvrir les beautés du royaume d’Arendelle sans se soucier plus de Hans ou de l’accueil glacial de la reine, car après tout, le pire était sans doute derrière eux. Que pourrait-il arriver de mal, de toute façon ? Rien du tout.


Enfin, c’était ce qu’ils croyaient.

___

Voilà pour la confrontation entre Elsa et Raiponce ! Dimanche, notre chère Raiponce va faire quelques nouvelles rencontres très importantes pour la suite. Et rassurez-vous, le moment fatidique de la petite "crise" ne tardera pas trop... Wink


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Dim 14 Jan 2018 - 19:28

Chapitre 4 : Retrouvailles et rencontres en tout genre

Ce fut une après-midi douce et délicate, comme il en existe si peu. Des heures de sérénité et de joie perdues dans un monde d’ordinaire si plein de doute et de ressentiment. Ce sont de ces moments dont on regrette ne pas plus se souvenir, mais dont on ne le peut car il n’y a simplement rien à en dire. Sans événement regrettable, sans danger ni perturbation il ne reste rien pour éveiller la conscience et faire dévier de sa trajectoire l’action naturelle des Hommes, ce pourquoi les périodes de bonheur tranquille sont celles dont on se rappelle le moins, puisque vécues dans un état presque léthargique où la conscience endormie se laisse bercer par les heures passant.

Après s’être rendus à bord du navire de Raiponce pour déjeuner, le petit groupe s’était décidé à retourner à terre. Ainsi, le reste de la journée s’écoula pendant qu’Anna, Eugène et Raiponce exploraient le village d’Arendelle, flânant sur la place, trainant dans les rues, grimpant les chemins étroits et sinueux à flanc de colline, discutant pour rattraper le temps perdu… Il fut révélé à Raiponce que le Premier Ministre avait quitté le royaume en raison d’un voyage d’affaires, ce qui expliquait son absence lors du couronnement d’Elsa. La princesse l’avait rencontré une première fois trois ans auparavant, et le considérait avec respect ; elle le savait un grand ami de la famille royale et espérait le revoir pour mieux comprendre les dissensions entre Anna et sa sœur.

Si les beautés pittoresques d’Arendelle enchantaient Raiponce, c’était bien Anna qui l’émerveillait le plus. La jeune femme rayonnait presque littéralement, souriant constamment et se montrait d’une gentillesse incomparable avec tous ceux qu’elle rencontrait. Il lui était impossible de se tenir immobile plus de quelques minutes ; il lui fallait sans cesse bondir découvrir de nouvelles choses, rencontrer de nouvelles personnes. Treize années de réclusion semblaient n’avoir eu d’autre effet sur elle que d’exciter davantage son naturel extraverti. Raiponce elle-même finit par se laisser aller, retrouvant pour la première fois depuis longtemps une bonne humeur totalement libérée de ses remords et incertitudes.
Il n’y eut qu’un seul fait notable durant cette journée : alors qu’Anna avait pris de l’avance et qu’Eugène et Raiponce peinaient pour la rattraper, ils tombèrent au milieu d’une ruelle sombre sur un petit homme assez vieux accompagné de deux gardes à l’air austère et portant des vestes noires, qui était vêtu d’un uniforme noir et d’épaulières dorées, ses cheveux gris brossés en arrière. De multiples médailles et décorations ornaient sa poitrine, ainsi qu’une écharpe rouge accrochée de son épaule à sa hanche opposée. Il semblait en pleine discussion avec un quatrième homme, dont les vêtements ternes et maladroitement rapiécés juraient avec la noblesse de ceux de son interlocuteur. Ses cheveux étaient blonds et hirsutes, et on devinait des muscles saillants sous le tissu de ses loques. Son visage était jeune, mais semblait durement marqué par le poids d’une vie éreintante, montrant des cernes sombres en-dessous de ses yeux noirs.

Les hommes n’avaient pas remarqué leur présence. Sentant qu’un coup fourré se tramait, Raiponce se dissimula derrière une charrette de marchandises, et fit signe à Eugène d’en faire de même. Le petit homme s’adressait au jeune homme blond d’un ton dont la condescendance n’était nullement dissimulée.

-Bien-sûr, je ne m’abaisserais pas à traiter avec des personnes telles que vous en temps normal, mais les prix des biens du royaume sont trop élevés pour que Weselton puisse réellement en bénéficier.

Weselton ! Raiponce se rappelait de quelques bribes de souvenirs au sujet du duché. Il s’agissait d’une des principales puissances commerciales de la région, et un partenaire de Corona. Le petit homme devait alors être le duc. La réputation de ce dernier n’était guère glorieuse : il passait pour un pleutre, avide et extrêmement orgueilleux.

-C’est ça, répliqua l’autre homme. Donc vous voulez que je vole des marchandises pour pouvoir vous les vendre à bas prix ?
C’était donc de contrebande qu’il s’agissait. Raiponce pensa avec tristesse que la criminalité avait aussi cours à Arendelle, et qu’avec des hommes comme le Duc de Weselton la situation ne pourrait s’améliorer.

-Je vois que vous comprenez vite. Faites le nécessaire dans la nuit, et j’enverrai mes hommes vous retrouver demain pour le paiement, dans cette ruelle infecte.

-Ça devrait pas poser de problème. Mais vous devriez d’abord vous préoccuper des deux fouineurs qui nous écoutent derrière la charrette.
Un frisson glacé comprima le cœur de la princesse, tétanisée par la surprise et l’angoisse. Elle chercha le regard d’Eugène, qui ne montrait pas moins d’étonnement et d’indécision. Sentant qu’il ne servirait à rien de jouer les sourds, elle se releva pour faire face avec dignité aux quatre hommes, gardant les bras croisés et le regard dur. Mis à part le blond qui affichait un sourire vaguement amusé, les hommes étaient visiblement alarmés : les deux gardes avaient rapproché la main du pommeau de leur épée, et le duc s’était prudemment réfugié derrière eux, observant les intrus par l’espace situé entre ses gardes. Eugène, quant à lui, s’était également relevé dans le même temps et tenta de temporiser la situation avec un geste d’apaisement.

-C’est un malentendu, dit-il après un rire nerveux. Nous avons été invités pour le couronnement et nous nous sommes égarés pendant que nous visitions… Mais vous avez l’air très occupés, alors on va pas vous embêter plus longtemps. Tu viens, Raiponce ?
Il essaya de la prendre par la main pour l’éloigner de ces hommes peu recommandables, mais la jeune femme se dégagea avec colère, se rapprochant même des comploteurs. S’il y avait une chose qu’elle ne pouvait pas supporter, c’était qu’on abuse de la précarité des plus démunis pour faire du profit.

-Comment pouvez-vous vous regarder dans une glace ? s’indigna-t-elle avec virulence. Faire voler les biens d’Arendelle pour pouvoir faire plus de bénéfices, et ruiner des familles entières ? C’est totalement abject !

Le duc recula davantage devant les imprécations de la princesse, agrippant l’un de ses gardes pour se dissimuler derrière-lui.
-Maisnonjenevoispasdequoivousvoulezparler, répliqua-t-il avec précipitation. Jamais je n’oserais commettre un tel crime ! D’ailleurs, nous ne faisions nous aussi que passer, alors bonne journée à vous !

Il ne laissa pas un instant à Raiponce pour l’invectiver de nouveau : le duc attrapa ses gardes, les força à se retourner, et les entraîna avec lui à grande vitesse vers l’autre bout de la ruelle. Eugène soupira, soulagé.

-J’ai bien cru qu’il allait demander à ses hommes de nous étriper, admit-il. J’apprécierais que tu me préviennes, la prochaine fois que tu veux risquer nos vies…

Raiponce ressentit un sentiment de culpabilité en réalisant que, si ce n’était pour la lâcheté du duc, la situation aurait pu terminer d’une manière bien plus tragique.

-Désolée, s’excusa-t-elle en se passant la main dans les cheveux. Je n’avais pas vraiment réfléchi.

-Ça, j’avais remarqué. En plus, vous venez de me faire perdre un client.

La princesse avait presque oublié la présence du blond. Eugène et elle redirigèrent leur attention sur lui, appréhensifs. L’homme n’avait cependant pas l’air hostile, adossé à une barre de bois soutenant le préau d’une maison, conservant toujours son sourire. Mais il croisa le regard d’Eugène, et son expression changea soudainement, montrant un ahurissement incrédule. Le prince aussi avait l’air franchement surpris et écarquillait les yeux.

-Heinrich ? articula-t-il. C’est bien toi mon vieux ?

-Eugène Fitzherbert ? répondit l’autre homme en secouant la tête. Je ne pensais jamais te revoir.

Là, Raiponce était complètement perdue.

-Attendez, vous vous connaissez ? intervint-elle. Nous ne sommes pourtant venus à Arendelle qu'une fois, et brièvement.

-Je ne suis pas d’ici, expliqua Heinrich. Je viens de Corona, comme vous.

-Nous étions ensemble, à l’orphelinat, enchaîna Eugène.

-Il nous racontait toujours ces histoires sur Flynnigan Rider, reprit Heinrich. Alors quand j’ai vu des avis de recherche à ce nom et avec son visage, j’ai tout de suite compris qu’il s’agissait d’Eugène, même si le nez était un peu différent.

-Complètement raté tu veux dire ! s’offusqua le jeune homme. C’était un crime, une véritable honte ! Mais au fait, comment es-tu arrivé ici ?

-Quelques années après ton départ, j’avais atteint l’âge légal de la majorité. Comme d’autres gosses arrivaient tous les mois, l’orphelinat m’a foutu dehors pour faire de la place. Je me suis retrouvé à la rue, en plein hiver et sans rien à bouffer.

-Mais c’est monstrueux ! s’indigna Raiponce.

-C’est ce qui se produit quand on n’a pas la chance d’être la fille du roi de Corona et qu’on n’a pas un rond, répondit Heinrich avec amertume. Enfin bref, j’avais faim et froid et nulle part où aller, alors j’ai essayé de m’enrôler dans la garde. Mais j’ai été refusé, pas question d’accepter des mendiants ou des voleurs qu’y disaient. Comme personne d’autre voulait de moi pour des petits boulots, j’ai dû me résoudre à voler de la bouffe et à dormir dans une baraque abandonnée à peine protégée du froid. Dans le même temps, j’essayais toujours de trouver un travail honnête, mais pas moyen, alors j’ai fini par abandonner.

-C’est à peu près ce qui m’est arrivé, intervint Eugène, sauf que j’ai vite compris que le vol était plus profitable qu’essayer de trouver un boulot minable. Et après ?

-Je savais que si je ne volais que de la nourriture je ne pourrais jamais mener la vie dont je rêvais, loin de Corona, là où je pourrais devenir quelqu’un de bien. J’ai commencé à voler des objets de valeur, et à les revendre pour de l’argent. Mais c’était pas suffisant pour payer mon départ, et j’ai fait quelques sales boulots pour des brigands du Canard boiteux, des intimidations, des trucs de ce genre. J’ai fini par réunir assez d’argent, et il y a environ trois ans, j’ai pris un bateau pour Arendelle. Je suis arrivé juste après la mort du roi et de la reine.

-Mais votre nouvelle vie ne s’est pas déroulée comme escomptée, devina la princesse. Sinon, nous ne vous aurions pas trouvé en train de faire affaire avec Weselton.

-Je suis un étranger ici, confirma tristement Heinrich. Les gens se méfiaient de moi, et je n’ai pas pu trouver de travail. J’avais passé plusieurs années à réunir la somme nécessaire pour foutre le camp et démarrer une nouvelle vie, tout ça pour me retrouver au point de départ. Mes économies se sont vite envolées, et j’ai dû recommencer à voler. Voilà, vous savez tout.

Une grande peine serrait le cœur de Raiponce, car le récit tragique d’Heinrich lui avait fait réaliser la détresse d’une partie de la population de son royaume, qu’elle croyait pourtant si bien connaître. Elle ne s’était jamais doutée des épreuves qu’un jeune homme ou qu’une jeune femme pouvait traverser en venant d’un milieu précaire et difficile. Elle se rendit compte que des dizaines d’orphelins comme Heinrich devaient subir le même sort à Corona, et qu’ils devaient comme lui et Eugène se mettre à voler pour survivre.

-Je suis vraiment désolée de ce qui vous est arrivé, dit Raiponce avec empathie. Mais vous ne devez pas vous résoudre à cette vie, il n’est jamais trop tard pour changer.

-J’en sais quelque chose, confirma Eugène. Si j’ai pu m’en tirer, tu le peux aussi.

-Toi c’est différent, t’es tombé amoureux d’une princesse. J’ai pas eu cette occasion, regretta Heinrich. Ici, la princesse ne rêve que du prince charmant que je ne risque pas d’incarner, et la reine est un glaçon.

-Je ne vous le fais pas dire, soupira Raiponce. Mais Anna est ma cousine, je suis certaine de pouvoir la convaincre de vous trouver un travail, une fois qu’elle nous aura réconciliés avec la reine, qui nous a légèrement pris en grippe.

Heinrich sembla indécis, n’ayant l’air de savoir comment accueillir la nouvelle. Il se gratta la tête.

-J’essaie depuis tellement longtemps que j’ai fini par ne plus y croire. Vous pouvez toujours tenter, si vous réussissez je vous en serai vraiment reconnaissant. J’en peux plus de cette vie.

-A propos d’Anna, demanda Eugène, où est-elle passée ?

Celle-ci était totalement sortie de l’esprit de Raiponce. La princesse se souvint qu’elle les devançait.

-Elle est partie la première, répondit la jeune femme. Nous devrions la rejoindre.

-Je ne vous retiens pas alors, fit Heinrich. Si jamais vous voulez me voir, vous savez où me trouver.

-On repassera demain, assura Eugène. Ça m’a fait plaisir de te revoir.

-Je suis également ravie de vous avoir rencontré, affirma Raiponce.

-Vous avez été mes seules rencontres positives depuis des années, sourit Heinrich. Encore merci d’essayer de m’aider.

-C’est normal, répondit Raiponce avec émotion. Je fais ce qui me semble juste.

Eugène et elle quittèrent Heinrich après l’avoir salué, repartant sur les traces d’Anna en sortant de la ruelle. Ils la retrouvèrent rapidement, s’amusant à marcher en équilibre sur un muret, puis ils repartirent pour poursuivre leur exploration de la ville.

Le soir tombant, ils s’en retournèrent au port pour retrouver Maximus qui avait fini de débarquer toutes les affaires du navire et les accueillit par un piaffement joyeux. Tous repartirent en direction du château, où le bal à venir avait de nouveau attiré une grande foule réunie dans la cour. Après s’être frayés un chemin à travers la population, ils passèrent entre deux ravissantes fontaines et s’arrêtèrent devant l’entrée du château, laissant Anna passer devant pour s’adresser aux deux gardes postés en sentinelles devant les portes closes.

-Ils sont avec moi, expliqua la princesse.

Malgré la crainte de Raiponce qu’ils ne soient reconnus et expulsés sans ménagement, les gardes opinèrent et s’écartèrent après une révérence. Anna se retourna vers sa cousine et Eugène.

-Il vaut mieux que je rentre seule le temps de prévenir Elsa. En attendant, essayez d’être discrets !

-Promis, affirma Raiponce. Bonne chance !

La princesse d’Arendelle sourit et pénétra à l’intérieur du château, disparaissant après avoir bifurqué quelques mètres derrière les portes. Alors que Raiponce et Eugène lui emboitaient le pas après avoir patienté quelques secondes pour lui laisser de l’avance, l’un des gardes leur barra la route de la main. La princesse se vit aussitôt arrêtée, trainée de force sur son bateau, bannie du royaume… Mais le garde se contenta d’expliquer :

-Je suis désolé, mais les animaux sont interdits à l’intérieur du château. Vous devrez laisser votre cheval et votre crapaud dans la cour.

-C’est un caméléon ! s’offusqua Raiponce.

-Certes, madame, répondit poliment le garde. Mais cela ne change rien aux règles.

Soupirant de contrariété, la jeune femme prit Pascal qui sommeillait sur son épaule et le déposa sur la tête de Maximus.

-Je suis désolée, regretta-t-elle. Ce ne sera pas trop long. Allez faire une balade en attendant, d’accord ?

Pascal et Maximus la regardèrent d’un air ennuyé, ayant clairement l’air de n’avoir aucune envie de passer la soirée dehors. Le cheval hennit de frustration, mais sembla se résigner, tandis que Pascal tira la langue de dépit. Après une caresse qu’elle voulut consolatrice, la jeune femme se détourna et rentra avec Eugène à l’intérieur du château, les portes se refermant derrière eux. Le faste de la décoration fut du goût de Raiponce, et lui rappela la beauté du château de Corona. Le ton de la couleur était au rouge, qu'il s'agisse des murs des cloisons ou des tapis. Un corridor à la droite d'Eugène et de la princesse semblait mener à la salle principale, où la soirée allait se dérouler. Raiponce longea le mur situé à quelques mètres devant eux, et arriva rapidement à l'intérieur de l'immense salle de bal, remplie de convives de la noblesse locale et étrangère. Au cœur de la pièce, des couples de danseurs valsaient gracieusement sous les yeux appréciateurs des autres invités, au rythme de la musique entrainante jouée par un orchestre situé plus à gauche. Des colonnes jalonnaient les deux côtés de la partie centrale de la salle, menant au trône de la reine à l'autre extrémité de la pièce. Il était vide : Elsa ne devait pas encore être arrivée. Raiponce se tourna vers son époux.

-Nous devrions nous cacher dans un coin, au milieu de la foule, en attendant qu'Anna nous rejoigne, proposa la princesse.

-Entendu, accepta Eugène, mieux vaut éviter d'attirer l'attention et profiter de l'absence de la reine.

Les deux optèrent pour s'immiscer dans la partie gauche de la salle, cachés derrière une colonne à une distance raisonnable du trône, proches de l’orchestre et au milieu des invités qui conversaient en souriant dans un brouhaha vivant et chaleureux. Tous semblaient ravis de leur présence, et parmi les quelques bribes éparses que Raiponce parvenait à distinguer de leurs discussions, le sujet de la famille royale et de l'ouverture des portes était le plus populaire. Le mystère qui entourait la reine était considéré comme des plus captivants.

En observant distraitement la foule des invités, Raiponce aperçut sur la partie droite Weselton et Hans en pleine discussion avec quatre hommes que la princesse reconnut pour être des ambassadeurs français, irlandais, espagnol et allemand. Eugène, les voyant à son tour, remarqua :

-Weselton et Hans. On dirait que les grands esprits se rencontrent.

-Eugène…

-Quoi, c’est vrai, je suis sûr que…

Le jeune homme fut soudain interrompu par des applaudissements nourris saluant la fin de la première danse, suivis par une voix d’homme annonçant :

-La Reine Elsa d'Arendelle !

Raiponce, alertée du risque, se plaça juste derrière la colonne pour ne pas être vue de la reine, mais tenta en dépit de cela de jeter un œil vers le trône. Elle vit sa cousine apparaître en provenance de la droite de la salle, toujours habillée de ses vêtements de couronnement, et marcher avec grande retenue jusque devant son trône, où elle s'arrêta pour observer les invités devant elle, ne regardant pas dans la direction de la princesse à son grand soulagement. L'homme qui avait annoncé l'arrivée de la reine, derrière elle, fit un geste sur la gauche de la salle et proclama :

-La Princesse Anna d'Arendelle !

La ci-nommée surgit de l'autre côté de la salle, passant en un éclair à proximité de Raiponce avec laquelle elle échangea un sourire, et se stoppa net quelques mètres à proximité de sa sœur, faisant des signes vigoureux de la main à la foule d’invités, jusqu'à ce que l'homme la saisisse brusquement malgré ses protestations pour la placer juste à côté de sa sœur. La famille royale arrivée, les conversations reprirent leur cours. Au moment où Raiponce pensait continuer sa discussion avec son époux concernant Hans, ce dernier sembla les repérer et traversa la salle pour les rejoindre, passant entre les convives qui avaient commencé à danser. Il s'exclama chaleureusement, une coupe de champagne à la main :

-C'est une joie de vous rencontrer à nouveau. Mais je ne vous ai pas vus pendant la cérémonie, où étiez-vous donc ?

-Oh, nous étions au fond de la chapelle, mentit Raiponce qui ne tenait pas à expliquer son différend avec la reine. Nous avons passé la journée à visiter la ville en compagnie de sa sœur.

La princesse chercha Anna des yeux vers le trône de sa sœur, mais Elsa y demeurait seule, le regard rieur -surprenamment-, dirigé vers le cœur de la salle de bal. Anna s'y trouvait, entraînée bon gré mal gré par les gesticulations d'un petit homme en qui Raiponce reconnut le Duc de Weselton. Elle ressentit alors un élan de compassion pour sa pauvre cousine.

-Arendelle doit en effet être très agréable à visiter, reprit Hans. Mais j'avais hélas d'autres préoccupations : je devais entre autres, en tant que représentant des Îles du Sud, nouer des liens avec les puissances étrangères. Je regrette de ne pas avoir rencontré le Premier Ministre Magnus, qu’on dit un homme plein d’esprit ; car certains des émissaires m'ont plus d'une fois donné envie de m'esquiver et de partir profiter de cette belle après-midi, croyez-moi.

-Vous devez parler du Duc de Weselton, comprit Eugène. Un vrai vaurien, celui-là. De ce que nous avons pu voir de lui, il serait prêt à tout pour faire du profit.

-Je dois dire que cela est assez exact, admit Hans. Il a très à cœur les intérêts financiers de sa patrie.

-Vous voulez dire ses propres intérêts, répliqua durement Raiponce.

-Certes, fit Hans. Sur un sujet plus léger, il a également une réputation de danseur particulièrement original.

-Je ne vous le fais pas dire, répondit Raiponce. Je l'ai vu avec la princesse tantôt et il s'est montré pour le moins, disons-le, enthousiaste.

La jeune femme, qui avait balayé la salle du regard, s'était aperçu qu'Anna avait disparu une fois de plus, et était retournée auprès de sa sœur. Tandis que Raiponce en était presque à penser que les deux femmes allaient parvenir à retrouver leur complicité perdue en voyant Anna esquisser un geste vers sa sœur, elle fut vite détrompée quand Elsa répondit à sa marque d'affection en lui tournant le dos et en ayant un mouvement d'exaspération vive, causant un chagrin visible à sa sœur. Hans surprit le regard de Raiponce, et après avoir remarqué la détresse de sa cousine, marmonna :

-Veuillez m'excuser quelques minutes.

Il les planta sans plus de cérémonie, et se dirigea avec empressement vers un endroit plus éloigné du trône, alors qu'Anna repartait en direction de la sortie, semblant être au bord des larmes. Un instant après qu'Hans se soit arrêté dans la partie centrale de la salle, sur la trajectoire d'Anna, cette dernière fut brutalement bousculée par un maladroit et trébucha, battant des bras pour essayer de conserver son équilibre. Elle fut rattrapée de façon très fortuite par Hans, qui affecta d'avoir l'air surpris -car Raiponce avait compris qu'il n'en était rien-, avant de déposer sa coupe sur un plateau tendu par un serveur et d'entraîner Anna dans une danse après avoir échangé quelques mots avec elle.
Raiponce, proprement stupéfaite, comprit qu'elle ne pouvait plus douter : Hans cherchait délibérément à séduire sa cousine.

-Quel petit malin, s'exclama Eugène. Tu as vu comment il s'y prend ? C'est au
minimum un amoureux très habile, au pire un dangereux manipulateur.

-Ne tirons pas de conclusions hâtives, tempéra Raiponce qui ne pouvait se résoudre à incriminer le prince. Il a peut-être simplement remarqué sa tristesse et a cherché à la réconforter.

-C'est ça, et si sa sœur l'ignore c'est en réalité parce que c'est une méchante sorcière aussi, persifla son époux.

Raiponce ne trouva rien à répondre, le cœur rongé par le doute. Et si Hans voulait véritablement se servir d'Anna pour accéder au trône ? Elle observa le prince et sa cousine, perdus chacun dans le regard de l’autre. Elsa quant à elle n’avait sans doute rien remarqué, ayant apparemment disparu. Il vint une idée à la jeune femme, qui avait besoin de se détendre l'esprit.

-Si nous dansions ? proposa-t-elle. La reine n’est plus là, et de toute façon nous serons dissimulés par les autres.
-Avec plaisir, répondit Eugène, cela nous fera faire un peu de sport après la semaine passée sur le navire.

Il lui prit la main avec tendresse, et les deux époux marchèrent ensemble au cœur de la salle de bal, s’insérant entre deux couples et se calquant sur leur rythme. Hans et Anna, au centre du cercle formé par les danseurs, monopolisaient l’attention de la foule tant leur connivence était visible, et devant tant de symbiose qu’aucun homme, songeait Raiponce, ne pourrait simuler, la princesse écarta une fois encore ses doutes et cessa de se préoccuper de Hans pour se concentrer sur le moment présent. Après tout, pensa-t-elle en tournoyant sous le bras d’Eugène, même s’il est fin stratège, ses sentiments sont sans doute sincères.

-La soirée se déroule plutôt bien, tout compte fait, dit Raiponce avec enthousiasme. Même si la réconciliation ne semble pas pour tout de suite…

-Anna et sa sœur finiront par se rendre compte qu’elles s’aiment, espéra Eugène, et la reine entendra raison sur la mort de ses parents.
Une pointe de colère émergea du subconscient de Raiponce, mais cette dernière sut le réprimer, poursuivant ses pas avec grâce.
-L’essentiel est qu’Anna aille bien, répondit-elle. Je n’ai pas besoin du pardon de la reine.
Sa réponse eut l’air de surprendre Eugène, qui n’en fit néanmoins de rien. Raiponce préféra changer de sujet au plus vite, penser à la reine l’exaspérant au plus haut point.

-Tu t’y prends plutôt bien, finalement, apprécia-t-elle.

-J’espère bien, répliqua-t-il. Il fallait bien que les heures de leçons reçues de ta mère servent à autre chose qu’à me réduire les pieds en compote.

Eugène et son épouse continuèrent quelques minutes leur valse, puis la musique s’estompa et la danse des invités s’arrêta du même coup, recevant les applaudissements des invités qui avaient préféré rester spectateurs. Tenant la main d’Eugène, elle fit avec lui la révérence devant les convives, avant de le serrer dans ses bras pour l’embrasser malgré les murmures de gêne des nobles, peu habitués à ces épanchements d’affection. Lorsqu’ils eurent terminé et regardèrent autour d’eux, ils virent que Hans et Anna s’étaient éclipsés. Ils retournèrent vers la gauche de la salle, derrière les colonnes, et purent les apercevoir bavarder gaiement. L’enthousiasme d’Anna couplé à sa maladresse porta malencontreusement l’un de ses gestes hasardeux à frapper le prince en plein visage, sans que ce dernier s’en offusque, éclatant même de rire avec la princesse.

-Le chat met en confiance la souris avant de la dévorer, dit sarcastiquement Eugène.

-Ne sois pas si paranoïaque, soupira son épouse. Ils ont des affinités, c’est tout.

Hans et Anna se dirigeaient à présent vers la porte la plus proche, située sur le mur de gauche, et quittèrent discrètement la salle de bal.
-M’est avis que tout cela est très louche, persista Eugène. Si nous-

Un hennissement furieux retentit alors de l’entrée de la salle de bal, couvrant le vacarme des conversations. Tous tournèrent la tête vers l’extérieur du château, et virent entrer au grand galop un cheval blanc –Maximus !- poursuivre un caméléon qui était évidemment Pascal. Durant sa course, le cheval, paraissant furibond, manqua de bousculer plusieurs invités, qui s’étaient par réflexe écartés de son passage, certains tombant au sol dans la cohue. La foule laissa un espace respectable à Maximus, tandis que l’objet de sa fureur parvenait à grimper au sommet du trône, se pensant en sécurité. Immédiatement, la princesse sut que l’inévitable allait se produire : le cheval, aveugle à tout sens commun, fonça tête baissée sur la partie gauche du trône de la reine, le faisant basculer vers la droite tandis que Pascal bondissait sur la tête du cheval pour éviter de chuter. Le trône s’écrasa au sol avec grand bruit, mettant fin à la querelle entre le caméléon et le cheval qui s’appliquaient déjà à s’entretuer et qui s’immobilisèrent soudainement, de concert avec toute la foule d’invités qui s’était tue d’un silence grave. La princesse oublia toute prudence et se précipita vers Maximus et Pascal, prise de colère, Eugène la suivant de près.

-Mais à quoi jouez-vous tous les deux ? s’écria-t-elle.

Aussitôt, Maximus pointa un sabot accusateur vers Pascal juché sur sa tête, qui essayait de se camoufler en prenant la couleur du poil de Maximus et se cachait les yeux avec ses pattes. Devant la frayeur qu’elle causait à son ami, la princesse se sentit honteuse et se radoucit.

-Tu as voulu nous rejoindre, dit-elle à Pascal, c’est ça ? Et Maximus t’a poursuivi.

Elle soupira.

-Bon, ce n’est pas trop grave, je suis sûre que-

-Je croyais avoir été claire, l’interrompit une voix glaciale que Raiponce aurait préféré ne pas reconnaître. Vous n’êtes pas les bienvenus dans mon royaume.

La princesse détourna vivement la tête en direction de la droite de la salle. Elsa venait d’apparaître à l’une des entrées et s’approchait d’elle à pas lents, le regard chargé d’une colère froide.

-Votre majesté, tenta Eugène, nous…

-Assez ! le coupa sèchement Elsa d’une voix dont on pouvait déceler une fureur difficilement contenue.

L’atmosphère de la salle sembla tout à coup se rafraichir, et la température diminuer de plusieurs degrés, faisant grelotter Raiponce qui se mit à souffler de la vapeur blanche. Que se passe-t-il ? La reine s’apercevant de ce changement de climat sembla être prise de terreur, et s’empressa d’ordonner en se retournant pour repartir de la pièce :

-Mettez les dehors immédiatement !

La princesse se sentit saisie par des bras musclés avant qu’elle n’ait pu protester, et vit à ses côtés Eugène être lui aussi pris par un des gardes du château, ainsi que Maximus tiré par les rênes. Ils furent ainsi trainés manu militari sous les yeux de toute la noblesse d’Arendelle, la poigne du garde serrant tellement fort le bras de Raiponce qu’elle en ressentit une vive douleur. Ses faibles protestations furent inutiles, et elle fut avec ses compagnons jetée sans ménagement au sol une fois sortie du château, s’écrasant sur les dalles de pierre en n’ayant que le temps de mettre ses bras en avant pour ne pas tomber trop durement. Malgré sa douleur, la princesse s’aida de ses mains pour se relever tandis que derrière elle, les portes se refermaient avec fracas, encore.

-Quelle peste, cella là ! s’exclama Eugène en époussetant son habit. J’en ai vraiment assez d’être sans cesse chassé comme le voleur que je ne suis plus.

-Moi qui avais promis à Anna que nous resterions discrets… se lamenta Raiponce. Vu l’état dans lequel nous avons laissé la salle du trône, nos chances de demeurer dans le royaume semblent anéanties.

-Dans ce cas, rentrons à Corona, proposa Eugène d’une voix d’où perçait l’espoir de mettre fin à leurs désagréments. Tu as vu Anna, comme tu le souhaitais, et elle se portera très bien sans nous, surtout en compagnie de…

Il s’arrêta et se rembrunit.

-…Hans, reprit-il sombrement. Je l’avais oublié, lui. Il a posé ses griffes sur ta cousine, et je n’ai pas l’impression qu’il veuille la lâcher…
-Je ne suis toujours pas convaincue du bien-fondé de tes soupçons, répondit Raiponce. Mais si mince que soit le doute, je ne peux pas nier le fait que son comportement est étrange. Nous ne pouvons pas partir tant que nous ne sommes pas sûrs de ses intentions, et je ne peux partir sans avoir revu Anna, ni sans lui avoir parlé d’Heinrich.

-Tu as raison, admit Eugène. Je suppose que nous devrons passer la nuit sur le navire, en priant pour que la reine n’aura pas donné d’ordres à toute la garde pour nous arrêter à vue une fois que nous voudrons redescendre.

-Il n’est pas si tard, fit Raiponce en remarquant que la nuit venait à peine de recouvrir Arendelle et que les étoiles pointaient encore timidement. Nous pourrions partir retrouver Anna pour l’informer de ce qui s’est passé.

-C’était justement ce que j’allais te proposer avant que Maximus et Pascal ne fassent leur show, révéla Eugène après un regard ironique en direction du cheval qui replaçait dignement sa crinière avec son sabot. Je m’étais dit que suivre Hans et Anna nous permettrait d’en apprendre davantage, mais ils se dirigeaient vers les jardins, qui se situent dans l’enceinte du palais. Je dois t’avouer que je ne vois pas trop comment nous y rendre si la garde est sur le qui-vive.

-Allons, tu as bien réussi à t’infiltrer dans le château de mes parents pour voler ma couronne ! s’amusa Raiponce. Cela ne doit pas être si différent.

-Je pourrais escalader, supposa son époux, et redescendre dans les jardins. Mais ce serait beaucoup de risques, et cela veut dire que tu devrais m’attendre ici pour monter la garde.

-Hors de question, répliqua fermement Raiponce.

-C’est ce que je pensais, sourit Eugène. Dans ce cas, nous n’avons qu’à aller à un endroit où ils pourraient se rendre à l’extérieur du château. Tu as une idée ?

La princesse soupesa ce qu’elle connaissait d’Anna et les informations qu’elle possédait sur la région.

-Je ne connais pas bien Arendelle, répondit-elle, mais je crois qu’Anna m’a parlé dans une de ses lettres d’un ou deux coins où elle avait prévu de se rendre une fois qu’elle aurait rencontré son « grand amour ».

-Splendide, s’exclama Eugène. Allons-y immédiatement et attendons-les là-bas, dans ce cas.

-C’est que, hésita Raiponce, je n’ai pas le moindre souvenir de quel endroit il s’agissait. Mais j’ai emmené les lettres que j’ai reçues d’Anna, et nous pourrons les relire sur le navire.

-Il vaut mieux ne pas perdre de temps alors, affirma son époux.

Raiponce opina et se lança avec Eugène, Maximus et Pascal dans une nouvelle course effrénée à travers le peuple qui attendait une apparition de la reine dans la cour du château, traversant le pont éclairé de part et d’autres par les lampadaires qui soutenaient les bannières de la reine, et passant sous le préau menant au port. Ils purent aisément retrouver la chaloupe renversée sous laquelle Hans s’était retrouvé plus tôt dans la journée, et la retournèrent sans effort. Eugène et la princesse s’installèrent à l’intérieur, laissant Maximus en compagnie de Pascal sur le quai, trop lourd pour être transporté par le canot.

Le navire de Corona se trouvant à l’extérieur de l’enclave, il fallut de nombreux coups de rames à Eugène et Raiponce pour s’y rendre, et un temps qui sembla assez long fut nécessaire. Arrivés à proximité, ils s’époumonèrent pour réveiller l’équipage à bord. Un matelot barbu, l’air ensommeillé, arriva rapidement et leur jeta une échelle de corde, qu’ils purent utiliser pour monter sur le pont. Après s’être excusés d’avoir interrompu la nuit de sommeil de tout l’équipage, ils demandèrent à ce dernier de conduire le navire à quai pour faire remonter Maximus et Pascal, et à un des matelots de se charger de ramener la chaloupe. Ceci fait, les époux ouvrirent la trappe située dans la partie centrale du navire pour descendre par une échelle dans leurs quartiers. La pièce était plongée dans l’obscurité, et la princesse connaissant de mémoire la disposition de la pièce retrouva facilement un chandelier qu’elle alluma immédiatement. Une faible luminosité leur permit de se repérer dans la petite chambre contenant uniquement un lit double, deux tables de chevet et un placard.

Raiponce se dirigea vers sa table de chevet et en ouvrit le tiroir, sortant tout un paquet de lettres d’une boite en carton. Elle s’assit avec Eugène sur le lit aux draps de soie, lui tendant la moitié du paquet.

-Essaie de voir si tu peux trouver où Anna pourrait se rendre, demanda la princesse en commençant à lire ses propres lettres.
Les deux époux consommèrent quelques sandwiches qu’on leur avait apportés pendant qu’ils parcouraient une à une les lettres sans rien trouver d’autre que les rêveries de la princesse d’Arendelle. Raiponce vit le paquet s’amincir petit à petit.

-C’est vraiment passionnant, ironisa Eugène. Oh oh !

-Quoi, s’écria vivement Raiponce, tu as trouvé ?

-Non, mais écoute ça, c’est assez mémorable : « J’ai passé la journée à chercher mon épingle à cheveux favorite, et je me suis rendu compte le soir venu que je la portais déjà. Quelle idiote je fais ! ». Son quotidien a l’air d’être palpitant.

-Arrête de te moquer et continue de chercher, soupira la princesse.

L’une des dernières lettres attira son attention, car elle lut en survolant le contenu des yeux les mots fatidiques : « grand amour ». Raiponce revint plus en détail dessus, trouvant après plusieurs dizaines de minutes de recherche infructueuses -sa correspondance avec Anna étant très fournie-, l’objet de leur venue : « Je n’ai de cesse d’imaginer le moment où je me rendrai enfin au-dessus de la cascade avec mon grand amour. La vue est superbe, et on peut y admirer le château de face. »

La princesse fit part à Eugène de ce qu’elle avait trouvé, et ils remontèrent sur le champ sur le pont, alors que le navire s’était amarré et que Maximus et Pascal étaient montés à bord. Après leur avoir conseillé de rester dormir sur le navire pour éviter de causer plus de troubles, Raiponce redescendit ensuite en compagnie d’Eugène tandis que le navire s’éloignait lentement, et tous deux s’arrêtèrent pour observer les montagnes de l’autre côté du royaume. Même dans la nuit, il leur fut possible de distinguer rapidement une cascade s’écoulant silencieusement, en hauteur et surplombant la ville. Ils s’y rendirent, remontant par les routes sinueuses qu’ils avaient déjà empruntées durant l’après-midi. Après une demi-heure de marche, ils arrivèrent à leur destination, voyant à leur gauche la cascade se déverser avec un bruit caractéristique. Un escalier de pierre semblait mener sur une petite langue de roche surplombant la cascade et le royaume, et Eugène et Raiponce l’empruntèrent.

-J’espère que nous n’arrivons pas trop tard, craignit la princesse en escaladant les marches.

-Nous verrons bien, répondit Eugène avec fatalisme. Et puis s’ils sont déjà partis, nous n’aurons qu’à retourner sur le navire et attendre demain, je ne vois pas trop ce qui pourrait arriver de grave entre temps…

Ils parvinrent à la dernière marche, l’extrémité de la corniche se trouvant à leur gauche. Pendant que la princesse se remettait de l’éprouvante escalade, elle jeta un œil en direction de la cascade, pensant pouvoir observer le royaume d’un point de vue sublime. Mais elle ne le put, car entre les deux filets d’eau qui encadraient la corniche, sa vue était obstruée. Par deux individus. Hans et Anna. Mais ce n’était pas ce qui provoquait l’expression d’effarement complet qui naissait sur son visage et celui d’Eugène : c’était quelque chose de bien plus inattendu.
Genou à terre, tenant tendrement entre ses paumes la main gauche d’Anna, Hans échangeait avec la jeune femme un regard d’amour mutuel sans équivoque, alors qu’un sourire euphorique s’affichait sur le visage de la princesse.

Visiblement, Hans venait de demander Anna en mariage. Et elle avait dit oui.

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Voilà pour ce chapitre, j'annonce que c'est au suivant que les ennuis commenceront véritablement Very Happy


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Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 17 Jan 2018 - 22:13

Chapitre 5 : Coup de froid sur le royaume

-Oh p*tain ! s’exclama Eugène avec ébahissement, résumant parfaitement la pensée de Raiponce.

L’interjection du jeune homme attira l’attention des tourtereaux, qui tournèrent la tête vers Raiponce et son époux. Hans donnait l’impression d’être assez décontenancé par l’apparition imprévue de ces derniers, mais Anna ne se départit pas de son air euphorique et ne laissa pas à un silence gêné le temps de créer un malaise, sautillant pour retrouver sa cousine.

-Je suis tellement heureuse de vous retrouver ! s’écria-t-elle avec un large sourire. J’ai passé une soirée extraordinaire. Tout s’est déroulé exactement comme je me l’imaginais Raiponce, tu te souviens quand je t’écrivais sur le grand amour que je finirais par vivre ? C’est finalement arrivé ! Hans m’a demandée en mariage ! Mais quelle idiote je fais, je ne vous ai même pas présentés…

-Nous nous sommes déjà rencontrés, lui révéla Hans en les rejoignant.

-Vraiment ? Mais c’est formidable ! Enfin bref, vous serez bien-sûr invités pour la cérémonie, cela réparera votre absence de tout à l’heure.

-Ce serait avec plaisir, répondit prudemment Raiponce, mais ne crois-tu pas que tout cela est un peu… rapide ?

-Oh mais non, pas du tout ! s’exclama Anna en regardant son fiancé avec tendresse. Hans et moi sommes faits l’un pour l’autre, c’est évident.

C’est encore plus grave que je ne le croyais. La princesse d’Arendelle avait si longtemps été rejetée par sa sœur, coupée de toute personne qui aurait pu l’aimer, que cet amour non distribué et ce besoin de se sentir écoutée et aimée s’étaient mués en un désir irrépressible de trouver cet être idéal en qui elle avait placé jour après jour toutes ses espérances d’une vie meilleure. Au fil des années, laborieusement, minutieusement, la princesse avait imaginé trait pour trait son grand amour, qui allait arriver sur son cheval blanc pour la libérer de sa solitude. Cela en avait donc fini par devenir une obsession : Anna pensait qu’en trouvant enfin l’homme de sa vie, toutes ses blessures seraient indubitablement cicatrisées et le rejet de sa sœur sans aucune importance. En rencontrant Hans, il lui avait suffi de déceler chez lui quelques-unes des caractéristiques qu’elle recherchait –l’élégance, la gentillesse-, pour que son amour l’élise comme sujet et qu’il s’y accroche avec la force du désespoir. Cela était l’instinct de survie le plus basique : Anna avait besoin d’aimer et de se sentir aimée, et le prince remplissait toutes les conditions. Il était arrivé à pic : venant d’être une fois de plus rejetée par sa sœur, Anna était vulnérable, son amour refoulé cherchant frénétiquement une personne à qui s’accrocher. Son inexpérience, sa naïveté avaient fait le reste, et voilà qu’elle était fiancée à un parfait inconnu.

-Je n’ai pas le moindre doute à ce sujet, ironisa Eugène. Mais votre sœur aimerait sans doute avoir voix au chapitre…

-Elsa ! s’exclama Anna. C’est vrai, il faut que nous lui demandions sa bénédiction. Si nous y allions maintenant, Hans ?

-Il serait peut-être plus approprié d’attendre la fin de la fête, peut-être même quelques jours, proposa Hans. La reine serait plus disposée si elle me rencontrait d’abord…

-Oui, vous avez sans doute raison, concéda la princesse avec une once de déception dans la voix.

Mais Raiponce, guère emballée à la perspective de voir sa cousine se marier à un individu duquel elle se méfiait de plus en plus, ne pouvant nier le caractère douteux de son comportement, ne tenait pas à ce que toutes les chances soient du côté d’Hans. Tuer leur mariage dans l’œuf, ou au moins le retarder, causerait peut-être de la peine à Anna, mais la protégerait peut-être d’un homme dangereux. S’ils demandaient sa bénédiction à la reine immédiatement, la probabilité qu’Elsa refuse en bloc était très forte : usée par toute une journée de retenue et d’altercations avec Raiponce, perturbée après sa dispute avec sa sœur, la souveraine risquait de réagir à cette nouvelle de façon violente et passer une très mauvaise nuit, une idée que Raiponce ne pouvait s’empêcher de trouver séduisante sachant la manière dont elle l’avait traitée.

-Attendre ? fit-elle mine de s’étonner en changeant son attitude du tout au tout. Mais pourquoi ? Elsa sera certainement ravie d’apprendre que tu as enfin trouvé le bonheur ! Cela pourrait même la pousser à s’ouvrir davantage, et à revenir vers toi. Vous devriez lui demander sa bénédiction sur le champ, tant que votre ferveur est encore présente !

Eugène, dubitatif, resta silencieux, ne semblant pas comprendre à quoi jouait son épouse. Hans eut l’air contrarié, mais cela ne dura qu’un instant. Anna, quant à elle, attirée par la perspective de renouer le contact avec sa sœur et enchantée d’avoir des arguments pour lui apprendre la nouvelle immédiatement, s’écria joyeusement :

-Merci, Raiponce, c’est une très bonne idée ! Venez Hans, il nous faut absolument parler à Elsa avant que la fête ne soit terminée !

Elle entraîna son fiancé, qui n’osait apparemment pas refuser, peut-être de peur de la contrarier, et repartit au galop vers le château, disparaissant en empruntant l’escalier. Eugène s’adressa à Raiponce :

-Pourquoi les as-tu envoyés au casse-pipe ? Tu sais bien qu’Elsa n’acceptera jamais de laisser sa sœur épouser un homme qu’elle a rencontré le jour-même.

La princesse lui expliqua le plan qu’elle avait imaginé, se sentant cependant divisée sur son propre comportement : elle venait après tout de manipuler sciemment sa cousine pour lui retirer le seul bonheur qu’elle avait connu depuis des années. Mais c’était pour son bien, se persuadait-elle, car Hans lui paraissait de plus en plus avoir de plus grandes ambitions que celle de conquérir le cœur d’Anna, et Raiponce n’avait de toute façon pas l’intention de partir sans s’être assurée qu’Anna ait trouvé de quoi assurer son bonheur.

-C’est malin, apprécia Eugène, quoiqu’un peu du style de Gothel, sans vouloir t’offenser. Tu es donc d’accord avec moi, Hans cache quelque chose ?

Raiponce eut une sensation désagréable, presque physique, en s’entendant comparée à sa manipulatrice de « mère ». Elle ne releva pas, consciente qu’Eugène ne pensait pas à mal.

-Je pense qu’il a une attitude troublante, répondit-elle. Mais je ne vois toujours pas ce qu’il pourrait obtenir en épousant Anna.

-Qu’importe, il ne l’aura pas. On rentre ? J’ai comme l’impression que ta cousine aura bientôt besoin que tu la réconfortes…

Raiponce acquiesça, et repartit avec Eugène en direction du château. En arrivant dans la cour, ils purent observer que la foule était plus dense que jamais, car il était pensé que la reine allait faire une apparition pour saluer ses sujets. Les bavardages allaient bon train dans l’attente de ce moment tant espéré. La princesse songea que la sortie de la reine serait le moment idéal pour se glisser discrètement à l’intérieur du château, et se posta avec son époux à proximité des portes, restant entourés des habitants dans une zone située à gauche de l’escalier menant à l’entrée principale. Un seul instant était passé que les portes s’ouvrirent brutalement, s’arrêtant l’une face à l’autre avec un bruit fort. Un des villageois s’écria avec enthousiasme : « La voilà ! », faisant se retourner toute la population en direction de l’ouverture et applaudir, pour saluer chaleureusement l’arrivée d’Elsa. En effet, la reine venait d’apparaître, mais au lieu de la froide réserve que Raiponce s’attendait à retrouver sur son visage, ce fut une expression de panique terrible et d’indécision. Derrière les yeux de glace d’Elsa semblait comme brûler le spectre déchainé d’une terreur qui, après toute une vie d’une menace perpétuelle, avait enfin frappé. Après un regard anxieux jeté à l’intérieur du château, elle descendit frénétiquement les quelques marches conduisant dans la cour, dans une course où l’on ne savait pas si ce qu’elle fuyait était à l’intérieur du château, où bien quelque chose d’enfoui au fond d’elle-même. Elle tenta de se glisser entre les citoyens d’Arendelle, qui, malheureusement pour elle, ne semblaient pas être conscients de son trouble et, plutôt que de s’écarter, restaient sur son passage en s’inclinant respectueusement devant elle.

Raiponce et Eugène préférèrent passer derrière la souveraine et grimper les marches pour se rendre dans le château plutôt que de chercher à savoir ce qui l’agitait. Mais une fois parvenue au pas de la porte, la princesse eut une hésitation, presque un pressentiment annonciateur d’un événement funeste, vestige d’un instinct bestial. Il lui parut impensable de rentrer dans le château sans savoir auparavant ce qui mettait la reine dans un tel état. Raiponce se retourna donc, dans l’intention de jeter un dernier regard à sa cousine, pour qui elle éprouvait derrière la haine artificielle qu’elle avait créée pour se protéger, un sentiment de tendresse inséparable de leur lien familial. La reine se trouvait à quelques mètres devant Raiponce, à moitié dissimulée par les jets d’eau de l’une des fontaines. Devant ses sujets qui lui rendaient impossible le fait de quitter la cour, Elsa se mit à reculer lentement, acculée au rebord de la fontaine qu’elle toucha de la main par inadvertance.

Ce fut à cet instant qu’une chose impensable se produisit. Le contact entre la main d’Elsa et la fontaine parut provoquer une réaction brusque et imprévisible : le rebord se gela complètement, puis ce fut l’eau qui se solidifia et prit la consistance de la glace, alors qu’Elsa et les spectateurs de la scène reculèrent, pris par surprise, et que les jets de la fontaine s’immobilisèrent dans la forme d’une vague glacée. C’était incontestablement la manifestation d’une force surnaturelle, avec laquelle Raiponce avait été familière à ses dépens pour la majeure partie de sa vie : de la magie.

La première pensée de la princesse fut pour Anna, et, craignant pour sa vie, se précipita à l’intérieur du château, suivie d’un Eugène décontenancé, bifurquant à droite en évitant de justesse Weselton et ses gardes qui s’étaient élancés à la poursuite de la souveraine, le duc s’écriant en s’arrêtant devant les portes : « La voilà ! Arrêtez-la ! »

Après être entrée dans le corridor, elle vit avec soulagement sa cousine, qui courait vers elle pour rejoindre sa sœur. Au moment de croiser Raiponce, la princesse s’arrêta un instant, confuse et haletante, tandis qu’un bruit de glace brisée détonait non loin de l’entrée, que des cris terrorisés se faisaient entendre et que Weselton s’exclamait « Un monstre. C’est un monstre ! ».

-Anna ! s’exclama Raiponce. Que s’est-il passé ? Elsa est à l’extérieur, elle…

-Je suis désolée, je dois la retrouver immédiatement, la coupa précipitamment sa cousine. C’est de ma faute, je m’en veux tellement… Elle ne s’était pas isolée pour me faire du mal, au contraire, elle voulait simplement…

Trop inquiète pour sa sœur, Anna ne termina pas sa phrase et reprit immédiatement sa course, se faufilant entre Eugène et Raiponce. Cette dernière, sans vraiment réfléchir, animée par son besoin de comprendre ce qu’il s’était produit, repartit en sens inverse, vers la salle du trône. Mais alors qu’elle se retournait et s’élançait sans vraiment regarder devant elle, elle heurta un obstacle de grande taille et tomba au sol avec lui : c’était Hans, qui se releva vivement et repartit à tout allure vers la sortie, essayant de rattraper Anna avec de grandes enjambées.

Raiponce, le corps meurtri par cette nouvelle chute, se releva péniblement, soutenue par Eugène.

-Je l’apprécie de moins en moins, celui-là, dit la princesse d’un ton acerbe.

-Tu n’es pas la seule, lui confia Eugène.

Ils posèrent leur regard sur la salle du trône. Une surprise d’ampleur les y attendait : quelques mètres derrière les portes, on ne pouvait qu’être forcés de constater qu’un large arc de cercle de stalagmites gelés pointés sur les invités horrifiés était bel et bien apparu. Puisqu’il n’avait pas simplement poussé dans la soirée, la seule explication plausible était qu’il avait été invoqué par la même personne qui avait gelé la fontaine, et qui n’était autre qu’Elsa. Raiponce contourna la chose prudemment pour se retrouver face à l’ensemble des invités, qui étaient en proie à l’agitation et au chaos. Hormis quelques nobles qui parvenaient à conserver leur stature et leur calme et dont l’inquiétude n’était trahie que par une expression faciale troublée alors qu’ils se regroupaient en petits groupes, l’immense majorité des convives, blêmes et fébriles, ne montrait pas autant de tact : quand certains poussaient encore des exclamations terrorisées, d’autres visiblement très éprouvés sanglotaient de manière incontrôlée, et la plupart s’exprimaient avec de grands gestes et vociféraient leur mécontentement d’avoir été ainsi agressés, devant des gardes qui peinaient à maintenir l’ordre.

Nul faux semblant, plus de minauderies ni de formules protocolaires : devant un événement que peu pouvaient assimiler, qu’aucun n’aurait pu comprendre ou prévoir, la nature animale de chacun ressurgissait, les transfigurant pour les changer en bêtes acculées. La reine était différente, elle était donc une menace ! Qu’attendait-on pour l’arrêter ? Comme tout ce que la société ne comprend pas est voué à être d’abord l’objet d’une méfiance latente, puis d’une peur déraisonnée, jusqu’à ce que ces sentiments se muent en une haine féroce, paroxysme d’un mécanisme de défense instinctif destiné à protéger sa survie, les nobles d’Arendelle et d’alentour ne firent pas exception à la règle devant la situation et s’étaient immédiatement réfugiés dans leur instinct naturel de survie. Les dignitaires étrangers entrevoyaient dès lors d’autres sujets de préoccupation : les pouvoirs de la reine, bien utilisés, pourraient devenir une arme terrible menaçant la souveraineté de leur pays. Des nobles locaux, opportunistes et peu scrupuleux, complotaient déjà pour s’accaparer le pouvoir suite à la fuite d’Elsa : n’avait-elle pas abandonné le trône ? Sa lignée ne pourrait-elle pas tomber en disgrâce aisément ? Qui resterait-il alors comme souverain d’Arendelle ? Weselton quant à lui, s’il avait été présent, aurait certainement été en train de rechercher le moyen de tirer profit de la vacance du pouvoir en récupérant à son compte les richesses du royaume.

C’était un exemple-type d’une situation de crise, où chacun peut trouver une façon de s’élever, de profiter du chaos pour obtenir des pouvoirs ou des richesses que l’on n’aurait pu d’ordinaire gagner en si peu de temps, voire jamais. C’est donc pour cela que Raiponce comprit qu’il y avait là un plus grand danger que les pouvoirs de la reine : l’ambition. Elle décida d’agir avant que la noblesse ne commence à s’entredéchirer. Elle fit quelques pas en avant.

-S’il vous plaît, s’époumona-t-elle vainement. Ecoutez-moi, je…

Malgré quelques têtes qui se tournèrent vers la princesse, presque tous l’ignorèrent parfaitement.

-Ils ne t’écouteront jamais, la prévint Eugène. Ils sont trop occupés à gémir inutilement.

-Il faut pourtant que… répondit la princesse en recherchant un moyen d’attirer l’attention de la noblesse.

Elle s’interrompit, trouvant une idée en posant ses yeux sur un des gardes, portant à la différence des autres un uniforme bleu, et qui réconfortait l’une des invités secouée de pleurs ininterrompus. Le meilleur moyen de restaurer l’ordre, était toujours le plus simple. Elle se dirigea directement sur le garde et l’interpella en lui saisissant le bras.

-J’ai besoin de votre aide et de celle de vos collègues pour ramener le calme, afin que je puisse m’exprimer devant les nobles.
L’homme la jaugea d’un regard dédaigneux.

-Je ne prends aucun ordre de vous, petite, dit-il d’un ton condescendant. Je suis Norway, le capitaine de la garde d’Arendelle. Et si je me rappelle bien, la reine vous a bannie deux fois du royaume, alors vous feriez mieux de déguerpir.

Raiponce sentit une vague de colère l’envahir. Elle était déterminée à ne pas laisser le royaume s’écrouler en l’absence de la reine, au moins pour le bien de la population et celui d’Anna. Ce n’était pas un imbécile de garde qui allait l’en empêcher.

-Je ne suis pas votre petite, Norway, répliqua-t-elle sèchement. Je suis son Altesse la princesse héritière Raiponce de Corona, la nièce de votre défunt roi. La reine a abandonné le pouvoir, et ses ordres sont caducs. Alors faites votre devoir et ramenez-moi les autres gardes afin que nous puissions restaurer l’ordre !

Le garde la défia du regard, mais la princesse y décela une hésitation, qui finit par vaincre la ténacité de l’homme, qui perdit son air hautain.

-Bien sûr, madame, s’inclina-t-il. Veuillez m’excuser un instant.

Norway s’esquiva pour rechercher ses collègues, laissant Raiponce avec Eugène.

-Ça c’est la femme que j’aime ! apprécia Eugène. Il faut savoir remettre les gens à leur place. Qu’est-ce que tu comptes faire ?

-Improviser, sourit son épouse.

Le capitaine revint bientôt, accompagné d’une dizaine de ses collègues qui se réunirent en demi-cercle devant la princesse.

-Quels sont vos ordres, madame ? demanda amèrement Norway.

Elle réfléchit un instant, soupesant ses options, puis songea que rien ne valait la force brute.

-Nous avons besoin d’ordre, alors exigez que le silence se fasse. Utilisez tous les moyens nécessaires.

Les gardes obtempérèrent sans discuter, formés à suivre les ordres quels que soient leurs opinions. Eugène eut un regard légèrement anxieux, mais resta silencieux. Une fois les hommes positionnés, ils dégainèrent d’un seul mouvement leurs armes et le capitaine s’écria avec force :

-SILENCE ! SON ALTESSE LA PRINCESSE DE CORONA VA S’EXPRIMER !

C’était peut-être un peu exagéré. La tactique fut brutale, mais efficace : le brouhaha tumultueux fit instantanément place à un calme imposé par les armes et la peur, marqué par des visages soudain craintifs. La princesse s’avança devant les gardes et fit face à la foule, puis prit une grande inspiration.

-Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, commença-t-elle. Je suis désolée de devoir recourir à de tels moyens pour me faire entendre, mais il est nécessaire que vous gardiez votre calme. La crise que traverse Arendelle n’est que temporaire, et le départ de la reine ou ses pouvoirs ne sont pas une excuse pour se détourner ni des lois, ni de tout sens commun. La Princesse Anna est en l’absence de sa sœur la dirigeante légitime du royaume, aussi vous vous montrerez avisés en ne tentant pas d’usurper son autorité ou d’attenter à la souveraineté d’Arendelle. Je vous prierai aussi de faire preuve de sang-froid le temps que la crise se résolve. Ce n’est pas en…

Elle s’interrompit. Depuis qu’elle était arrivée dans la pièce, Raiponce avait ressenti le froid s’insinuer progressivement dans le château, sans y faire plus attention, plaçant la diminution de température sur le compte des traces de la magie de la reine. Mais il fit bientôt trop froid pour ne pas se rendre compte que le climat extérieur avait changé, ce que tous ressentaient à cause de l’ouverture des portes laissant s’infiltrer une température très anormale pour la saison. Eugène partit vers l’extérieur pour comprendre de quoi il retournait, laissant Raiponce aux prises avec une foule qui, tenue en laisse par la princesse, semblait s’agiter en s’apercevant qu’il se produisait un changement inquiétant et certainement pas désiré. Les gardes eux-mêmes étaient visiblement pris d’une anxiété grandissante.

-Ce n’est pas en perdant notre calme que la situation s’arrangera, reprit Raiponce. Je peux vous assurer que tout rentrera bientôt dans l’ordre.

En réalité, la princesse n’en avait aucune idée. L’important était simplement de paraître sûre d’elle et de persuader la noblesse de ranger ses poignards et trahisons pour le moment. Anna allait arriver d’un instant à l’autre, songeait-t-elle, et elle pourrait prendre le relais pendant qu’on trouverait un moyen de retrouver la reine.

Eugène revint alors que son épouse allait reprendre. Il avait la mine grave, ses yeux d’ordinaire joyeux n’étaient qu’indécision et inquiétude. Il se pencha sur son épouse et lui murmura à l’oreille :

-Elsa a disparu en gelant tout derrière elle. De la neige a commencé à tomber, et le fjord est complètement givré. Les navires sont piégés dans la glace, nous sommes tous coincés ici.

Le ciel s’écroulait. Ebranlée, la princesse craint immédiatement le pire pour Pascal et Maximus, retournés sur leur navire, ainsi que pour l’équipage ; puis elle se rassura en songeant que ce n’était pas de la glace ou quelques flocons qui allaient les tuer, et qu’ils pourraient revenir au château sans danger. Des questions se soulevèrent immédiatement : comment retourner à Corona ? Combien de temps durerait cet hiver contre-nature ? Et comment diable pourrait-on y mettre un terme ? Mais la princesse sut ne rien laisser paraître, rendue experte par des années d’éducation politique, d’autant que les invités semblaient suspecter que quelque chose de grave était en train de se dérouler. L’un d’eux s’écria d’un ton accusateur « Ils nous cachent quelque chose ! », ce qui accentua la panique générale. Raiponce opta pour la vérité, puisqu’elle ne pourrait être dissimulée très longtemps de toute façon, et reprit rapidement le contrôle de la situation.

-Il semblerait que la reine ait temporairement déclenché une sorte d’hiver magique, et il pourrait être impossible de quitter le royaume pour le moment.

La révélation provoqua le retour d’un brouhaha chaotique, d’où toute velléité de tirer profit de la situation avait disparu : la crise n’était plus une opportunité, mais un véritable danger. Les ambitions n’étaient plus ; seul l’instinct de survie demeurait, et une peur maladive : aussi les gardes durent-ils hausser la voix pour maintenir l’ordre et faire taire la noblesse.

-Ne vous inquiétez pas, continua Raiponce d’un ton qu’elle voulut rendre le plus avenant possible. Le château vous accueillera le temps que vous puissiez rentrer chez vous, vous ne courez aucun danger. Tout sera aux frais de la couronne, bien entendu.

La princesse n’avait pas pu s’empêcher de laisser cette mauvaise surprise à Elsa en guise de représailles pour son attitude pour le moins déplaisante. Mais cela eut le mérite de rassurer quelque peu la foule, qui se détendit significativement, enfin. Ils se dispersèrent, se réunissant en petits groupes et permettant aux gardes de rengainer leurs armes et de retourner à leur poste. Raiponce poussa un soupir de soulagement, éprouvée, et se retourna vers Eugène.

-Est-ce que tu as vu Anna ? demanda-t-elle.

-Elle était en train de discuter avec Hans et Weselton, répondit Eugène.

-Charmante compagnie. Nous devrions la rejoindre, maintenant que la situation est sous contrôle ici.

Ils ressortirent donc du château, arrivant au sommet du petit escalier surplombant la cour. Raiponce grelotta en ressentant la morsure du froid ; l’hiver était bel et bien arrivé en ce soir d’été, et des flocons tombaient silencieusement sur les pavés de la cour du château. Le bruit d’une cavalcade s’éloignant lui parvenait faiblement, et Raiponce n’eut que le temps d’apercevoir une femme, juchée sur un cheval blanc et dont la cape verte flottait au vent disparaître derrière les portes ouvrant sur le village. Tous les regards étaient tournés vers elle, en particulier ceux de Hans, et de Weselton et de ses gardes, situés en contrebas. Raiponce les rejoignit, inquiète de ne pas voir sa cousine.

-Où est Anna ? s’enquit-elle.

La reconnaissant, Weselton ouvrit la bouche, semblant prêt à l’invectiver pour une raison ou une autre, mais eut l’air de se souvenir qu’elle pouvait à tout instant dénoncer sa tentative d’obtenir illégalement les richesses d’Arendelle, et ne dit rien.

-La princesse est partie à la recherche de sa sœur, révéla Hans. Elle m’a laissé à la tête du royaume en attendant son retour.
On aurait cru que cela n’en finirait jamais : au moment où la princesse imaginait que la situation ne pouvait pas empirer, elle était sévèrement détrompée. Anna n’était plus là, peut-être en danger, et elle avait livré Arendelle aux griffes d’un homme aux motivations plus que douteuses.

-Quelle tristesse, persifla Eugène. Une telle responsabilité doit vous peser terriblement.

Le prince ne releva pas le sarcasme, répondant d’un ton toujours aussi respectueux.

-En effet. J’espère me montrer à la hauteur de la tâche.

-Mais attendez une minute, intervint Raiponce, vous me dites qu’Anna est partie seule à la recherche de sa sœur ?

-En effet, confirma le prince. Elle voulait que je reste pour m’occuper d’Arendelle.

-Mais elle aurait pu au moins être escortée ! Elle n’a pas quitté le château depuis treize ans et ne connaît absolument pas la région. A-t-elle des provisions, ou des vêtements chauds ?

-Je ne crois pas, admit Hans avec un air contrit. La princesse a pris rapidement la décision de partir, je n’ai pas vraiment réfléchi à la question.

-Avez-vous perdu l’esprit ? s’insurgea Raiponce. Vous l’avez laissée partir seule, dans une nuit glaciale, sans vêtements chauds, sans guide, sans itinéraire, sans expérience, sans provisions et sans moyen de se défendre ?

Pendant un instant très bref, Raiponce repéra une lueur d’agacement dans les yeux verts du prince. Ce dernier le dissimula néanmoins parfaitement dans sa réponse.

-Je comprends votre réaction. Mais il n’y a pas d’inquiétude à avoir, je suis persuadé que la princesse reviendra d’ici demain avec Sa Majesté.

Mais le prince s’était trahi par sa réaction et son comportement : un homme amoureux ne laisserait jamais la femme qu’il aime prendre de tels risques pour une mission si hasardeuse. C’était désormais évident : Hans se jouait d’Anna, et cherchait à les manipuler eux aussi, peut-être pour obtenir le pouvoir, que la princesse lui avait bien obligeamment confié avant de partir. Ce fut au moment de cette réalisation que Raiponce vit un homme s’approcher d’eux. Il devait avoir la soixantaine, et ses cheveux étaient d’un blond cendré, impeccablement coiffés en arrière. L’homme portait une élégante veste verte ornée du motif du crocus, qui était le symbole d’Arendelle. Son regard d’un bleu profond était intense et pénétrant, et donnait à ceux qu’il fixait un certain sentiment de malaise, comme s’ils étaient attentivement scrutés. Raiponce reconnut instantanément Magnus, le Premier Ministre du royaume.

-Altesses, dit-il en courbant l’échine devant Hans et la jeune femme. Messieurs. Je suis le Premier Ministre d’Arendelle. J’ai appris que la soirée s’était terminée plus tôt que prévu ?

Sa voix avait des sonorités douces et agréables, malgré son âge avancé. Raiponce lui trouvait un air rassurant, et le considérait digne de confiance, depuis leur première et unique rencontre lors de son premier séjour à Arendelle.

-Je suis ravi de vous rencontrer, monsieur le Premier Ministre, affirma Hans.

Il raconta à Magnus les événements de la soirée. Le Premier Ministre n’avait pas l’air surpris et hochait la tête avec attention.

-Cela confirme les informations que j’ai reçues. Je n’étais bien sûr pas au courant de l’existence des pouvoirs de la reine. Je regrette de ne pas avoir pu être présent auprès d’elle, les choses se seraient certainement déroulées différemment.

-Je crois me souvenir que vous faisiez un voyage d’affaires, intervint Raiponce.

-Cela est vrai, confirma Magnus. Je revenais d’un voyage effectué dans le cadre de mes fonctions, durant lequel j’ai mené des négociations commerciales au nom d’Arendelle avec le roi des Français Louis-Philippe. Mon navire approchait des quais quand l’hiver s’est abattu sur le royaume, et j’ai dû terminer le trajet à pied.

-J’espère que mon statut de régent ne vous dérange pas, s’inquiéta le prince. Si la Princesse Anna avait su que vous alliez revenir avant qu’elle ne parte à la recherche de la reine, elle vous aurait sans doute confié la régence.

-Prince Hans, répondit Magnus, je comprends tout à fait la décision de la princesse que je connais comme ma fille. Je vous aiderai du mieux que je peux durant cette crise.

Hans eut l’air soulagé de la réaction du Premier Ministre, et sourit franchement.

-Je vous remercie, monsieur.

Un autre homme s’approcha alors du groupe ; ce n’était autre qu’Heinrich. Il jeta un regard ironique à Weselton, qui avait le regard fuyant et maugréait quelques mots incompréhensibles, puis se tourna vers les quatre autres personnes présentes.

-Ravi de vous revoir. Belle soirée, n’est-ce pas ? plaisanta-t-il.

-Excusez-moi, l’interrompit Hans. Je crains de ne pas vous avoir été présenté.

-Moi de même, mentit vivement Weselton.

-C’est un ami à nous, expliqua Raiponce, Heinrich. Heinrich, voici le Prince Hans des Îles du Sud, le Premier Ministre Magnus, et… le Duc de Weselton.

-Ho ho, tout le gratin est là, à ce que je vois, répondit Heinrich. Enchanté de vous rencontrer.

Il serra vigoureusement la main de Hans et de Magnus, puis celle de Weselton. Ce dernier trépigna nerveusement, reculant derrière ses gardes.

-Ravi. Mais je vais prendre congé, si vous me le permettez, ce froid est insupportable, et il me reste à trouver une chambre pour la nuit.

Il fila sans un mot supplémentaire, peu attiré par l’idée de se voir dénoncé. La princesse se rappela qu’elle avait promis de parler du cas d’Heinrich à Anna.

-Je suis désolée Heinrich, s’excusa Raiponce, mais avec tout ce qu’il s’est passé, je n’ai pas pu demander à la princesse de vous trouver un travail. J’espère que vous ne m’en voulez pas.

-Je m’en doutais un peu, vu la situation, répondit Heinrich.

-De quoi parlez-vous ? s’intéressa Hans.

-Je suis plus ou moins à la rue et sans emploi, expliqua l’autre homme, alors la Princesse Raiponce m’a proposé d’en parler à sa cousine.

Hans détailla Heinrich du regard, observant sa forte musculature.

-Je n’ai certes pas la légitimité de la souveraine, mais je pense rester dans mes prérogatives de régent en vous donnant un travail de terrain. Venez au château, nous verrons plus précisément demain quelle responsabilité je pourrais vous confier.

-Bonne initiative, approuva le Premier Ministre. Une paire de bras supplémentaire ne sera pas de trop.

La mâchoire d’Heinrich se décrocha de surprise, car le jeune homme après des années de rejet et de mépris de la part de la société s’attendait certainement à une énième rebuffade.

-Je… Vous êtes sûr de vous ? Merci alors. Je ne vous décevrai pas, je vous le jure.

-Je n’en doute pas, répondit noblement Hans. Allez demander une chambre au personnel, nous n’allons pas vous laisser dormir dehors par ce froid.

L’air toujours aussi sonné, Heinrich s’en fut vers l’intérieur du château, laissant une inquiétude poindre dans le cœur de Raiponce : si Hans se constituait une sorte de garde rapprochée, il pourrait rapidement asseoir son pouvoir durant l’absence d’Elsa et d’Anna.

-Prince Hans, fit Magnus. Je pense que nous devrions nous mettre au travail. Il y a du pain sur la planche.

-Vous avez raison, monsieur le Premier Ministre, répondit Hans. A présent, si vous voulez bien nous devons nous assurer que la population se porte bien.

Ils se retirèrent et Eugène et Raiponce se retrouvèrent seuls au pied des marches.

-Quel opportuniste, soupira Eugène. Même dans un moment pareil, il trouve le moyen de s’adapter et d’en profiter pour prendre le pouvoir.

-J’aurais dû t’écouter depuis le début, se désola Raiponce. Dire que je l’ai jeté dans les bras d’Anna et les ai poussés à demander à Elsa sa bénédiction…

-Tu n’es pas responsable de ce qui s’est produit. C’était totalement imprévisible. Même Anna ignorait que sa sœur possédait de tels pouvoirs.

-Mais je savais qu’Elsa serait poussée à bout. Je comptais dessus pour qu’elle refuse le mariage de sa sœur.

Quelle imbécile elle avait été ! Elle enrageait d’avoir aggravé davantage encore la situation.

-Tu pensais bien faire, la réconforta Eugène. Et ça aurait marché si Elsa n’avait pas gardé un petit secret dont on se serait tous bien passé.

-C’est vrai, concéda Raiponce. Néanmoins, je reste toujours la cause de cette catastrophe, et c’est à moi de la réparer.

-Que comptes-tu faire ?

-Comme je ne sais pas où Anna a pu se rendre et qu’elle devrait rentrer rapidement si tout se passe bien, je pense que nous serons d’une plus grande utilité ici, à Arendelle. Je me méfie de ce que Hans pourrait faire si personne n’est là pour contrebalancer son pouvoir. Le surveiller ne serait pas une mauvaise idée. Il faudrait également nous assurer le soutien de Magnus, dont le poids politique est très important ici.

-Je suis d’accord, approuva Eugène. Après une bonne nuit de sommeil par contre. La journée a été plutôt éreintante. Et moi qui pensais que tout se passerait bien !

En effet, il n’aurait pas plus pu se tromper : la journée censée être festive avait pris un tour bien plus sombre et un hiver impitoyable s’était imposé à la place de l’été splendide qui régnait jusqu’alors. Raiponce avait vu se réveiller ses pires craintes, et la culpabilité déraisonnée qu’elle avait enfoui à l’intérieur d’elle-même avait ressurgi pour mieux la tourmenter, lui promettant de ne jamais plus lui laisser de repos tant qu’elle n’aurait pas tout sacrifié pour sauver Anna et le royaume des ambitions mauvaises du Prince Hans.

Les jours à venir s’annonçaient sombres.

___

Voilà pour cette première partie qui clôt la première journée de cette histoire ! La suite reprendra le lendemain matin, et toute la deuxième partie et un gros morceau de la troisième se dérouleront entièrement dans l'ellipse située entre la scène du départ d'Anna (auquel nous avons brièvement assisté) et celle où Hans distribue des vêtements à la population. J'ai donc imaginé entièrement cette partie sans me reposer sur les scènes du film comme je l'ai fait jusqu'à présent, puisque nous ignorons ce qu'il s'est produit à Arendelle durant cet intervalle de temps.


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Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Dim 21 Jan 2018 - 23:23

Chapitre 6 : Le projet du régent

Il n’y avait rien d’autre que de l’obscurité. Partout, où qu’elle regardait, seules les ténèbres les plus profondes se présentaient. Le cœur courageux de Raiponce lui-même menaçait de faillir, alors qu’elle se pensait perdue à jamais dans cet abysse cruel. Avançant à tâtons dans le noir, elle ne trouvait rien pour se raccrocher ou se repérer, et elle se mit à appeler à l’aide dans une tentative désespérée de sortir de ce Tartare qui abritait le pire tourment de tous : le néant. Mais de sa bouche aucun son ne sortait, et l’on n’entendait que le silence, silence, silence…

Des éternités passèrent, et celui-ci fut enfin brisé ; mais pas comme la princesse l’aurait souhaité. La voix qu’elle entendit, féminine et théâtrale, elle ne la reconnut que trop bien.

-Je t’ai manquée, ma petite fleur ? demanda Gothel.

Sa voix semblait surgir tout autour de la princesse, et de nulle part à la fois, venant de l’intérieur et de l’extérieur de sa tête, et elle se répétait plusieurs fois, distordue et affaiblie. Non, ce n’est pas possible. Vous êtes morte.

-Pas tant que tu penseras à moi, ma chérie, la réfuta Gothel qui semblait lire dans les pensées de la princesse. Pensais-tu qu’il te suffirait d’assassiner ta mère pour qu’elle disparaisse à jamais ?

Vous n’êtes pas ma mère. Vous m’avez enlevée à ma véritable mère, et à mon père… Ce n’était pas réel, cela ne pouvait pas être réel.

-Quelle ingratitude ! ironisa la femme. Ne t’ai-je pas nourrie, protégée, aimée pendant dix-huit ans ? Et pourtant, cela ne t’a pas empêchée de trahir ma confiance, me quitter et me laisser pour morte !

Nous n’avions pas le choix… Eugène ne pouvait pas me laisser être votre esclave pour l’éternité.

-Laisse ton voleur de mari en dehors de ça. Toi et moi savons parfaitement qui est responsable, jeune fille. C’est pour toi, à cause de toi qu’il m’a tuée. Comme c’est à cause de toi que ton oncle et ta tante sont morts, à cause de toi que ta cousine a du s’enfuir de son propre royaume, à cause de toi que ta chère Anna perdra la vie en tentant de la retrouver, à cause de toi qu’Arendelle est plongée dans un hiver éternel et que tous ses habitants tomberont dans un sommeil de glace dont jamais ils ne se réveilleront ! Tout cela, par ta faute. Tu ne fais que semer la mort pour tous ceux qui te sont chers.

Non ! Vous mentez… Je n’ai rien fait de mal… La jeune femme perdait pied, son désarroi était immense et sa culpabilité insoutenable.

-Tu peux dissimuler la vérité à ton Eugène… Peut-être même à ton royaume. Mais tu ne peux pas la dissimuler à toi-même, ni à moi. Tu ne peux pas changer le fait que tu es une meurtrière.

Ce dernier mot se répéta encore et encore, gagnant en puissance et en cruauté, assourdissant Raiponce à lui en faire saigner les oreilles, tandis qu’elle se sentait de plus en plus oppressée et que l’obscurité paraissait se refermer sur elle. Elle se sentit soudainement comprimée par une chape de glace, qui lui causa une douleur infinie pendant un instant, et d’un coup, tout cessa.
Les ténèbres disparurent brusquement, laissant place à un plafond aux reflets rosés, recouverts de peintures aux couleurs chatoyantes. Raiponce, étendue sur un matelas moelleux et recouverte de draps bleus, se redressa vivement. Cela n’avait été qu’un cauchemar. La princesse en soupira de soulagement : il n’y avait rien à craindre. Elle écarta ses couvertures et s’assit sur son lit, faisant machinalement glisser ses doigts dans ses longs cheveux blonds. Ses longs quoi ?

Raiponce se leva d’un bond, regardant avec effroi son interminable chevelure descendant de sa tête et roulée en boule au pied de son lit. Elle reconnut alors immédiatement la chambre où elle se trouvait : il s’agissait sans aucun doute de celle de sa tour. La princesse se précipita à l’extérieur de sa chambre en écartant les épais rideaux qui tombaient devant l’ouverture, prise d’un doute terrible : et si le rêve avait été de s’imaginer sortie de sa tour, et que rien de tout ce qui lui était arrivé depuis toutes ces années n’avait eu lieu, qu’Eugène –elle n’osait y penser- n’existait même pas ? Elle dévala à toute vitesse l’escalier en colimaçon qui menait à la salle principale de sa tour, dont elle ne pouvait nier s’y trouver. Celle-ci était identique à ce qu’elle avait toujours été : ses murs recouverts de la peinture que la jeune femme avait artistiquement utilisé pour illuminer sa prison, sa cheminée remplie de bois sec, son placard bleu où Raiponce avait rangé tous ses trésors les plus précieux… Et son absence d’ouverture sur le monde extérieur. Les seules fenêtres étaient masquées par des rideaux, ou ne montraient qu’une obscurité inquiétante derrière leurs vitres sombres.

Le cœur de la jeune femme cognait durement contre sa poitrine, comme en écho à Raiponce dont le seul besoin était de sortir au plus vite de cette prison, quel que soit ce qui l’attendait dehors. Les volets qui lui avaient permis depuis son enfance d’avoir un minuscule aperçu de ce qui se trouvait au-delà de sa tour, minuscule aperçu qui l’avait pourtant appelée et torturée pendant près de deux décennies, se trouvaient eux aussi fermés. Sans hésiter, la jeune femme fut sur eux en un bond, et les poussa de toutes ses forces. Alors qu’elle luttait pour ouvrir le seul obstacle qui la séparait de sa liberté, il céda finalement, les volets s’ouvrant violemment. Raiponce aurait été emportée par son propre élan et aurait pu chuter du haut de sa tour, si elle n’avait été frappée avec la force d’un gigantesque coup de poing et projetée en arrière par une immense vague qui se déversait à l’intérieur dans un bruit apocalyptique. Raiponce, pataugeant dans l’eau dont le niveau augmentait de façon très préoccupante, ne se releva qu’avec une grande difficulté, et tentait en vain de retourner vers l’escalier pour échapper à la marée montante. Puis, entendant des grondements inquiétants, la princesse comprit que le toit de sa tour était en train de céder sous une masse impitoyable : tout le bâtiment était submergé sous l’océan.

Ses pensées perdaient de leur clarté, et Raiponce ne savait plus ce qu’elle faisait : guidée par son seul instinct de survie, elle parvint, lentement mais sûrement, à se rapprocher de l’ouverture qui lui permettrait peut-être de quitter sa tour et de remonter à la surface, en s’accrochant à divers objets accrochés aux murs pour ne pas être entrainée par le courant. Elle parvint au niveau des volets ouverts, qui étaient à présent submergés sous les flots. Elle retint sa respiration, et plongea, les yeux grands ouverts. Mais la force du courant était trop forte pour qu’elle puisse quitter sa tour, et toutes ses forces ne purent que lui permettre que de s’accrocher au rebord de sa fenêtre. Elle regarda avec désespoir l’extérieur de sa tour, et d’autre qu’un océan sans fond et sans issue n’existait qu’un navire dont les couleurs de l’étendard étaient celles d’Arendelle, brisé en deux parties qui s’enfonçaient lentement dans les abysses infinies d’un océan de tourments. Bientôt, Raiponce se mit à suffoquer tandis qu’une obscurité sans nom envahissait tout autour d’elle et qu’elle se sentait s’enfoncer finalement dans les bras de Thanatos, refusant de lutter plus longtemps contre une culpabilité impossible à surmonter.

Et la princesse se réveilla.

Passée une période de confusion brumeuse, cette fois, il n’y avait plus de doute à avoir, c’était bel et bien la réalité : comme l’incertitude accompagne toujours le rêve, l’absence totale de doute est caractéristique d’une réalité indéniable. La princesse se trouvait bien dans un lit aux couvertures bleues, mais ce n’était pas celui de sa tour : elle, Eugène et son caméléon Pascal avaient dormi dans l’ancienne chambre du roi et de la reine d’Arendelle. Après s’être assurés que Pascal, Maximus et leur équipage se portaient bien et avoir laissé le fier étalon dans l’écurie, Eugène et elle s’étaient rendus à l’intérieur du château pour trouver une chambre où dormir, le navire n’étant pas une option compte tenu des conditions climatiques. Leurs liens avec la famille régnante leur avait permis d’accéder à nulle autre que la chambre royale, inoccupée depuis la mort des souverains, et ils n’avaient bien sûr pas protesté, rompus de fatigue et désireux de prendre une bonne nuit de repos. Mais dormir dans la chambre royale n’avait pas été sans accentuer la détresse de la jeune femme, et était sans doute lié à ses tourments nocturnes. Les yeux ensommeillés, la princesse dégagea doucement ses couvertures pour ne pas réveiller Eugène et posa les pieds au sol. Son caméléon, éveillé lui aussi, se percha sur son épaule.

-Je suis désolé, vous ai-je réveillée ?

La personne qui avait parlé était un jeune homme qui portait une chemise à boutons d’un vert sombre, et un foulard-cravate blanc. C’était l’habit des domestiques du château. Le jeune homme se tenait dans l’entrebâillement de la porte d’entrée de la chambre.

-Non, vous n’y êtes pour rien, assura Raiponce. Qu’y a-t-il ?

-Le petit-déjeuner est servi dans la salle à manger du château, au rez-de-chaussée.

-Bien. Je vous remercie de m’en avoir informée, répondit la princesse.

-Je vous en prie.

Le serviteur fit un mouvement pour quitter la pièce et refermait déjà la porte, mais il parut revenir sur sa décision et lança :

-Drôle de soirée, n’est-ce pas ?

-Je ne vous le fais pas dire, soupira Raiponce. Difficile d’imaginer pire.

-C’est sûr. Je ne voudrais pas être à votre place. Déjà, vous vous sentiez responsable de la mort de la famille royale ; et à présent, de la fuite de la reine. Le royaume est laissé à la merci d’un sociopathe prêt à tout pour obtenir le pouvoir. Je me demande jusqu’où vous seriez prête à aller pour l’en empêcher… En tout cas, je vous souhaite bien du courage.

Il fit un clin d’œil à Raiponce et referma la porte sans un mot de plus. Perplexe et sonnée, la princesse se demanda quelques secondes comment ce serviteur pouvait savoir ce qu’elle ressentait et son opinion sur le Prince Hans. Il lui semblait que sa voix était familière ; et elle se rappela qu’il s’agissait du même jeune homme à qui elle avait parlé la veille, dans sa cabine, le matin de son arrivée à Arendelle. Il s’était alors fait passer pour un matelot. Etrange. Je ferais mieux de rester sur mes gardes. Sur cette pensée, Raiponce se leva de son lit. Elle ne voulut pas s’attarder sur la signification du cauchemar qu’elle avait fait avant l’arrivée de l’inconnu, et songea qu’elle devrait prendre son petit-déjeuner. Elle ouvrit l’un des placards en bois de la chambre pour enfiler des vêtements chauds et de couleur rose, ainsi que des chaussures fourrées assorties : la princesse avait eu la prévoyance d’amener des vêtements d’hiver au cas où, qui avaient été transportés dans la chambre après la soirée en même temps que leurs bagages. A sa gauche, trois portes fenêtres laissaient apparaître derrières leurs carreaux vitrés des montagnes ensevelies sous la neige, et l’océan qui jadis lui aurait permis de retourner à Corona, et qui était à présent gelé et recouvert d’une épaisse couche de neige, qui ne tombait cependant plus.

La princesse sortit de la chambre par la droite, refermant discrètement la porte –Eugène lui ayant demandé avant de s’effondrer sur le lit de ne pas le réveiller et de prendre le petit-déjeuner sans lui-, puis entra dans un couloir après avoir tourné à droite au bout de quelques mètres. Elle se trouvait à proximité des chambres de ses cousines : une nouvelle bifurcation à droite la mènerait à celle d’Anna, occupée par Hans pour la nuit, ce que Raiponce était apparemment la seule avec Eugène à trouver particulièrement malsain. Un tapis rose orné d’élégants motifs reliait cette chambre à celle d’Elsa, accessible sur le mur à la gauche de Raiponce, à peine quelques mètres plus loin. La princesse désirant se rendre dans la salle à manger s’arrêta un moment devant la porte de la chambre d’Elsa. Alors que le reste de la décoration du château tendait vers des couleurs rouges et chaudes, les symboles peints sur cette porte s’apparentaient plus à des flocons d’une couleur bleutée, peut-être une référence discrète aux pouvoirs de la souveraine. Raiponce eut un pincement au cœur en imaginant les treize années que sa cousine Anna avait dû passer dans la solitude, maintenue à l’extérieur de la chambre et de la vie de sa sœur par cette porte à laquelle elle avait tant de fois frappé en espérant la faire revenir à elle, hélas en vain. C’était sans comprendre pourquoi sa sœur la rejetait qu’Anna avait passé son enfance et son adolescence, essayant chaque jour un peu moins de retrouver son amour, pour finir par ne plus que la caresser d’yeux embués de larmes.

A présent bien-sûr, tout était plus clair compte tenu des événements de la veille, et le danger dans lequel les pouvoirs d’Elsa mettaient sa sœur justifiait cette isolation, quoique Raiponce ne pouvait que songer avec regret qu’Elsa ne pourrait pas plus faire de mal à sa sœur qu’en la rejetant comme elle l’avait fait pendant tout ce temps, et que cela aurait pu la tuer aussi sûrement qu’avec un éclat de glace en plein cœur : l’amour d’une sœur valait bien un risque éphémère, qui aurait certainement disparu si Elsa s’était sentie acceptée et aimée.

La princesse bifurqua plusieurs fois dans l’étage, ignorant les somptueuses peintures et les murs rouges du fait de son humeur morose, et croisa plusieurs petits groupes de nobles à l’air sombre échanger des messes basses ; la révélation des pouvoirs de la reine, sa petite crise et l’hiver qui s’était installé avait légèrement gâté les festivités. Cela avait également chargé d’autant plus la conscience de Raiponce d’un sentiment de culpabilité cette fois fondé, car la princesse en était indirectement responsable en ayant incité Anna à agir imprudemment avec sa sœur, quoi qu’en dise Eugène. Le seul moyen de se défaire de ce sentiment était pour Raiponce clair : tout faire pour limiter les dégâts de cette erreur et empêcher Hans de nuire aux habitants d’Arendelle le temps qu’Anna revienne avec de bonnes nouvelles.

Un escalier la mena au rez-de-chaussée, d’où elle se dirigea vers la salle à manger. La pièce était assez spacieuse pour contenir trois tables et permettre à plus d’une centaine de personnes de consommer leur repas au même moment. Disposées sur toute la longueur de la pièce, elles se trouvaient sur d’élégants tapis pourpres, au-dessus du parquet de bois ciré, et les plats des invités étaient séparés d’une trentaine de centimètres chacun, car la bienséance était évidemment de mise quelles que soient les circonstances. La noblesse tenait à ses traditions, qui lui permettaient de garder une illusion de contrôle et d’ordre même dans une crise telle que celle qu’elle vivait actuellement. On ne pouvait deviner qu’il s’était passé quelque chose de terrible qu’à travers le silence éloquent qui pesait lourdement sur la salle : lorsque les émotions sont grandes, les cris sont légion ; lorsqu’elles sont immenses, la parole ne suffit plus.

La princesse lassée de la noblesse et de sa morosité songeait à petit-déjeuner avec les équipages des navires dont elle savait qu’ils prenaient leur repas dans la salle du trône, quand en fendant au hasard des yeux l’assemblée des invités installés devant leur repas elle croisa accidentellement le regard de Hans présidant la table centrale, et comprit qu’elle ne pouvait s’esquiver sans être remarquée, d’autant plus qu’elle aurait plus de chances de mieux appréhender les ambitions du prince si elle pouvait s’en rapprocher. La princesse rejoignit donc l’extrémité de la table à l’autre bout de la pièce, où se trouvait également les dignitaires étrangers et Weselton, selon un plan de table respectant l’ordre de préséance : après les places autour de Hans laissées vides pour Raiponce et son époux, le Premier Ministre et Weselton étaient les hommes les plus proches, respectivement à la droite et à la gauche de Hans, suivis des dignitaires français, allemand, irlandais et espagnol. La princesse se rapprocha de la chaise située entre Hans et le Premier Ministre, respectant l’étiquette sans enthousiasme. Les plats n’avaient pas encore été servis et les nobles n’avaient que des couverts en argent à leur disposition.

-Votre Altesse, c’est un honneur de vous avoir parmi nous, l’accueillirent galamment Hans et les autres dignitaires (avec plus ou moins de sincérité, Weselton ayant à peine maugréé) en se levant pour la saluer.

-Tout l’honneur est pour moi messieurs, répondit cordialement Raiponce en s’inclinant.

Elle prit place à table, invitant les autres à faire de même, et maudissant intérieurement son rang et son désir de se rapprocher de la noblesse pour obtenir davantage d’influence à Arendelle, afin de mieux la protéger, ce qui l’obligeait à supporter ces traditions archaïques et vides de sens.

-Je présume, que puisque vous êtes seule, votre époux ne nous rejoindra pas ? devina Hans.

Le prince avait troqué ses élégants habits pour une longue veste d’un bleu sombre, assez ressemblant à l’uniforme des gardes d’Arendelle.

-Il est indisposé, confirma Raiponce en déformant légèrement la vérité, ces émotions et cet hiver soudain l’ont vraiment épuisé. J’ai préféré le laisser se reposer et n’ai pas voulu le réveiller pour prendre le petit-déjeuner.

Par quels chemins devait-elle passer pour éviter de dire qu’il était trop paresseux pour se lever avant midi ! Mais les règles de la bienséance étaient ce qu’elles étaient.

-Vous avez bien fait, approuva Magnus. Il est vrai que la soirée d’hier a été très éprouvante.

-C’est peu dire, intervint le duc. La reine a failli tous nous tuer avec sa sorcellerie, et nous sommes encore en grand danger.

-C’était un accident, rappela fermement Hans, et ma fiancée la Princesse Anna est justement partie à la suite de la reine pour la persuader de faire revenir l’été, de son plein gré.

Weselton n’eut pas l’air convaincu par la capacité d’Anna de parvenir à sauver le royaume, émettant une interjection dubitative.

-Certes, mais nous devrions peut-être réfléchir à la possibilité que la Princesse Anna ne puisse pas raisonner la reine, et qu’il nous faudrait alors envoyer des hommes armés pour la convaincre de revenir…

Raiponce fut –à son grand désarroi- presque tentée par la proposition de Weselton, l’idée de ramener dans une cage la femme qui l’avait par deux fois humiliée et expulsée lui paraissant assez séduisante. De plus, son comportement imprévisible et incontrôlable laissait à penser que la persuader de revenir à Arendelle ne serait pas chose aisée. Mais elle se rappela à l’ordre : Elsa était sa cousine, et le duc n’était animé que par la peur et l’égoïsme. La princesse fut alors prise de colère en entendant ce nabot orgueilleux suggérer de faire prisonnière une femme terrorisée et incapable de contrôler des pouvoirs qu’elle avait trop longtemps dissimulés.

-La convaincre de revenir ? s’indigna virulemment Raiponce. Vous voulez dire la ramener de force ! Je vous rappelle que la Reine Elsa reste la souveraine légitime d’Arendelle, et je peux vous assurer qu’en tant que sa cousine et représentante du royaume de Corona, nous ne vous laisserons pas agresser l’un de nos plus proches alliés sans réagir. Me suis-je bien faite comprendre ?

Weselton affecta d’avoir l’air surpris, haussant les sourcils d’une manière presque comique. La perspective d’une guerre avec Corona n’avait pas l’air de l’enchanter et il battit aussitôt en retraite.

-Je ne suggérais absolument pas d’agresser la reine, tempéra-t-il. Je tiens bien évidemment à préserver les liens qui unissent Weselton à Corona et Arendelle, dont nous sommes un partenaire commercial privilégié.

Le duc se tut, ne défendant pas plus sa proposition d’appréhender Elsa, sans que Raiponce ne puisse être certaine qu’il ne reviendrait pas à la charge plus tard. L’escarmouche verbale avait été suivie avec intérêt par les invités alentours, sans que quiconque n’ose dire un mot. Mais nul doute que la même idée que celle de Weselton s’était déjà frayée un chemin dans les cœurs et les esprits de la noblesse qui, craignant pour sa vie, se trouvait facilement réduite à des extrémités qu’elle jugerait autrement odieuses et inacceptables. Nous ne pouvons pas porter un jugement trop dur sur eux : l’instinct naturel qui est de sauver sa vie en priorité est commandé par quelque chose de plus grand et plus ancien que nous, contre lequel nous ne pouvons lutter qu’avec notre humanité. Et l’humanité s’oublie rapidement quand un individu est confronté à la possibilité de son propre trépas…

-Etant donné l’absence du prince Eugène, reprit Hans en occultant l’altercation, je pense qu’il n’y aura pas de mal à ce qu’Heinrich prenne sa place en face de vous, Votre Altesse.

-Heinrich ? s’étonna Raiponce. J’ignorais qu’il allait nous rejoindre.

Il y avait un monde entre le vol auquel il s’adonnait encore la veille et les nuits passées dans les rues, et le château où il avait dormi cette nuit, ainsi que la place d’honneur qui lui était offerte à la table de la noblesse. Les crises et le chaos sont ainsi faits, donnant plus souvent que d’ordinaire l’occasion aux personnes de basse naissance de montrer leurs talents et leur valeur.

-Le prince voulait qu’il soit présent pour présenter son projet destiné à assurer la sécurité des citoyens d’Arendelle pendant cette période de crise, révéla Magnus.

-Je pense que ce projet vous plaira, fit Hans. Mais je fournirai davantage de précisions lorsqu’Heinrich sera arrivé, il ne devrait plus tarder à présent.

Ce « projet destiné à la sécurité des citoyens d’Arendelle » n’était pas de bon augure pour Raiponce, qui y devinait la genèse d’un Etat autoritaire. Mais quand la reine serait-elle donc de retour ? La princesse soupçonnait que Hans cherchait à accroître son pouvoir en manipulant Heinrich et en faisant de lui son homme de main. C’est donc avec l’esprit inquiet qu’elle vit s’approcher d’eux le jeune homme, méconnaissable de par ses habits propres et neufs : il portait un uniforme marron et était ceint d’une ceinture sombre au-dessus de la taille. Ses cheveux blonds avaient été coupés et soigneusement peignés, lui donnant un air plus avenant. Le plus grand changement était l’épée accrochée à sa ceinture, au pommeau noir et à la poignée de bois, rentrée à l’intérieur de son fourreau. Il s’arrêta à hauteur du dignitaire irlandais, de l’autre côté de la table, un air appréhensif marquant son visage alors qu’il semblait hésiter sur la place qui lui était attribuée.

-Rapprochez-vous, Heinrich, le héla Hans. Vous pouvez prendre la place du prince Eugène. Nous parlions justement de vous.
Heinrich s’assit face à Raiponce, joignant ses mains avec nervosité.

-J’ai demandé à Heinrich de prendre la tête d’une milice composée de civils, qui soulagera la garde de certains de ses devoirs en venant directement en aide à la population pour régler les différends, distribuer de la nourriture et des vêtements aux citoyens dans le besoin, ce genre de choses. La garde pourra ainsi se concentrer sur le maintien de l’ordre et la défense du territoire, et recevoir un soutien armé de la milice en cas de besoin. Heinrich a déjà été informé des horaires des rondes, et on lui a fait visiter l’ensemble du château : il a donc les bases nécessaires à son action.

-Excellente initiative, approuva le dignitaire espagnol. La Princesse Anna a eu raison de vous confier la régence durant son absence.

-Il me semble imprudent de confier des armes à la populace, objecta Weselton. Comment pourrions-nous leur faire confiance dans cette période de crise ? Cette milice pourrait se retourner contre nous.

-Je suis persuadé que la population d’Arendelle se montrera responsable, intervint l’ambassadeur français. Ceux choisis pour rentrer dans la milice seront certainement à la hauteur de leurs devoirs.

C’était un homme à la corpulence fine, possédant une barbe et des cheveux noirs mi-longs. L’ambassadeur irlandais, un homme jeune aux cheveux blonds, semblait quant à lui partagé.

-Je ne doute pas des bonnes intentions du Prince Hans, dit-il, mais il s’agit d’une décision d’importance et je ne suis pas sûr que la Princesse Anna et la Reine Elsa l’approuveront une fois qu’elles seront de retour.

Face au dignitaire espagnol, du côté gauche de la table, le dernier ambassadeur se joignit au débat, un homme roux au visage large qui était allemand.

-La princesse et la reine ne sont pas là, et c’est au Prince Hans de diriger Arendelle en leur absence. Elles comprendront sans doute qu’il devait prendre des mesures audacieuses afin de protéger le royaume du chaos.

-Je connais bien la famille royale, appuya Magnus. Je suis certain de pouvoir leur expliquer les raisons des mesures prises par le Prince Hans.

Ce dernier dirigea son regard sur Raiponce.

-Je souhaiterais avoir votre avis aussi, Votre Altesse, demanda-t-il. Que pensez-vous de cette proposition ? Vous savez que protéger Arendelle est ma seule ambition, et que c’est la charge qui m’a été conférée par la Princesse Anna elle-même.
La jeune femme, qui n’avait pas dit un mot et réfléchissait profondément à la chose, hésitait. Sa défiance à l’égard du prince la poussait instinctivement à rejeter ses décisions de manière systématique. Mais la situation était trop complexe pour être ainsi balayée : Raiponce avait plusieurs raisons de ne pas montrer trop d’hostilité à Hans et à son projet. La première était qu’elle risquerait de s’aliéner le jeune homme et d’être écartée des prises de décision, perdant son meilleur moyen de garder un œil sur Hans. La raison lui commandait également de ne pas, en se montrant trop hâtive, refuser une mesure qui pourrait s’avérer bénéfique : l’admettre avait beau lui en coûter, il en restait que Raiponce ne pouvait nier que la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvait Arendelle pouvait justifier la mise en place d’une milice sans attendre l’accord de la souveraine. Et puis, elle ne pouvait tout de même pas faire perdre à Heinrich le premier emploi honnête qu’il ait eu de toute sa vie. Cependant, le problème restait le même : que l’initiative soit louable ou non, les intentions de Hans en demeuraient mauvaises et cette milice servirait ses plans. La princesse opta donc pour un compromis en attendant de pouvoir réfléchir davantage sur la situation et de pouvoir parler seule à seule avec Heinrich pour lui révéler ses soupçons sur le prince.

-Je pense que, s’agissant d’un changement drastique dans les institutions d’Arendelle, la tempérance est de rigueur. Cette milice pourrait être d’une grande aide dans cette période de crise ; mais avant qu’elle ne soit mise en place, un essai à plus petite échelle pourrait permettre d’évaluer son efficacité. Puisque Heinrich est destiné à en prendre la tête, je propose qu’il aille pendant la journée à la rencontre des habitants pour leur offrir son aide, et qu’il revienne ce soir dans la salle du conseil où nous serions réunis pour décider d’adopter ou non le projet en fonction des premiers résultats obtenus.

Raiponce ressentit une certaine fierté après son argumentation implacable, et le plaisir d’avoir pu mettre à profit ses nombreuses, très nombreuses leçons de politique la préparant à son futur règne en tant que souveraine de Corona. La plus importante avait été sans conteste de ne jamais dévoiler entièrement ses motivations et de toujours prendre des chemins détournés pour arriver à ses fins. De cette manière, elle pouvait s’assurer que ses opposants accepteraient ses propositions en croyant servir leurs propres intérêts, alors qu’ils tombaient en réalité dans un piège savamment préparé. La jeune femme, de nature bonne et compatissante, rechignait parfois à la tâche ; et elle préférait de toute façon affronter directement les injustices et les ennemis des siens ; mais elle devait avouer qu’une stratégie un peu plus retorse pouvait être nécessaire pour le bien de ses sujets et de ceux qu’elle aimait.

-C’est une idée intéressante, répondit Hans. Qu’en dites-vous, Heinrich ? Vous sentez-vous prêt à passer une journée seul au contact des habitants pour leur venir en aide ?

Le prince ne semblait n’avoir été nullement déconcerté par le compromis de Raiponce, comme s’il était assuré du succès de son entreprise. Heinrich n’en paraissait pas aussi certain, et montrait un visage légèrement tendu.

-Je ferais de mon mieux pour être à la hauteur de cet honneur, balbutia-t-il.

-A la bonne heure ! s’exclama Hans. Nous sommes tous d’accord dans ce cas ?

L’approbation fut cette fois générale, fut-ce par un léger murmure du côté de Weselton. Le débat cessa alors, et tous furent servis par plusieurs des domestiques du château. Pascal se servit dans l’assiette de Raiponce sans attendre, ce qui provoqua les rires des personnes présentes. Le petit-déjeuner à base de saumon fumé et de fromage fut délicieux, et la discussion s’étant portée sur des sujets plus légers, Raiponce en vint presque à oublier l’hiver glacial qui sévissait à l’extérieur. Une fois le repas terminé, chacun quitta la table et tous se saluèrent avant de partir chacun de leur côté, Raiponce accompagnant Heinrich car elle souhaitait toujours lui dire deux mots.

-Alors… commença-t-elle avec un sentiment d’appréhension. Jolie promotion, hein ?

La tension n’avait pas quitté les traits d’Heinrich. Il triturait nerveusement le pommeau de sa nouvelle épée, sans que jamais sa main ne le saisisse tout à fait. Le jeune homme ne semblait pas avoir tout à fait réalisé ce qui lui était arrivé ; la voix de Raiponce le sortit de son trouble.

-Hmmm ? Oh, oui, j’avoue que je ne m’y attendais pas trop. Le Prince Hans (on pouvait sentir dans sa voix toute l’estime qu’il lui portait, ce qui alarma Raiponce) est bien le premier à me faire confiance pour un boulot pareil. Prendre la tête d’une milice…

Il se tut, une étincelle de rêve ravivée dans son regard. Raiponce allait le relancer, essayer de mettre en doute les intentions du prince, quand elle se souvint que ce n’était pas la première fois qu’elle voyait cette étincelle : elle l’avait déjà vue la veille, briller dans les yeux d’Anna alors qu’elle accomplissait son plus grand rêve et pensait trouver l’amour de sa vie. Toute sa vie, Heinrich avait subi rejets, peurs, haines, mépris. Son désir de devenir un homme de bien respecté des autres s’était trouvé balayé par la méfiance de tous ceux qu’il avait côtoyés et qui avaient refusé de dépasser leurs préjugés pour donner sa chance à un homme de si basse condition. Alors il l’avait tu, recourant au vol pour survivre. Ce désir aurait peut-être disparu complètement s’il n’avait pas été ramené d’outre-tombe par l’intervention de Raiponce elle-même, lorsqu’elle lui avait de nouveau insufflé l’idée de trouver un travail respectable. Et Hans, comme il s’était engouffré dans les brèches d’Anna laissées par le rejet de sa sœur, avait une fois encore compris qu’il pouvait tirer profit de la souffrance d’autrui pour son propre compte et s’était précipité sur l’occasion pour recruter un soutien indéfectible. Pour Heinrich, il demeurerait l’homme qui l’avait tiré de la misère pour lui offrir tout ce dont il avait toujours rêvé ; jamais, jamais Raiponce ne parviendrait à le persuader du contraire. Et cela, la jeune femme le comprit très bien. Alors… Elle ne dit rien. Il lui restait une journée pour trouver le moyen de contrecarrer le projet de Hans, mais Heinrich ne pourrait pas y prendre part. Dorénavant, ce qui la peinait grandement, ce dernier serait un adversaire, voire une menace.

Ce fut donc silencieusement que les deux se dirigèrent vers le grand salon –ou la salle du trône-, reconverti dans l’urgence en salle à manger : plusieurs longues tables de bois y avaient été déplacées en pièces détachées et montées sur place, ainsi qu’une multitude de chaises, pour permettre aux équipages des navires coincés au royaume de déjeuner au chaud, la salle à manger habituelle n’étant pas assez grande pour les accueillir en plus des invités. L’ambiance y était chaleureuse et humaine ; des rires et des chants emplissaient la salle et résonnaient entre les murs de pierre. Ici, nulle nappe ni couverts d’argents n’avaient été disposées pour les hommes d’équipage ; mais cela ne semblait guère les contrarier, pas plus que le soudain hiver qui les avait contraint à quitter leur navire. Ils semblaient au contraire ravis de se retrouver accueillis dans l’enceinte du château, eux qui en tant que roturiers n’avaient jamais eu l’occasion de pénétrer à l’intérieur d’aucun palais de la région. Raiponce pressentait que leur insouciance ne pouvait être qu’éphémère, qu’elle prenne fin par un brusque retour à leur condition une fois l’été revenu ou d’une manière bien plus sinistre s’il s’avérait que l’hiver ne mourrait jamais.

Saluant au passage d’un signe les matelots qui les hélaient Heinrich et elle, Raiponce quitta la salle du trône et accompagna le jeune homme jusqu’aux portes du château. Heinrich posa ses mains sur la double porte et écarta lentement les deux battants ; la cour du château se dévoila à eux. Elle était entièrement ensevelie sous la neige, et pratiquement vide de toute présence humaine : à peine une poignée de braves allaient et venaient en dépit des conditions climatiques. Le contraste était saisissant avec le souvenir que la princesse avait d’une cour bondée d’habitants et de nobles qui n’en pouvaient plus d’excitation et de hâte de rencontrer la souveraine. Eh bien, la rencontre ne s’est pas déroulée comme prévue.

-Bonne chance pour ta première journée, souhaita Raiponce à Heinrich. Je suis sûre que tout se passera bien.

La jeune femme elle-même ignorait si c’était véritablement ce qu’elle désirait : son succès était inséparable de celui du prince. Mais son incertitude ne fut pas décelée par Heinrich, qui opina distraitement du chef, restant immobile devant le royaume qui s’ouvrait devant lui. Puis, il caressa doucement le pommeau de son épée, avant d’enfin la saisir fermement, une lueur de détermination brillant dans son regard. Il se tourna vers Raiponce, et un sourire assuré se dessina sur son visage.

-Je tenais à te remercier, Raiponce. C’est grâce à toi que j’en suis ici aujourd’hui. Si tu ne m’avais pas introduit auprès du Prince Hans, je serais sûrement en train de mourir de froid et de continuer de voler pour survivre.

Même si la princesse se serait bien passée de ce rappel désagréable, -non pas que Raiponce eut souhaité qu’Heinrich restât dans les rues- elle put répondre par un même sourire.

-Je n’ai rien fait de spécial, répondit-elle en voulant minimiser le plus possible son rôle dans cette affaire.

-Plus que tu ne le crois, fit Heinrich en descendant les marches qui menaient à la cour. Je comprends pourquoi Eugène a abandonné le vol ! Il a vraiment de la chance de t’avoir.

Le jeune homme lui adressa un dernier signe de la main, avant de se détourner et de marcher à grands pas en direction du nouveau monde qui s’offrait à lui, laissant Raiponce seule avec son désarroi. La princesse soupira, observant Heinrich s’éloigner en ne laissant derrière lui que ses empreintes sur le manteau blanc qui recouvrait le sol. Elle referma les portes.

-Votre Altesse, j’aimerais avoir un mot avec vous, si vous le permettez.

Magnus se tenait derrière la jeune femme. Raiponce afficha son sourire le plus avenant et répondit :

-Bien entendu monsieur, de quoi s’agit-il ?

-Je ne pense pas me tromper en affirmant que vous ne portez pas le Prince Hans dans votre cœur. Suis-je dans le faux ?

Avoir été percée à jour si facilement estomaqua Raiponce, qui ne sut quoi répondre : devait-elle avouer ou nier la vérité ?

-Je prends votre silence pour un non, devina Magnus. Je dois vous avouer que j’ai moi aussi compris les ambitions du prince. Cela n’était guère compliqué pour un observateur tel que moi. Je connais bien Anna, elle serait prête à tomber amoureuse de n’importe quel homme qui lui prêterait attention. Les hommes comme Hans sont prêts à saisir de telles opportunités. Comme je regrette de ne pas être revenu à temps pour avoir été nommé régent !

-Mais vous sembliez soutenir Hans, crut se rappeler Raiponce.

-Ce n’était qu’une façade, admit Magnus. Je ne voulais pas alerter le prince. Mais je n’en pensais pas moins. Nous devons absolument l’empêcher de mener ses plans à leur terme, quels qu’ils soient.

Raiponce réfléchit à la sincérité du Premier Ministre ; mais son instinct lui soufflait qu’elle pouvait avoir confiance en lui. Je voulais avoir son soutien, eh bien je l’ai.

-Que proposez-vous, dans ce cas ? dit-elle.

-Sabotez le projet de milice de Hans. Ma charge de Premier Ministre m’empêche d’intervenir sans être soupçonné, car j’ai de nombreuses tâches et mes faits et gestes doivent être connus de tous. Mais pas les vôtres, Votre Altesse. Si vous discréditez Heinrich et pouvez mettre en doute cette idée, je pourrai alors agir et persuader Hans d’abandonner son projet.

-Heinrich ? répéta Raiponce. Mais le discréditer signifierait le renvoyer à la rue…

-Il n’y restera pas longtemps, je vous le garantis, affirma Magnus. Sitôt Hans tombé et la reine de retour, je lui confierai un poste ; ou vous-même pourrez le faire à Corona. Je trouve que c’est un petit prix à payer pour la sûreté d’Arendelle. Ne voulez-vous pas protéger vos cousines ?

La princesse devait avouer que son interlocuteur parlait vrai. Inconsciemment, elle fit alors un premier pas vers l’obscurité, en consentant à contrecœur au plan de Magnus.

-Si, bien sûr, murmura-t-elle.

-Bien, fit le Premier Ministre. Nous nous retrouverons au déjeuner.

Il s’éclipsa et laissa Raiponce à ses dilemmes moraux. Le cœur empli de nouveaux doutes, la princesse secoua la tête avec amertume et partit retrouver Eugène dans la chambre royale.

___

Voilà pour ce chapitre qui fait office de transition, et qui présente les intrigues de la deuxième partie ! A suivre, l'appui d'un allié inattendu pour aider Raiponce à mettre fin au projet de Hans...


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Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 24 Jan 2018 - 19:24

Chapitre 7 : Contrecarrer Hans

Retournée auprès d’Eugène, Raiponce avait été exaspérée de le trouver toujours profondément endormi. S’étant rappelée qu’il n’était que neuf heures, elle s’était retenue de justesse de le secouer pour le ramener parmi les vivants et avait plutôt attendu patiemment en relisant sa correspondance avec Anna qui avait été transportée dans la chambre avec le reste de ses affaires. Elle avait désespéré d’y trouver une idée, un moyen de persuader sa cousine de la vilenie de Hans. Malheureusement, elle n’avait vu dans les lettres d’Anna que naïveté et attente du grand amour : il n’y avait donc aucune chance pour que Raiponce puisse la détourner de Hans sans qu’Anna n’assiste par elle-même à la démonstration de sa véritable nature. De par les circonstances exceptionnelles, Pascal, lui, avait la permission de gambader à sa guise dans le château, et s’était élancé à l’extérieur de la chambre à la recherche de quelque chose à grignoter.

Eugène ayant fini par émerger de son coma léthargique, la princesse put lui narrer les derniers événements, particulièrement ceux concernant la milice que Hans désirait mettre sur pied et le nouveau poste d’Heinrich à la tête de celle-ci. Eugène avait partagé les inquiétudes de son épouse, et il ne voyait lui aussi dans ce projet que la menace qu’il pourrait représenter et l’ambition personnelle du prince des Îles du Sud. Le prince avait été satisfait du soutien de Magnus, mais Raiponce n’avait pas encore confié à son époux la suggestion du premier ministre de discréditer Heinrich, car elle hésitait encore elle-même et recherchait toujours une autre alternative. Eugène et son épouse avaient convenu qu’ils devaient contrecarrer les plans de Hans et saborder la formation de la milice avant même qu’elle n’ait lieu. Restait à savoir comment s’y prendre concrètement, tout en épargnant au maximum Heinrich qui n’était responsable de rien et en évitant de se mettre le prince à dos : ce numéro d’équilibriste s’annonçait pour le moins délicat. Une aide des parents de Raiponce serait la bienvenue dans cette situation, d’autant que l’appui du royaume de Corona serait fort utile en ces temps difficiles ; néanmoins, le fjord étant gelé, Arendelle se trouvait coupée du reste du monde et incapable d’accueillir des navires étrangers dans son port. Raiponce imaginait mal utiliser un pigeon voyageur par un tel climat, et ne pouvait donc même pas contacter les souverains de Corona, ses parents, pour quérir leur soutien. De toute façon, il n’aurait même pas été possible que des navires puissent se rapprocher suffisamment pour que des hommes puissent prendre pied sur la glace et faire le reste du chemin à pied, avec ce climat si incertain. Et puis, la communication étant ce qu’elle était, la princesse n’aurait pu espérer une réponse avant plusieurs jours, et n’aurait certainement pas reçu de réponse avant que la crise ne soit terminée.

Afin de se changer les idées et de prendre un peu de recul sur la situation, Raiponce et Eugène s’étaient décidés à retourner sur le promontoire rocheux où ils avaient surpris Hans et Anna la veille. Le lieu étant parfaitement placé pour une meilleure observation du royaume, c’était celui qu’ils avaient choisi pour comprendre jusqu’où s’étendait l’hiver glacial qui avait pris possession d’Arendelle. Une fois qu’Eugène fut préparé et eut enfilé une veste azur, les deux époux sortirent de la chambre royale. Il devait être un peu plus de dix heures lorsque, après être passés à l’écurie pour retrouver Maximus et le monter et avoir été rejoints par Pascal qui s’était rassasié, ils quittèrent la sécurité des murailles du château pour se rendre dans le village ; les habitants, inquiets et déboussolés, erraient dans les rues avec une incrédulité toujours présente, quand ils ne restaient pas cloitrés chez eux auprès d’un bon feu de cheminée. Un silence mortel était tombé sur Arendelle alors que la population commençait à s’inquiéter pour son salut et l’avenir du royaume : l’incertitude demeurait à propos de la durée de cet hiver imprévu, et de la nature de la reine. Etait-elle vraiment un monstre ? Pouvait-elle ramener l’été, et, question plus inquiétante encore, le souhaiterait-elle ? Raiponce, son amertume passé, avait fini par dépasser son antipathie pour sa cousine et était persuadée que ce qui s’était produit n’était rien de plus qu’un accident provoqué par la peur. Si Anna pensait qu’Elsa était capable de contrôler ses pouvoirs et de ramener l’été, alors Raiponce choisissait d’avoir confiance en elle et en la raison de sa sœur qui finirait bien par revenir parmi eux, pour reprendre les rênes d’Arendelle et sauver son peuple d’une mort certaine.

Tandis qu’Eugène et Raiponce sillonnaient sur le dos de Maximus les rues du village en direction du promontoire, ils étaient de plus en plus engourdis par le froid, malgré leurs épais manteaux de laine, et cela n’allait pas en s’améliorant avec l’altitude. La princesse en vint à repenser à sa cousine qui devait souffrir davantage encore du climat, étant partie si peu vêtue ; elle espérait qu’Anna pourrait trouver un magasin dans la région pour se ravitailler et se réchauffer un peu. Raiponce était tiraillée entre son instinct de partir la retrouver pour s’assurer qu’il ne lui était rien arrivé et son devoir de veiller sur Arendelle en son absence. Mais n’ayant pas la moindre idée d’où Anna pouvait se trouver, sa seule option était d’attendre, en essayant de temporiser la situation au maximum.

Ils revinrent bientôt à la corniche surplombant le royaume après avoir gravi l’escalier de pierre. La cascade qui hier encore s’en écoulait était désormais de glace, et les filets d’eau l’entourant étaient figés dans une chute éternelle. Raiponce, après s’être laissée glissée au sol, s’avança prudemment jusqu’à l’extrémité du promontoire, et observa avec abattement l’étendue de la catastrophe. A gauche du château, il n’y avait sur l’océan que de la glace à perte de vue, sans le moindre signe de dégel ou de températures plus douces à quelques kilomètres des frontières maritimes du royaume. Les navires, toujours piégés dans la glace, se trouvaient dans l’impossibilité d’effectuer le moindre mouvement ; du toit des maisons descendaient des stalactites témoins de températures bien en deçà de zéro ; et les cimes des montagnes étaient recouvertes d’une épaisse couche de neige. La situation n’avait pas évolué depuis le début de la matinée : Arendelle était piégée dans un étau mortel.

-Bon, lança Eugène, je suppose que ça règle la question. Si Elsa ne met pas fin à sa malédiction, on est tous bons pour rester coincés ici pour l’éternité.

-La population se rendra rapidement compte que l’hiver risque de ne jamais prendre fin, supposa Raiponce. Quand la peur les submergera, ils se retourneront contre la reine et seront prêts à tout pour sauver leur vie…

-…y compris à confier leur destin à un parfait étranger dont la seule légitimité est d’être fiancé à la Princesse Anna, reprit Eugène. A mon avis, ils n’en sont pas encore au point où ils s’entretueront tous aveuglément. Ils sont tout juste assez désespérés pour accepter sans rien dire des mesures de grande envergure. La milice passera comme une lettre à la poste.

-Dans ce cas, comprit la princesse, il n’y aura que nous et Magnus pour nous y opposer véritablement. Nous n’avons plus le choix, il nous faut agir aujourd’hui pour tuer cette milice dans l’œuf.

-Tu m’as dit que la décision ou non de la former serait prise ce soir, après la journée d’essai d’Heinrich. Il nous suffit d’influencer sur cette prise de décision en persuadant les autres dignitaires de faire pression sur Hans. Il n’osera pas agir sans l’appui des puissances étrangères, il risquerait d’abimer son image et d’affaiblir sa position.

-Nous ne pouvons pas y parvenir si l’expérience est un succès, regretta Raiponce en secouant la tête. Weselton pourrait s’y opposer, peut-être aussi le dignitaire irlandais, mais les autres sont bien trop naïfs et aveugles pour comprendre que Hans les manipule. Et Magnus m’a clairement fait comprendre qu’il ne pourrait rien faire si nous ne lui facilitions pas la tâche. La seule solution, c’est…

Elle s’arrêta, réfléchissant désespéramment à un autre moyen, affligée de devoir recourir à de telles extrémités et rongée d’avance par une nouvelle culpabilité qui allait sans nul doute s’ajouter à toutes les autres qui pesaient déjà sur son cœur. Mais non, Raiponce devait se rendre à l’évidence : ils ne pouvaient faire autrement. Elle inspira douloureusement.

-C’est de faire en sorte que l’expérience soit perturbée, pour que tout le projet soit compromis.

-Oui, je pense aussi que… Mais, une seconde, comprit Eugène, tu n’oublies pas que cela mettrait Heinrich en danger, si ?

A contre cœur, Raiponce secoua la tête.

-Je lui ai parlé tout à l’heure, Eugène. Il était tellement reconnaissant envers Hans, si dévoué… Je savais que je ne pourrais jamais lui parler de nos soupçons sans nous le mettre à dos. Nous devons le discréditer auprès de Hans et des dignitaires. Crois-moi, cela me crève le cœur, et je choisirais n’importe quel autre moyen si je le pouvais ; mais nous n’avons pas d’autre choix.

Eugène avait l’air extrêmement troublé et divisé, le regard abattu.

-Franchement, je ne sais pas… C’est mon ami, Raiponce, je ne vois pas comment je pourrais lui faire un coup pareil.

-Je sais que c’est terriblement injuste, mais c’est peut-être pour le mieux. Voudrais-tu qu’il soit l’esclave de Hans ? Heinrich n’est qu’un pion pour lui. Qui sait ce qu’il pourrait en faire une fois qu’il aura perdu son utilité ? Ce sera pour son bien, autant que pour celui d’Arendelle.
Les paroles de Raiponce sonnaient faux à ses propres oreilles ; elle se demanda si c’était véritablement Eugène qu’elle souhaitait convaincre, ou plutôt elle-même.

-Ecoute, tu as peut-être raison, mais je connais Heinrich. Il est fragile, il a toujours rêvé d’obtenir une position comme celle qu’il a aujourd’hui. S’il la perd et qu’il est renvoyé à la rue, il risque de ne pas s’en remettre.

-Nous serons là pour lui, plaida la jeune femme. Il ne sera pas seul, cette fois. Quand tout sera terminé, il pourra rentrer avec nous à Corona, et je demanderai à mes parents de lui trouver un autre travail, un travail honnête au service de gens biens.

Cette idée raffermit la volonté de Raiponce et la rasséréna, la soulageant quelque peu. Après tout, la souffrance d’Heinrich ne serait que temporaire, et tout serait réglé une fois qu’Elsa aurait mis un terme à l’hiver. La princesse n’avait aucune raison de s’en vouloir. Eugène aussi parut assez tranquillisé. Il poussa un soupir.

-Oui, c’est sûrement la meilleure solution, au final. Je dois t’avouer que je n’étais pas non plus très à l’aise en imaginant Heinrich faire le sale boulot de Hans. Mais es-tu sûre de pouvoir le faire embaucher à Corona ?

-Certaine, affirma Raiponce qui était soulagée d’avoir rallié Eugène à son idée. Fais-moi confiance, nous lui trouverons la place qu’il mérite et qui le rendra heureux.

Le jeune homme se détendit sensiblement, prenant la main de sa dulcinée.

-Bien-sûr que je te fais confiance. Nous allons survivre à ça, ensemble, et nous réussirons à rabattre son caquet à cet imbécile de Hans.

Raiponce, reconnaissante, se rapprocha de son époux et l’embrassa, yeux clos, à l’extrémité du promontoire. Tant qu’il serait là pour la soutenir, elle serait toujours assez forte pour surmonter ses doutes.

-Alors, reprit Eugène, est-ce que tu as une idée de comment t’y prendre ?

La jeune femme y avait beaucoup réfléchi pendant le trajet, alors qu’elle avait envisagé tous les moyens qui auraient pu s’offrir à eux.

-Je crois, acquiesça Raiponce. Mais il manque encore une pièce centrale. Nous aurons besoin de la complicité d’une autre personne de confiance. En attendant, mieux vaut rentrer au château pour le déjeuner, nous pourrons prendre une décision à ce moment-là.

-Bien, approuva Eugène, je dois t’avouer que cet hiver me creuse. Je commence à regretter d’avoir manqué le petit déjeuner.

-D’après les grognements que tu as poussés hier soir, tu préférais dormir. D’ailleurs, j’ai dit à Hans et aux autres que tu étais indisposé, donc essaie de ne pas faire de gaffe.

-Pourquoi t’être fatiguée ? s’étonna Eugène. Ce n’est pas un crime de vouloir se reposer après une soirée pareille.

-Tu sais comment est la haute société. En tout cas, Heinrich y sera aussi pour rendre un premier compte-rendu, et nous pourrons en profiter pour le suivre lorsqu’il repartira pour l’après-midi.

Là-dessus, ils quittèrent les hauteurs pour retourner au château, repassant à pied par les ruelles étroites et sinueuses qu’ils avaient déjà empruntées auparavant lors de leur visite du village. Volets et portes étaient fermés : les habitants restaient cloitrés chez eux. Il n’y avait pas âme qui vive dans ce quartier en périphérie du royaume. Marchant devant Maximus et Eugène, la princesse se retrouva par hasard près de la même ruelle dans laquelle ils avaient surpris Weselton la veille, et elle tomba nez à nez avec ce dernier et ces deux sbires, qui tenaient dans leurs bras d’imposantes caisses de bois contenant moult pierreries et objets de valeur. Weselton, ses hommes, et Raiponce s’arrêtèrent brusquement, un moment trop surpris pour parler. La princesse jeta un regard presque imperceptible à son époux pour lui intimer de rester hors de vue, puis regarda successivement Weselton, les biens transportés par ses hommes à la mine patibulaire, puis de nouveau le duc, et son regard se durcit.

-Je vois que vous avez finalement mis votre plan à exécution, monsieur le duc, fit Raiponce d’un ton acerbe.

-Votre Altesse ! s’écria le duc d’une voix haut-perchée. Quel plaisir de vous revoir en cette belle matinée. Que… Que faites-vous ici ?

Raiponce, sur le point de répliquer vertement, se radoucit ; elle décida de se montrer plus diplomatique : son indignation n’aurait pas la moindre utilité, et elle pensait pouvoir tirer avantage de la situation.

-Mais je vous retourne la question, monsieur le duc. J’ai bien l’impression que ce que vous êtes en train de manigancer est illégal, et serait sévèrement puni dans ces temps de crise. Vous ne voudriez pas que cela soit révélé au Prince Hans ou au Premier Ministre.

La menace ne parut pas plaire aux gardes du duc. Ils eurent une brève concertation oculaire, puis dégainèrent leur épée dans un même chuintement métallique, le duc reculant prudemment. La princesse ressentit une vive bouffée d’angoisse, mais se rappela qu’Eugène et Maximus étaient prêts à intervenir à tout moment et garda sa contenance.

-Je ne ferais pas ça, à votre place, les avertit Raiponce. Mon époux a été témoin de votre fourberie hier, et si je meurs ou disparais, il comprendra immédiatement l’identité du coupable et lui et mes parents vous feront payer pour vos crimes. J’en ai également averti quelques personnes de confiance, et vous pouvez être sûrs vous n’échapperez pas à la justice.

La dernière partie était un mensonge, mais Weselton n’avait aucun moyen de le savoir. Ses gardes demeurèrent immobiles, incertains de la conduite à adopter et cherchant du regard les ordres de Weselton. Ce dernier fut la cible du regard déterminé de Raiponce, qu’il tenta de soutenir pendant plusieurs secondes avant de baisser la tête : il devait s’avouer vaincu. Ses hommes rangèrent leur arme au fourreau, et Raiponce sentit l’angoisse qui l’habitait se dissiper.

-Je vois que vous avez tout prévu, lâcha Weselton. Que voulez-vous ?

-Dites à vos hommes de déposer à terre les biens que vous avez volés, et de vous attendre à l’autre bout de la ruelle, dos tourné. Je veux pouvoir les garder en vue sans qu’ils ne nous entendent.

Le duc plissa les yeux, méfiant.

-Pourquoi vouloir me séparer de mes gardes du corps ? demanda-t-il.

-Je préfère que nous soyons seuls. Donnez-leur l’ordre, maintenant.

Weselton soupira et lâcha en agitant la main :

-Faites ce qu’elle dit, attendez-moi de l’autre côté en restant retournés.

Les deux hommes obtempérèrent sans discuter, après un regard d’avertissement à Raiponce semblant la défier de causer le moindre tort au duc en leur absence. Quand ils furent loin, la princesse reprit la parole.

-A présent, nous pouvons discuter. J’imagine que vous vous rappelez de ce projet qu’a le Prince Hans d’instaurer une milice.

-Une idée inutile et imprudente, répondit Weselton avec mépris. La populace ne peut pas avoir de telles responsabilités pendant une crise pareille, je l’ai déjà dit.

-Si je comprends bien, vous n’aurez donc aucun problème pour m’aider à contrecarrer les plans du prince.

-Les contrecarrer ? s’exclama Weselton avec étonnement. Mais quel intérêt avez-vous à faire une telle chose ?

-Cela ne vous concerne pas, répliqua sèchement Raiponce. Tout ce que vous devez savoir, c’est que je ne veux pas de cette milice et que votre soutien pourrait m’être utile.

La princesse ne voulait surtout pas que le duc imagine que son rôle était primordial, ce qui pourrait le pousser à faire preuve d’arrogance et à se croire dans une position de force par la suite.

-Et pourquoi vous aiderais-je ? Qu’est-ce que j’y gagnerais ? Avorter ce projet de milice ne vaut pas la peine que je prenne un risque, aussi mineur soit-il.

-Vous garderez votre tête et pourrez rentrer chez vous sain et sauf une fois l’hiver terminé, affirma Raiponce. Croyez-moi, vous courrez un risque bien plus grand si je dévoile vos agissements à Hans.
Weselton poussa une exclamation de dépit et grimaça. Le vieil homme était bel et bien acculé.

-Très bien. Je vous écoute, qu’avez-vous besoin que je fasse ?

Une euphorie pleine de fierté menaça de s’emparer de la princesse. Elle était parvenue à obtenir le soutien du duc, la pièce manquante de sa stratégie. A présent, tout était clair, et Raiponce savait exactement ce qu’elle devait faire pour empêcher Hans de parvenir à ses fins en formant cette milice.

-En vérité, commença Raiponce, votre rôle sera assez simple : il faudra juste que vous soyez au bon endroit au bon moment. J’ai un plan.

___

Ce chapitre est assez court, mais rassurez-vous, le suivant est plus long et présentera tension et suspense, mais aussi action et fourberie Very Happy
La noirceur que vous pouvez voir grandir dans le coeur de Raiponce ne risque pas de s'arrêter en si bon chemin...


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Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Lun 29 Jan 2018 - 0:08

Chapitre 8 : Le complot
Après avoir détaillé ce que Weselton devait faire pour que l’opération soit menée à bien, Raiponce avait révélé la présence d’Eugène et Maximus au duc, ce qui l’avait passablement contrarié. Consciente de ne pas pouvoir lui faire pleinement confiance, elle lui avait ensuite demandé d’envoyer ses gardes au château et d’y retourner sans escorte afin qu’il ne puisse pas se retrouver seul avec eux. La princesse et son époux, accompagnés de Pascal perché sur l’épaule de la jeune femme et de Maximus qui marchait au pas à leur côté, avaient suivi le duc en gardant une distance suffisante pour discuter sans crainte d’être entendus. C’était donc à ce moment que Raiponce lui expliqua le plan qu’elle avait imaginé dans sa totalité, ayant bien-sûr une confiance totale en son époux à qui elle pouvait révéler sans risque ce qui ne concernait pas directement son rôle. Il n’avait pas formulé de protestation, mais des réticences étaient visibles dans son regard. Il avait du mal à complètement accepter l’idée de briser la carrière d’Heinrich à Arendelle, mais s’y était résigné pour son bien et celui de tous.

L’heure du déjeuner étant arrivée, ils s’en étaient retournés dans la salle à manger sitôt arrivés au château. Tout un stock de pommes avait été préparé pour Maximus à l’écurie, où le cheval s’était précipité avec ravissement, tandis que Pascal rejoignait Eugène et Raiponce. Cette dernière était donc arrivée pour le déjeuner, cette fois en compagnie d’Eugène, et s’était assise en face de lui autour de la place réservée à Hans. Celui-ci se faisait désirer, et était le seul avec Heinrich à ne pas être encore arrivé : les dignitaires français, allemand, espagnol et irlandais ainsi que le Duc de Weselton et Magnus étaient tous installés autour de la table centrale.

-C’est une joie de vous voir revigoré, Prince Eugène, s’exclama le dignitaire français. Nous avons appris votre coup de fatigue de ce matin.

-Ah, oui, répondit Eugène avec un sourire, merci. Je vous rassure, je suis tout à fait disposé à déguster un bon repas en votre compagnie.

-A la bonne heure, fit le dignitaire espagnol. Votre épouse vous a certainement informé de la milice que le Prince Hans souhaite mettre sur pied ?

-En effet.

-Vous avez donc certainement un avis sur la question, le pressa l’ambassadeur irlandais.

Il avait été convenu entre Raiponce et son époux de ne pas dévoiler leur opposition au projet de Hans avant que le dîner et le temps de la décision finale ne soient venus.

-Eugène et moi préférons attendre l’issue de l’expérience d’aujourd’hui pour formuler un avis définitif, intervint la princesse.
L’irlandais eut une moue de déception.

-J’ai personnellement quelques réserves à ce qu’un étranger –sans que la probité du Prince Hans ne soit mise en cause- prenne de telles décisions et exerce un tel pouvoir après si peu de temps passé dans ce royaume. Je ne suis pas certain que la Princesse Anna ait fait un choix judicieux en lui confiant la régence.

L’expression des doutes de l’ambassadeur fut accueillie par un mutisme abasourdi. Personne n’avait jusqu’ici contesté la légitimité du Prince Hans de vive voix.

-Mais enfin, que dites-vous là ? s’exclama le dignitaire espagnol. Le Prince Hans est tout à fait qualifié pour diriger Arendelle en l’absence de la Reine Elsa. Il a reçu une éducation de qualité, et s’est jusqu’ici montré très responsable. De plus, il s’agit de la décision de la Princesse Anna, et nous n’avons pas notre mot à dire sur la question.

-Vous parlez de la décision d’une enfant, isolée du monde pendant treize années. Elle n’a aucune expérience politique, ni sens des réalités. Etait-ce seulement légal ? Je n’en suis pas certain.

-Mais il était la seule personne qui pouvait assumer une telle charge ! intervint l’ambassadeur allemand. Il s’agit du fiancé de la Princesse Anna.

-Des fiançailles rejetées par la Reine Elsa, dois-je vous le rappeler ? Elles sont donc caduques. Donc, en absence de la princesse, la régence aurait dû être confiée au Premier Ministre, ou bien à la plus proche parente, qui se trouve être son Altesse Royale Raiponce de Corona ici présente. Elle aussi est tout à fait qualifiée et possède l’expérience nécessaire, en plus d’avoir une légitimité certaine et une loyauté indiscutable à l’égard d’Arendelle, royaume allié de Corona. N’êtes-vous pas d’accord avec moi, Votre Altesse ? Je vous en prie, ne tenez pas plus longtemps mystère sur vos pensées.

La princesse, qui tentait de rester discrète pour éviter de prendre position, fut alarmée quand elle s’aperçut qu’elle allait y être contrainte : tous les regards étaient désormais fixés sur elle. Magnus et la princesse échangèrent un regard entendu : Raiponce comprit que le Premier Ministre l’intimait de ne pas encore s’opposer à Hans. Elle se racla la gorge avec appréhension, ne pouvant plus rester silencieuse jusqu’au soir.

-Je suis honorée, monsieur, d’inspirer de votre part une si grande considération. Mais ma cousine Anna a pris une décision, et je ne pourrais en aucun cas outrepasser son autorité. J’entends vos inquiétudes concernant le Prince Hans, et je les comprends, mais je pense qu’il mérite une chance de prouver ses compétences et sa bonne foi. Je souhaite, je vous le répète, attendre ce soir pour que puissions voir si ses premières mesures montrent leur efficacité. Les choses seront alors sans doute plus claires.

-Très bien, soupira l’irlandais, si vous insistez. J’ai confiance en votre jugement.

Si vous saviez
, songea Raiponce.
Vous n’êtes pas le seul à « douter » du Prince Hans.

-De sages paroles venant de la princesse, approuva l’ambassadeur français. N’est-ce pas, monsieur le Duc ?

-Oui, très, marmonna Weselton en fixant pensivement la table.

Ce fut à cet instant qu’Hans apparut à l’autre bout de la pièce, les rejoignant après avoir traversé la salle et s’asseyant à sa place à gauche de Raiponce, présidant l’assemblée.

-Ravi de vous revoir, messieurs, Votre Altesse, dit-il solennellement. Heinrich ne devrait pas tarder à nous rejoindre pour nous faire part de son premier compte-rendu de la journée.

En effet, le jeune homme n’arriva que quelques minutes après, toujours vêtu de son uniforme de milicien, l’air fier et digne. Comme il était loin, le voleur d’hier qui se riait de la noblesse et des lois ! Sa nouvelle charge l’avait transfiguré ; ou peut-être était-ce l’homme qu’il avait toujours voulu être. Après une profonde révérence, Heinrich s’assit à la gauche du dignitaire irlandais.

-Alors, Heinrich, l’interrogea amicalement Hans, quel est votre rapport sur la situation de la population ?

Le milicien était sur le point de répondre, mais son intervention fut retardée par l’apparition d’un homme d’une trentaine d’années environ, qui s’arrêta au niveau d’Heinrich et entra dans la conversation.

-Je vous prie de m’excuser, dit-il. Je suis le Prince Impérial Louis-Napoléon Bonaparte.

Le prince portait une moustache d’une certaine élégance, dont les pointes remontaient vers ses yeux bleus. Sa tête était assez large et son nez imposant ; ses cheveux étaient d’un châtain sombre, et l’une des mèches au-dessus de son crâne donnait vaguement l’impression d’une vague.

-Un Bonaparte ! s’exclama Magnus avec dédain. Et que venez-vous faire ici ?

-En tant qu’héritier légitime de la maison Bonaparte, dit Louis-Napoléon, j’ai décidé de prendre le pouvoir en France, avec le soutien du peuple. Puisque j’ai été invité au couronnement de la reine Elsa, je me suis dit qu’il serait bon de chercher des alliés parmi les puissances étrangères européennes. Je sais que certains d’entre vous se sont opposés à mon oncle, mais je pense qu’il est temps de tirer un trait sur le passé.

Raiponce se souvenait de ce que son père lui avait dit sur Napoléon. Ce dernier avait été Empereur des Français au début du siècle, et un allié de Corona ; mais après son invasion ratée de la Russie, il avait été défait par une coalition de pays européens, et Corona n’avait été épargnée qu’en raison de sa neutralité lors de la dernière partie du conflit.

-Sachez que vous n’avez reçu une invitation que par courtoisie, répliqua le premier ministre. Nous ne traitons qu’avec le souverain légitime de la France, Louis-Philippe.

-Je crois, répondit froidement le dignitaire français, que vous feriez mieux de partir.

Il fut bruyamment approuvé par ses collègues, qui n’avaient nulle envie de se brouiller avec la France en tissant des liens avec un prétendant au trône. Hans se contenta de regarder Bonaparte avec gravité.

-J’ai amené des armes à feu, persista Bonaparte, et si certains d’entre vous acceptaient de m’aider, je saurais me montrer reconnaissant une fois…

-Je crois que vous n’avez pas compris, le coupa Magnus. Vous n’êtes pas le bienvenu parmi nous. A présent, partez.

Louis-Napoléon fut déstabilisé par l’agressivité du Premier Ministre, et hésita sur la conduite à adopter. Finalement, il choisit de partir sans un mot de plus. Raiponce ne pouvait s’empêcher de se sentir désolée pour le pauvre homme. Weselton, quant à lui, avait semblé intéressé par les dires de Bonaparte sur les armes à feu qu’il avait transportées : peut-être s’imaginait-il déjà en tirer profit.

-Reprenons, fit Hans. Heinrich, je vous demandais quel était votre rapport sur la situation de la population.

-Les citoyens sont très inquiets, Votre Altesse, répondit le jeune homme. Ils ont tous peur de ne pas avoir assez de provisions pour survivre à cet hiver, ou de mourir de froid. Mais ils prennent bien l’idée d’une milice, ça les rassurerait de pouvoir être aidés par l’Etat. Ils vous font complètement confiance pour les protéger et les guider pendant la crise.

Raiponce fut atterrée d’apprendre que la population accueillait à bras ouverts le Prince Hans comme leur dirigeant et acceptait avec précipitation ses mesures ; mais la menace d’une mort possible jetait une ombre sur la faculté de jugement des Hommes, et pouvait parfois les pousser à remettre leur destin dans les mains du premier venu, plutôt qu’eux-mêmes, et de fermer les yeux en priant pour que quelqu’un d’autre les sauve à leur place. La population n’était de plus guère habituée à contester les décisions de la monarchie : ainsi, si la Princesse Anna avait décidé que Hans serait régent, et bien Hans serait régent. Magnus jeta un œil inquiet en direction de la princesse : le Premier Ministre semblait partager ses craintes.

-C’est une bonne nouvelle, apprécia Hans. J’aimerais que vous exprimiez à la population ma gratitude d’être l’objet de leur soutien.

-Ce sera fait, Votre Altesse, affirma Heinrich.

-J’aimerais avoir plus d’informations sur ce que tu as fait pendant cette matinée, intervint Raiponce. Es-tu entré chez certains habitants ? Sais-tu si la population a besoin d’une aide immédiate ?

La princesse désirait récolter le plus de détails possibles sur la façon d’opérer d’Heinrich, pour ensuite mettre en action son plan de la manière la plus efficace possible, notamment concernant la part d’Eugène.

-J’ai pu rencontrer plusieurs citoyens dans leur maison, confirma Heinrich, et ils m’ont montré leurs maigres réserves de bois. C’était l’été encore hier, et la plupart n’avaient chez eux que quelques buches datant du dernier hiver. Il faudrait leur en fournir d’ici un jour ou deux. Il y a aussi des personnes qui n’ont aucun domicile fixe et doivent dormir dans d’anciens bâtiments mal protégés contre le froid. La nuit d’hier a été rude, mais heureusement il n’y a pas eu de morts ni de maladies déclarées. Beaucoup auraient besoin d’un logement temporaire en attendant la fin de l’hiver.

-J’espère que vous ne pensez pas au château, protesta Weselton. Il est déjà presque plein à craquer, et nous avons déjà dû donner l’hospitalité aux équipages de tous les navires des invités.

-La Princesse Anna m’a laissé à la tête du royaume pour que je prenne soin de ses habitants, Monsieur le Duc, répliqua Hans. Je n’en laisserai aucun dormir dans les rues si je peux l’empêcher. Nous hébergerons cette nuit tous les citoyens qui ont besoin d’un abri dans lequel dormir en sécurité.

Si la princesse approuvait la décision apparemment généreuse de Hans, elle comprenait très bien qu’il ne s’agissait que d’une manœuvre de plus de sa part pour gagner la confiance de la population et asseoir sa domination sur le royaume. Ce n’était cependant pas une raison pour que les vagabonds deviennent des victimes collatérales des intrigues politiques que Raiponce fomentait contre Hans. Elle répondit donc sans hypocrisie, une fois que les dignitaires eurent terminé leurs habituels éloges :

-Je suis d’accord. Par un tel froid, nous ne pouvons pas laisser quiconque risquer une nuit supplémentaire sans un logement décent. Ce serait impardonnable.

-Les gens ont l’habitude des basses températures, dans la région. Ça ne devrait pas les déranger plus que d’habitude, pourtant, s’entêta Weselton.

-Détrompez-vous, le contredit Heinrich. Il fait bien plus froid qu’à un hiver ordinaire. C’est un coup à attraper une pneumonie ou à jamais se réveiller.

-Même à Corona, l’appuya Eugène, des nuits glaciales ont déjà tué beaucoup de pauvres gens. J’ai moi-même vécu dans la rue, et je peux vous assurer qu’on est parfois content de se réveiller après une nuit comme celle qui vient de passer.

-L’affaire est donc close, fit Hans en coupant court à la discussion. Je pense qu’il est inutile d’en débattre plus longtemps.

Conscient de ne pouvoir rallier personne à son avis, le duc garda silence. On vint rapidement servir le déjeuner, et le repas se déroula dans une atmosphère lourde. Seul Pascal ne perdait pas sa bonne humeur et avalait goulument plusieurs fruits disposés dans l’assiette de la princesse. La noblesse semblait s’inquiéter davantage que tantôt, les heures passant et la Reine et la Princesse ne revenant toujours pas. Elle se tenait cependant tranquille, respectant l’autorité du Hans : ironiquement, l’intervention de Raiponce suite au départ d’Elsa avait fait croire à un soutien de sa part à la régence du prince, et personne ne souhaitait s’attaquer à un homme allié au royaume de Corona. Ils n’avaient pas compris que la jeune femme n’avait cherché qu’à maintenir l’ordre pour protéger le royaume de lui-même, et certainement pas pour aider Hans dont elle ignorait à ce moment qu’il avait été nommé régent.

Une fois le déjeuner terminé, Raiponce et Eugène demeurèrent en compagnie du duc alors qu’ils se rendaient à l’extérieur du château. Weselton avait à la demande de la princesse ordonné à l’un de ses hommes d’espionner Hans et Heinrich alors qu’ils discutaient du plan de route de ce dernier pour l’après-midi à venir, et le garde avait rapporté que le jeune homme désirait se rendre dans un quartier en périphérie du centre-ville et y faire l’inventaire des réserves des citoyens. Il fallait donc tâcher d’y être avant lui, pour l’y attendre et mettre en action le plan qu’ils avaient préparé. L’autre garde s’y était rendu avec de l’avance pour soudoyer l’un des habitants qui allaient recevoir la visite d’Heinrich, afin qu’il puisse apporter la touche finale au complot que Raiponce préparait. Cette dernière lui avait confié un de ses objets personnels qui devait être au centre de toute l’affaire, ayant néanmoins ressenti une véritable révulsion à l’idée de le laisser entre les mains d’une brute comme le garde de Weselton.
Marchant à droite de Raiponce et d’Eugène, Weselton escorté de son homme de main grelottait en croisant les bras, marmonnant quelques imprécations inintelligibles. Il n’avait pas l’air ravi d’être embarqué dans cette histoire. Ceci dit, Raiponce ne rayonnait pas d’enthousiasme non plus : le cœur sombre, elle passait sans les voir devant les étendards, accrochés aux lampadaires pris dans la glace qui bordaient le pont reliant le village à la demeure royale. Elle se répétait agir par devoir, par nécessité, par amour aussi ; néanmoins, rien de tout cela ne la réconfortait vraiment et une culpabilité oppressante l’enserrait davantage à chaque pas qui la menait vers les quartiers du village. Enfin, le visage d’Eugène d’ordinaire rieur restait fermé et indéchiffrable, laissant une Raiponce encore plus désolée.

La place du village restait quasiment vide. On pouvait voir quelques passants errer en discutant d’un air inquiet, de la buée s’échappant de leur bouche. Les dalles de pierre recouvrant le sol étaient à peine visibles sous la neige. La princesse et ses compagnons grimpèrent dans les hauteurs du village, croisant de moins en moins de personnes sur leur passage. Ils arrivaient sur le lieu où devait se rendre Heinrich : une rue surplombant la place centrale habitée par une population plus défavorisée. Devant eux, les habitations étaient vieilles, et les murs sombres derrière le givre translucide, et ils étaient dos au flanc abrupt de la montagne qui descendait vers le centre-ville. Quatre maisons étaient placées côtes à côtes, et la chaussée permettait d’accéder à une autre partie de la rue plus dense en habitations. Ils furent rejoints par le garde, auquel ils avaient confié la tâche de corrompre l’un des habitants, qui avait la réputation d’être cupide et influençable par l’argent. L’homme leur indiqua que sa manœuvre avait réussi : le plan était en place, et l’objet appartenant à Raiponce avait été laissé à la garde de cet homme, appelé Selvig.

-Heinrich peut arriver d’un moment à l’autre, dit Eugène en jetant un œil vers le château. Il nous faut trouver quelque part où nous dissimuler en l’attendant. Weselton et ses sous-fifres n’auront qu’à se poster entre les deux parties de la rue pour être sûrs de ne pas le rater quand il aura rendu visite à Selvig.

Le regard noir que jetèrent les gardes à Eugène indiqua qu’ils n’appréciaient guère d’être qualifiés de sous-fifres de Weselton. Ce dernier se risqua à émettre une protestation.

-Cela pourrait prendre des heures, geignit le duc. Je n’ai pas l’intention de rester dehors à geler sur place.

-C’est pourtant ce que vous ferez, répliqua Raiponce d’un ton autoritaire. Et dépêchez-vous, il ne faut pas qu’Heinrich nous voit ensemble ici. Allez !

Weselton se détourna après un dernier regard étincelant de fureur. Il se dirigea vers l’autre extrémité de la rue, entouré de ses fidèles hommes de main. La jeune femme et son époux se dissimulèrent derrière le mur du côté droit de la quatrième maison –celle appartenant à leur complice-, profitant de l’absence de badauds. Deux fenêtres étaient situées sur le mur derrière lequel ils étaient dissimulés, la plus proche menant à la cuisine et l’autre ouvrant sur la chambre. Les autres fenêtres se trouvaient au-dessus de la porte d’entrée et sur le côté gauche de la maison, donnant sur le salon et la salle de bain. S’introduire dans la maison serait chose aisée : le propriétaire, Selvig, avait volontairement laissé la fenêtre de la cuisine légèrement entrouverte, afin qu’Eugène puisse s’y infiltrer.

Les jeunes gens virent que Weselton et ses gardes s’étaient adossés au mur de la maison la plus proche dans l’autre moitié de la rue ; les trois hommes n’avaient pas l’air enchantés de se trouver là. Raiponce et Eugène attendirent patiemment l’arrivée d’Heinrich, silencieusement, insensibles à l’excitation d’une nouvelle aventure, une excitation qui les aurait emportés dans une autre occasion moins tragique. Une heure passa, et le Soleil à son zénith débutait son lent déclin. La princesse ruminait ses doutes et ses regrets, incertaine de sa décision. Son trouble fut tel qu’à un moment, elle songea même sérieusement à renoncer et à épargner ce pauvre Heinrich, et essayer de trouver un autre moyen de contrecarrer les desseins du Prince. Elle fut sur le point de confier ses hésitations à Eugène, quand tout fut précipité.

Heinrich, juché sur un cheval à la robe beige, trottait en leur direction. Il n’était plus question de renoncer : le jeune homme était arrivé, et la princesse avait retrouvé suffisamment de détermination pour mener son plan à exécution. Heinrich, portant un sac de cuir en bandoulière, descendit d’un mouvement agile de son destrier et accrocha son sac au flanc de ce dernier. Il s’approcha de la première maison à la porte close, frappant doucement sur le battant. Une voix étouffée, masculine, leur parvint :

-Qui va là ?

-Je suis Heinrich, annonça le blond. Je fais partie de la nouvelle milice d’Arendelle. Pouvez-vous me laisser entrer un moment ?

La porte s’ouvrit vers l’intérieur de la maison. La personne demeurée à l’intérieur était invisible aux yeux de Raiponce et d’Eugène.

-Une milice ? reprit la voix. Jamais entendu parler. Pourquoi voulez-vous entrer ?

-Le Prince Hans vient de la former, répondit poliment Heinrich. Je voudrais entrer pour faire le compte de vos réserves de nourriture et de bois.

-Mouais, marmonna l’autre homme. Allez-y, mais faites vite. Je n’aime pas faire rentrer des inconnus chez moi.

-Je vous remercie.

Heinrich disparut à l’intérieur, et la porte se referma aussitôt. Raiponce, penchée jusque-là derrière le mur pour observer le jeune homme, se redressa.

-Il va visiter les maisons une par une, dit-elle. Quand il arrivera à la nôtre, tu devras t’infiltrer par la fenêtre et faire ce qu’on a prévu.

-J’aime quand tu prends le contrôle, répondit Eugène avec un air enjôleur.

La gravité du moment fut momentanément rompue par le trait d’humour du jeune homme, et Raiponce laissa s’échapper l’ombre d’un sourire.

-Mais je suis toujours en contrôle, répondit-elle. C’est moi, l’héritière de Corona.

-J’avais oublié. J’ai bien peur que le royaume ne soit perdu…

-Très drôle, Eugène, ironisa la princesse. Maintenant, arrête tes plaisanteries à deux sous et tiens-toi prêt à intervenir. Dois-je te rappeler que ton rôle est primordial ?

- Etant donné que je suis de nous deux le meilleur voleur et que tout repose à présent sur cette compétence précise, je pense que ce serait inutile.

En effet, si la jeune femme était très agile et s’était montrée assez habile dans l’exercice de cet « art », elle préférait toujours revenir à ses peintures et à la politique auxquelles elle excellait bien davantage ; Eugène n’avait certes pas à craindre d’être dépassé. Il fallait dire que le jeune homme avait une expérience vieille de plus de quinze ans et volait déjà alors que Raiponce était encore cloîtrée dans sa tour.

Heinrich sortit de la demeure une vingtaine de minutes plus tard, et, tirant la bride de son cheval avec délicatesse pour l’amener à sa suite, alla frapper à la porte de la deuxième maison à gauche de celle où l’attendaient Raiponce et Eugène. Il poursuivit sa routine et arriva finalement devant l’entrée de la demeure du complice des conspirateurs. Il marcha sur le paillasson placé devant la porte, et frappa à la porte, mais il ne reçut d’abord aucune réponse ; puis, la princesse entendit le bruit de fenêtres s’ouvrant brusquement.

-Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ? l’apostropha l’homme qui avait été soudoyé.

-Je suis désolé de vous déranger, mais je fais partie de la milice, et j’ai été chargé de répertorier vos possessions et de vous aider si vous en avez besoin.

-Ah ? Vraiment ? répliqua son interlocuteur avec un ton empli de méfiance. Restez en arrière pendant que j’ouvre la porte, et pas de mouvements brusques ou j’appelle la garde.

-Ne vous en faites pas, le rassura Heinrich. Je ne suis pas venu pour vous voler.

Il y eut un temps de battement, et on entendit le cliquetis d’une porte qu’on déverrouille. Raiponce reconnut alors la voix du citoyen d’Arendelle qui s’exclamait avec une surprise feinte :

-Mais je vous reconnais ! Nous nous sommes déjà rencontrés, n’est-ce pas ?

Silence.

-Je n’en sais rien, c’est possible, répondit Heinrich avec une hésitation légèrement craintive. Je vis dans le royaume depuis quelques années.

-Et que faisiez-vous avant de rejoindre cette milice ? persista Selvig sans se départir de son ton soupçonneux.

-Je… Je faisais quelques petits boulots, mentit Heinrich avec empressement.

-Des petits boulots… Voyez-vous cela. Arrêtez de fuir mon regard, voulez-vous ? Je voudrais mieux voir votre visage.

Quelques secondes plus tard, il s’écria avec force :

-Je me rappelle de vous ! Vous êtes ce voleur qui m’avait dérobé du pain il y a quelques semaines !

L’accusation était fausse ; mais les vols à répétition d’Heinrich empêchaient ce dernier d’être certain que l’homme affabulait.

-Vous-vous devez faire erreur, balbutia le jeune homme.

-Il n’y a aucune erreur. J’étais au marché, et je venais d’acheter de la nourriture pour le dîner, alors j’ai déposé mon sac une seconde pour payer le marchand. Quand je me suis retourné, j’ai vu un homme dérober mes achats et détaler avant que je n’ai pu l’arrêter ! Je n’ai pu que voir sa figure un instant, mais je n’ai plus de doute à présent : c’était vous. Comment avez-vous pu vous faire embaucher par le Prince Hans ?

-Le Prince Hans m’a pardonné pour mon passé, admit Heinrich qui semblait s’être résigné à avouer la vérité.

Il avait raffermi sa voix, parlant de manière plus claire.

-Il sait que je n’avais pas le choix si je voulais survivre, poursuivit-il. Je ne me rappelle pas vous avoir volé, mais j’ai pris le bien de tant d’honnêtes gens que c’est tout à fait possible. Je vous promets de tout faire pour me racheter et vous aider. Puis-je entrer ?

Selvig garda silence un instant, ménageant ses effets. Il lâcha après un moment :

-Je ne vous fais pas confiance. Mais j’aurais peut-être besoin de votre aide pour deux trois bricoles. Suivez-moi, mais gare à vous si je m’aperçois que quelque chose disparaît !

-Aucun risque, fit Heinrich avec soulagement. Je suis à votre service.

La princesse décela des bruits de pas, puis d’une porte se refermant doucement. Eugène, s’accroupissant, se déplaça sous la fenêtre de la cuisine, et Raiponce le vit se relever avec précaution pour jeter un œil par la fenêtre restée ouverte. Les mains sur le rebord, il patienta un instant, avant de se hisser en silence et de pénétrer à l’intérieur de la maison. Sachant qu’Heinrich allait poursuivre ses visites et finirait inévitablement par passer devant Raiponce, cette dernière profita de l’absence du jeune homme pour passer de l’autre côté de la maison et se cacher là (ce qu’elle et Eugène avaient prévu plus tôt). Alors que les minutes passaient sans que rien ne se produise, le cœur de la jeune femme tambourinait avec angoisse, craignant qu’Eugène ne soit découvert. Mais le jeune homme était un voleur émérite, et il ne s’agissait pas de son premier larcin. Il ressortit par la même voie qu’il avait empruntée pour rentrer, envoyant un clin d’œil à son épouse au passage, et se glissa jusqu’au cheval d’Heinrich qui était resté sur la chaussée. Il portait un petit objet au creux de son poing fermé. Eugène le déposa à l’intérieur du sac porté par l’étalon, laissant visible un instant ce qu’il avait volé : une bague en or sertie d’un petit diamant, le fameux objet que Raiponce avait fourni. Il le referma doucement avant de revenir tout aussi discrètement vers Raiponce. Il lui fit un sourire serein, teinté d’une certaine mélancolie. Avant que la princesse n’ait pu dire un mot, la porte se rouvrit.

-N’hésitez pas à venir au château ou à appeler la garde si vous avez besoin de quoi que ce soit, dit Heinrich.

Raiponce entendit le jeune homme grimper sur son cheval.

-Oh, vous en faites pas pour ça… répliqua Selvig. Je suis pas du genre à me taire quand on me fait du tort. Tâchez de vous en rappeler si vous avez un jour l’idée de me voler une fois de plus.

-Cela n’arrivera plus, je vous le promets. Bonne journée à vous.

-C’est ça, ricana Selvig. Bon vent.

Il y eut un bruit de sabots claquant sur le sol, diminuant de plus en plus alors qu’Heinrich s’éloignait vers la partie plus profonde de la rue. Il va continuer ses visites, songea Raiponce. Weselton devrait être sur son chemin.

-Suivons-le, proposa Raiponce. Il vaut mieux être sûrs que tout se passe bien, et qu’Heinrich ne soit pas trop meurtri.

-D’accord, mais attendons d’abord que le duc soit intervenu, répondit Eugène. Si Heinrich nous voit avant qu’il n’ait rencontré Weselton et que Selvig l’ait rattrapé, il risquera de soupçonner quelque chose.

Raiponce opina, attendant quelques secondes avec son époux le temps que le jeune homme parvienne au niveau de Weselton avant de le rejoindre. La princesse se surprit à poursuivre le débat intérieur qui l’agitait depuis le début de la journée, et elle se répéta une énième fois qu’il n’y avait pas d’autre solution, et que de toute façon il était bien trop tard pour faire machine arrière, tout étant déjà presque terminé. Il lui fallait seulement espérer que rien d’imprévu ne se produise. Alors qu’une poignée de secondes s’était écoulée, la porte de la maison de Selvig s’ouvrit avec fracas et l’homme aux cheveux noirs se mit à courir à toute vitesse vers Weselton et Heinrich en hurlant à pleins poumons :

-AU VOLEUR ! AU VOLEUR !

Raiponce et son époux choisirent cet instant pour sortir de leur cachette, marchant rapidement vers l’autre bout de la rue. Ils virent en se retrouvant au milieu de la chaussée Heinrich qui avait repassé la bandoulière de son sac autour du cou, toujours sur son cheval, et venant d’être rattrapé par Selvig qui l’apostrophait avec force. Weselton et ses gardes, les bras croisés, assistaient à la scène en affectant d’avoir un air surpris, à la gauche d’Heinrich.

-Je vous dis qu’elle a disparu ! s’écria Selvig. Une bague très précieuse, c’est un héritage familial ! Elle était posée sur ma table de nuit quand vous êtes arrivé, vous vous souvenez ?

-Je m’en rappelle en effet. Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois ? demanda Heinrich en baissant le regard sur Selvig.
-Cela devait être il n’y a même pas cinq minutes ! C’était justement à ce moment-là, quand vous…

Le regard de l’homme changea et se mit à briller d’une lueur noire. Raiponce ne put s’empêcher d’admirer les talents d’acteur de Selvig.

-Quand vous êtes entré avec moi dans la chambre pour répertorier le nombre de couvertures. Personne d’autre n’y est rentré depuis.

-Que voulez-vous dire ? s’écria Heinrich. Je n’y suis pour rien !

Eugène et Raiponce arrivaient au niveau du groupe. Absorbé par son échange avec Selvig, Heinrich n’avait rien remarqué et ne s’aperçut de leur présence que quand Raiponce intervint.

-Nous avons entendu des cris, prétendit-elle. Il y a un problème ?

-Il y a que, répondit Selvig d’une voix où l’on pouvait sentir la colère monter, ce maudit étranger qui m’a déjà volé par le passé m’a dérobé mon bien le plus précieux. Je parle d’une bague en or portant un petit diamant qui a été offert à mon arrière-grand-mère par un prince qui la courtisait.

L’histoire n’avait bien entendu rien de vrai, le bijou ayant été offert à Raiponce par son époux lors de sa demande en mariage.

-Je n’ai rien fait du tout ! protesta Heinrich. Le Prince Hans m’a fait jurer de ne plus jamais enfreindre la loi.

Sa détresse était telle et sa voix si tremblante que la princesse ne tint plus, glissant hors de son rôle pour un bref instant et oubliant tous les enjeux, rattrapée par sa conscience et son humanité.

-Il y a certainement une autre explication, plaida Raiponce –et son conflit intérieur rendait le ton de sa voix criant de sincérité-, je suis sûre qu’Heinrich n’a rien à se reprocher.

-Je n’en suis pas si sûr, intervint Weselton. Je n’en étais pas sûr jusqu’à présent, mais vos dires confirment mes suppositions.

-Quelles suppositions ? fit Eugène.

-J’ai vu il y a quelques minutes ce jeune homme glisser un objet brillant à l’intérieur de sa sacoche en cuir. Il s’agit certainement de cette bague qui a été volée.

-Ha-ha ! triompha Selvig. C’est donc bien vous ! Rendez-la moi immédiatement !

L’intervention de la princesse avait été vaine, et n’avait en rien interrompu le déroulement du plan. Heinrich, stupéfait par les accusations dont il était l’objet et qu’il savait complètement fausses, secoua la tête.

-Vous délirez complètement. Il n’y a que quelques documents signés du Prince Hans à l’intérieur de cette sacoche.

-Dans ce cas, prouvez-le ! exigea Selvig.

Le jeune homme s’exécuta avec une expression exaspérée, débouclant la sacoche et regardant à l’intérieur. Mais alors qu’il s’attendait à ne rien y découvrir d’incriminant, le jeune homme se figea soudainement ; le visage décomposé, il glissa une main à l’intérieur de la sacoche et en sortit quelque chose. Il ouvrit le poing : sur sa paume se trouvait la bague en or.

-Je-je ne comprends pas, s’ébahit-il d’une voix d’où perçait un début de panique. Je n’ai jamais vu cette bague de ma vie !

Heinrich commençait à adopter un discours incohérent et suspect, pris de court, comme Raiponce l’avait prévu.

-Vous voyez ? Vous voyez ? cracha Selvig en parlant de plus en plus rapidement. Ce sale voleur est le coupable ! Mais vous ne bernez personne, scélérat : vous avez-vous-même avoué avoir vu cette bague chez moi, et vous savez très bien qu’elle m’appartient, alors ne faites pas semblant de ne pas la connaître.

Sa main se précipita sur la bague que tenait encore Heinrich, et s’en saisit vivement sans que le jeune homme éberlué ne réagisse.

-Je suis sûr qu’il y a une autre explication, raisonna Eugène pour qu’Heinrich ne se doute pas de son implication dans la triste affaire. Je ne sais pas, la bague aurait pu tomber dans la sacoche à cause d’un faux mouvement par exemple…

Raiponce eut le cœur crevé de voir son époux mettre de côté ce qu’il ressentait pour jouer son rôle jusqu’au bout. Elle était déchirée d’avoir eu à exiger un tel sacrifice de la part d’Eugène.

-Ben voyons, ricana Selvig en laissant apparaître ses dents jaunies. Ce trésor à la valeur inestimable se serait glissé malencontreusement dans le sac, puis ce voleur l’aurait refermé sans se rendre compte de rien. Ce serait pas de chance.

-Accident ou non, je n’aurais jamais pris cette bague, affirma Heinrich. Et mon sac était resté à l’extérieur, c’est donc complètement impossible !

Le jeune homme ne se rendait pas compte qu’il clouait lui-même les derniers clous de son cercueil en écartant irrémédiablement l’hypothèse d’un accident.

-Je le confirme, révéla Weselton. La sacoche n’a pas bougé pendant toute la visite d’Heinrich et est demeurée pendue au cou de son cheval. Ce n’est qu’ensuite que ce jeune homme a introduit la bague à l’intérieur, comme je l’ai vu de mes propres yeux.

Heinrich, le visage rendu furibond par les accusations dont il était l’objet, répliqua violemment :

-Menteur ! Vous savez très bien que je n’ai rien avoir là-dedans, espèce de vieillard sénile !

-Comment osez-vous ? vociféra Weselton en se dressant sur la pointe des pieds pour paraître plus imposant. Je suis duc, vous ne pouvez pas m’insulter impunément !

-Calmez-vous, monsieur, intervint la princesse. Il faut comprendre Heinrich, il est accusé de toutes parts, et certainement de façon infondée ! Vous avez peut-être mal vu ce qui s’était passé…

-Il n’y a aucun doute possible, réfuta Weselton, j’ai…

-Bon, je pense qu’on a fait le tour, l’interrompit brusquement Selvig. Vous, la gamine (dit-il en se tournant vers Raiponce), rendez-vous utile et aller chercher la garde.

-Je ne suis pas une gamine, s’insurgea Raiponce. Je suis la Princesse de Corona et je ne reçois d’ordres de personne. Vous n’avez qu’à y aller vous-même.

-Laissez, un de mes hommes va s’en charger, dit Weselton.

Il leva sa main gantée et fit un signe péremptoire au garde qui était à sa gauche, qui se rapprocha de lui. Weselton se retourna vers lui.

-Retournez au château et prévenez le Prince Hans, ordonna-t-il. Et ne traînez pas, surtout. Prenez le cheval du voleur.

-A vos ordres, seigneur, obtempéra l’homme vêtu d’une veste rouge.

Il se plaça sur le flanc du cheval et saisit la bride qui pendait sous le cou de l’animal.

-Je ne vous laisserai pas prendre mon cheval, refusa aussitôt Heinrich en secouant la tête.

Il s’était à son tour emparé avec force de la bride, les phalanges blanchies tant elles étaient contractées. Le jeune homme semblait s’y accrocher comme à une bouée au cœur d’une tempête.

-Je t’en prie Heinrich, laisse le faire, plaida Raiponce. Le Prince Hans te le rendra une fois qu’il t’aura entendu, j’en suis sûre.

Heinrich hésita un moment, peinant visiblement à abandonner son destrier, puis se résigna et relâcha sa prise avant de descendre sans un mot.


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Lun 29 Jan 2018 - 0:09

Le garde de Weselton monta en selle sans attendre plus et fit claquer les rênes bruyamment, faisant partir le cheval au galop vers l’autre bout de la rue. Tous l’observèrent s’éloigner en gardant le silence, Raiponce songeant que la scène lui rappelait vaguement le départ d’Anna. Elle espérait qu’il ne lui était rien arrivé, et qu’elle serait bientôt de retour avec sa sœur. Si Raiponce s’était résolue à trahir Heinrich, cela avait été pour elle, pour protéger cette jeune femme si fragile qui lui ressemblait tant. La sauver elle et Arendelle, c’était pour Raiponce la seule motivation qui lui permettait d’aller de l’avant sans s’effondrer sous le poids des regrets. Mais le fardeau lui pesait un peu plus à chaque heure qui passait. Quand donc Anna serait-elle rentrée ?
Personne ne dit rien pendant plusieurs minutes, et il n’y avait d’autre communication que celle des regards échangés ou solitaires. Raiponce cherchait son amour des yeux, et y trouva le réconfort qu’aucune parole n’aurait pu lui apporter. Eugène était toujours là pour elle, malgré ses doutes ou sa propre tristesse, comme elle était toujours là pour lui. Weselton baissait les yeux pensivement, perdu dans des pensées inconnues, et son garde observait en tapant du pied la route qui menait au château. Selvig fixait d’un œil mauvais Heinrich, qui fuyait le regard de tous et paraissait au bord des larmes.

Finalement, Raiponce décela le bruit de plusieurs personnes se rapprochant, et en se retournant vit qu’il s’agissait de Hans, accompagné du capitaine de la garde Norway, de deux de ses hommes et de l’homme de main de Weselton, tous à pied. Ils avaient l’air grave et marchaient rapidement. Le prince s’arrêta devant le groupe, et ceux qui l’accompagnaient s’immobilisèrent derrière lui, hormis le garde de Weselton qui retourna auprès de son seigneur.

-J’ai été informé de ce qu’il s’était produit, annonça Hans d’une voix solennelle. Mais avant de prendre une décision, j’aimerais entendre la version de chacun.

Selvig fut le premier à s’exprimer, détaillant la visite de Hans. Le jeune homme s’était rendu avec lui dans la chambre, où la bague se trouvait avant que le vol ne soit commis, puis dans la cave pour comptabiliser le stock de buches. Selvig indiqua qu’Heinrich s’était trouvé seul quelques instants dans la chambre pendant qu’il lui montrait le chemin vers la cave. Ils étaient ensuite passés dans la cuisine pour qu’Heinrich fasse l’inventaire de la nourriture, avant qu’Heinrich ne parte en laissant Selvig seul dans sa demeure. Ce ne fut qu’en se rendant dans sa chambre quelques instants plus tard qu’il s’aperçut que la bague n’y était plus. La disparition du bijou avait donc eu lieu pendant la visite même d’Heinrich, puisqu’il était présent à son arrivée et qu’il s’était volatilisé avant son départ, personne n’étant entré dans la maison entre temps. Il illustra ses propos en affichant théâtralement le bijou aux yeux de tous.

Heinrich confirma à demi-mot les dires de Selvig, niant toutefois avoir quelque chose à voir dans le larcin. Il affirma qu’il n’avait aucune idée de comment la bague avait pu atterrir à l’intérieur de sa sacoche, et qu’il n’avait découvert sa présence qu’une fois qu’il avait ouvert cette dernière, ici-même. Weselton le contredit avant que Hans n’ait pu se faire sa propre idée sur la sincérité de Hans, témoignant ainsi que ses gardes d’avoir vu Heinrich ouvrir sa sacoche une fois ressorti et y glisser un objet étincelant.
Eugène et Raiponce expliquèrent qu’ils étaient en train de se promener quand ils perçurent des éclats de voix et virent Selvig se précipiter hors de sa maison vers Heinrich qui chevauchait vers l’autre bout de la rue. Ils avaient ensuite assisté au reste de la scène, confirmant que la bague se trouvait bien à l’intérieur du sac. Raiponce mit en doute le témoignage de Weselton, à la feinte indignation de ce dernier, et estima qu’Heinrich était innocent de ce dont il était accusé. Elle retint de justesse un haut le cœur tandis qu’elle envoyait sans ciller le pauvre jeune homme en pâture aux lions.

Tout au long de la procédure, des curieux avaient été attirés par les bruits de discussion venant du milieu de la rue, et aux fenêtres des maisons plusieurs habitants se penchaient avec intérêt. D’autres s’étaient rassemblés autour du groupe, et ce fut finalement une vingtaine de personnes qui se retrouvèrent à observer la scène, murmurant entre eux condamnations du crime et autres jugements personnels.

Tous les témoins ayant parlé, il n’y eut plus aucun bruit pendant un temps bref. Une voix criarde provenant d’une des fenêtres descendit alors à leurs oreilles :

-Voleur !

Ce fut comme le signal attendu par la populace pour se déchaîner. L’hiver avait échauffé les esprits et crée une méfiance palpable ; et voilà qu’un étranger les volait à leur moment le plus fatal. Les crises exacerbent tout, et le besoin finit par rendre hargneux lorsqu’on est dépossédé de ses derniers biens. Le moindre vol devenait un meurtre abominable, et le peuple avait besoin d’un bouc-émissaire pour tous ses maux : accuser quelqu’un d’autre pour ses malheurs était le moyen le plus fréquemment adopté pour détourner le regard des véritables causes et éviter d’avoir à chercher une solution, ou même admettre qu’on ne pouvait rien.
Partout autour, on levait le bras, poing serré, hurlant et crachant des insultes et des menaces. Les yeux lançaient des éclairs, et les visages étaient furibonds de colère. Heinrich était la cible d’une vingtaine de citoyens hostiles qui en paraissaient un millier ; car lorsqu’on est entouré d’ennemis à perte de vue, qu’importe leur nombre ?

Pendant que plusieurs habitants tentaient de s’approcher d’Heinrich dans l’intention de le lyncher –heureusement retenus par les gardes-, Raiponce se sentait complètement dépassée par le cours des choses : la princesse avait perdu tout contrôle sur le déroulement de son plan si bien cadré. Heinrich, hébété, chancelait sous les terribles imprécations dont il était victime. Raiponce, déchirée entre la nécessité d’appliquer le plan jusqu’au bout et sa compassion naturelle, ne savait que faire, et Eugène semblait également abattu. Weselton observait la populace avec mépris, et Selvig souriait devant l’aboutissement du complot pour lequel il allait être grassement payé. Hans finalement, était visiblement désarçonné, et s’exprima d’une voix forte :

-S’il vous plaît, honorables citoyens d’Arendelle ! Je comprends votre colère, mais je vous en prie, gardez votre calme. Je ne peux dispenser la justice dans de telles conditions.

Sa voix charismatique et séduisante fit son office : les habitants diminuèrent d’un ton, puis se turent progressivement, subjugués. Les mots du prince étaient capables d’endormir la vigilance et de berner la population avec autant de facilité qu’un lion se saisissant de sa proie. Il aurait fallu une grande sagesse, une volonté de fer et une intelligence certaine pour ne pas succomber à son charme ; et la populace était ce qu’elle était. Seul Eugène l’avait mis à jour dès qu’il l’avait rencontré, et uniquement grâce à son expérience et sa sagacité ;  et Raiponce elle-même n’avait commencé à se méfier du prince qu’une fois avertie des soupçons de son époux, même si elle avait effectué elle-même le reste du cheminement.

Un air satisfait se peignit sur le visage de Hans. Il reprit.

-Les temps que nous vivons sont difficiles, et beaucoup d’entre vous se sentent délaissés et en danger. Je sais que vous avez peur, et je mentirais en disant que je n’éprouve pas un sentiment semblable ; mais nous devons dépasser cette peur si nous voulons traverser cette crise et nous en tirer indemnes. Cela implique de garder la tête froide et de ne pas céder à nos bas instincts. Cet homme a commis un crime, j’en conviens. (Heinrich sursauta en comprenant que Hans lui-même le croyait coupable, et il s’affaissa davantage. Il avait compris qu’il était perdu ; mais une flamme étrange naissait dans son regard gris.) Il a volé un honnête citoyen d’Arendelle, et à présent vous vous sentez tous touchés par ce larcin. Vous avez peur qu’à votre tour vous soyez volé. Cela n’arrivera pas.

-C’est un des vôtres ! Il est dans la milice ! lui lança un des individus présents.

Un murmure d’assentiment parcourut l’assemblée, mais Hans ne laissa pas le temps à la rumeur de s’amplifier.

-Le premier courage d’un dirigeant, c’est de reconnaître ses erreurs. J’admets avoir commis une erreur quand j’ai recruté Heinrich en fermant les yeux sur son passé. J’ai pêché par excès de bonté, et je le regrette profondément.

-Qu’allez-vous faire de lui ? demanda un autre citoyen.

Quelques cris rageurs furent poussés :

-Jetez-le dans un cachot !

-Qu’on lui coupe la tête !

Devant ces attaques d’une violence inouïe, complètement injustifiées de surcroit, le visage d’Heinrich fut déformé par une colère montante. Il eut un spasme de la main en direction de son épée, mais trop momentané pour qu’il puisse être remarqué par quelqu’un d’autre que Raiponce qui était plus proche de lui que la foule.

-Ce vol ne restera pas impuni, assura Hans, soyez-en certains ; Heinrich sera destitué de sa position et dépossédé de son arme et de son uniforme. Mais la justice sait se montrer miséricordieuse, et retenir ses coups. Nul autre châtiment ne sera infligé, car nous sommes des Hommes et nous ne laisserons pas une grande menace nous faire oublier toute pitié. Nous nous élèverons au-dessus d’une vengeance mesquine. A présent que ce jeune homme est connu comme un voleur, la population d’Arendelle saura se méfier de lui, et le château lui sera fermé. Il n’est nul besoin d’en faire davantage.

Il y eut une infime hésitation de la part de la foule, à qui l’on n’avait pas donné satisfaction à sa soif de sang, puis un tonnerre d’applaudissements salua le discours du prince. Son art oratoire était parvenu à retourner une foule déchaînée et à la rallier à son avis. C’était tout bonnement du grand art. Raiponce reporta son attention sur Heinrich : le jeune homme était à présent dévasté par le couperet qui venait de tomber et qui le renvoyait à la rue. Il s’avança vers Hans, levant sur lui un regard éploré.

-Votre Altesse, je vous en prie, le supplia-t-il, vous devez me croire, je n’ai rien à voir là-dedans…

Hans leva une main ferme en guise de refus, mais une trace de compassion était décelable dans ses yeux.

-Non, Heinrich. C’était une erreur de vous choisir. Je comprends votre acte, mais il reste un crime et incompatible avec vos fonctions.

Heinrich s’immobilisa, atterré. On voyait tout un monde s’écrouler à travers ses yeux.

-Récupérez son épée et son manteau de milicien, ordonna Hans aux gardes derrière lui.

Les trois hommes dépassèrent le prince et se positionnèrent autour d’Heinrich, qui n’eut pas le temps de protester que deux gardes se saisissaient déjà de lui en retenant ses bras tandis que le capitaine débouclait sa ceinture et la faisait coulisser pour la récupérer  ainsi que son épée. Le jeune homme désespéré tentait bien de se débattre, mais la prise des hommes qui le tenaient était trop forte pour lui. Il fixa des yeux l’épée qui lui était retirée et que Norway emportait avec lui en retournant auprès de Hans, tandis que les autres gardes déboutonnaient vivement son manteau et le lui ôtaient sans ménagement. Se démenant toujours, Heinrich pris dans son élan tomba en avant quand son manteau lui fut complètement retiré. Vêtu uniquement d’un gilet de cuir au-dessus d’une chemise blanche, le jeune homme se retrouva à terre sous les quolibets et les rires de la foule. L’un des deux hommes qui l’avaient dévêtu lui cracha dessus, et décocha d’un ton méprisant avant de s’éloigner :

-Que cela te serve de leçon, voleur.

Heinrich se releva avec précipitation, humilié, pendant que Hans accompagné de la garde d’Arendelle repartait vers le château sans un mot de plus.

L’affaire étant terminée, la foule se dispersa à son tour. Les volets se refermèrent, les habitants retournèrent dans leur foyer, et il ne resta plus alors qu’Heinrich, Selvig, Weselton et ses gardes, et Eugène et Raiponce. La princesse se mit face au jeune homme qui avait tout perdu et lui posa une main réconfortante sur l’épaule.

-Je suis sincèrement désolée, Heinrich, dit-elle en toute honnêteté. Quand tout sera terminé, tu pourras retourner avec nous à Corona, et nous te trouverons une place. Je te le promets.

Mais Heinrich se dégagea avec un air désabusé, lui tournant le dos. Peinée et pleine de culpabilité, Raiponce referma sa main et la rabaissa.

-Ne te dérange pas pour moi, marmonna-t-il. C’était une mauvaise idée, de toute façon.

Il s’éloigna vers l’entrée de la rue sans saluer personne, marchant silencieusement dans un dédale de pensées, d’amertume et de rêves brisés. Le cœur lourd, Raiponce revint vers les autres.

-Ça a été un moment terrible, regretta Eugène dans un murmure. Mais c’est terminé, maintenant.

-Enfin ! se réjouit Weselton. Cette histoire trouvera peut-être un dénouement favorable, et je vais pouvoir me réchauffer au château.

-Pas si vite, intervint Selvig en levant l’index. Vous oubliez mon paiement.

-Eh bien allons chez vous pour conclure l’affaire, répliqua Raiponce avec agacement.

La princesse ressentait un profond dégoût pour l’homme, envers qui elle éprouvait un ressentiment paradoxal pour le sort d’Heinrich, peut-être afin d’éviter de concentrer sa colère sur elle-même.

-Très bien, accepta Selvig, mais vous serez tous présents. Je ne veux pas d’entourloupe, alors pas un de vous ne partira tant que je n’aurais pas été payé.

-Faisons vite alors, fit Eugène. Plus tôt nous serons rentrés au château, mieux ce sera.

Tous se dirigèrent alors vers la demeure de Selvig, qui ouvrit la porte d’entrée et les mena à l’intérieur. Le corridor d’entrée était doucement éclairé par un chandelier accroché au mur droit, révélant un parquet poussiéreux et des murs usés. Un escabeau était posé à côté du mur, permettant de prendre de la hauteur pour regarder par la fenêtre au-dessus de la porte. Selvig les conduisit jusqu’à son salon quelques mètres plus loin, dans la partie gauche de la maison. Des étagères remplies de bibelots étaient posées au fond de la pièce, à droite d’un escalier de bois descendant et disparaissant sous le plancher de la demeure. Au centre de la pièce, une table basse était entourée de deux canapés et d’un fauteuil en cuir tout déchiré et pâli par l’usure. Selvig leur fit signe de s’installer, ce qu’ils firent. Weselton s’assit sur le canapé placé face au fauteuil dans lequel s’asseyait Selvig, et ses deux gardes l’imitèrent à ses côtés –ce qui le rendit d’apparence encore plus frêle par contraste-. Eugène et Raiponce s’installèrent face au mur opposé, sur le canapé entre Weselton et Selvig.

-Bien, commença ce dernier. A présent, parlons affaires.

-Vous avez fait votre part, convint Raiponce. Voici l’autre moitié du paiement qui vous revient de droit.

Un des gardes de Weselton, ouvrant son manteau rouge, en sortit un petit sac à l’extrémité nouée par un petit cordon, qui était rempli de pièces sonnantes et trébuchantes. Il le lança à Selvig, qui l’attrapa au vol et le soupesa avant de le poser sur la table basse avec un hochement de tête satisfait.

-Profitez-en bien, lâcha Weselton d’une voix amère. Je ne m’en sépare qu’à regret. A présent, pouvons-nous quitter cet endroit sordide, Votre Altesse ?

Raiponce secoua la tête en guise de dénégation.

-Vous ne pouvez pas partir encore, monsieur le Duc. Je voudrais d’abord récupérer ma bague, exigea-t-elle en fixant Selvig des yeux.

Ce dernier sortit de sa poche le bijou, mais au lieu de le donner à sa propriétaire, l’observa un moment en le caressant doucement, un air cupide dessiné sur sa figure rustre.

-Vot’ bague, hein ? Hmmm.

La princesse fronça les sourcils. Elle n’aimait pas du tout la tournure que prenaient les choses et craignait une manigance de Selvig.

-Rendez-la moi, ordonna-t-elle. Immédiatement. Cette bague ne vous appartient pas, et vous avez déjà été payé plus que nécessaire.

Selvig la défia du regard une seconde, et Raiponce y vit avec horreur l’ombre de la trahison. L’homme referma son poing sur le bijou, et le glissa dans sa poche.

-M’est avis que je vais plutôt la garder, affirma-t-il. Comme compensation pour les risques, tout ça.

-Fais ce qu’elle te dit, menaça Eugène, si tu veux pas y laisser des plumes.

-Parce que voyez-vous, continua Selvig en ignorant Eugène, c’est que mentir au prince aurait pu me coûter cher, très cher. Alors je pense avoir bien mérité de garder cette petite bague. Et si vous insistez pour la récupérer, eh bien, cela pourrait vous coûter cher à vous aussi si jamais Hans apprenait ce que vous avez fait. Je ne donnerais pas cher de votre peau si cela se produisait.

Weselton eut un sursaut épouvanté et échangea un regard indécis avec ses hommes. Il porta la main à son cou et déglutit avec difficulté.

-Si vous nous dénoncez, vous perdrez votre tête aussi, l’avertit Raiponce.

-Oh, je ne le crois pas, la contredit Selvig. Vous m’avez menacé, après tout, n’est-ce pas ?

-Mais qu’est-ce que vous racontez ? s’étonna Raiponce.

-Vous m’avez menacé, et je n’ai agi que pour sauver ma peau, poursuivit Selvig. Le prince comprendra, oui, il comprendra. Il me remerciera même, peut-être, si jamais je trouve le courage de risquer ma vie et de lui révéler votre véritable nature. Qui sait ?
Le visage rouge et suant à grosses gouttes, le duc se releva brusquement, suivi de ses gardes, en s’épongeant le front d’un mouchoir de soie.

-Je n’ai pas l’intention de me laisser intimider par un misérable brigand, affirma-t-il avec dignité. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai à faire. Arrangez-vous avec son Altesse pour cette histoire de bague.

Le duc fit mine de d’éclipser, lui et ses gardes esquissant un mouvement rapide vers la sortie, mais Selvig émit une interjection avec sa bouche, le stoppant net dans son geste alors qu’il était encore au centre de la pièce, derrière la table basse.

-Je ne ferais pas ça, à votre place, dit-il avec un sourire narquois. Retourner au château ne vous servira à rien quand le Prince Hans aura décidé de vous jeter dans un cachot.

Après un court moment où il sembla hésiter et amorcer tout de même une retraite tactique, il demeura immobile, le visage marqué d’un air appréhensif. Ses gardes avaient porté la main à leurs épées. Raiponce ressentit une sueur froide la parcourir, tandis que son souffle devenait plus court et que les battements de son cœur s’accéléraient dans un début de panique indécise. La situation risquait de dégénérer.

-Pourquoi le Prince Hans vous croirait-il, vous plutôt que nous tous ? argumenta la princesse.

-Parce que si Heinrich était réellement coupable, je n’aurais aucune raison de mentir, répondit Selvig. Mais le prince n’est pas un idiot, et il comprendra tout de suite la vérité, et votre intérêt à ce qu’Heinrich soit discrédité : c’est le meilleur moyen de l’empêcher de mettre sa milice en place. C’est moi qu’il croira, vous pouvez en être sûrs.

Dépitée d’avoir été doublée par Selvig, Raiponce en fut suffisamment ébranlée pour ne pas savoir quoi répondre.

-Mais vous inquiétez pas, continua Selvig en souriant. Hans ne saura rien, à la condition que la bague soit à moi.

Aussi démunie fut-elle, Raiponce était sûre d’une chose au moins : jamais elle ne laisserait sa bague de fiançailles entre les griffes de cet escroc.

-Aucune chance. Elle n’a pas de prix pour moi, répondit-elle en plongeant ses yeux brillants d’amour dans ceux de son tendre Eugène qui lui souriait tendrement. Vous ne la garderez pas.

-Votre Altesse, s’exaspéra Weselton, laissez-lui donc ce caillou, ou nous ne nous en sortirons jamais.

-Ecoutez-donc le vieil homme, fit Selvig en se levant de son fauteuil d’un air vaguement menaçant. Ça vaut mieux.

Eugène se redressa en réponse, mâchoires serrées, mais Selvig ne se départait pas de son air goguenard. Il se rapprocha de lui avec lenteur. Les deux hommes, d’une stature à peu près similaire, étaient à présent séparés d’une petite trentaine de centimètres seulement.

-Je crois que t’as pas bien compris, asséna le prince. Tu vas rendre la bague, prendre ta récompense, et fermer ta gueule.

-La bague est à moi, assura Selvig. Si vous me la reprenez de force, je raconterai tout à la garde. Il n’y a aucun moyen de m’en-

L’homme fut violemment interrompu par quelque chose que personne n’avait prévu : Eugène avait serré le poing droit et lui avait décoché un puissant crochet dans la pommette, le projetant au pied de son fauteuil avec un cri plaintif de douleur et de surprise. Devant les yeux surpris de Raiponce et des autres, Eugène maintint Selvig au sol en le plaquant d’une main au niveau de la poitrine tandis qu’il fouillait de l’autre la poche de son pantalon qui contenait la bague. La reprenant, il se releva en laissant Selvig au sol. L’homme étendu sur le dos émettait un râle douloureux, l’œil injecté de sang et la partie du visage qui avait été touchée devenue rouge. A cette vision, des sentiments opposés se mélangeaient et s’affrontaient chez la princesse : une désapprobation innée de la violence, mais aussi une sensation inédite de satisfaction sauvage, ce qui l’inquiéta particulièrement. Elle n’aimait pas le changement qu’elle percevait en elle, et s’exclama malgré celui-ci en bondissant sur ses pieds :

-Eugène !

-Il l’a bien cherché. Et puis, il fallait bien que je récupère ta bague, non ? rit Eugène avec un clin d’œil. En tant que ton noble et courageux chevalier servant, j’avais pour devoir d’agir.

La princesse consentit à égarer un sourire devant l’adorabilité de son époux, qui parfois derrière l’Eugène Fitzherbert faisait ressurgir le Flynn Rider un tantinet narcissique d’autrefois. Elle en oublia même la gravité des événements présents, répondant tendrement :

-Tu es toujours aussi romantique, à ce que je vois. (Weselton roula des yeux avec un soupir méprisant) Mais quand même, je crois que tu lui as fracturé la pommette.

-Vous nous avez surtout mis en grand danger, s’emporta le duc. Comment parviendrez-vous à convaincre ce misérable de garder le silence, à présent ? Je n’aurais pas d’autre choix que de…

-Mais non, l’apaisa Eugène d’un ton confiant. Je suis sûr qu’il se remettra très vite et qu’il se satisfera de son paiement. N’est-ce pas, Selvig ?

Il avait terminé sa phrase en regardant le parquet, où il pensait voir l’homme étalé et pleurnichant ; mais Selvig, qui avait visiblement repris ses esprits, s’était relevé, une expression de rage intense déformant ses traits. L’air détendu et joyeux d’Eugène disparut immédiatement, et le jeune homme se montra d’un seul coup bien moins présomptueux. Il fut sur le point de dire quelque chose, mais Selvig ne lui en laissa pas le temps, se jetant sur lui avec un hurlement bestial. Sous l’impact, Eugène tomba avec Selvig sur la table basse, la brisant en deux. La bague avait été lâchée par le jeune homme pris par surprise et était tombée au sol dans un léger tintement, qui fut presque complètement masqué par le fracas énorme de la table brisée. Agenouillé au-dessus d’Eugène, Selvig par sa masse l’empêchait de se relever. Il leva le poing au-dessus de la tête de son ennemi, qui plaça instinctivement ses mains devant son visage en s’écriant :

-Pas le nez ! Pas le nez !

Heureusement pour lui, Raiponce n’était pas restée les bras ballants devant la situation précaire de son amour, et s’était précipitée sur Selvig, l’agrippant par le cou et tentant de le renverser en arrière. La tentative de la jeune femme avait été instinctive et induite par la peur qu’il soit fait du mal à son époux, ce qui l’avait amenée à oublier momentanément son entraînement au combat. Raiponce était agile et rapide, mais dans le cadre d’une pareille confrontation, ces talents étaient inutiles. L’homme se saisit de ses mains, et, se retournant à demi, la poussa fortement en arrière, faisant chuter la princesse avec douleur. La manœuvre avait échoué, mais avait eu le mérite de distraire Selvig : Eugène profita que ce dernier ait décontracté ses muscles des jambes pour le projeter en arrière de ses deux mains, se libérant et se relevant le plus vite possible. Raiponce se remettant sur pied dans le même temps, vit son époux donner un coup de pied féroce à Selvig qui s’appuyait sur ses mains pour se relever lui aussi et repartir au combat, ce qui le renvoya au tapis.

-Pas bouger, ordonna Eugène. Et surtout, bouche cousue.

Le misérable passé à tabac ne daigna pas assentir ou donner une quelconque réponse, se contentant de gémir faiblement. Convaincu d’en avoir fini, Eugène se pencha pour récupérer la bague, tandis que Weselton l’observait avec lassitude et que Raiponce regrettait que les choses se soient passées ainsi. Ça aurait pu être pire, songea-t-elle néanmoins, et au moins tout est fini. Cet instant de faiblesse, cette naïveté passagère venant de sa jeunesse, la trompait malheureusement. La voix rauque de Selvig leur parvint du plancher, les surprenant tous et faisant se redresser brusquement Eugène avant qu’il n’ait pu récupérer la bague.

-Vous vous en tirerez pas comme ça, salopards, cracha-t-il en relevant la tête vers Raiponce et Weselton. Profitez bien de votre bague de merde, parce que dans quelques heures tout le royaume sera au courant de vos petites manigances. Vous ne quitterez jamais Arendelle en vie.

Il est complètement fou, se dit Raiponce. L’homme, un roturier dénué de toute ressource, qui plus est blessé, menaçait ouvertement la princesse héritière de Corona et le Duc de Weselton, en présence de deux hommes armés. Traiter avec la noblesse et posséder ne serait-ce que quelques heures un objet de grande valeur lui avaient fait perdre le sens des réalités. La rage qui l’habitait et les coups qu’il avait reçus n’y étaient sans doute pas étrangers non plus. Il avait perdu l’esprit ; rien ne pourrait le raisonner, la logique n’aurait plus d’emprise sur lui, ni menace d’aucune sorte. Alors que Raiponce se rendait compte avec horreur du seul moyen qu’il lui restait pour assurer sa protection et celle d’Eugène, Weselton sembla arriver aux mêmes conclusions qu’elle. D’abord figé par l’angoisse, il avait durci ses traits et fait un bref signe de tête à ses deux gardes, symbole d’un ordre muet que la princesse savait funeste. Les gardes s’avançant vers Selvig, Eugène les observa sans comprendre, puis ses yeux s’agrandirent de stupeur lorsqu’il vit le garde moustachu poser sa main sur la garde de son épée.

-Vous ne pouvez pas faire ça ! s’exclama-t-il. Il est à terre, et il n’a aucun moyen de se défendre.

-C’est votre œuvre, l’accusa Weselton. Si vous n’aviez pas voulu récupérer le bijou et aviez évité de frapper cet imbécile, nous aurions pu éviter ça.

-Il y a surement une autre solution, plaida Eugène. Raiponce, dis quelque chose…

Mais la jeune femme baissa les yeux, incapable d’affronter le regard de son époux. Et elle resta silencieuse, enfermée dans un silence mortel, tel celui qui se saisirait bientôt de Selvig à tout jamais. Weselton, prenant à juste titre son absence d’objection pour un accord coupable, opina derechef en direction de ses hommes qui s’étaient arrêtés en attendant un ordre définitif. Le deuxième garde marcha jusqu’à Selvig, s’arrêtant au-dessus de lui, et se baissant pour le soulever violemment par le collet. Son comparse sortit sa lame de son fourreau, et c’est en voyant l’arme dégainée que Selvig sembla finalement comprendre le sort qui l’attendait. L’assurance, l’orgueil et la rage quittèrent son visage, et une terreur sans nom prit possession de lui.

-Pitié ! cria-t-il en sanglotant.  Attendez ! Je ne dirai rien, je vous le jure !

-Trop tard, asséna le duc sans états d’âmes. Messieurs, faites votre devoir.

-Non ! protesta Eugène en faisant mine de retenir le garde qui avait dégainé.

Raiponce, cependant, lui effleura le bras, le regardant finalement dans les yeux.

-S’il te plaît, Eugène, murmura-t-elle. Il y a trop en jeu.

Le jeune homme la dévisagea, choqué que Raiponce puisse accepter l’idée d’un meurtre ; et son émoi donna le temps au garde moustachu d’effectuer sa mission. Il se rapprocha vivement de Selvig qui était toujours plaqué au mur par l’autre homme, et le bloqua davantage d’une main alors qu’il se débattait férocement en geignant plaintivement. Puis, d’un geste assuré et méthodique, il lui transperça le flanc de part en part dans un bruit terrible de chair déchiquetée. Les cris de sa victime s’amplifièrent pendant un court instant, puis moururent dans sa gorge, sous les yeux impuissants d’Eugène, et le visage résigné de la princesse. L’intensité du regard de Selvig vacilla et diminua légèrement, puis bascula complètement dans l’obscurité. Le garde ressortit son épée, et son collègue relâcha sa prise. Selvig s’effondra au sol, du sang s’écoulant des deux côtés de sa blessure béante. Son visage n’exprimait plus qu’une peur figée dans l’éternité : il n’était plus de ce monde.

___

Désolé pour le retard (et pour ce cliffhanger aussi Smile )


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 31 Jan 2018 - 19:24

Chapitre 9 : Demi-teinte

Eugène et Raiponce fixèrent le corps sans vie de Selvig pendant une poignée de secondes, le premier incrédule et sous le choc, et la seconde encore dévastée par ses propres actions : Raiponce venait juste de laisser un homme pleurant et suppliant être assassiné sans rien dire. Qu’il ait été un voleur et un scélérat n’y changeait rien ; la princesse était complice d’un meurtre perpétré en conséquence d’un plan qu’elle avait mis en place.

-Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? s’écria Eugène. Il a juré de ne rien dire !

-On ne peut pas croire un homme que l’on menace de mort, répliqua Weselton en remontant ses lunettes sur son nez. La peur l’aurait tenu en laisse un jour, peut être deux, mais sa nature mauvaise serait bien vite revenue, et il aurait filé nous dénoncer à la garde.

-Il n’y avait aucun moyen d’en être certain, objecta Eugène.

-Je croyais que vous connaissiez les hommes, Fitzherbert, fit Weselton d’un air sardonique. A votre avis, quelles étaient les chances pour que celui-ci tienne sa langue, hmmm ?

Le prince garda un silence éloquent, secouant la tête avec dépit. Il s’abaissa pour récupérer la bague, qui trempait à présent dans une mare de sang, et la tendit à Raiponce après l’avoir essuyé avec un mouchoir de poche. La jeune femme récupéra son bijou, croisant son regard chagriné avec celui d’Eugène, et observa l’objet avec peine.

-C’est une étrange fatalité que nous devions éprouver tant de peur et de doute pour une si petite chose, lâcha Weselton.

-Une si petite chose… reprit Raiponce dans un murmure.

Cette bague était bien plus que cela pour elle ; elle avait depuis des années été le symbole de l’amour mutuel et inébranlable que partageaient Eugène et Raiponce. Cette dernière l’avait vue pour la première fois le soir de son couronnement, six mois après qu’elle fut revenue auprès de ses parents après dix-huit ans d’enfermement. Le jeune homme lui avait fait sa demande sous les yeux de dizaines d’invités et ceux du père de Raiponce et roi, qui n’avait que passablement apprécié la chose. N’étant pas prête à prendre un engagement qu’elle pensait être synonyme d’une nouvelle prison, elle s’était enfuie en courant ; mais l’amour avait fini par triompher, et Raiponce avait par la suite accepté d’épouser Eugène. La princesse conservait depuis précieusement cette bague, et ne s’en était servie pour son plan qu’après de grandes hésitations et par l’absence d’un autre objet de substitut. Et à présent qu’elle l’avait récupérée, elle se jura de ne plus jamais s’en séparer et certainement pas pour la confier à un quelconque autre brigand. Raiponce la rangea dans sa poche, auprès d’elle, à sa juste place, puis porta son attention sur le duc.

-Nous n’avions en effet pas le choix, soupira-t-elle, et je suis navrée que nous ayons du en arriver là. Mais ce qui est fait est fait. Il faut maintenant nous assurer que ce meurtre reste secret. Je vous prierai de nettoyer toutes les traces, monsieur le duc.

Vous chercherez ensuite la clé de la maison et la placerez sous le paillasson devant l’entrée, au cas où. Eugène et moi rentrons au château.

-Je ne suis pas votre boniche, protesta Weselton avec indignation.

-Ce n’est pas mon problème, répliqua Raiponce. Quand vous aurez terminé, rejoignez-nous au château. Nous pouvons être sûrs que le Prince Hans nous convoquera pour aborder les événements de la journée, et nous pourrons alors mettre fin à son projet de milice une fois pour toutes, en nous y opposant directement. Tenez votre parole, et vos agissements demeureront secrets.

-Très bien, concéda Weselton. Mais je vous préviens : une fois que mon rôle sera terminé, vous n’aurez plus d’ordres à me donner. J’en sais à présent assez pour vous faire perdre votre tête si jamais vous décidez de me trahir.

-Cela n’arrivera pas, assura Raiponce. A présent, au travail, et faites vite, avant que le sang ne sèche.

Elle prit la main de son époux, l’arrachant à son mutisme et à sa contemplation morbide du cadavre de Selvig. Il la regarda, l’air un peu hagard.

-Viens, Eugène, l’invita-t-elle doucement. Nous rentrons.

-Comme tu veux, répondit-il. Nous n’avons plus rien à faire ici, de toute façon.

Les deux passèrent dans le corridor et, après qu’Eugène se soit hissé sur l’escabeau pour observer par la fenêtre s’il y avait quelqu’un pour les repérer, quittèrent la demeure de Selvig. La journée tournait lentement et approchait de seize heures. Le temps était couvert, mais les fins nuages et la légère brume qui enveloppait le village ne faisaient pas obstacle aux rayons de soleil venant égayer cette sombre après-midi. La température était supportable, mais les incertitudes sur la durée de l’hiver et ses éventuelles aggravations la rendaient bien plus menaçante qu’un simple froid naturel de décembre.

Eugène et Raiponce parcoururent le chemin jusqu’au château dans un silence pesant, la mort de Selvig encore très présente dans leur esprit. Son spectre semblait comme flotter entre eux, barrière immatérielle à toute discussion chaleureuse. Bien-sûr, les mécanismes de défense de Raiponce ne restaient pas inactifs : sitôt le choc du meurtre passé, la jeune femme s’était instinctivement barricadée derrière une muraille de déni et d’accusation inversée. Selvig avait orchestré son propre trépas ; et c’était Weselton qui avait ordonné son assassinat, pas elle. Elle ignorait sciemment le fait qu’elle avait laissé faire sans protester, et pire, empêché Eugène d’intervenir. Même quand cette réalité lui revenait en mémoire malgré ses efforts pour l’oublier, elle la balayait d’une pensée sèche : c’était lui ou eux, il fallait bien se protéger et protéger Eugène. La princesse oscillait donc entre culpabilité refoulée et hostilité confuse, hésitant entre le refus de l’aveu de sa complicité jusque dans sa propre psyché et le hurlement de défi empli d’orgueil. Un but revenait cependant sans cesse et se détachait de ses aberrations mentales : protéger Arendelle et Anna du Prince Hans. Cet objectif auquel Raiponce se raccrochait lui permettait de justifier les pires crimes, et ce fut ce à quoi elle revint pour expliquer ses actions immorales de la journée. Il y avait là une tentative à demi inconsciente de sa part d’enterrer sa responsabilité dans la mort des souverains d’Arendelle ainsi que dans toute la crise qui avait lieu, en sauvant elle-même le royaume par tous les moyens possibles. Que personne d’autre qu’une reine psychologiquement fragile ne lui en veuille ne comptait pas pour elle, car plus que d’Anna et d’Elsa c’était d’elle-même qu’elle cherchait le pardon. La douleur qui était la sienne l’aveuglait et la poussait à accomplir des choses dont elle ne se serait jamais crue capable, et ironiquement lui faisait commettre des crimes dont elle était bien plus responsable que de ceux dont elle s’était elle-même accusée. C’était l’un des effets pervers de cette volonté de rédemption, qui était également et paradoxalement accompagnée d’une obstination dans le refus d’admettre ses erreurs ; ses errances la fragilisaient donc davantage encore et finissaient d’une manière tordue à la persuader qu’elle agissait de manière parfaitement normale. Ses capacités de jugement et son sens des réalités s’en trouvaient altérés, et il lui venait en tête des réponses de plus en plus disproportionnées à la menace soulevée par Hans, l’idée d’un assassinat revenant plus d’une fois dans son esprit. Mais la nature première de Raiponce persistant dans quelque recoin de son cœur repoussait cette possibilité sitôt qu’elle revenait à la charge, car la princesse était une jeune femme d’ordinaire douce et remarquable par sa bonté. Elle n’était pas encore arrivée à son point de rupture, non, pas encore.

Raiponce et son époux parvinrent aux portes de la cour, que des gardes leur ouvrirent avec empressement. On leur révéla qu’ils étaient attendus dans la salle du conseil, au deuxième étage. Cela était prévisible : Hans ne pouvait pas attendre le dîner après la déchéance d’Heinrich. Sa position était fragilisée, et il devait réagir rapidement pour ne pas perdre sa crédibilité ; l’occasion était parfaite pour porter un coup fatal à la milice. Raiponce s’en réjouit donc, et n’attendit pas pour traverser la cour et retourner à l’intérieur du château, passant rapidement à travers couloirs et étages pour arriver quelques minutes plus tard dans la salle du conseil. C’était une longue pièce, éclairée par des lustres métalliques accrochés au plafond et quelques chandeliers accrochés au mur. Sur la droite, des portes fenêtres closes laissaient apparaître un extérieur qui s’assombrissait progressivement, du fait d’un soir bien trop hâtif pour l’époque. Quelques tableaux ornaient le mur de gauche, et une grande table d’un noble bois était située au cœur de la pièce sur un tapis d’un rouge élégant et au cadre bleu. Des fauteuils confortables étaient disposés tout autour de la table, sur lesquels étaient déjà assis Hans, Magnus et tous les dignitaires, hormis Weselton. Le prince, qui présidait l’assemblée comme à son habitude, était assis dos à la porte d’entrée, et se tourna légèrement, comme les autres hommes, pour savoir qui entrait dans la salle du conseil. Voyant qu’il s’agissait de la princesse de Corona et de son époux, il se leva avec respect et gravité, suivi des autres hommes. Hans avait une mine attristée, ce que Raiponce pouvait concevoir : son beau projet si ambitieux était en péril et avait désormais de fortes chances de tomber à l’eau.

-Princesse Raiponce, Prince Eugène, les salua Hans. Je vous remercie de nous avoir rejoints. Le Duc de Weselton n’est pas avec vous ?

-Nous nous sommes séparés il y a quelques heures, mentit Raiponce, et nous ne l’avons pas revu depuis.
Elle et Eugène s’installèrent l’un en face de l’autre, à côté de Hans.

-J’espère qu’il ne tardera pas, souhaita ce dernier. Il y a des choses importantes dont je voudrais parler.

La princesse craignit que le duc n’eut été repéré tandis qu’il se débarrassait du corps, et qu’on puisse remonter jusqu’à elle ou Eugène ; elle espérait que la « disparition » de Selvig ne soit pas remarquée avant qu’elle n’ait pu quitter le royaume, et qu’aucun soupçon ne se lève sur toute cette affaire. A son soulagement, Weselton ne tarda pas à arriver à son tour, seul cette fois, s’asseyant à gauche d’Eugène en évitant le regard de la jeune femme, comme s’il désirait éviter d’avoir affaire à elle le plus possible à présent que sa participation à son complot était achevée.

-Bien, fit Hans. Je présume que vous savez tous ce qui vous amène ici. Il s’est produit cet après-midi un regrettable incident concernant Heinrich, le jeune homme à qui j’avais confié la charge de la direction de la milice que je projetais de mettre en place.

-C’était plus qu’un regrettable incident, souleva Weselton. Ce vaurien a volé un des citoyens qu’il avait la mission d’aider.

-Le Prince Hans a certainement répondu à ce crime de manière exemplaire, affirma le dignitaire espagnol.

-J’ai immédiatement renvoyé Heinrich et confisqué son arme et son uniforme, confirma Hans.

-Une sage décision, apprécia le Français. Un tel comportement ne pourrait être toléré, surtout dans des moments pareils.

-Tout à fait, le soutint l’ambassadeur allemand. Le Prince Hans a agi avec responsabilité. Nous ne pouvons pas lui en vouloir pour le comportement inacceptable d’Heinrich. Il est certain que Son Altesse trouvera rapidement un homme mieux taillé pour cette tâche.

Raiponce s’agaça de voir les dignitaires montrer tant d’obséquiosité et de confiance aveugle envers un homme qu’ils ne connaissaient pratiquement pas et qui avait de si sombres desseins. Elle n’avait pas d’autre alternative que de s’opposer directement au prince, à présent, quitte à dévoiler ses cartes ; dans le cas contraire, Hans parviendrait peut-être à renverser la balance et à placer quelqu’un d’autre comme chef de la milice, et Heinrich aurait été discrédité en vain. Raiponce ouvrit la bouche, mais alors qu’elle s’apprêtait à se jeter à l’eau, Magnus se pencha davantage au-dessus de la table et fit preuve d’une audace inattendue.

-Je ne suis pas certain que persister dans cette initiative soit judicieux, argumenta-t-il. Certes, il n’y a eu aujourd’hui aucun dommage irréparable ; mais qui sait quels dégâts pourraient être causés si d’aventure un nouvel incident se produisait ? Une milice ne se lève pas du jour au lendemain, et ce genre de décision nécessite une réflexion longuement mûrie, et avant tout acceptée par le souverain légitime du royaume dont il est question. Nous n’aurions donc pas le temps de choisir les citoyens les plus qualifiés pour cette mission, car la crise pourrait même être terminée d’ici à ce que nous soyons sûrs de leur probité. Ce n’est qu’une question d’heures avant que la Princesse Anna ne revienne avec la Reine Elsa, et je pense que le Prince Hans devrait en attendant leur retour ne plus se préoccuper que de la sauvegarde à court terme du royaume plutôt que de projets de grande envergure. Pour terminer, je dirai simplement que nous avions convenu que la journée d’aujourd’hui devait servir de mise à l’épreuve pour la nouvelle milice ; et qu’elle s’est malheureusement conclue par un échec cuisant.

D’après leurs mines déconfites et incertaines des ambassadeurs, ces derniers avaient été sensibles aux arguments de Magnus. Ils se regardèrent sans rien dire, ébranlés, puis se tournèrent vers Hans, en quête d’une réponse sage et conciliante. Raiponce remercia intérieurement de tout son cœur le Premier Ministre, son courage et son éloquence qui lui évitaient d’avoir à trop prendre position, sentant la victoire à présent à portée de main. Elle retint un sourire triomphant et soulagé, attendant elle aussi la réaction de Hans. Ce dernier fixa le Premier Ministre avec solennité et sérieux, puis répondit d’une voix douce :

-Je vous remercie pour votre franchise, monsieur le Premier Ministre, et je vous comprends. Mais je crains que la situation ne soit pas si simple. La population a peur, et est rongée par le doute. Les ressources pourraient bientôt manquer, et la garde n’est pas assez nombreuse pour gérer une telle situation. Que feront les citoyens d’Arendelle s’ils se retrouvent sans nourriture, sans bois pour se chauffer ? Sans une milice pour être à leur contact, nous n’avons aucun moyen de déterminer lesquels des citoyens ont le plus besoin de notre aide, et nous ne pourrons nous fier qu’à leur propre témoignage. Les plus démunis pourraient même recourir à la violence pour essayer de survivre, et les citoyens finiront par s’entretuer pour une miche de pain. Le risque est trop grand pour que nous laissions un seul incident fâcheux nous arrêter.

Voyant les dignitaires allemand et espagnol hocher la tête avec approbation, Raiponce fut gagnée par une nouvelle inquiétude et partagea un regard anxieux avec Eugène. Si elle ne parlait pas maintenant, c’en était fini.

-Prince Hans, intervint-elle, est-ce vraiment la solution ? Vous l’avez dit, la population est à cran, et a besoin d’un soutien inébranlable. Je ne pense pas qu’elle puisse le trouver chez une milice indigne de confiance dont les membres se seront engagés par intérêt personnel plus que par dévouement. Tout à l’heure, vous avez vu aussi bien que moi à quel point le vol commis par Heinrich a enragé la foule. Elle était prête à le lyncher, et aurait très bien pu rediriger sa haine sur nous à tout moment. Comme le Premier Ministre l’a soulevé, un nouvel incident est possible, et la réaction de la population pourrait bien ne pas être contrôlée cette fois. Elle en viendrait à haïr cette milice, et ceux étant à son origine. Arendelle pourrait être à feu et à sang sous deux jours. En tant que Princesse de Corona et parente de la famille royale de ce pays, ce n’est pas quelque chose que je peux cautionner, même si je regrette sincèrement de ne pouvoir soutenir ce projet qui, en d’autres circonstances et avec plus de temps, serait certainement très bénéfique pour le royaume. Malheureusement, nous devons faire avec le jeu que le destin nous a attribué, et mettre en place une milice serait un coup bien trop hasardeux à tenter. Votre Altesse, la décision vous revient, puisque ma cousine Anna vous a nommé régent ; mais prenez garde, car cette fonction vous attribue toute la responsabilité sur l’état du royaume dans lequel la Reine le trouvera à son retour. Corona ne participera pas à cette initiative, et au moins mon royaume ne sera pas entaché par cette folie.

L’homme fut estomaqué du coup que la princesse lui avait asséné sans aucun signe avant-coureur. Comme beaucoup d’autres avant lui, il avait été berné par l’apparence fragile et innocente de Raiponce ; et comme beaucoup d’autres avant lui, il venait de découvrir à ses frais que la jeune femme était bien plus redoutable qu’il n’y paraissait. Il avait proposé un projet ambitieux, qu’il pensait indiscutable et mis en place d’avance, sans s’attendre à aucune opposition qu’il n’aurait su défaire aisément. Il avait paré les premiers assauts qu’il avait reçus de Weselton et de Magnus, mais avait devant Raiponce laissé sa garde baissée. Bien mal lui en avait pris : c’était de cette dernière que la plus grande menace était survenue, et c’était elle d’entre les deux qui était le plus gros poisson de l’aquarium politique. Il aurait pu faire avec une argumentation classique et les protestations habituelles ; mais la rhétorique de la princesse mettant en lumière ses propres incohérences internes et la menace d’un retrait du soutien de Corona le prenaient totalement au dépourvu. Ce fut pour cela que son noble visage trahit pour la première fois une expression de doute ; il était fait, et il le savait. Cette fois, aucun dignitaire n’osa répondre quoi que ce soit, et ils fuyaient le regard du Prince : malgré leur admiration pour Hans, ils devaient admettre que Raiponce avait raison, et que si eux-mêmes continuaient de soutenir son initiative, ce serait leur propre pays qui serait terni dans le cas où une tragédie aurait lieu. Le Prince des Îles du Sud et la Princesse de Corona s’affrontèrent du regard pendant de longues secondes. Personne ne disait le moindre mot. Mais Hans, tout régent qu’il était, ne pouvait s’élancer seul et sans soutien dans une telle aventure. Il ferma les yeux et inspira longuement avant de répondre.

-Je regrette votre décision, Votre Altesse. Et puisque le reste de cette assemblée semble assentir à vos craintes, je renonce à mettre en place cette milice. Nous trouverons un autre moyen de protéger Arendelle, et je ne risquerai pas de troubler la quiétude de ses citoyens.

La princesse jubila intérieurement : la partie d’échecs était terminée, et elle venait de la remporter. C’était une partie qu’elle avait jouée dans le plus grand secret, et contre un adversaire qui ignorait qu’il y participait ; et un coup après l’autre, il s’était précipité sans le savoir dans ses filets d’où il n’avait pu sortir, ne se rendant compte que trop tard qu’il n’était peut-être pas aussi intelligent qu’il le croyait. Mais son recul ne lui causa pas tant de préjudice qu’on aurait pu le croire : devant cette annonce, les ambassadeurs se décontractèrent sensiblement, et réagirent avec enthousiasme.

-Votre choix est extrêmement courageux, Prince Hans, affirma le dignitaire espagnol avec un très grand respect. Penser en premier lieu à la sauvegarde d’Arendelle avant vos propres ambitions est quelque chose d’admirable.

-Admirable en effet, renchérit le Français. La Princesse et la Reine seront sans aucun doute ravies à leur retour de la façon dont vous avez gouverné Arendelle en leur absence.

Ces gens ne savaient-ils dont rien d’autre que multiplier les compliments et exécuter des courbettes à longueur de journée ? C’est navrant, songea Raiponce avec agacement. La confiance des puissances étrangères en Hans n’était pas ébranlée pour le moins du monde : la princesse réalisa qu’elle n’avait remporté qu’une première bataille, et que Hans savait désormais de quoi elle était capable. Il se méfierait inévitablement d’elle à partir de maintenant, et il serait pour Raiponce bien plus difficile de l’affaiblir davantage sans plus de précautions.

-Je ne recherche pas les honneurs, prétendit Hans. Je n’ai comme seul désir que le bien-être des citoyens d’Arendelle, et je gouverne sous les ordres de ma fiancée la Princesse Anna. Je continuerai donc mon travail jusqu’à son retour, et, espérons-le, celui de la Reine. Ce qui s’est produit aujourd’hui ne change rien à ma détermination, je peux vous l’assurer.

La dernière phrase du prince résonnait presque comme une menace aux oreilles de Raiponce. Cette dernière soupesa les paroles de Hans, y décelant un danger encore bien réel. Son influence auprès de lui se trouverait-elle en péril après les événements de la journée ? Ou pire, pourrait-il essayer de s’en prendre à elle pour éliminer une opposante redoutable ou simplement exercer une vengeance amère ? Elle se demanda si elle n’avait pas agi avec trop de hâte en affichant ainsi son opposition, et s’inquiéta de ce que son adversaire pourrait encore faire subir au royaume d’ici le retour de sa cousine. Quels que soient les compétences de Hans pour le gouvernement d’un pays, ses intentions que Raiponce croyait assurément mauvaises feraient de lui un bien piètre dirigeant : l’homme avide de pouvoir et égocentrique n’a cure de savoir si son peuple est heureux ou non. Et c’était le regard d’un homme de ce genre que Raiponce voyait percer derrière le masque du noble prince soucieux du royaume qu’il a à sa charge. Du plus profond de son être, son instinct lui hurlait de ne pas laisser Hans agir à sa guise dans ce royaume plongé au milieu d’un hiver mortel. Anna ne serait jamais en sécurité avec un homme pareil comme époux ; et Elsa pourrait même devenir sa cible si jamais Hans décidait qu’en fin de compte le moyen le plus simple d’obtenir définitivement le pouvoir était d’assassiner la reine. Une neutralisation temporaire était insuffisante : encore le prince pourrait revenir à la charge et faire une nouvelle tentative, et toujours il resterait une menace pour tous. Il n’y avait que deux solutions : montrer au royaume entier, et à Anna, surtout à Anna, sa véritable nature et le bannir à jamais d’Arendelle, ou bien l’éliminer d’une manière bien plus définitive.

Cette dernière pensée s’était frayée un chemin dans l’esprit de Raiponce depuis le début de la journée, sans cesse repoussée, sans cesse revenue la hanter. Elle persista cette fois un peu plus longtemps que d’ordinaire, signe que l’idée de commettre un meurtre ne lui paraissait plus si inimaginable qu’avant. Le changement était d’ampleur chez Raiponce : la princesse, si douce, généreuse et optimiste s’était transformée en l’espace de deux jours en une jeune femme submergée par l’obscurité et prête à tout pour en sortir, même aux actes les plus innommables. Cette évolution si rapide trouvait ses racines dans les trois années qui avaient précédé durant lesquelles Raiponce s’était retrouvée progressivement rongée par une culpabilité absurde et disproportionnée après le naufrage du navire de son oncle et de sa tante. Mais ces remords s’étaient glissés insidieusement dans son être, sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, et étaient demeurés dans un état de torpeur, jusqu’à ce jour où ses parents lui avaient annoncé qu’elle devait se rendre à Arendelle pour le couronnement de la Reine Elsa. Et à présent qu’elle avait été rejetée par sa cousine et qu’elle était indirectement responsable de l’hiver infernal qui était tombé sur le royaume, ses remords lui causaient une douleur plus terrible que jamais. Mais affronter cette responsabilité qu’elle considérait inconsciemment être la sienne était trop dur pour elle, et il lui avait fallu trouver un autre moyen de réparer les choses : comme elle se l’était déjà répétée de nombreuses fois depuis la veille, sauver Arendelle était ce moyen et rien n’aurait pu l’arrêter dans sa volonté d’y parvenir. La culpabilité cependant persistait, et il lui fallait la détourner avant de pouvoir l’effacer totalement, par la colère : Elsa avait d’abord été la cible de son courroux, puis Hans quand elle s’était rendue compte qu’il cherchait à s’accaparer le pouvoir. Le prince était un réceptacle bien plus docile pour sa haine, qui s’y était déversée sans retenue : Raiponce lui attribuait non seulement les pires intentions, mais aussi l’entière responsabilité de tous les maux qui l’affligeaient elle et le royaume d’Arendelle. Dans son délire, la princesse le rendait coupable de la crise d’Elsa, de l’hiver magique qu’elle avait créé, et même de la mort de ses parents. La haine aveugle et permet d’agir en vue d’une seule et unique fin, refusant à toute autre considération le droit même d’exister. Ainsi, l’idée de tuer Hans ne révulsait plus Raiponce ; mais la conscience de la princesse l’empêchait encore de passer à l’acte, et son amour pour Eugène qui n’aurait jamais accepté un crime de ce genre.

Le régent congédia l’assemblée, et les dignitaires s’éclipsèrent après une profonde révérence. Raiponce surprit un regard mauvais de Hans lancé vers Magnus qui seul parmi ces nobles obséquieux avait eu le courage de s’opposer à lui. J’espère qu’il ne lui fera rien de mal. Weselton, l’air soulagé d’en avoir enfin fini avec toute cette histoire, quitta de même les lieux, laissant une Raiponce également heureuse de ne plus avoir à faire affaire avec ce misérable personnage. Ne restaient qu’Eugène, Raiponce et Hans, ce dernier étant demeuré assis sur son fauteuil. La princesse se leva, prête à partir, mais se souvint tandis que son esprit était resté fixé sur le duc que ce dernier pourrait bien retenter de s’emparer des marchandises du royaume maintenant qu’il avait rempli sa part du marché. Elle s’approcha de Hans, qui semblait perdu dans ses réflexions.

-Votre Altesse, fit-elle en le sortant de ses troubles desseins. J’aimerais vous dire un mot.

L’homme leva la tête, une lueur d’agacement présente dans le vert de ses yeux. Il ne semblait pas avoir digéré l’affront que Raiponce lui avait fait subir.

-Qu’y a-t-il, Raiponce ? demanda Hans.

Son ton était cordial, mais la princesse nota que le régent ne lui donnait plus du «Votre Altesse », ni de « Princesse Raiponce ». N’était-ce rien, ou était-ce un signe symptomatique qu’il percevait désormais Raiponce comme une adversaire ? La jeune femme n’aurait su le dire.

-Je voulais vous donner un conseil sur la façon de gérer la situation critique dans laquelle se trouve la population. Le château est rempli de nourriture à profusion et de vêtements chauds ; les habitants d’Arendelle vous seraient très reconnaissants si vous vous avisiez de leur en faire don pour les aider à surmonter l’hiver.

Hans eut l’air de réfléchir avec attention à la proposition de la princesse, guère enthousiasmé de devoir suivre les conseils de celle qui venait de l’humilier publiquement. Mais il devait se rendre à l’évidence qu’il n’avait aucune raison de refuser.

-C’est une très bonne idée, admit-il. J’en parlerai à Magnus pour que nous puissions la mettre en vigueur demain matin. Je vous remercie de m’en avoir fait part, mais je souhaiterais à présent que vous me laissiez seul un moment.

-A votre guise, Votre Altesse, s’inclina Raiponce. A ce soir.

-Salut mon vieux, lança Eugène. Ne coule pas le royaume d’ici là, surtout.

Le prince haussa les sourcils d’un air hautain, perplexe devant tant de familiarité, tandis que Raiponce se dirigeait vers la sortie en soupirant. Elle et son époux quittèrent alors la pièce, se dirigeant sans se presser vers la chambre royale dans l’attente du dîner. Après un moment de silence, Eugène eut un sourire et prit la main de son épouse. Ce contact réchauffa le cœur de la princesse, heureuse d’être accompagnée d’Eugène pendant cette aventure à la saveur de glace.

-Nous avons réussi, en fin de compte, dit Eugène.

-Oui, sourit Raiponce. Encore que la partie ne semble pas tout à fait jouée. Mes cousines ne donnent aucun signe de vie, et Hans pourrait bien avoir d’autres plans.

-Je suis persuadé qu’Anna saura se débrouiller et qu’elle ramènera rapidement la reine. D’ici là, nous mettrons Hans en échec, quoi qu’il tente pour étendre son influence.

-On dirait que tu as retrouvé ton optimisme, se réjouit la princesse. Tu avais l’air si sombre, ces dernières heures.

-Ça a été très difficile pour moi de faire subir ça à Heinrich, soupira Eugène. C’est mon ami, et il ne méritait pas de subir une humiliation pareille. Et il y a eu toute cette histoire avec Selvig et le fait de l’avoir regardé se faire tuer par les sbires de Weselton…
Raiponce pencha quelque peu la tête vers la gauche, ne pouvant qu’assentir aux paroles de son époux. Elle le regarda avec sollicitude, consciente du sacrifice qu’il avait consenti à faire pour la mise en œuvre du plan.

-Je sais, regretta-t-elle. Je suis désolée que tu aies dû prendre sur toi et d’avoir accepté d’être complice d’un meurtre, et d’avoir laissé Heinrich dans cette situation. Mais le plus dur est derrière, pour nous comme pour lui.

-Oui, aucun doute là-dessus. Je ne vois pas comment la situation pourrait empirer, de toute façon…

-Ha ! J’ai le souvenir que tu aies déjà dis ça hier. Ça devait être quelques heures avant que ma cousine ne décide d’abandonner le royaume et de tous nous geler sur place.

-Je dois admettre que mes prédictions ne se sont pas montrées très justes jusqu’ici, admit Eugène avec un petit rire. Mais maintenant, les choses devraient aller en s’améliorant, à part si Hans décidait de partir à la poursuite de la reine et de sa sœur pour les assassiner bien sûr.

Raiponce eut l’amère pensée que le prince pourrait bien tenter pareille chose s’il était certain de pouvoir récupérer la couronne d’Arendelle par ce biais. C’était sans conteste dans sa nature d’homme avide de pouvoir, et il ne se laisserait pas arrêter par une quelconque moralité ou compassion.

-Ne parle pas de malheurs, grimaça la princesse. Je suis sûre qu’il y a déjà pensé.

-C’est probable, admit Eugène. Le contraire serait étrange, venant de lui. Il ne nous a pour l’instant montré que son aspect le plus respectable, mais ses efforts sont d’autant plus grands que doit l’être sa part sombre.

-Je me demande quelle a été sa vie pour qu’il en arrive à être aussi manipulateur, s’interrogea Raiponce. Être le benjamin d’une fratrie de 13 frères n’a pas dû être facile à vivre.

-Sûrement pas, mais il reste un prince, rappela Eugène avec sévérité. N’importe quel enfant des rues aurait tout donné pour être à sa place, même pour une seule journée. Heinrich en premier, je suppose.

Eugène avait raison, évidemment ; mais la plus riche condition n’est souvent pas suffisante pour celui qui la connaît depuis sa naissance et manque cruellement d’amour, le plus grand bien qu’on puisse recevoir et qui seul ne dépend pas de l’argent. Ce manque ne peut jamais être totalement comblé, et c’est ainsi que l’on peut en venir à rechercher frénétiquement un substitut tel que le pouvoir ou le respect des autres. Mais de la même façon qu’il est impossible de se désaltérer en s’abreuvant d’alcool, cette recherche demeurait vaine et vouée à une fin funeste. On obéit sans le savoir à un besoin primaire d’amour, mais on y répond d’une manière tordue et erronée : le prince en désirant le respect des autres et un statut de héros cherchait inconsciemment à obtenir l’amour qu’il n’avait jamais reçu durant sa jeunesse.

Le problème était que, n’ayant jamais été aimé, il n’avait jamais aimé non plus, et ignorait tout de la façon dont il devait s’y prendre pour y parvenir. Il essayait donc par la manipulation et le mensonge de se créer un personnage, afin de s’attirer l’admiration de toute la population ; alors même que de simples actes de bonté sincère auraient suffit. Sa soif de pouvoir quant à elle devait être issue de son statut de 13ème fils ignoré et méprisé des siens, lui ayant nié jusqu’à sa propre existence. En s’opposant à la société qui le condamnait pour sa naissance à n’être qu’une énième pièce de rechange, il prenait sa revanche sur tous ceux qui lui avaient jadis causé du tort. Cherchait-il aussi à obtenir l’admiration d’un père trop souvent absent et accaparé par ses aînés ? Le mystère demeurait encore.  Ces troubles psychologiques auxquels Hans était aveugle le rendaient dangereux, non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres. C’était pourquoi Raiponce ne pouvait attarder sa pitié sur lui : elle n’avait ni le temps, ni la volonté de prendre le risque d’abandonner sa mission de protéger Arendelle du prince pour le ramener à des sentiments plus nobles.


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 31 Jan 2018 - 19:25

Eugène et la princesse retournèrent dans leur chambre, où ils passèrent la fin de l’après-midi, rompus par l’éprouvante journée qu’ils avaient traversée. Raiponce dessina distraitement les paysages gelés du royaume avec le matériel qu’elle avait amené avec elle, laissant tourner les heures en tâchant de détendre son esprit. Mais il lui semblait que ses dessins témoignaient tous de la morosité ambiante, et se trouvaient plus froids et sombres que d’ordinaire. Les pensées de la jeune femme revenaient sans cesse à Anna, et à sa quête dont du succès dépendait leur survie à tous. Raiponce, préoccupée par la sureté de sa cousine, pensa plus d’une fois à partir à sa recherche, mais la présence de Hans l’empêchait toujours d’agir à sa guise et de lui abandonner le royaume tout entier.

Alors que le soir se présentait à eux, Raiponce remarqua qu’Eugène s’agitait de plus en plus, faisant les cent pas dans la chambre.

-Je ne peux pas m’empêcher de penser que Hans prépare quelque chose d’encore plus grave, lâcha finalement le jeune homme. On ne peut pas simplement rester ici et attendre de voir.

-Mais nous ne pouvons pas agir contre lui tant qu’il ne dévoile pas ses projets, regretta Raiponce. Il n’a pour l’instant rien fait de répréhensible, et nous n’avons aucune preuve sur ses motivations.

-Et si nous en avions ? répondit pensivement Eugène. Nous pourrions alors le démasquer aux yeux de tout le royaume.

-Qu’est-ce que tu veux dire par-là ? fit son épouse.

-Il n’est pas encore sept heures du soir, et Hans doit être occupé à gouverner Arendelle. Sa chambre est donc vide. Il pourrait y avoir laissé un indice, quelque chose qui pourrait nous aider !

-Doucement, le tempéra la princesse. Il pourrait revenir à n’importe quel moment, et alors, comment comptes-tu expliquer notre présence ?

-L’un de nous restera à l’extérieur de la chambre pour faire le guet, et avertira l’autre si Hans approche, proposa le jeune homme. Il pourra le distraire le temps que toi ou moi sorte discrètement. J’ai l’habitude de ce genre de manœuvre, et ça marche à tous les coups.

Raiponce soupesa le pour et le contre de cette option risquée, puis convint que l’idée de son époux était assez sensée.

-Bien, accepta-t-elle. Dans ce cas, qui se chargera de fouiller la chambre ?

-J’ai volé pendant des années, alors je pense avoir une meilleure expérience pour dénicher des objets cachés, plaisanta Eugène. Comme ça, tu pourras faire valoir tes attributs pour ralentir Hans si jamais il revient.

-Ha, ha, fit ironiquement Raiponce. Je pense que je n’aurais pas besoin d’en arriver là. Mais maintenant que nous nous sommes mis d’accord, allons-y maintenant plutôt que d’attendre plus longtemps.

Les deux époux sortirent de leur chambre, allant en direction de celle d’Anna et qui était occupée par Hans. La chance leur souriait : il n’y avait pour l’instant personne dans cette partie du château. Eugène frappa avec assurance sur la double-porte boisée, cherchant à vérifier qu’il n’y avait personne. Il n’y eut aucune réponse, et le jeune homme tenta alors d’appuyer sur l’une des deux poignées ; cependant, la chambre était verrouillée.

-Il fallait s’y attendre, regretta Raiponce. Tu as prévu un plan B, je suppose ?

-Evidemment, s’enorgueillit l’ancien voleur.

Il sortit de l’une de ses poches un crochet et un tenseur, et s’agenouilla pour se retrouver au niveau de la serrure. Alors qu’il commençait à s’affairer, son épouse regarda autour d’eux avec inquiétude.

-Ne traîne pas, le pressa-t-elle, n’importe qui pourrait nous surprendre.

-C’est qu’il s’agit d’un travail très complexe, commença Eugène, et un art nécessitant une grande pratique pour être totalement maîtrisé… Il y a de nombreuses étapes à suivre.

-Je n’en doute pas, répondit cordialement Raiponce. Mais pourrais-tu passer directement à l’étape de l’ouverture ?

-Ah je vous jure... soupira le jeune homme avec un mépris feint.

Raiponce entendit rapidement un cliquetis révélant que son mari avait réussi son œuvre. La porte de droite s’entrebâilla.

-Et voilà le travail, un chef d’œuvre, s’auto-congratula Eugène en se relevant. J’y vais, frappe deux coups successifs si jamais quelqu’un approche.

-Bien, approuva la princesse, je t’attends ici.

Eugène tira l’une des portes vers lui, et commença à se glisser dans l’ouverture, quand la princesse ressentit une vive inquiétude et un mal-être qui ne lui disait rien qui vaille.

-Attends une seconde, murmura-t-elle.

Le jeune homme s’arrêta dans son geste, repassant sa tête devant la porte.

-Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta-t-il.

La princesse n’aurait pas su expliquer ce qui l’agitait, et il n’y avait aucune raison de s’en faire ; d’ailleurs, le risque était plus grand encore en restant là plus longtemps encore. Mais elle tenait juste à dire…

-Je t’aime de tout mon coeur, répondit-elle sans vraiment savoir pourquoi. Je voulais juste que tu le saches.

Eugène sourit, puis se rapprocha d’elle pour l’embrasser. Le baiser qu’ils partagèrent réconforta légèrement Raiponce, qui reprit confiance.

-Je le sais déjà, affirma-t-il, et je t’aime plus encore.

Après un clin d’œil, il pénétra à l’intérieur de la chambre et referma doucement la porte.

-Je t’aime bien plus que cela, murmura machinalement Raiponce.

Elle s’adossa à la porte, guettant l’arrivée d’un visiteur inopportun. Elle ne connaissait pas les heures auxquelles le personnel du château passait nettoyer les chambres, ni l’agenda du Prince Hans : seule la Fortune déciderait de ce qu’il adviendrait, à présent, sans compter qu’Eugène n’était en rien assuré de trouver quoi que ce soit d’utile. Tandis que la princesse déplaçait son regard d’un bout à l’autre du couloir pour ne pas être surprise quelle que soit l’origine de l’arrivant, elle fut brusquement poussée en avant par l’ouverture violente de la porte, et s’écrasa par terre pour la troisième fois depuis son arrivée à Arendelle.

-Oups, fit Eugène, je n’ai pas fait exprès. Viens voir, je crois avoir trouvé quelque chose !

Pestant contre l’imprudence de son époux, Raiponce se releva avec peine et le rejoignit dans la chambre en refermant la porte derrière elle. Les teintes de la pièce correspondaient à celles du reste du château : les murs étaient recouverts de motifs blancs et roses, et la porte l’était de fleurs peintes. Le lit, comme le reste des meubles, était dans le même ton. Il était positionné juste devant l’entrée de la chambre, la tête accolée au mur de droite. Devant Raiponce, à l’autre bout de la pièce, un banc était fixé sous une grande fenêtre de forme triangulaire, qui laissait voir les paysages enneigés du royaume. Sur la droite de la pièce, une cheminée blanche laissée éteinte s’élevait jusqu’au plafond. Quelques tableaux accrochés au mur participaient à la décoration de la pièce, lui donnant plus de vie encore. Face au lit se situaient un paravent derrière lequel on pouvait se vêtir dans la discrétion, et une commode. Sur cette dernière, enfin, étaient posés quelques bouquets de fleurs dans des vases et une plume déposée dans un encrier, juste à côté d’un journal à la couverture noire.

La princesse n’était pas très à l’aise, ayant l’impression de violer l’intimité de sa cousine. Cependant, elle reconnaissait parfaitement les lieux mille fois décrits par Anna lors de leur correspondance épistolaire : c’était bien sa chambre, il n’y avait aucun doute à avoir là-dessus. On pouvait y reconnaître toute la joie de vivre et l’optimisme de la princesse d’Arendelle, et Raiponce en voulait à Hans de s’en être saisie pour en faire la sienne, de s’être malicieusement introduit dans ce jardin secret pour le corrompre de ses noirs desseins.

Eugène s’approcha de la commode, avant de prendre le journal et de s’assoir confortablement sur le lit d’Anna. Raiponce l’imita, observant l’objet avec curiosité tandis que son époux l’ouvrait à la première page.

-Est-ce le journal de Hans ? demanda-t-elle.

-Oui, confirma Eugène. J’ai lu son nom sur la couverture. S’il est possible de trouver quelque chose de compromettant sur lui, c’est sûrement ici.

Il commença à feuilleter les pages du journal, faisant défiler les années et se rapprochant de la présente année 1839. Raiponce sentait poindre une certaine nervosité.

-Nous devrions ramener le journal dans notre chambre avant que quelqu’un n’arrive, dit-elle à voix basse.

-Ça ne prendra qu’un instant, et il vaut mieux éviter que Hans s’aperçoive de sa disparition.

-Il faut surtout éviter d’être surpris ici, plaida Raiponce, tu…

-Juillet 1839, nous y voilà, triompha Eugène. Nous allons enfin découvrir-

Il s’arrêta soudainement, l’éclat victorieux de son regard mourant tandis qu’il fixait la page de droite du journal. Le jeune homme serra les dents, et son expression se transforma en un air de colère enragée. Levant la tête vers la porte, il fronça les sourcils et durcit son regard sous l’observation surprise de Raiponce.

-Qu’y a-t-il, s’inquiéta-t-elle en baissant les yeux sur le journal, tu as lu quelque chose de…

-Ce salopard, il va m’entendre ! s’écria brusquement Eugène sans lui prêter attention.

Il se leva d’un bond, faisant involontairement chuter le journal qui atterrit sur le parquet en demeurant ouvert, la couverture orientée côté supérieur. Eugène ouvrit les portes avec force et se précipita à l’extérieur en refermant ses poings, tandis que Raiponce restait là sans comprendre. Elle voulut avant de le suivre apprendre ce qui avait pu le mettre dans un tel état, et ramassa le journal en prenant garde de ne pas perdre la page à laquelle il était ouvert. Raiponce lut rapidement quelques lignes.

27 juillet 1839
…Même le dignitaire espagnol m’a ensuite confié qu’il ne pouvait donner l’aval de son pays. Je n’ai réalisé que trop tard que Raiponce était bien plus intelligente qu’elle n’y paraissait. Une fois que j’aurai assassiné la reine et mis fin à l’hiver, il me faudra penser à tuer cette peste et envahir Corona en représailles. Je ne peux prendre aucun risque.
Ainsi donc, les plans de Hans étaient finalement confirmés : le doute n’était plus permis. La colère d’Eugène devait venir de l’intention du prince de tuer sa dulcinée, et de dévaster le royaume qu’il considérait depuis des années comme sa patrie. Raiponce, sur le point de se jeter à la poursuite de son époux pour l’empêcher de commettre l’irréparable, l’entendit à cet instant s’exclamer du couloir :

-Espèce de pourriture ! Tu pensais pouvoir t’en tirer comme ça, hein ?

La princesse, oubliant le journal sur le lit dans son émoi, fut à l’entrée de la chambre en un bond, recherchant frénétiquement Eugène du regard, alors que son cœur s’emballait dans sa poitrine. Il était au sol, aux prises avec un homme qu’elle reconnut immédiatement, et qui était le Prince Hans. Deux gardes les entouraient, et se penchaient sur eux pour tenter de les séparer, tout en s’époumonant pour obtenir de l’aide dans leur entreprise.

Raiponce n’avait pas encore été vue ; et alors qu’elle devait lutter avec elle-même pour ne pas rejoindre Eugène et l’aider, elle savait que cela serait vain sans armes et face à toute la garde d’Arendelle. Elle recula alors hors du champ de vision des quatre hommes, fulminant et hésitant sur la conduite à adopter. Si elle intervenait, elle pourrait peut-être… Quoi ? Tuer Hans à mains nues ? Faire preuve de son amour en étant arrêtée aux côtés d’Eugène ? Ces deux options étaient exclues, étant soit irréalisables, soit inutiles. Elle pouvait tenter de raisonner les belligérants, mais à quelle fin ? Eugène avait agressé le régent d’Arendelle, et rien de ce qu’elle pourrait dire ne changerait cela. Seule une preuve justifiant son comportement pourrait l’aider. Le journal ! se rappela confusément Raiponce. Mais alors qu’elle se dirigeait vers le lit où était posé le précieux objet, elle entendit derrière elle des bruits de pas se rapprocher de la chambre de façon inquiétante ; la lutte s’était apparemment terminée. Elle agit alors impulsivement, d’un de ces mouvements absurdes et insensés motivés uniquement par l’instinct de survie, et se jeta au sol, se dissimulant sous le lit, derrière les couvertures. Raiponce, dans la panique, n’avait pas pensé qu’avec le journal tout danger serait écarté, et qu’on lui pardonnerait de s’être introduite dans la chambre du prince. Elle avait commis une grave erreur, et ne s’en rendit compte que trop tard. La voix de Hans lui fit comprendre qu’elle ne pouvait plus ressortir, car le jeune homme allait certainement récupérer son journal d’une seconde à l’autre.

-Je ne comprends pas ce qui lui a pris, s’étonna-t-il. Il doit avoir perdu l’esprit.

-Que devons-nous faire de lui, Votre Altesse ? interrogea une autre voix masculine.

-Contentez-vous de le garder sous surveillance, pour l’instant. Et trouvez-moi la Princesse Raiponce le plus vite possible. Elle n’est pas dans sa chambre.

-Ce sera fait, seigneur.

La princesse entendit les deux hommes s’éloigner en refermant la porte derrière eux. Elle patienta une minute, désirant avoir le moins de chances possibles d’être repérée en se dévoilant, puis sortit de sa cachette et se releva. Le journal avait évidemment disparu du lit, comme Raiponce le remarqua avec amertume et colère envers elle-même. Elle se retourna et ressentit une vive angoisse : et si la porte avait été refermée à clef ? La princesse s’en approcha craintivement, puis abaissa la poignée. Après une hésitation, elle poussa doucement la porte ; elle était miraculeusement ouverte. Raiponce poussa un soupir de soulagement, sortant de la pièce en prenant mille précautions pour ne faire aucun bruit, et referma la porte avec tout autant de délicatesse. Elle retourna directement à sa chambre, et s’assit silencieusement sur son lit.

Ce ne fut qu’alors qu’elle prit pleinement conscience de ce qui venait de se produire : Eugène avait été arrêté, et son sort demeurait incertain. Cette réalisation fut un choc terrible, et la princesse fut secouée de sanglots impuissants. Quelle stupidité avait été la sienne ! Si elle avait passé moins de temps à réfléchir et pris directement le journal, elle aurait pu confondre Hans et sauver son époux. A présent, comment savoir où il se trouvait, et comment le libérer ? Raiponce se sentait terriblement seule. Elle demeura assise, ruminant et pestant contre elle-même, à la recherche d’une solution miracle qui ne se présentait bien sûr pas à elle. Une heure passa, et on frappa à sa porte. Tirée de ses réflexions, la princesse la fixa avec angoisse, incertaine de ce qui pourrait lui arriver. Elle prit cependant son courage à deux mains et lança d’une voix qu’elle rendit la plus assurée possible :

-Qui est-là ?

-La garde d’Arendelle, Votre Altesse. Puis-je entrer ?

Le ton n’avait pas l’air hostile, ce qui rassura un peu la jeune femme qui donna son accord. Un homme vêtu de l’uniforme de la garde entre dans la pièce, la mine grave.

-Nous vous avons cherché dans tout le château, Votre Altesse. Où étiez-vous ?

-Ici, répliqua vivement Raiponce. Je suis arrivée il y a presque une heure, après m’être promenée un peu. Pourquoi me cherchiez-vous ?

La princesse ne pouvait que croiser les doigts et espérer que l’étage n’avait pas été mis sous une surveillance renforcée, sous laquelle il serait évident qu’elle n’aurait pu y pénétrer sans être repérée, et qu’elle était donc à proximité de la chambre de Hans au moment de l’entrée par effraction.

-Le Prince Hans désire vous parler, répondit le garde d’un ton neutre. Pouvez-vous rester ici le temps qu’il arrive ?

-Bien sûr, fit Raiponce en affichant un air perplexe. Je l’attendrai sans problème.

-Je vous remercie, Votre Altesse, dit l’homme en s’inclinant.

Il quitta la chambre, tandis que Raiponce se demandait s’il ne valait mieux pas s’enfuir pendant qu’il en était encore temps. Le problème était que sa culpabilité serait alors prouvée, et que la princesse n’aurait pas d’autre choix que de devenir une fugitive jusqu’à ce que l’hiver s’achève et qu’elle puisse retourner chez elle, ou bien d’aller chercher Anna et de tout lui avouer, sans garantie qu’elle la croie elle plutôt que son fiancé. Et qu’adviendrait-il d’Eugène si jamais elle disparaissait subitement ? Non, il lui était impossible de s’échapper, et la seule solution restait d’accepter la confrontation avec Hans.

Ce dernier n’avait aucune preuve directe, et Raiponce restait la princesse héritière de Corona : il n’oserait pas lui faire le moindre mal de manière publique. Mais s’il n’y avait aucun témoin, et que le prince utilisait l’une de ses stratégies manipulatrices et retorses dont il avait le secret ? Raiponce ne pouvait être sûre de rien ; ainsi, elle était extrêmement tendue et se leva avec raideur lorsque Hans arriva dans sa chambre.

-Raiponce, la salua le régent.

-Prince Hans, répondit la princesse avec un sourire froid.

-Je suppose que vous savez ce qui m’amène ici ? demanda Hans d’un air ambigu.

-Je l’ignore, mentit innocemment Raiponce.

Le jeune homme la fixa, l’air vaguement soupçonneux. Il s’en fallut de peu pour que Raiponce défaillisse.

-Il y a un peu plus d’une heure, votre époux Eugène s’est introduit par effraction dans ma chambre, sans rien y voler, avant de m’agresser physiquement sans que je ne sache pourquoi.

-Comment ? s’écria Raiponce en affectant la surprise. Il s’agit sans doute d’une erreur !

-Hélas non, soupira hypocritement Hans. Je pense que la situation actuelle lui a fait perdre la raison ; ne disiez-vous pas vous-même ce matin qu’il avait été particulièrement chamboulé par les événements de la veille ?

Se maudissant d’avoir prétendu cela par bienséance, Raiponce tenta de défendre son époux.

-Je ne comprends pas pourquoi il aurait fait cela, s’obstina-t-elle. Il y a du avoir un malentendu. Si je pouvais le voir, il pourrait certainement éclaircir la situation…

-Je crains malheureusement que cela ne soit impossible, fit mine de regretter le prince. Votre époux est sous surveillance, et gardé en isolement le temps que la reine revienne. Il pourrait être dangereux pour lui-même ou pour les autres, et même pour vous, Raiponce.

N’importe quoi ! pensa la princesse avec ahurissement. On ne pouvait que constater qu’il s’agissait juste d’une manœuvre pour éviter que Raiponce ne soit informée par Eugène des plans du prince, dans le cas où la jeune femme les ignorerait encore. Mais elle ne devait pas se laisser aller à la colère et prendre entre les mâchoires de fer du piège que lui tendait le prince : il lui fallait se contenir, une nouvelle fois, et prétendre la soumission.

-Je me fie à votre jugement, Prince Hans. Mais une fois la reine de retour, j’attendrai d’elle la libération immédiate d’Eugène, afin que nous puissions rentrer à Corona.

Hans entrouvrit les lèvres, apparemment surpris et déçu que la princesse se résigne si facilement.

-Cela va sans dire, répondit-il avec lenteur. Merci pour votre compréhension, Raiponce. Nous vous attendons d’ici vingt minutes pour dîner.

Après le départ du prince, Raiponce se laissa tomber sur le lit, soulagée. Elle était parvenue pour l’instant à conserver sa liberté, et l’espoir demeurait de libérer Eugène, bien qu’elle ignorait où il était retenu. Il lui fallait élaborer un nouveau plan, et attendre le lendemain pour agir, une fois qu’elle aurait réuni toutes les informations dont elle aurait besoin. Mais durant les dernières minutes qui la séparaient du dîner, elle ne dessina que de vagues esquisses dans son esprit, sans s’arrêter définitivement sur une idée.
Raiponce se rendit donc au dîner dans l’indécision et la morosité. Le repas fut servi dans un silence presque complet, uniquement rompu par les bruits métalliques des couverts heurtant les assiettes. Aucun rire ne venait plus de la salle du trône où dînaient les membres d’équipage : la longue journée qui s’était déroulée sans le moindre signe de la reine ou de sa sœur était venue à bout des esprits les plus festifs, sans parler des spectaculaires événements de la journée.

Avant que Raiponce n’entame son repas, Pascal goba l’un des raisins servis dans l’assiette de la princesse. Je devrais lui apprendre la politesse, songea-t-elle. Mais tandis qu’elle portait sa fourchette à sa bouche, elle se rendit compte que son caméléon n’avait pas un comportement normal. L’ingestion du grain sembla lui causer un grand trouble, et ses pupilles se dilatèrent. Sa langue devint sèche, et Pascal tituba.

-Pascal ? s’inquiéta Raiponce.

-S’il vous plaît, appela Magnus en regardant l’une des servantes. Le crapaud de Son Altesse ne se sent pas très bien.

-C’est un caméléon, fit distraitement la jeune femme en caressant Pascal.

La pauvre bête suffoquait, et la princesse impuissante ne pouvait rien y faire ; une domestique s’approcha, et l’observa un instant.
-Je crois qu’il fait une intoxication alimentaire, la pressa Raiponce. Pouvez-vous faire quelque chose pour lui ?

-Je vais l’emmener dans les cuisines du château, répondit la servante, l’un des membres du personnel pourra certainement s’occuper de lui.

La femme prit délicatement le caméléon et s’éloigna. Morte d’inquiétude, Raiponce la fixa jusqu’à ce qu’elle eût disparu.

-C’est bien étrange, dit Magnus. Puis-je voir cette grappe de raisin ?

La princesse la lui tendit sans comprendre. Le Premier Ministre l’observa attentivement, avant d’affirmer solennellement :

-Ce n’était pas une intoxication alimentaire, et ce n’est pas une grappe de raisin. Il s’agit de belladone. Ce caméléon a été empoisonné !

L’annonce fit l’effet d’un coup de tonnerre. Toute la salle s’immobilisa dans un silence abasourdi, et Raiponce resta bouche-bée.

-Mais alors, murmura-t-elle, cela signifie…

-Que quelqu’un a cherché à vous empoisonner, Votre Altesse, dit Magnus.

Un même cri horrifié vint de toute l’assemblée, et le ventre de la jeune femme se noua. Dire que Pascal a été empoisonné à ma place. Je ne me le pardonnerais jamais s’il lui arrivait quelque chose.

-Mais qui aurait pu faire une telle chose ? s’écria Hans.

-Un domestique, répondit le Premier Ministre, un cuisinier. Qui pourrait le savoir ? Cela pourrait même être un garde, ou n’importe qui ayant eu accès à cette assiette.

-Il faut mener l’enquête, affirma le prince.

Il se leva, et proclama devant toutes les personnes présentes :

-Je fais ici le serment que le coupable ne restera pas impuni. Princesse Raiponce, je vous promets que je ramènerai celui qui a tenté de vous tuer à genoux devant vous.

Cette nouvelle déclaration fut une fois encore saluée par un torrent d’acclamations ; et Raiponce comprit alors la vérité. Malgré cette façade et ces fausses promesses, l’identité du coupable était claire à ses yeux : Hans lui-même. Et si Pascal n’avait pas commencé à manger en premier, le prince aurait bien réussi à l’éliminer. La jeune femme comprit avec désarroi que son ennemi était prêt à tout, y compris au meurtre, pour mener à terme ses ambitions. Son opposition au projet de milice lui avait aliéné Hans, et ce dernier la considérait désormais comme une rivale à éliminer. Cependant, elle fit comme si elle n’avait pas le moindre soupçon.

-Je vous remercie, dit-elle. Je suis certaine que vous n’aurez aucun mal à trouver ce criminel.

Mais son regard était froid et impassible. Si Hans y avait été sensible, il ne le montra pas, et se tourna vers le capitaine Norway qui approchait.

-Monsieur, dit-il, interrogez tout le personnel de cuisine sur la provenance de cette assiette. Je veux tout savoir.

Le capitaine eut un bref regard en direction de Magnus, qui hocha discrètement la tête.

-Absolument, Votre Altesse.

Il repartit, suivi de plusieurs de ses hommes. On retira son assiette à Raiponce, et Hans dit en se rasseyant :

-Nous devrions dîner. J’irai ensuite parler à Norway pour découvrir ce qu’il aura découvert, tandis que le Premier Ministre s’occupera des affaires courantes du royaume.

Le dîner fut plus mélancolique que jamais, Raiponce désespérant de ce qui était arrivé à Pascal. Elle avala le nouveau repas qu’on lui apportait aussi vite que possible. Sitôt cela fait, elle partit sans tarder, quittant les dignitaires et Hans après un salut poli. La jeune femme pénétra dans la cuisine, située juste à côté de la salle à manger, et navigua avec anxiété entre les surfaces de travail et les cuistots nettoyant les restes de nourriture. Plusieurs gardes interrogeaient les personnes présentes, et on indiqua à Raiponce que Pascal avait été transporté dans sa chambre pour qu’il puisse se remettre. La jeune femme s’y rendit le plus vite possible : le caméléon avait été installé sur un coussin moelleux, sur une table de nuit, et deux écuelles d’eau et de fruits avaient été placées à proximité. Pascal dormait et respirait faiblement. Les larmes aux yeux, Raiponce lui caressa doucement la tête. Le caméléon avait été son meilleur ami et seul compagnon durant son isolement dans sa tour : il lui était très cher. Sans lui et Eugène, elle devenait totalement isolée.

Raiponce fut interrompue dans sa peine par de discrets coups à la porte. Elle se racla la gorge pour effacer tout tremblement dans sa voix.

-Qui est-ce ?

-La garde d’Arendelle, Votre Altesse. Je suis envoyé par le Premier Ministre.

Qu’est-ce que c’est, encore ? La princesse se dirigea jusqu’à l’entrée de sa chambre, et ouvrit la porte. Un jeune homme habillé de l’uniforme s’inclina devant elle. Ses cheveux blonds, en parfaite union avec son regard triste, lui donnaient un air attendrissant.

-Bonsoir, fit Raiponce. Que me veut Magnus ?

-Mon oncle voudrait vous parler de ce qu’il s’est produit durant le dîner, répondit le garde.

-Votre oncle ? releva la jeune femme. Vous êtes le neveu du Premier Ministre, monsieur… ?

-Finland, pour vous servir. J’ai en effet l’honneur d’être son neveu. Mon oncle vous attend dans la salle du conseil. Voulez-vous que je vous y accompagne ?

Magnus va sûrement me révéler que Hans a cherché à m’assassiner.

-Avec plaisir, Finland, accepta Raiponce avec un charmant sourire.

Les deux jeunes gens montèrent dans les étages supérieurs pour se rendre dans la salle du conseil. Finland se posta à l’extérieur de la pièce, et la princesse y pénétra seule. Magnus était le seul homme présent, tournant le dos à la jeune femme. L’entendant arriver, il se retourna et sourit.

-Votre Altesse, dit-il. Je suis heureux que vous ayez pu venir. Je suppose que vous avez fait connaissance avec mon neveu ?

-En effet, répondit Raiponce. Je le trouve très charmant et poli.

-Il a reçu une éducation très soignée. Devenir garde était pour lui une vocation, même si j’aurais espéré qu’il puisse un jour me remplacer. Son père était mon frère ; il a hélas péri avec la famille royale lors du terrible naufrage d’il y a trois ans. Sa pauvre mère est morte lors de l’accouchement, et je suis sa seule famille à présent.

-Je l’ignorais, se désola la princesse. Mais je suis sûre qu’il fera votre fierté.

-Il la fait déjà, dit Magnus. Mais asseyez-vous, je vous en prie.

Le Premier Ministre et Raiponce s’assirent à l’extrémité droite de la table, l’un en face de l’autre.

-Alors ? le pressa la jeune femme. Pouvez-vous prouver la culpabilité de Hans ?

-Je crains que cela ne soit pas possible, regretta Magnus. Après interrogatoire de tout le personnel, nous avons pu comprendre que n’importe qui aurait pu remplacer la grappe de raisin, puisque personne n’a remarqué quoi que ce soit, et encore moins cet imbécile de Bonaparte.

-Bonaparte ? s’étonna Raiponce. Que vient-il faire là-dedans ? Vous n’avez vraiment pas l’air de le porter dans votre cœur.

-Il est issu de cette famille de vipères, s’agaça Magnus. L’Empire Français a fait pression sur Arendelle et sur le royaume de Danemark-Norvège pour qu’ils refusent de faire commerce avec le Royaume-Uni. Nos flottes ont donc été attaquées et vaincues par les Anglais, qui désiraient accéder à nos ports sans notre consentement. Nous avions le couteau sous la gorge, par la faute de Napoléon, et avons dû nous allier avec lui. J’étais encore un jeune Premier Ministre en cette année 1807, mais je n’étais pas dupe : le Danemark-Norvège entendait profiter de cette alliance pour annexer Arendelle, avec l’appui de Napoléon. Quelques années ont passé, et des rumeurs de plans d’invasion me parvenaient. Napoléon entendait attaquer la Russie, et avait autorisé le Danemark-Norvège à nous envahir pour s’assurer de leur soutien. Pendant ce temps, la Suède était aux mains d’un ancien maréchal de Napoléon, Bernadotte, héritier d’un roi sénile. Bernadotte s’était vu refuser l’autorisation de Napoléon pour envahir la Norvège, et recherchait désespéramment un moyen d’y parvenir. J’y ai vu une occasion de sauver notre royaume. En tant que Premier Ministre, j’avais tissé des liens avec les plus grandes têtes couronnées d’Europe. J’ai ainsi pu mettre en place une relation épistolaire entre le tsar de Russie Alexandre VI et Bernadotte, les amenant tous deux à s’allier contre Napoléon. En raison de mon aide, Alexandre VI a demandé à Bernadotte d’épargner Arendelle lors de son invasion de la Norvège. Bernadotte a donc refusé d’aider Napoléon pendant la campagne de Russie, et l’empereur a perdu la guerre. Après la désastreuse défaite de Napoléon en Russie, j’ai persuadé le roi d’Arendelle de retourner ses troupes contre le Danemark-Norvège et la France. Napoléon a été exilé ; Bernadotte a envahi la Norvège ; mais Arendelle est demeuré indépendante. Cependant, je continue de me méfier de ces Bonaparte et de leurs velléités de conquête.

-Vous avez fait tomber Napoléon ? réalisa Raiponce avec stupéfaction.

-Je n’irais pas jusque-là, fit modestement Magnus. Disons que j’ai donné le coup de grâce à un empire prêt à tomber. Pour en revenir à Hans, je ne vois pas comment nous pourrions le confondre. J’ai bien un témoignage d’une fille de cuisine mettant directement le prince en cause, mais elle est bien trop terrorisée pour réitérer ses paroles en public. Au moins, nous sommes sûrs de l’identité du coupable.

-Mais ce n’est pas suffisant, fit une Raiponce découragée. Si nous n’avons aucune preuve tangible, Hans ne perdra jamais le pouvoir, et mon époux sera exécuté.

Magnus fixa Raiponce des yeux, et pencha la tête avec un petit sourire en coin.

-Cela dépend. Jusqu’où êtes-vous prête à aller pour sauver votre mari et votre famille ?

Les paroles du Premier Ministre résonnèrent étrangement dans le cœur de la princesse.

-Qu’est-ce que vous voulez dire ?

-Je vais être franc avec vous, Votre Altesse. Hans dispose de trop de soutien parmi les dignitaires et la population pour être arrêté, et je n’ose pas imaginer ce que le retour de la reine et de sa sœur pourrait le pousser à faire pour conserver le trône. De même, il gardera le Prince Eugène prisonnier, jusqu’à ce qu’il se décide à le tuer pour de bon ; à moins que vous n’en décidiez autrement.

-Mais comment ?

Mais au fond d’elle, Raiponce savait ce que Magnus s’apprêtait à lui dire ; en fait, elle y avait pensé à de multiples reprises, sans oser se l’avouer vraiment.

-Faites évader votre époux et tuez Hans. Je connais bien le capitaine Norway, et l’ai persuadé de placer mon neveu Finland à l’entrée de vos quartiers. Il ne fera rien si vous décidez de vous faufiler en douce hors de votre chambre, et plus important encore, ne révélera pas vos pérégrinations nocturnes.

Magnus traçait une voie dorée à la jeune femme, qui était trop indécise pour exprimer un refus ou une acceptation.

-Je ne sais pas, murmura-t-elle, je ne sais pas si j’en suis capable.

-Le choix est vôtre, dit Magnus. La nuit est à vous ; à vous d’en faire ce que vous voulez. Mais sachez que la vie de ceux que vous aimez est entre vos mains.

Il se leva et inclina la tête pour saluer Raiponce, avant de quitter la salle du conseil. La jeune femme demeura seule un moment, une tempête se déchaînant à l’intérieur de son crâne. Tuer Hans était peut-être la seule solution, mais elle ne se sentait pas la force de commettre un meurtre. Et combien d’innocents mourraient si elle cherchait à faire évader Eugène ? La princesse renonça, et songea avec optimisme que son époux était bien trop précieux pour être simplement exécuté. Elle partit à son tour, et fut raccompagné à sa chambre par Finland.

-Avez-vous l’intention de passer la nuit dans votre chambre ? demanda ce dernier avec un ton incertain.

Il n’obéit à son oncle que par loyauté. Il est mal à l’aise avec ses manigances.

-Oui, confirma-t-elle. Je vais dormir jusqu’au matin.

-Très bien, répondit Finland. Je resterai tout de même en faction, si jamais… Vous avez besoin de quelque chose.

Il est adorable.

-Merci, Finland, fit la princesse d’un ton amical. Bonne nuit à vous.

Elle pénétra dans sa chambre. Après s’être préparée pour une nuit de repos bien méritée, elle s’enfouit sous les couvertures alors qu’il devait être huit heures du soir ; le sommeil vint vite embrasser Raiponce qui s’abandonna à une nuit qu’elle espérait consolatrice, pressentant que ses mésaventures étaient encore loin d’être terminées et que libérer Eugène serait bien plus difficile que de discréditer Heinrich.

___

Ainsi s'achève la deuxième partie, et pas de la manière la plus joyeuse possible ! Et ça ne va pas s'arranger par la suite...


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Dim 4 Fév 2018 - 19:22

Chapitre 10 : Une rencontre opportune

La Princesse de Corona demeurait seule dans la salle du trône. Toute la pièce reposait dans un silence endormi, témoin d’une nuit profonde qui enveloppait le royaume de son doux manteau de quiétude. Le hall avait été vidé de tous ses meubles, et il était revenu à son état primordial : le trône sur son estrade situé à l’extrémité de la pièce, encadré par des colonnes de part et d’autre de la salle qui étaient fixées tout le long de la pièce. Une faible lueur nocturne provenait des fenêtres situées en hauteur, des deux côtés de la salle, et étaient les seules sources de lumière, avec les lustres de métal brûlant d’une vive flamme. Raiponce, mélancolique, observa le trône inoccupé, songeant qu’en cas de disparition définitive de la reine et de sa sœur, un autre prendrait bientôt la place de souverain sur ce siège royal pour couronner sa tête princière de la plus haute charge : Hans.

Alors que Raiponce se décidait à retourner dans sa chambre pour dormir jusqu’à l’aube, une bourrasque glaciale ouvrit les portes avec fracas et pénétra dans le hall avec une force terrible. Le vent hurlant et sifflant avec hostilité se rua sur les lustres, soufflant d’un coup toutes les lumières du monde. La princesse se mit à expirer des volutes de givre et sentait tout son corps se refroidir alors que cette irruption imprévue l’amenait à tourner son regard pétrifié de stupeur vers les portes de sortie du grand salon : glacée de terreur, elle resta figée tandis que les portes se refermaient et se rouvraient dans des claquements de tonnerre gelé. Autour d’elle, la tempête dans sa fureur semblait crier des paroles indistinctes faites de haine et de rancœur venues d’outre-tombe. De celles-ci Raiponce ne pouvait percevoir que des mots brisés, souvenirs cruels de défunts que la princesse avait meurtris d’une manière ou d’une autre. La jeune femme de ses yeux éveillés dans cette apocalypse blanche voyait désormais des ombres translucides, provenant de l’extérieur et emportés par la furie de l’air déchaîné. Tandis que ces spectres cherchaient vainement à se raccrocher à Raiponce de leurs griffes immatérielles, en crachant et répétant à ses oreilles des sentiments de colère, de peur et de folie pures qui avaient été transmis à leur souverain venteux et hivernal, ils étaient inexorablement emportés par la force de leur rage vers les fenêtres de verre qu’ils brisèrent par leur contact, expulsés de la salle du trône. Les morts réveillés peuplaient bien cet endroit et le hantaient sans laisser aucun répit à la misérable jeune femme, qui à présent versait des larmes qui gelaient sur ses joues sitôt touchées par la bourrasque ; le sol et les murs se couvraient de givre dont le froid perçait les vêtements de la princesse comme s’ils n’étaient rien et lui causait une douleur semblable à celle de centaines et centaines de lames qui l’auraient transpercée de concert. C’était véritablement un lieu de mille tourments : l’Enfer était ici, et il était de glace.

Submergée par le désespoir, Raiponce ne vit qu’au dernier moment la silhouette informe qui se précipitait sur elle, et ne l’évita que par un sublime effort de volonté en se jetant au sol. Ce fut comme si la tempête fusait autour et à travers elle pour atteindre le trône à présent recouvert de glace. Les vents s’intensifièrent pendant un moment, prenant une force telle que Raiponce ne pouvait que rester agenouillée, mains plaquées au sol, pour ne pas être écrasée par la pression. Mais ils cessèrent brusquement : tout bruit s’éteignit alors, et plus aucune ombre ne vint plus de l’extérieur. Les portes avaient cessé de claquer frénétiquement, et toute la pièce s’était figée dans un immobilisme lugubre. La jeune femme se releva, l’angoisse au cœur, et se retourna lentement vers le trône, le souffle court. Devant la vision qui l’attendait, ses yeux s’agrandirent d’horreur et sa respiration fut un instant coupée : le roi d’Arendelle siégeait à nouveau sur son trône. Il était tel qu’elle l’avait découvert trois ans auparavant, le jour-même de son mariage, lorsque son corps sans vie avait été ramené à Corona après avoir été retrouvé sur les berges du royaume : son visage ébène et boursouflé, presque noirâtre, laissait apparaître des veines saillantes d’un bleu de cauchemar. Les ongles de ses mains, posées sur les accoudoirs de son trône, étaient tombés, et sa peau putréfiée se déchirait en lambeaux tuméfiés, lui donnant un aspect repoussant et effroyable. Glissant sur tout son corps, une eau de mer ruisselante et de couleur noire dégoulinait et s’écoulait sur le sol, insensible au froid ambiant et demeurant liquide. Sur les rares cheveux trempés et collés à son visage qu’il conservait était posée une couronne d’or, parachevant ce tableau sinistre. Il était tel un de ces monstres chimériques issus des mythologies grecque ou nordique, paraissant être né d’un noir cauchemar ou d’une abysse insondable. La princesse frémit d’horreur et poussa une exclamation choquée, une main portée par réflexe devant sa bouche pour ne pas vomir. Tandis qu’en son for intérieur son seul désir était de fuir ce cadavre surgi d’un passé tourmenté, Raiponce ne pouvait que rester immobile, incapable de se détacher de cette vision macabre. Puis, sous son regard brillant d’effroi, le souverain se pencha en avant, et parla.

-Ma chère nièce, dit-il d’une voix gutturale et ironique dont l’écho se répercutait sur les murs de la haute salle du trône, quel plaisir de te voir. Comment te portes-tu depuis mon trépas et celui de mon épouse ?

-Mon oncle, murmura Raiponce en larmes, je suis tellement désolée…

-Pas autant que mes filles, répliqua le défunt roi. Par ta faute, elles ont été laissées à elles-mêmes, enfermées dans une solitude tourmentée, pendant trois longues années. Et que faisais-tu pendant ce temps-là ? Tu roucoulais dans les bras d’Eugène, indifférente à leur souffrance, indifférente à ton irresponsabilité qui les avait privées de leur seule famille. Tu te consolais avec les petites lettres que tu envoyais à Anna, comme si elles pouvaient être d’un quelconque réconfort par rapport à tous les malheurs qui étaient les siens. Et Elsa ? Tu n’as rien tenté pour l’aider, rien.

-Je ne savais pas ! s’écria Raiponce entre ses sanglots déchirés. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle pouvait subir, de ce qu’elle dissimulait au monde entier ! Je croyais… Je croyais qu’elle avait un cœur de glace et que seule Anna méritait mon amour et ma compassion. Je suis désolée.

-Ce n’est pas à moi que tu dois dire cela, ricana le cadavre.

Alors que Raiponce réalisait la signification des mots du souverain, le corps de ce dernier se mit à briller d’une lumière noire. La princesse, momentanément aveuglée par la puissance des ténèbres qui happaient le roi et le faisait disparaître derrière une obscurité opaque, plaça ses mains devant son visage afin de se protéger de ce terrible éclat. Les ténèbres faiblirent, cependant, et la lueur noire déclina et finit par disparaître totalement. Raiponce abaissa ses mains ; et elle vit sans surprise que ce n’était plus son oncle qui siégeait sur le trône, mais sa cousine Elsa. La reine était vêtue de la tenue qu’elle portait le jour de son couronnement, mais sa couronne d’or était à présent de glace. Des flammes bleues dansaient dans ses yeux enragés, et le ton de sa voix était implacable.

-Tu ne peux pas te cacher, Raiponce, asséna durement Elsa. Par ta faute, Arendelle pleurera des larmes de glace et étouffera dans un hiver éternel, sans espoir de survie pour son peuple. La noblesse se déchirera pour dévorer les derniers restes et l’homme auquel tu as livré mon royaume règnera sur un désert gelé.

La princesse voulut parler, dire quelque chose qu’elle ignorait elle-même, mais ses mots s’étranglèrent dans sa gorge nouée. Avant qu’elle ne puisse réagir, Elsa fut à son tour enveloppée par des ténèbres grandissantes, et Raiponce vit avec désarroi le Prince Hans prendre sa place sur le trône d’Arendelle.

-Comment peux-tu te regarder dans une glace sachant tout ce que tu as fait pour m’arrêter ? lui lança Hans avec un sourire mauvais. La souffrance que tu as causée à Heinrich ? Le meurtre dont tu as été la complice ? Tous ces efforts et sacrifices seront vains. Jamais tu ne m’empêcheras de prendre le contrôle total d’Arendelle, ni d’exécuter ce brave Eugène que tu m’as laissé emprisonner sans rien faire. D’ailleurs, je n’ai jamais été en réalité ton ennemi le plus terrible.

Devant le prince qu’elle détestait tant pour les extrémités auxquelles il l’avait forcée à recourir, et pour avoir perfidement arrêté son époux, la princesse serra les dents, bouillonnante d’une colère difficilement contenue. Mais alors qu’elle s’apprêtait à invectiver Hans d’un trait d’éloquence, le jeune homme disparut à son tour, et laissa place à quelqu’un qu’elle ne s’attendait absolument pas à voir, et dont la vue l’estomaqua complètement : elle-même. La Raiponce assise sur le trône la fixa durement, et les deux mêmes paires d’yeux furent un moment unies dans l’observation de leur jumelle.

-Tu n’as plus le choix, à présent ! s’écria la « fausse » princesse. Tu ne peux plus laisser la morale s’interposer entre toi et ton devoir envers ceux que tu aimes, entre toi et Eugène !

Elle se leva brusquement, environnée par une obscurité emplissant progressivement toute la pièce. Notre Raiponce recula, ne sachant que faire et prise d’une peur irrationnelle. Elle tomba à la renverse, et atterrit durement sur le dos. Son double, devant elle, baissait sur elle un regard dur teinté d’un début de panique.

-Tu m’entends ? hurla l’autre jeune femme. Tu sais ce que tu dois faire ! Et si tu ne le fais pas…

Son visage se déforma et se convulsa, changeant de façon hideuse, et ses cheveux bruns tournèrent au noir et se bouclèrent, s’allongeant et s’épaississant pour tomber derrière ses épaules. Ce n’était désormais plus son double qui faisait face à Raiponce.

-…je m’en chargerai à ta place, termina Gothel après un rire terrible.

Raiponce eut alors un hoquet de stupeur, et se redressa subitement ; mais sa vision horrible n’était plus qu’une brume poreuse, et la princesse était en sécurité sous les couvertures du lit royal. Elle haleta pendant plusieurs secondes, le front imbibé de sueur d’angoisse. Elle regarda frénétiquement autour d’elle ; mais il n’y avait aucune trace de spectres ou de tempête de neige. Tout allait bien. La princesse ralentit sa respiration, tâchant de se calmer et d’oublier ces affreux cauchemars, qui semblaient se multiplier depuis quelques temps. Cherchant Eugène du regard, elle se souvint avec douleur de ce qu’il s’était produit : arrêté par Hans après l’avoir agressé, il était retenu dans un lieu inconnu. Ressentant son absence comme une compression douloureuse de son cœur amoureux, Raiponce secoua la tête pour refuser les larmes qui lui montaient aux yeux ; elle ne pouvait pas se laisser abattre, car sinon Eugène serait perdu. Il lui fallait rester forte, pour lui. Elle dirigea son regard vers l’extérieur du château : par-delà les fenêtres, l’obscurité serait totale si ce n’était pour la lumière émise par la lune quasiment pleine. Devant le mur face au lit, une horloge boisée sur pied indiquait qu’il était trois heures du matin. Raiponce poussa un soupir attristé, puis se rallongea sous ses couvertures, désireuse de reprendre sa nuit de sommeil, et de se reposer pour prendre les forces qui lui seraient nécessaires afin de sauver Eugène. Mais son esprit troublé ne parvenait pas à trouver le repos : son cauchemar était omniprésent dans ses pensées, et sa situation anxiogène était un obstacle à sa sérénité. Après plusieurs minutes passées sans succès à essayer de se vider la tête (ce qui est très souvent contre-productif), la princesse renonça et décida de se promener dans le château, afin de réfléchir à tout ce qui s’était produit ces derniers jours. La proposition de Magnus la tourmentait encore, et la jeune femme ne savait qu’en penser. Elle enfila une veste à capuche et une longue jupe grise et sortit discrètement, laissant Pascal à sa nuit réparatrice.

Le château endormi ne lui offrit aucun visage amical avec qui elle aurait pu converser. Raiponce se déplaçait dans des couloirs silencieux et morts, aux couleurs rendues grises et tristes par cette froide nuit d’hiver. Elle s’apprêtait à quitter l’étage réservé aux quartiers de la famille royale et des invités, quand elle s’aperçut que Finland était encore posté en travers de l’accès aux escaliers, le dos tourné. Espérant qu’il n’avait pas pour consigne de l’empêcher de quitter les lieux, elle s’approcha de lui.

-Puis-je passer ? demanda-t-elle en lui tapotant l’épaule. Je voudrais marcher un peu.

L’homme se retourna et inclina respectueusement la tête.

-Bien-sûr, Votre Altesse, répondit le garde en s’écartant.

Raiponce le remercia d’un sourire, puis le dépassa et rentra sur un palier. Sans trop savoir où elle allait, seulement mue par le hasard et le destin, la princesse grimpa un escalier au matériau fin et raffiné pour arriver à une partie du château qu’elle n’avait visitée qu’une fois, lorsqu’elle s’était rendue dans la salle du conseil la veille. Elle était dans un long couloir faiblement éclairé par une série de chandeliers accolés aux murs. Telle une ombre, elle marcha avec lenteur à travers l’endroit, perdue dans ses réflexions. En arrivant au niveau d’une fenêtre donnant sur la cour du château, elle s’arrêta momentanément, regardant avec inquiétude et tristesse le village recouvert de neige. Raiponce se détourna, et s’aperçut de la proximité d’une porte sur sa droite. La princesse abaissa à tout hasard l’une des deux poignées dorées, et réalisa avec étonnement que la porte était ouverte ; elle la poussa doucement, et pénétra dans une pièce très spacieuse. En son cœur était disposé un tapis de velours, ainsi que deux chaises tournées vers le centre de la pièce et un long sofa accolé à un meuble de bois, sur lequel se situait un plateau d’échecs prêt à être utilisé, ainsi qu’une bouteille de vin et deux verres à pied. A droite et à gauche de Raiponce, des étagères remplies de livres indiquaient que la princesse devait se trouver dans la bibliothèque du château. Quelques tableaux étaient accrochés aux murs, dont un magnifique portrait de feu le roi d’Arendelle portant les symboles de la royauté. La princesse ne le regarda qu’une seconde, encore hantée par son précédent cauchemar. Elle s’approcha de la cheminée : à proximité, un petit tas de bûches entreposées dans un caisson de bois étaient mis à la disposition des habitants du château, ainsi qu’une poignée d’allumettes de bonne taille à l’intérieur d’un récipient en métal. Raiponce préleva du petit bois et le lança dans l’âtre, avant d’allumer l’une des allumettes en la frottant contre les briques de pierre de la cheminée. La princesse mit le feu au bois, et ajouta par la suite quelques bûches. De belles et chaleureuses flammes se mirent bientôt à crépiter dans l’âtre, réchauffant la pièce et illuminant cette triste nuit d’hiver d’un lointain souvenir d’été. Raiponce s’assit sur le sofa et posa son menton sur ses mains jointes, pensive. Cela faisait plus de vingt-quatre heures qu’Elsa s’était enfuie et que sa sœur était partie à sa recherche, et Raiponce se faisait un sang d’encre en cherchant parmi ses incertitudes les scénarios plausibles qui pouvaient expliquer le temps si long qu’Anna mettait pour revenir. N’osant imaginer le sort le plus funeste, la princesse déduisait qu’Elsa avait dû s’enfoncer dans les territoires les plus reculés du royaume, ou bien qu’Anna avait été retardée pour une raison ou une autre.

Raiponce ne pouvait bien-sûr pas le savoir, mais elle se trouvait en fait assez proche de la réalité : la reine s’était pendant la nuit précédente rendue au sommet de la plus haute montagne de la région, la montagne du Nord, où, enfin libre d’être elle-même et de faire fi de la réaction du monde, elle avait laissé libre cours à sa créativité et à sa magie pour bâtir un palais de glace étincelant, à la mesure de ses pouvoirs. Là, inconsciente du désarroi dans lequel se trouvait son peuple, elle avait décidé de s’établir dans la solitude, mais une solitude où elle serait au moins libre. Quant à Anna, après une nuit de chevauchée et d’errance dans les bois qui entouraient Arendelle, elle avait été abandonnée par son destrier et contrainte de marcher toute la journée, à l’aveugle et sans la moindre idée d’où aller. Elle avait eu la chance de tomber sur une petite boutique où elle avait pu acheter des vêtements chauds, et surtout faire la rencontre d’un jeune montagnard et de son renne qu’elle avait pu convaincre de l’aider à ramener la reine. Ce jeune homme qui la guidait à travers les paysages enneigés du royaume n’était pas inconnu de Raiponce : il s’agissait de Kristoff, le vendeur de glaçons qu’elle avait croisé le jour du couronnement. Anna était ainsi entre de bonnes mains, et alors qu’elle était passagère du traineau de Kristoff et se laissait conduire dans cette froide nuit d’hiver, ignorait totalement ce que pouvait ressentir la pauvre Raiponce durant ces temps troublés, et à quel point la jeune femme était brisée psychologiquement pour pouvoir accepter d’abandonner toute morale afin de la sauver elle et son royaume. Encore persuadée de la bonne foi de son fiancé, elle n’avait pas non plus connaissance de ses machinations que Raiponce venait de déjouer, consacrée toute entière à la mission dont du succès ou de l’échec dépendrait le sort de toute la population d’Arendelle, et celui de Raiponce.

Et les deux jeunes femmes se trouvaient à ce point, séparées par tout un monde de circonstances et de devoirs imposés par leur cœur, aveugle chacune aux épreuves traversées par l’autre, et unies par un destin au lien ténu, sur lequel elles marchaient les yeux recouverts d’un bandeau, au-dessus d’un abyme qui menaçait de les engloutir. Que l’une tombe, et c’en serait fait de l’autre, et de tout ce à quoi elles tenaient. Raiponce était consciente du rôle primordial qu’elle-même jouait dans cette partie, et de la confiance qu’elle devait accorder à sa cousine concernant le sien ; elle ne pouvait que s’en remettre à Anna, et espérer que tout se passerait bien pour elle. Cependant, rien ne garantissait qu’elle revienne avant que Hans n’ait déjà une mainmise totale sur le royaume, et les manœuvres politiques de Raiponce n’assuraient pas qu’il échoue lors de sa prochaine tentative. Mais la jeune femme se refusait toujours à opter pour la solution la plus simple, et désespérait de trouver un moyen de le neutraliser sans davantage d’effusions de sang. La solution miracle bien-sûr ne se décidait pas à se présenter, et Raiponce ne s’en trouvait que plus indécise, se maudissant d’avoir conseillé à Anna d’aller voir Elsa pour chercher sa bénédiction.

Le fil des pensées de Raiponce se dirigea naturellement vers le sort d’Eugène. Ignorer ce qu’il était advenu de lui donnait une fièvre pratiquement maladive, et l’indécision la scindait en deux. Son premier instinct était de voler à son secours, mais sans plan, ni idée du lieu où il était retenu, la mission paraissait impossible. Elle ne connaissait pas suffisamment bien le château pour savoir comment accéder au donjon, ni si même son époux y était retenu. De plus, que faire après avoir libéré Eugène, dans l’hypothèse optimiste ou la princesse y parviendrait ? Hans ne pouvait pas être laissé en état d’agir. Le prince désirait mettre fin aux jours d’Elsa, et peut-être d’Anna, sans compter qu’il envisageait d’envahir Corona. Sans son journal, il serait impossible de convaincre quiconque de sa duplicité, et dans ce cas, que faire, à part suivre les conseils de Magnus et l’éliminer ? La princesse en était là de ses réflexions quand, une voix familière, provenant de derrière elle, l’en tira brusquement.

-Ça n’a pas l’air d’aller. Que vous arrive-t-il pour que vous soyez éveillée et seule en cette heure tardive ?

Prise par surprise, Raiponce bondit du sofa et se retourna vivement, ne retenant un cri que de justesse. Elle craignit pendant un instant qu’Hans, enragé par son échec, s’était décidé à se débarrasser d’elle et à envoyer un brigand lui trancher la gorge. Elle éprouva un grand soulagement en s’apercevant qu’il ne s’agissait que d’un jeune homme souriant, à qui elle n’aurait donné pas plus de dix-huit ans. Raiponce le scruta en restant néanmoins sur ses gardes : elle se rappelait l’avoir déjà vu quelque part. Il possédait un visage imberbe et aux traits doux, et la scrutait d’yeux marrons à la fois rieurs et mystérieux. Ses cheveux noirs, assez courts, étaient lisses et coiffés vers l’avant, indiquant que l’inconnu préférait un style discret et sobre. Il portait une tenue quelque peu différente de celle des autres nobles : loin des riches atours et des grandes basques, il ne portait qu’un simple pantalon assorti à une veste noire à rayures boutonnée, visiblement faite d’un tissu assez épais, au-dessus d’une chemise blanche et d’une cravate également noire, attachée autour de son cou par un simple nœud et descendant jusque sous la veste.

-Oh, ne vous inquiétez pas, la rassura le jeune homme en levant ses mains nues en signe de bonne foi. Je ne vous veux aucun mal, je voulais juste vous parler.

La princesse continua de toiser cette personne mystérieuse, ayant l’expérience d’odieux manipulateurs qui dissimulaient leur véritable nature derrière un sourire aussi faux que leurs paroles.

-Je ne vous ai pas entendu rentrer dans la pièce, releva Raiponce sans détacher son regard du jeune homme.

-C’est parce que j’étais déjà là à votre arrivée, répondit-il d’un ton détendu. On ne me remarque pas souvent, et il faisait très sombre. Désolé de vous avoir effrayée.

La princesse hésita un court moment, puis finit par se détendre. Son instinct lui soufflait qu’elle n’avait rien à craindre, et elle n’avait aucune envie de refuser toute compagnie humaine. Il n’y avait pas que des Hans chez les hommes, et elle ne pouvait pas s’empoisonner la vie en faisant preuve d’une telle paranoïa. Raiponce consentit à sourire à son interlocuteur.

-Ce n’est rien, l’excusa-t-elle. Je suis heureuse d’avoir un peu de compagnie. Mais je ne crois pas connaître votre nom ?

-Je m’appelle Jean. Enchanté de vous rencontrer, affirma le jeune homme.

-Moi de même, répondit la jeune femme avec une révérence. Je suis la Princesse Raiponce, de Corona.

-Oui, je sais qui vous êtes, répondit joyeusement Jean. Vous êtes très reconnaissable, même sans vos cheveux de trois kilomètres de long.

-Ils n’étaient pas si longs, rit la princesse. A peine une vingtaine de mètres, ce qui était déjà beaucoup trop. Mais vous n’étiez pas au bal ni aux repas d’aujourd’hui, n’est-ce pas ? Venez-vous d’arriver au château ?

-En vérité, je suis arrivé en même temps que vous. Ne vous rappelez-vous pas ?

La princesse se creusa les méninges. La voix et les traits de Jean rappelaient en effet quelque chose à Raiponce. Soudain, elle eut un déclic.

-Vous êtes le jeune homme qui était présent dans ma cabine, et dans ma chambre ! s’écria-t-elle.

-C’est exact. En fait, je n’ai pas vraiment reçu d’invitation, admit-il, et je me suis juste faufilé à bord de votre navire puis parmi les nobles pour profiter de l’hospitalité du château.

Raiponce aurait dû être apeurée, courroucée même, à l’idée qu’un clandestin se soit introduit dans son navire et se soit fait passé pour un matelot, puis pour un domestique. Mais le jeune homme lui paraissait sympathique, et elle choisit d’en rire.

-Voyez-vous cela, s’amusa Raiponce. Si le Prince Hans apprenait qu’il est si facile de s’introduire ici, je me demande quelle serait sa réaction.

-Allez-vous lui en parler ? demanda Jean.

Son visage parfaitement serein ne traduisait aucune inquiétude, comme s’il savait pertinemment que la princesse n’en ferait rien. Il déboucha la bouteille de vin présente sur la table et versa la liqueur rouge dans les deux verres.

-Non, bien-sûr, répondit Raiponce avec un clin d’œil. Moi-même, je ne devrais pas être là.

-Vous parlez de la Reine Elsa, comprit son interlocuteur en prenant les verres à la main et en contournant le sofa pour s’arrêter face à elle. Qui vous a plus ou moins foutue dehors.

-Plutôt plus que moins, soupira la princesse en reprenant sa place sur le sofa. Mais je vois que la nouvelle s’est répandue à travers toute la ville ?

-C’est le genre de choses qui s’apprennent vite.

Le jeune homme indiqua d’un doigt la place laissée vide, à côté de Raiponce.

-Avec votre permission, très chère.

-Oh, allez-y, fit Raiponce. Ce n’est pas plus ma maison que la vôtre.

Jean sourit et s’installa confortablement auprès de la princesse.

-C’est une nuit si froide et si triste, dit-il, et la passer à ruminer ses regrets la rendrait encore plus sinistre.

-Je ne ruminais pas, mentit la princesse avec un sourire gêné. Toute cette situation trouble mon sommeil, et je suis venue ici pour… méditer un peu.

-Vous ruminiez donc, résuma Jean. Voulez-vous m’en parler ? Je sais écouter les gens.

L’appréhension que Raiponce avait à confier ses troubles à un inconnu fut dépassée par les traces de sa personnalité ouverte de jadis, et la princesse accepta de faire confiance au jeune homme.

-Je ne peux m’empêcher de penser que tout ce qui est arrivé est de ma faute, avoua la princesse. Les parents de la reine et de la princesse sont morts en se rendant à mon mariage ; j’ai indirectement amené le Prince Hans à séduire la Princesse Anna, que j’ai finalement encouragée à faire bénir son mariage par sa sœur le soir même, plutôt que de l’inciter à attendre plus longtemps.

-Oh ? répondit Jean d’un ton sarcastique. C’est tout ? Vous vous sentez donc coupable pour un accident qu’il était totalement impossible de prévoir, et pour un enchaînement d’événements provoqués par un facteur inconnu de tous, c’est-à-dire le petit secret d’Elsa ? Vous êtes peut-être la cause indirecte de tout ceci ; mais causer quelque chose ne signifie pas en être responsable. Il y a trop d’éléments à prendre en compte, trop de possibilités, pour pouvoir éviter tout risque à chaque acte : on ne peut pas vous blâmer pour ce qui s’est passé. Plus important encore, vous ne devez surtout pas vous en vouloir pour cela. Ce ne serait pas raisonnable, Raiponce, et encore moins sain.

-Oui, je sais, murmura-t-elle. Et pourtant…

Et pourtant ! Que de tourments l’agitaient en dépit de toute logique ! Elle savait pertinemment que Jean avait raison, mais comme d’habitude, cela ne changeait rien aux regrets qui la persécutaient. Maintenant qu’Eugène payait à son tour le prix de l’aveuglement de Raiponce, cette dernière ne s’imaginait pas pouvoir être plus dévastée. Le jeune homme l’observa d’un œil chargé de compassion ; Raiponce crut même y déceler une once d’un remords dont elle ignorait la source.

-Un jour prochain, vous parviendrez à vous pardonner, affirma Jean, et vous verrez que ce que vous avez traversé vous rendra plus forte. En attendant, ne soyez pas trop dure avec vous-même ; parlons d’autre chose, voulez-vous ? Comme ça, vous ne vous morfondrez plus.

-Vous avez raison, admit-elle, cela ne sert à rien. De quoi voulez-vous parler ?

-Je suppose qu’il vaut mieux éviter le sujet de la météo, plaisanta Jean. Mais dites-moi, comment trouvez-vous Arendelle ?

-Eh bien, c’est un très beau royaume, qu’il s’agisse du paysage ou de l’architecture. Je l’apprécie beaucoup, et on s’y sent facilement chez soi. Il n’a pas changé depuis la dernière fois que je m’y suis rendue.

-Ce n’est donc pas la première fois que vous vous rendez à Arendelle, comprit le jeune homme. En quelle occasion était-ce ?

Raiponce se rembrunit : il s’agissait pour elle d’une période toute aussi sombre.

-C’était il y a trois ans, révéla-t-elle. Je venais tout juste de me marier, et c’était le plus beau jour de ma vie ; j’avais enfin obtenu tout ce que j’avais toujours désiré : la liberté, une famille pour qui je-, pour qui je comptais vraiment… et Eugène. J’étais enfin parvenue à concilier mes devoirs et mes désirs, mes envies d’aventures et mon rôle de princesse, et je croyais que plus rien ne s’opposerait à mon bonheur. Cependant, en sortant de l’église, un garde est arrivé en grande hâte. Quelque chose de terrible était arrivé, avait-il dit, concernant le roi et la reine d’Arendelle. Ils étaient mon oncle et ma tante : le roi était le frère de ma mère, qui avait vécu ici pendant sa jeunesse. Ils étaient évidemment invités à mon mariage, et se réjouissaient de me rencontrer enfin, après les dix-huit années où j’étais la captive de Gothel. Mais peu avant notre mariage, nous avons appris que de graves intempéries rendaient tout passage de la mer Baltique dangereux, et avons voulu avertir la famille royale d’Arendelle. La lettre s’est perdue, pour notre plus grand désespoir ensuite. Ne recevant pas de réponse, nous avons compris que mon oncle et ma tante n’avaient pas été informés. Ils étaient supposés arriver quelques jours avant le mariage, mais ils ne donnèrent aucun signe de vie jusqu’au jour de la cérémonie. Ma mère se faisait un sang d’encre, je me le rappelle bien. Tous les autres invités étaient déjà présents, et il était impossible de retarder les festivités : je me suis donc mariée en leur absence, sans me douter de ce qu’il s’était produit. Mais lorsque j’ai entendu qu’il était advenu quelque chose de grave, j’ai immédiatement songé au pire. Le garde nous a conduits sans rien dire, le visage fermé, et mes parents, Eugène et moi l’avons suivi, toute joie envolée. Nous sommes arrivés sur les berges du royaume ; il y avait tout un attroupement de citoyens et de gardes qui les maintenaient le plus éloignés possible de deux formes humaines recouvertes chacune d’un drap blanc. Mes parents et Eugène sont restés immobiles, trop abasourdis pour réagir, mais je me suis approchée, sans trop savoir pourquoi. Avant que quiconque n’ait pu me retenir, j’ai… soulevé le drap de gauche, et j’ai vu…

La princesse ne put continuer tant sa gorge était serrée, et ses yeux remplis de larmes. Elle se racla la gorge et reprit du mieux qu’elle pouvait.

-Il s’agissait du corps de mon oncle. Ma tante était à côté de lui. Je n’ai regardé qu’une seconde ; mais je crois que je garderai toujours cette image dans ma mémoire. Je préfère ne pas en parler davantage. J’ai immédiatement été tirée en arrière par mon père, mais le mal était fait. Ma mère a éclaté en sanglots et s’est réfugiée dans ses bras. Les gardes nous ont informés que le roi et la reine avaient péri dans la traversée, et que leurs corps s’étaient échoués sur nos plages au matin. La nouvelle n’était bien-sûr pas parvenue à Arendelle : ce fut mon père qui écrivit et envoya lui-même la lettre à ma cousine Elsa, pour lui annoncer ce qu’il s’était passé. Ma mère n’a rien mangé pendant des jours, et mon père n’a pas quitté son chevet. Il fallait pourtant qu’un membre de la famille royale se charge de ramener les dépouilles des souverains d’Arendelle : ne voulant pas séparer mes parents, je me suis proposée, et avec Eugène, nous nous sommes rendus dans ce royaume après avoir prévenu Arendelle de notre arrivée. Les drapeaux étaient en berne, et tout le royaume portait le deuil des souverains. Nous avons été accueillis par la Princesse Anna, toute vêtue de noir. Je ne l’avais jamais vue auparavant, et nous ne nous étions jamais écrits. Malgré les circonstances, elle s’est montrée la plus amicale possible, et nous a remerciés d’avoir ramené les corps de ses parents. J’étais soulagée qu’elle ne nous en veuille pas, et Eugène aussi, je crois. Cependant, elle n’arrivait pas à dissimuler à quel point la perte de sa famille l’avait ravagée. Ses yeux ne retenaient leurs larmes qu’avec peine, et une souffrance terrible était visible sur son visage.

-Vous parlez de la Princesse Anna, releva Jean, mais pas d’Elsa. Etait-elle absente ?

-Elle restait enfermée dans sa chambre, se désola Raiponce. J’ai bien essayé de frapper à sa porte, mais je n’ai reçu aucune réponse. Anna m’a expliqué que c’était déjà le cas depuis une dizaine d’années, mais j’étais persuadée que c’était en partie pour éviter de me parler, et qu’elle m’en voulait pour la mort de ses parents. J’étais tellement stupide ! J’aurais dû me douter qu’elle avait des raisons autrement plus justifiées de ne jamais sortir. Après l’enterrement, Anna nous a raccompagnés Eugène et moi jusqu’à notre navire. Alors que nous allions la quitter, elle n’a pu se retenir plus longtemps et a fondu en larmes. J’en avais le cœur brisé, et je l’ai serrée dans mes bras. Elle m’a dit que sans ses parents, ni le réconfort de sa sœur, elle ne savait pas comment continuer. Qu’elle se sentait effroyablement seule, et qu’autour d’elle il n’y avait que des portes fermées. Je comprenais que son plus grand besoin était de trouver une personne qui saurait l’écouter, la comprendre et toujours être là pour elle, et surtout, lui faire sentir qu’elle existait à ses yeux. Alors, je lui ai répondu qu’un jour, elle trouverait comme moi l’amour et qu’il serait pour elle un cadeau, et une porte ouverte. Je venais de me marier, et j’étais plus naïve qu’aujourd’hui : c’est pourquoi je lui ai expliqué qu’elle ne pourrait pas éprouver un plus grand bonheur d’une autre manière, et qu’à partir du moment où elle serait aimée, toutes ses souffrances disparaîtraient. Je lui ai dit qu’en attendant, il lui fallait être forte, que le temps arrangeait tout, et qu’elle devait garder l’espoir d’un avenir meilleur. Je ne pense pas que ça l’ait vraiment soulagée sur le moment, et je crois aujourd’hui qu’elle avait surtout besoin de moi ou de sa sœur à cette époque. Je l’ai néanmoins quittée, car il me fallait rentrer à Corona pour assumer ma charge de princesse. Nous nous sommes échangées des lettres par la suite, pendant trois ans, et j’ai pu constater que mes paroles avaient progressivement fait leur œuvre : ce fut à partir de notre rencontre qu’elle commença à ne plus penser qu’au « grand amour » qui devait la sauver. Comme je le regrette, à présent que cela a causé la crise que nous vivons ! J’aurais dû rester à ses côtés.

-Cela aurait été impossible, remarqua Jean. Votre vie est à Corona, auprès de vos parents, de votre époux et de votre peuple. Pas à Arendelle. Et même si vous aviez voulu revenir dans ce royaume, vous y auriez trouvé des portes fermées et seriez rentrée bredouille. Les funérailles des souverains et le couronnement d’Elsa étaient des exceptions, vous le savez : conserver une correspondance régulière avec Anna était la seule chose à faire. Comme je vous l’ai déjà dit, vous n’avez rien à vous reprocher.

Sauf concernant Selvig et Heinrich, songea Raiponce. Néanmoins, la princesse ne doutait plus que son complot du jour précédent était la seule chose à faire, et elle commençait à accepter le fait qu’elle n’aurait rien pu faire de plus pour Anna durant ces dernières années.

-Maintenant que j’y pense, reprit le jeune homme d’un ton sarcastique, nous étions censés parler de choses plus joyeuses que ça.

-Je ne suis pas sûre que mes dernières aventures soient particulièrement propices au rire, avoua Raiponce. Parlez-moi plutôt de vous.
Jean, faisant mine de rechigner à la tâche, n’aurait pu tromper personne : c’était précisément ce qu’il désirait.

-Moi ? Il n’y a pas grand-chose à dire, mais si vous voulez… Je suis Français (la fierté qu’il en tirait était très clairement audible), et je ne suis qu’un humble roturier. J’ai facilement passé le baccalauréat instauré par Napoléon Bonaparte, plus grand dirigeant de notre Histoire, dans l’optique de suivre des études supérieures dans le domaine littéraire. Je suis venu à Arendelle, pour, hum, me détendre un peu.

-Le baccalauréat ? Il s’agit d’un diplôme réservé à l’élite, non ? s’enquit la princesse avec admiration.

-Mouais, enfin, ça s’est beaucoup dégradé depuis quelques années, ricana Jean. Il y a un nivellement par le bas destiné à permettre son attribution à un maximum d’élèves, afin de conserver l’illusion que notre éducation se porte bien. Pour satisfaire les parents et la population, voyez-vous. Evidemment, une fois arrivés à l’université, les élèves s’effondrent royalement dans la plupart des cas, et tout le monde fait mine de s’étonner. Les réformes du dernier gouvernement n’ont pas aidé… Heureusement, nos dirigeants actuels semblent avoir la tête sur les épaules. En même temps, eux au moins n’emploient pas leur femme comme collaboratrice parlementaire !

Il éclata de rire, s’amusant d’une plaisanterie que Raiponce n’avait aucun moyen de comprendre.

-Bref, soupira le jeune homme. En dehors de cela, je passe beaucoup de temps à lire. Je passe encore plus de temps à réfléchir et écrire, on me dit même parfois que je devrais ralentir un peu mon rythme pour me concentrer sur mes études, mais que voulez-vous, il faut bien vivre, n’est-ce pas ?

-La vie n’est pas faite que de travail, approuva Raiponce. Je suis moi-même passionnée d’art, surtout de peintures dont ma tour était recouverte, et il m’arrive de cuisiner des pâtisseries ou autre lorsque j’ai du temps libre.

-Mon expertise ne s’étend pas à ces domaines-là, reconnut Jean. Cependant, je sais apprécier un bon repas quand j’en goûte un, et il m’arrive de prendre en accompagnement, une coupe de vin de temps à autre. D’ailleurs, à ce propos…
Il se retourna, et prit les deux coupes remplies de vin rouge qu’il avait laissées sur la table derrière le sofa, et qui étaient sorties de l’esprit de Raiponce. Le jeune homme en tendit une à la princesse.

-Château Latour, cuvée 1789. Très belle année, apprécia-t-il.

Raiponce accepta la coupe et en sirota une gorgée. Le doux goût de l’alcool onctueux lui réchauffa le cœur.

-Je crois me rappeler que c’était l’année de votre Révolution, devina la princesse, n’est-ce pas ?

-En effet, confirma Jean. Une grande victoire pour les droits de l’Homme et la liberté.

-Il me semble qu’elle ait tourné court, souleva la princesse.

-Ne vous en faites pas, balaya le jeune homme d’un geste. La République sera de retour d’ici peu, et le peuple se gouvernera bientôt lui-même, comme il en a le droit.

-J’ai l’impression que vous ne portez pas la monarchie dans votre cœur, répondit Raiponce.

-Ma conviction est que chaque peuple devrait être son propre souverain, affirma Jean. Il y a de grandes injustices dans un régime monarchique et héréditaire : bien-sûr, il y a le fait que le dirigeant du pays n’est pas choisi par la population, ni n’est forcément le plus compétent pour la tâche qui lui incombe. Mais hormis cela, car il est possible qu’un souverain soit en effet le meilleur dirigeant possible pour son royaume et qu’il soit aimé par son peuple, il existe aussi une bien plus grande injustice à mes yeux : elle est pour le souverain lui-même.

-Que voulez-vous dire par là ? interrogea Raiponce avec intérêt.

-Un roi ou une reine n’a d’autre liberté que celle de diriger les siens, alors que sa propre vie lui échappe continuellement. Sa vie est déterminée à sa naissance : jamais il ne lui est proposé d’autre choix que de régner, et toute autre perspective d’avenir est pour lui inexistante. Son temps libre, ses passions sont encadrées : il ne se lève pas le matin en tant qu’homme, comme toute autre personne, mais en tant que roi. Il est roi à toute heure de la journée, dans ses moindres actions, et toutes sont paroles sont écoutées avec attention. Il est le symbole de son pays : il ne peut se permettre le moindre écart, et doit souvent taire son propre avis pour le bien de son royaume. Les tâches quotidiennes sont rarement réjouissantes, et potentiellement infinies, et l’épuisement s’ensuit très fréquemment. Il y a tant de règles à respecter, de protocoles à suivre, qu’il en devient un robot, enfin, une machine. De plus, son devoir est de ne jamais faire prévaloir sa vie personnelle aux dépends de la gouvernance nationale, et il devra sans cesse séparer le roi de l’homme, quand il ne devra pas tout bonnement perdre son humanité pour n’être plus que la fonction. Vous-même, Raiponce, comme princesse héritière de Corona, avez certainement dû ressentir cela, et davantage encore, puisque vous n’avez commencé à porter ce fardeau qu’à dix-huit ans, sans y avoir été préparée auparavant. N’êtes-vous parfois pas fatiguée de toujours être Son Altesse royale de Corona, et de ne jamais être simplement Raiponce ?

Raiponce reconnut en effet dans les paroles de Jean des éléments qui faisaient partie de son propre vécu. Longtemps son statut de princesse lui en avait en effet coûté, et il lui avait fallu de nombreuses fois mettre de côté sa vie personnelle pour accomplir ses devoirs. Cependant, elle avait fini par trouver un juste équilibre entre ces derniers et sa soif d’aventures.

-Vous avez raison pour de nombreuses choses, concéda Raiponce, mais tout n’est pas si noir. J’aime mon peuple, et c’est pour moi un honneur de le servir chaque jour. Je ne ferme pas mon cœur, et je le laisse toujours s’exprimer lorsque je dois prendre une décision : sans compassion, il me serait impossible d’agir justement. Mon époux Eugène est… il est toujours à mes côtés, et mes amis et parents me soutiennent dans les moments les plus difficiles. Grâce à eux, il m’est toujours possible de trouver un moyen, de rester moi-même. Je ne suis pas une fonction. Je suis Raiponce, et je n’ai pas l’intention de laisser la charge que je dois porter faire de moi une coquille vide, une Altesse royale sans visage. C’est vrai qu’il s’agit parfois d’un fardeau, et qu’il est lourd à porter, qu’il m’arrive de penser à fuir toutes ces responsabilités. Mais j’ai un devoir, et je ne peux pas m’y dérober. Cela ne m’empêche pas de profiter d’un peu de temps libre quand je peux me le permettre.

Le jeune homme prit une gorgée de vin, et se retourna pour déposer son verre sur la table avant de réagir.

-Bien répondu, apprécia-t-il. Vous parlez du devoir, et il s’agit de quelque chose de très important. Je me demande, pourquoi considérez-vous que protéger Corona est votre devoir ?

Raiponce y réfléchit un instant, sondant son propre cœur et la manière dont elle considérait son royaume.

-Je suis la princesse de Corona, répondit-elle, et il me paraît naturel de vouloir protéger ses habitants.

-Certes, fit Jean. Admettons que votre royaume soit un territoire de corruption peuplé de voyous et de criminels. Voudriez-vous toujours le protéger, plus qu’un autre ?

-Non, reconnut Raiponce. Mais ce n’est pas le cas de Corona. Mon peuple est bon et généreux, et le royaume est magnifique.

- Mais ne serait-ce pas votre devoir de protéger un royaume dont vous êtes la princesse, même s’il vous dégoûtait ?

La jeune femme hésita, confuse. Où donc Jean voulait-il en venir ?

-Je ne sais pas trop, avoua-t-elle. Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Je suppose que ce serait injuste pour moi de devoir défendre et vivre dans une terre telle que vous la décrivez, et je ne verrais pas cela comme mon devoir.

-Contrairement à Corona, poursuivit Jean. Puisque vous seriez dans les deux cas princesse du royaume, et que vous n’auriez pas pour l’un d’eux le devoir d’assumer cette charge, pouvez-vous toujours penser que votre devoir viendrait uniquement de votre naissance ?

-Je ne crois pas, répondit la princesse.

-Et dans ce cas, d’où viendrait-il selon vous ? insista le jeune homme.

Raiponce répondit instinctivement, comme si les mots étaient pour elle une évidence.

-C’est l’amour, comprit-elle. J’aime Corona, et c’est ce qui fait la différence. Quand on aime quelque chose, c’est notre devoir de tout faire pour le protéger.

Le sourire de Jean s’élargit ; le jeune homme semblait ravi de la tournure de la discussion.

-Excellent, répondit-il. Il n’existe pas de devoir sans amour, comme il n’existe pas d’amour sans devoir.

-Mais… hésita Raiponce. On peut aimer des choses qui sont opposées. Comment savoir quel devoir remplir alors ?

Le regard du jeune homme se fit grave, et il dit en hochant la tête :

-Il vous faudra comprendre ce que vous aimez le plus. Ainsi, vous déterminerez votre nature la plus profonde ; et le seul devoir qu’il vous restera.

-Et si c’était un devoir injuste ?

-Injuste pour qui ? Il ne le sera pas pour vous, jamais. Pour les autres, peut-être. Pour un point de vue objectif. Mais, il n’existe pas de point de vue objectif : dès lors qu’on pense, on se positionne. Et les autres auront également des devoirs qui pourront s’opposer aux vôtres, ni eux ni vous ne pouvant en vouloir à l’autre pour avoir cherché à les remplir. C’est simplement la nature des choses, et le comportement le plus sincère. Certes, cela peut être tragique. Mais la vision d’une personne sacrifiant tout, y compris les autres, par amour, y a-t-il quelque chose de plus beau ?

La princesse, déchirée entre son amour pour Eugène et Corona, et sa crainte de faire de mal à des innocents en tentant de le libérer, ainsi que son horreur pour le meurtre qu’elle envisageait, demeura muette et enfermée dans sa tourmente. Incapable de répondre, elle se contenta de boire quelques gorgées de vin dans l’espoir d’y trouver le courage qui lui manquait, avant de déposer derrière elle le verre à demi vidé. Après plusieurs dizaines de secondes, elle murmura enfin :

-Je ne comprends pas pourquoi vous me dites toutes ces choses.

-En êtes-vous certaine ? répondit doucement Jean. Vous n’êtes pas ici par hasard. Un conflit vous agite, c’est évident : et votre cœur balance. Un devoir doit s’imposer, et vous ignorez lequel vous allez respecter. Je sais, comme tout le royaume à présent, ce qui est arrivé à votre mari. Il est celui qui compte le plus pour vous dans ce bas-monde, et votre seul désir est de le sauver ; mais vous êtes tiraillée entre ce désir et votre peur de devenir un monstre en le faisant. Soyez-sans crainte : il n’est pas de monstre qui agit par amour véritable, et vous resterez vous-même tant que vous n’oublierez pas qui vous êtes, ni pourquoi vous écarterez morale et justice : pour sauver votre époux, votre famille, et votre royaume. Vous renierez tous vos idéaux ; vous ferez des choses terribles, et plus d’un innocent mourra dans votre quête ; vous vous perdrez vous-même. Mais si vous parvenez à vos fins, Eugène et Corona survivront aux plans du Prince Hans, et vous saurez alors, que cela en valait la peine.

-Qu’êtes-vous en train de me suggérer ? demanda Raiponce. Et pourquoi semblez-vous connaître la nature de Hans ?

Jean, gardant son regard posé sur le visage de Raiponce, esquissa un sourire mystérieux.

-J’en ai été témoin, révéla-t-il. Je sais pourquoi votre époux a attaqué le prince, et je connais aussi ses intentions d’assassiner la reine et d’envahir Corona.

-Comment ? s’exclama la princesse. Comment pouvez-vous avoir appris cela ? Il n’y avait personne d’autre que des gardes quand Eugène a été arrêté, et le journal du prince était conservé dans la chambre de la Princesse Anna !

-Je vous ai dit que j’étais d’un naturel discret, répondit évasivement Jean. L’essentiel est que je ne travaille pas pour le prince, et que je cherche à vous aider.

-Comment pourrais-je le savoir ? Je ne vous connais pas, alors que vous paraissez tout savoir de moi et de ma vie, sans parler de Hans. Je ne vois pas comment je pourrais vous faire confiance.

-Je comprends votre méfiance, concéda le jeune homme. Mais sachez que j’ai également connaissance de vos machinations de la veille pour empêcher Hans de lever sa milice, ce qu’il ignore d’ailleurs : si j’étais l’un de ses hommes, je l’en aurais déjà averti, et vous seriez à l’heure qu’il est enfermée avec votre mari.

Raiponce eut le souffle coupé tant les révélations successives de Jean l’estomaquaient : le jeune homme n’ignorait visiblement rien de toute cette histoire alambiquée, et elle devinait dans ses yeux une connaissance bien plus grande encore. N’ayant pas d’autre alternative, elle choisit de le croire, pour l’instant.

-Que proposez-vous, dans ce cas ? soupira-t-elle. Je ne sais même pas où se trouve Eugène, et je ne vois pas comment je pourrais le libérer puis atteindre Hans seule, sachant que le Premier Ministre Magnus ne peut pas m’aider.

-Votre époux a été jeté dans une geôle du donjon, répondit Jean. Mais vous ne pourrez en effet le libérer sans complice : si vous réfléchissez bien, je suis sûr que vous parviendrez à trouver celui qu’il vous faut, qui connaît également l’architecture du château.

Le jeune homme se leva, réajustant sa cravate d’un geste précis.

-C’est ici que je vous quitte, annonça-t-il. Je vous souhaite sincèrement de réussir, Raiponce.

Il fit mine de partir, se dirigeant vers la porte qu’avait empruntée la princesse pour rentrer.

-Une minute ! s’écria-t-elle en quittant brusquement le sofa. Vous aviez dit que vous m’aideriez !

Jean se retourna, gardant un sourire amusé.

-Je ne serai pas loin si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit. Mais croyez-moi, je vous ai déjà apporté ce dont vous aviez besoin ; et votre chevelure ne vous manquera pas non plus. La seule force qui vous sera nécessaire sera celle de votre cœur vaillant. Le reste n’est que secondaire.

Raiponce fronça les sourcils, perplexe.

-Mais enfin, s’ébahit-elle finalement, qui êtes-vous donc ?

Le jeune homme joignit ses mains derrière son dos, ménageant ses effets et prenant un air fier.

-Je suis juste un voyageur égaré, qui comme tous les voyageurs cherche quelque chose qu’il ignore. Je suis de passage ici, car je suis friand d’histoires comme la vôtre et que je désirais moi aussi y participer. Mais il est temps pour moi de vous laisser à vos réflexions, car il vous faut prendre à présent une décision importante. Je sais que vous ferez le bon choix.

La princesse, guère rassurée par les paroles de cet énergumène, se rassit, prenant son visage dans ses mains.

-J’ignore moi-même si j’en serai capable. Comment pouvez-vous en être certain ?

Elle attendit un moment, mais elle ne reçut aucune réponse. Abaissant ses mains, Raiponce regarda autour d’elle ; mais il n’y avait plus personne, et elle était désormais seule.

___

Un chapitre moins long que les précédents, et composé presque uniquement d'un seul dialogue. Mais vous verrez, cette discussion aura un impact important sur Raiponce, qui s'enfoncera aux chapitres suivants plus profondément dans les ténèbres qu'elle ne l'avait jamais fait.


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Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Jeu 8 Fév 2018 - 1:32

Chapitre 11 : Escapade nocturne

Raiponce se leva avec perplexité, et s’aperçut que les verres et la bouteille de vin avaient disparu avec Jean. Se demandant sérieusement si elle n’avait pas halluciné toute la conversation, elle réfléchit néanmoins aux paroles du jeune homme. Elle se rappelait à présent que le donjon devait être la large tour dans un des coins de la muraille qui entourait le château. Cependant, s’y introduire ne serait pas facile, car le lieu devait être férocement gardé ; un complice ayant connaissance des mouvements des gardes, et pouvant combattre, lui serait nécessaire. Heinrich ! Le jeune homme n’avait certes été milicien qu’une journée, mais il avait été informé des protocoles de sécurité et il s’était déjà rendu dans le donjon la veille. Il était ironique et cruel qu’elle doive utiliser celui qu’elle avait humilié et dont elle avait provoqué la déchéance ; mais la vie d’Eugène était en jeu, et il n’y avait pas à hésiter, qu’importent pour l’instant les remords de la princesse : Heinrich pouvait être la clé qui lui permettrait de libérer Eugène. Et ensuite… Eliminer Hans définitivement, pour l’empêcher de mener à bien son entreprise d’assassiner Elsa et d’envahir Corona. Raiponce en était désormais réduite à cela, le meurtre prémédité. Mais quel autre choix avait-elle ? Magnus avait raison. Elle n’avait aucune preuve des intentions du prince ; ce dernier se défiait d’elle ; les dignitaires étaient trop lâches pour tenter quoi que ce soit contre lui ; et Anna, qui du reste était bien loin, en était éperdument amoureuse. La voie de la morale et de la légalité étaient obstruées, ne restait que celle du meurtre. Raiponce, la boule au ventre et prise de nausées, était horrifiée de se sentir accepter un crime de ce genre. La réalisation de cette évolution s’imposait à elle : après des dérogations partielles à des idéaux absolus, le chemin menant à une chute de plus en plus profonde dans des états d’esprits à chaque heure plus pragmatiques et violents s’accomplissait presque tout seul. Un premier crime accompli rend le suivant aisé, et c’est bientôt l’escalade ; ainsi Raiponce avait successivement manipulé sa cousine pour qu’Elsa refuse de bénir son mariage, comploté pour qu’Heinrich soit évincé de la milice, été complice d’un meurtre, et en préparait à présent un elle-même. La vie d’Eugène, d’Anna et la sûreté de Corona et d’Arendelle étant tout ce qui comptait pour elle, la princesse avait dû revoir l’ordre de ses priorités, et se résigna dès lors à faire tout ce qui était nécessaire pour protéger ceux qui lui étaient chers, d’autant qu’elle était au moins partiellement responsable de tous les événements tragiques de ces derniers jours.

La jeune femme marcha vers une table à proximité de la cheminée, prenant sur celle-ci une carafe en porcelaine remplie d’eau. Elle la versa sur le feu crépitant dans l’âtre, ramenant la nuit pendant qu’une fumée blanchâtre s’élevait et se dissipait autour de la cheminée. Raiponce, ayant l’intention de retourner dans sa chambre pour y récupérer le matériel dont elle aurait besoin pour sortir du château sans être repérée, quitta la bibliothèque et refit le chemin qu’elle avait parcouru précédemment, sans croiser quiconque une fois de plus (hormis Finland à l’entrée de l’étage qui s’écarta cordialement à son passage). Une fois arrivée dans la chambre royale, elle se dirigea vers le fond de la pièce où se situait une malle fermée. Raiponce s’accroupit, puis l’ouvrit et regarda à l’intérieur : s’y trouvaient outre son matériel de peinture et sa poêle, une sarbacane et une fléchette soporifique qu’Eugène et elle s’étaient amusés à fabriquer durant leur voyage. Le jeune homme en avait eu l’utilité alors qu’il était encore un voleur, des années auparavant, et une de leurs propriétés étaient d’infliger une amnésie à court terme, ce qui s’avérerait certainement utile si la princesse devait sortir et rentrer discrètement du château : elle devait absolument éviter que Hans soit informé du moindre de ses mouvements, et il lui faudrait chercher Heinrich à l’intérieur du village. Il y avait aussi un fumigène aux propriétés soporifiques qu’un jeune alchimiste de Corona lui avait offert. Raiponce glissa la sarbacane, sa munition et le fumigène à l’intérieur de sa veste, ainsi qu’une petite boite d’allumettes. Après un instant de réflexion, elle prit également sa poêle et l’accrocha à sa taille à l’aide d’une ceinture : il lui faudrait peut-être combattre, et sa fidèle poêle avait été une arme redoutable durant les nombreuses aventures qu’elle avait partagées avec Eugène.

Fin prête, Raiponce hésitait cependant sur la façon dont elle devait s’y prendre pour sortir du château sans être repérée ; sauter des murailles n’étant bien-sûr par une option, elle devait forcément passer par l’une des portes séparant l’enceinte du château du reste du royaume. La porte principale était le moyen le plus simple, mais comment sortir sans être vue de tous les gardes postés sur les remparts et autour de la porte ? La princesse savait qu’il existait un autre accès menant vers les côtes, qui étaient reliées par la mer aux quais. Mais marcher sur une glace qui pouvait être fragile et instable ne lui disait rien qui vaille ; de plus, si celle-ci se brisait, Raiponce se retrouverait alors plongée dans une eau gelée qui pourrait bien être sa fin. Ce n’était pas un chemin sûr, mais il était celui qui lui permettrait d’attirer le moins d’attention.

Malgré les risques qu’il y avait à passer sur de l’eau gelée, ce fut donc celui-ci que Raiponce décida d’emprunter. La princesse sortit alors de sa chambre, et se déplaça furtivement à travers les couloirs de l’étage. Ayant oublié la présence de l’homme devant l’ouverture qui permettait d’accéder aux escaliers du château, elle espérait naïvement qu’elle ne croiserait aucun garde jusqu’à ce qu’elle soit descendue. Cependant, la mémoire lui revint lorsqu’elle repéra de nouveau Finland, qui portait l’uniforme de la garde et ne semblait pas décidé à quitter les lieux, les bras croisés. La princesse hésitait sur la conduite à adopter, mais Magnus lui avait bien signifié que Finland resterait muet comme une tombe. Elle s’avança vers lui, et porta sa main à son épaule pour capter son attention.

-Je sors, dit-elle. Je serais revenue avant l’aube, mais surtout, ne dites rien à personne.

-Entendu, affirma Finland. Bonne chance, je suppose que vous en aurez besoin.

Raiponce le remercia, passa à côté de lui et emprunta les escaliers. Les autres gardes devaient tous être concentrés sur les remparts ou dormir profondément, car elle ne croisa personne tandis qu’elle se rendait au rez-de-chaussée et passait silencieusement dans le grand salon. Elle évita de fixer le trône qui durant son sommeil l’avait tant tourmentée, et s’empressa d’aller à l’extérieur du château, recouvrant sa tête du capuchon de sa veste.

Camouflée dans l’obscurité, Raiponce put apercevoir derrière la balustrade des remparts quelques gardes patrouiller, et des homme postés devant la porte principale. Les hommes peu nombreux étaient quasiment absents, dormant profondément pour la plupart, et presque tous rassemblés au-dessus de la grande porte. Raiponce, passant à proximité de la chapelle, s’aperçut alors que deux hommes discutaient devant l’entrée, et elle s’immobilisa.

-Comment pouvez-vous accepter la sorcellerie de la reine, alors que vous êtes évêque ?

C’était la voix de Magnus. Et à en croire ses paroles, il parlait à l’évêque qui avait couronné Elsa.

-Monsieur le Premier Ministre, il nous faut faire preuve de tolérance. Cette magie n’est pas une manifestation du diable. Au contraire, je crois que c’est Dieu qui a béni notre souveraine. Vous et moi connaissons Elsa depuis qu’elle est enfant, et vous savez bien qu’elle n’a aucune noirceur en elle.

-C’est vous qui le dites, répondit acerbement Magnus. Mais je ne suis pas convaincu.

Il quitta l’homme de foi, et marcha à grands pas vers le château. Raiponce n’eut pas le temps de s’esquiver, et fut repérée par le Premier Ministre. Ce dernier sembla surpris de la présence de la jeune femme, mais se reprit vite et lui adressa un clin d’œil en passant auprès d’elle. Encore sous le choc, Raiponce mit un temps avant de reprendre sa route. Ce que j’ai entendu est très inquiétant. Il me faudra lui en parler demain. Si je suis encore en vie… Préoccupée par des enjeux bien plus importants, la princesse reporta son attention sur son objectif. Elle profita du fait que les gardes semblaient observer le côté extérieur plutôt que l’enceinte du château pour se diriger vers la gauche d’une marche rapide, la main enserrée autour de sa sarbacane. Elle parvint au niveau d’un renfoncement dans la muraille –il s’agissait en réalité du chemin emprunté par Elsa pour s’échapper d’Arendelle, ce que Raiponce avait appris de la bouche de plusieurs témoins-, où se trouvait une porte qui n’était pas gardée. La jeune femme l’utilisa et se retrouva dans un étroit et sinueux corridor aux murs de briques. Au bout de quelques mètres, Raiponce bifurqua et arriva devant une deuxième porte qui était sûrement le dernier obstacle avant qu’elle ne puisse sortir du château. Seul problème : un garde dont le regard portait sur elle lui bloquait le passage. L’homme la vit et fronça les sourcils, ouvrant la bouche pour demander à la jeune femme ce qu’elle faisait là. Mais il n’eut pas le temps de dire un mot : d’un geste vif, Raiponce plaça sa fléchette à une extrémité de la sarbacane, porta cette dernière à sa bouche, et souffla brusquement en visant le cou de sa cible. En moins d’une seconde, la fléchette s’y ficha dans un bruit sourd, et le somnifère fit son office : l’homme adossé à la porte s’affaissa lentement. Esquissant un léger sourire, Raiponce s’approcha de lui et récupéra la clé de la porte qu’il portait accrochée à sa ceinture. Elle s’en servit pour déverrouiller la porte intérieure, avant de l’ouvrir délicatement et de déverrouiller la porte extérieure. La jeune femme revint ensuite vers le garde pour replacer la clé à sa place, afin que l’homme ne se rende compte de rien à son réveil et qu’il mette lui aussi ce moment d’absence sur le compte de la fatigue. Raiponce sortit de l’enceinte du château en refermant les portes derrière elle : elle était parvenue à sortir.

Il lui restait encore à traverser toute une étendue de glace à la solidité incertaine. Raiponce frissonna rien qu’à l’idée de plonger dans une eau si froide, et regarda avec appréhension la glace couverte d’une épaisse couche de neige devant elle. L’océan gelé se poursuivait à l’infini à l’horizon, mais contournait aussi le château et le royaume pour s’infiltrer jusqu’aux quais, que la princesse voulait rejoindre afin d’accéder au village et d’y trouver Heinrich. Raiponce jeta un œil au-dessus d’elle, mais cette partie de la muraille n’était pas gardée, sûrement par habitude : l’eau d’ordinaire liquide devait être suffisante pour décourager les intrus, du reste peu nombreux dans le royaume, et personne n’avait jugé bon d’assigner à l’endroit plus d’un garde. La princesse se retourna, prit une grande inspiration, puis déposa un pied sur la glace en fermant les yeux : mais rien ne se produisit. Raiponce soupira, soulagée, et commença sa marche à travers les glaces d’Arendelle. Il faisait un tel froid qu’elle aurait pu geler sur place si elle n’avait enfilé de vêtements chauds, mais cela fut moins pénible qu’escompté, et ses talents de danseuse émérite lui permirent de se rendre sans glisser jusqu’à un des pontons de bois qui se trouvaient à l’extrémité des quais du royaume. Elle l’escalada sans difficulté et arriva sur la place du village, prête à chercher Heinrich pendant des heures s’il le fallait.

L'obscurité aurait été totale sans la brillante pleine lune illuminant le royaume, et qui permettait à Raiponce de s'orienter sans trop de soucis. Comme souvent ces derniers temps, il n'y avait pas âme qui vive dans le village, mis à part quelques gardes faisant leurs patrouilles nocturnes et que la princesse évitait facilement, en se cachant derrière l'angle d'un mur ou en utilisant les ténèbres pour rester invisible. La jeune femme n'avait aucune certitude sur la localisation d'Heinrich, mais avait choisi de se rendre dans la ruelle où Eugène et elle l'avaient rencontré deux jours auparavant. S'en approchant, son attention fut attirée par un tapage nocturne provenant d'une auberge à proximité, sur la droite de la rue dans laquelle elle se trouvait, et qui était le seul bâtiment encore éclairé. Des cris et imprécations assourdis par les murs venaient jusqu'aux oreilles de Raiponce, et la porte de l'auberge s'ouvrit d'un seul coup, lui dévoilant deux hommes de haute stature en pleine dispute, encadrés par une forte lumière issue de l'intérieur du lieu. L'un des deux hommes, visiblement le propriétaire de l'auberge attrapa alors l'autre par le col et le projeta violemment à terre, devant l'entrée.

-Et que je ne te revois pas trainer ici, voleur ! S'écria-t-il avant de retourner dans le bâtiment et de claquer la porte.

Le propriétaire ne s'était semblait-il pas aperçu de la présence de Raiponce, trop occupé à expulser l'autre homme. La princesse, observant ce dernier qui restait immobile sur le sol, peinait à distinguer ses traits à cause de l'obscurité, mais devinait son identité de par ses cheveux blonds et la façon dont il avait été traité.

-Heinrich ? appela-t-elle doucement.

Le misérable ne réagit d'abord pas, enfermé dans sa déchéance, puis leva lentement sa tête vers Raiponce.

-Qu'est-ce que vous me voulez, hein ? cracha-t-il. Vous moquer de moi, m'humilier ? Allez-y, j'ai déjà subi tout ce qu'on pouvait m'infliger.

Le cœur de Raiponce se serra devant ce triste spectacle. Elle retira son capuchon, se dévoilant au jeune homme.

-Non, Heinrich, répondit-elle avec compassion. Je suis venue chercher ton aide.

Une expression surprise marqua le visage d'Heinrich, et le jeune homme s'aidant de ses bras pour se rasseoir, difficilement.

-Ah ouais ? répliqua-t-il. Je vois pas trop comment je pourrais t'aider, là, tout le royaume me déteste pour un vol que je n'ai pas commis, et je suis devenu un paria. D'ailleurs, c'est sympa de venir me voir, même si c'est juste parce que tu as besoin de moi. Qu'est-ce que tu veux ?

-Je suis désolée, Heinrich, répondit sincèrement Raiponce. Après ton renvoi de la milice, les choses ont changé. J'étais trop préoccupée pour venir te voir, mais à présent je pourrai également t'aider et te ramener à Corona une fois la crise terminée. Eugène a été emprisonné par le Prince Hans.

-Hein ? s'exclama Heinrich avec un air abasourdi. Mais pourquoi ?

Alors que la princesse ouvrait la bouche et s'apprêtait à raconter ce qu'il s'était produit, elle se rendit compte qu'afin de mettre toutes les chances de son côté, un petit mensonge était de mise.

-Il est devenu furieux après que Hans t'ait renvoyé, et il s'est laissé submerger. Il a voulu régler ses comptes avec lui, et ils se sont battus ; Eugène a été enfermé dans le donjon par la garde.

-Le Prince Hans a fait cela ? s'horrifia Heinrich qui conservait une certaine estime du régent pour l'avoir accueilli dans ses rangs.

-Hans n'est pas celui que tu crois, Heinrich, révéla Raiponce. J'ai découvert dans son journal, que je n'ai malheureusement pas pu conserver, qu'il s'était fiancé à Anna pour devenir roi, et qu'il avait l'intention de tuer sa sœur, ainsi que d'envahir Corona.

-Mais c'est impossible, balbutia le jeune homme. Je ne comprends pas...

-Il t'a manipulé, Heinrich, insista la princesse. Te recruter en te tirant de la rue était un moyen de s'assurer de ta loyauté. Ce n'est pas le noble prince qu'il veut paraître, mais un véritable monstre.

Heinrich eut l'air de ressentir une véritable douleur, un sentiment d'une terrible trahison, et il eut un regard dur.

-Dans ce cas, il nous faut l'arrêter, et sauver Eugène, affirma-t-il.

Raiponce lui tendit la main, et le jeune homme la saisit pour se relever.

-Merci d'accepter de m'aider, Heinrich, murmura-t-elle.

-Non, répondit-il avec gratitude, c'est moi qui te remercie. Tu me tires de là une nouvelle fois.

Une effroyable culpabilité menaça de s'emparer totalement de Raiponce, la poussant presque à tout avouer à Heinrich, de s'effondrer en pleurant à ses pieds. Le danger dans lequel se trouvait Eugène la retint cependant, et elle sourit bravement.

-Alors, quel est le plan ? demanda le jeune homme.

-J’espérais que tu pourrais m’aider à ce sujet. Eugène est retenu dans le donjon, et je ne sais pas comment m’y rendre, grimaça Raiponce.

-Si ce n’est que ça, ironisa Heinrich. Ça grouille de gardes, là-bas. Moins qu’à Corona, d’accord, mais si mes souvenirs sont bons ils devraient être au moins cinq ou six pour garder les prisonniers. Ce serait impossible d’aller jusqu’à Eugène sans qu’on se fasse remarquer, encore moins de l’aider à s’évader. Et puis, si j’étais vu au château, on m’expédierait sans doute dans une de leurs jolies cellules.

-Pas forcément, répondit pensivement la princesse. Si la garde ne te reconnaissait pas…

-A quoi penses-tu ? Un déguisement, un truc comme ça ?

-Tu pourrais enfiler l’uniforme d’un membre de la garde, et une fois à l’intérieur du château, tu pourrais te déplacer incognito. Ton visage n’est pas assez connu, tu ne serais pas repéré au premier coup d’œil, personne ne ferait attention à toi. Tu te rappelles de la maison de Selvig ?

-Trop bien, grommela le jeune homme. Je crois qu’un garde doit passer dans la rue toute les heures, pour vérifier qu’il n’y ait pas de grabuge. Pourquoi ?

-La maison est… inoccupée, expliqua Raiponce en omettant de parler du meurtre de Selvig. Nous pourrions assommer un garde la prochaine fois qu’on viendra patrouiller dans la rue, lui voler son uniforme, et le dissimuler à l’intérieur. Ensuite, tu te ferais passer pour lui en revenant au château, et l’obscurité masquerait ton identité.

-Ça pourrait marcher, approuva Heinrich après un instant de réflexion. Dans ce cas, ne traînons pas, car un garde devrait passer là-bas d’ici peu.

Les deux jeunes gens s’empressèrent de se diriger vers l’ancienne demeure de Selvig. Durant le trajet d’une quinzaine de minutes, la princesse ne pouvait s’empêcher de jeter régulièrement des regards chargés de culpabilité au pauvre Heinrich qu’elle avait tellement fait souffert et qu’elle manipulait à présent pour ses propres desseins. Etait-elle meilleure que Hans utilisant Anna pour accéder au trône ? Tous les deux étaient prêts à tuer et à manipuler pour parvenir à leurs fins. Mais la différence était de taille : Raiponce n’agissait ainsi que par nécessité, ce qu’elle se répétait encore et encore. Elle ne désirait pas comme Hans le pouvoir ou une gloire personnelle, seulement protéger ceux qu’elle aimait. Cependant, n’y avait-il pas là un même égoïsme ? Hans agissait selon sa nature qui était de chercher le pouvoir pour compenser un manque d’amour. Raiponce avait eu plus de chance, car elle aimait et était aimée : mais elle aussi agissait selon sa nature, et celle-ci était comme nous l’avons vu de défendre tous ceux qui lui étaient chers. Aucun n’avait choisi d’être ainsi ; les deux obéissaient à leur instinct premier, avec plus ou moins de résistance. La princesse n’avait pas de mérite moral en se préoccupant plus d’Eugène que du pouvoir, car elle ne l’avait pas décidé, ne faisant que subir sa propre nature qui était elle-même due à des circonstances extérieures. Le cœur de Hans n’était pas si différent, mais battait seulement pour des désirs plus noirs.

La jeune femme reconnut au bout d’un moment la rue qui avait été témoin de tous les événements tragiques de la veille. Heinrich et elle se trouvaient en vue de la maison de feu Selvig, et s’arrêtèrent face à elle.

-Un homme arrivera d’une minute à l’autre, à présent, annonça Heinrich. Cachons-nous derrière l’angle du mur pour attendre son passage.

Alors que l’ironie de la situation rappelait de mauvais souvenirs à Raiponce –qui s’était dissimulée au même endroit pour piéger Heinrich-, la jeune femme obtempéra sans rien dire de son mal-être.

-Je me charge de lui quand il arrivera, dit-elle en caressant le manche de sa poêle.

-Tu es sûre ? s’inquiéta le jeune homme. Cela pourrait être dangereux.

-J’ai l’habitude, sourit la princesse, ne…

Elle se tut, voyant dans la pénombre la silhouette d’un homme apparaître à l’entrée de la rue. Heinrich suivit son regard et se tendit, pendant que Raiponce dégainait doucement son arme. C’était comme elle l’avait pensé un garde ; ce dernier passa devant eux sans les voir. L’estomac noué et la respiration courte, la princesse s’approcha de sa cible avec la discrétion et la souplesse d’un chat. Arrivée juste derrière-lui, elle leva haut sa poêle, et le frappa d’un puissant coup horizontal dont le grand bruit éclata dans le silence nocturne. Le garde, heurté au niveau du cou, s’écroula sur le côté, son grand chapeau vert roulant près de lui. Raiponce fit signe à Heinrich, et les deux transportèrent avec difficulté le garde et son chapeau jusqu’à leur cachette, pour éviter que des curieux ne s’aperçoivent de ce qu’il s’était produit.

-Retire-lui ses vêtements pendant que je vais voir si Selvig n’a pas caché une clef de secours à proximité, fit Raiponce.

Elle se rappelait avoir demandé à Weselton de la laisser sous le paillasson qui était situé devant la porte d’entrée. Cependant, rien ne garantissait que le vieil homme s’était exécuté après son départ, et Raiponce devait s’en remettre à la parole du duc, ce qui n’était pas pour la rassurer. Sur le perron, elle souleva le paillasson avec une lenteur appréhensive, et eut l’heureuse surprise d’y découvrir la clé de l’habitation. La princesse la glissa dans la serrure et déverrouilla l’entrée, la laissant entrouverte pour pouvoir rentrer sans difficulté lorsqu’elle reviendrait avec Heinrich pour transporter le garde inconscient. Raiponce revint du côté où se trouvait Heinrich, souriante.

-C’est bon, il y avait une clé sous le paillasson, j’ai pu…

La princesse s’arrêta, s’aperçut qu’Heinrich n’avait pas encore dévêtu l’homme qu’elle avait assommé. Le jeune homme se tenait accroupi à côté du garde, deux doigts posés sur son cou. Mais ses mains tremblaient et ses yeux écarquillés et choqués étaient le signe que quelque chose n’allait pas ; il leva sa tête vers la princesse et la regarda avec horreur.

-Bon sang Raiponce… balbutia-t-il. Il… il est mort.

D’abord incrédule, la jeune femme posa immédiatement son regard sur le garde inconscient à ses pieds. Car il n’était qu’inconscient, il ne DEVAIT être qu’inconscient. Son visage juvénile était presque paisible, et ses cheveux courts et blonds donnaient l’impression d’être face à un ange endormi. Un jeune homme comme lui n’aurait pas pu mourir si facilement, disparaître d’une façon si injuste, si subite, si cruelle. Mais sa poitrine était inerte et on ne pouvait y voir le soulèvement caractéristique d’une respiration porteuse de vie ; et sa tête était inclinée selon un angle trop étrange pour être naturel. C’est alors que Raiponce comprit qu’Heinrich disait vrai, et elle laissa échapper une expiration épouvantée. Elle sentit tout son sang se figer dans ses veines et son corps devenir d’une lourdeur presque insoutenable, écrasé par une pression terrible. Elle chancela un bref instant, comme frappée par une vérité féroce et indubitable : le coup de poêle qu’elle avait asséné à l’homme avait été fatal. Elle venait de tuer un innocent.

-Je-je ne comprends pas, bégaya Raiponce. C’est impossible…

-Tu lui as frappé la nuque d’un coup de poêle, répondit Heinrich. A quoi est-ce que tu t’attendais ?

-Mais ça n’était jamais arrivé auparavant, protesta la princesse, je n’avais pas la moindre idée que cela pouvait arriver !

La stupidité de ce qu’elle racontait frappa Raiponce au moment même où ces mots absurdes sortaient de sa bouche. Evidemment que cela pouvait arriver, et c’était même un miracle que cela ne se soit pas produit plus tôt : être frappé d’un énorme coup de poêle était pour le moins dangereux et il ne fallait pas être médecin pour le savoir.

-Eh bien, répliqua le jeune homme avec tristesse, c’est arrivé. Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

Ce meurtre –certes bien involontaire- était un nouveau fardeau que la princesse devait porter, s’ajoutant aux nombreux autres qui s’étaient accumulés ces derniers temps. Raiponce faillit fléchir sous ce poids, et renoncer : mais si elle faisait marche arrière, ce jeune homme dont elle ignorait jusqu’au nom serait mort en vain, et Eugène pourrait bien le suivre dans la mort, voire l’ensemble de Corona. Alors la princesse contint et supprima au maximum son sentiment de culpabilité, et fronça les sourcils, durcissant son regard.

-On continue, répondit-elle sèchement. Aide-moi à la porter, tu te changeras à l’intérieur.

Il lui apparut qu’Heinrich était choqué de voir la jeune femme si insensible et si dure, et qu’il se mettait à douter d’avoir pris la bonne décision en acceptant de l’aider. Ceci inquiéta Raiponce, qui commença à imaginer un moyen de s’assurer de sa loyauté. Le jeune homme ne fit néanmoins pas part de ses incertitudes, et obtempéra silencieusement, soulevant avec douceur les bras du défunt garde. Raiponce l’attrapa par les jambes, et Heinrich et elle le portèrent ensemble jusqu’à l’intérieur de la maison de Selvig, Heinrich passant en premier. La demeure était plongée dans une obscurité totale, et la princesse prit un moment pour allumer le chandelier accroché au mur à l’aide d’une de ses allumettes, refermer la porte, avant de reprendre sa charge et de la déposer sur l’un des deux canapés du salon. Elle était soulagée d’avoir mené à bien la première partie de son plan sans qu’elle n’ait été repérée, malgré la mort tragique de ce pauvre homme. Mais elle se doutait qu’Heinrich ne tarderait pas à s’interroger sur la raison de l’absence de Selvig, et sur le fait que la princesse en était étrangement informée. Bien évidemment, cela ne manqua pas d’arriver l’instant d’après.

-Comment savais-tu que Selvig serait absent ? demanda Heinrich. D’ailleurs, où est-il en ce moment ?

Raiponce préféra éluder la question, car elle ne voulait pas que le jeune homme établisse un lien quelconque entre Selvig et elle, et comprenne qu’elle pouvait avoir orchestré sa propre déchéance.

-Quelques témoins l’ont vu quitter sa maison et partir du village, prétendit-elle, mais je n’en sais pas plus. L’important est qu’il ne devrait pas revenir avant que toute cette histoire soit réglée.

-Dans ce cas, bon vent ! maugréa Heinrich. Je suis sûr qu’il n’est pas innocent concernant le vol dont j’ai été accusé.

Le jeune homme n’avait pas l’air de mettre en doute le mensonge de la princesse, ce qui permit à cette dernière de se détendre un peu. Pendant qu’Heinrich retirait les vêtements du pauvre homme et ne lui laissait que ses sous-vêtements, avant de se retirer dans la chambre pour les enfiler, Raiponce regardait autour d’elle en vérifiant qu’il n’y avait plus de traces de la lutte entre Eugène et Selvig et du meurtre de ce dernier. Les débris de la table avaient disparu, ainsi que toute trace de sang ; le cadavre de Selvig devait avoir été déplacé, puisque Raiponce ne le voyait pas non plus. Apparemment, le duc et ses sbires avaient bien fait leur travail, ce qui n’alla pas sans surprendre la princesse.

Heinrich revint bientôt, vêtu de la tête aux pieds d’un uniforme de la garde, jusqu’aux gants blancs et au chapeau. Il était ceint de l’épée du défunt, et on n’aurait pu se douter de sa véritable identité qu’en s’arrêtant sur son visage pendant quelques secondes.

-Parfait, apprécia Raiponce en souriant. Maintenant, nous devrions emporter le corps dans la cave, je crois avoir vu des escaliers au fond de la pièce.

Elle avait en fait repéré cet accès lors de sa première visite, mais elle ne pouvait bien sûr pas le révéler à Heinrich sans que ce dernier ne se doute de quelque chose. Ils soulevèrent à nouveau le garde inerte, mais cela fut cette fois plus aisé, l’homme ne portant plus tout son équipement. Raiponce marcha à reculons jusqu’aux escaliers, les descendant avec précaution, d’autant que les marches grinçaient d’une façon plutôt lugubre et inquiétante. Le sous-sol, rempli de tonneaux et de bouteilles entreposés, était à peine éclairé par la lumière provenant du rez-de-chaussée. Raiponce jetait de fréquents coups d’œil en arrière pour vérifier qu’elle ne se dirigeait pas vers un obstacle, et s’aperçut ainsi de justesse qu’une longue forme se trouvait juste derrière elle, entre deux futs de bière. Sans la regarder davantage, elle lança un regard à Heinrich pour lui signifier de déposer le corps, et tous les deux le placèrent au sol. Mais alors qu’elle se relevait, elle surprit dans le regard d’Heinrich une lueur inquiète dirigée vers la forme qu’elle avait aperçue. Se retournant pour voir de quoi il s’agissait, elle comprit avec désarroi que ce n’était autre que le cadavre de Selvig. Il ne manquait plus que ça. Croire que Weselton accomplirait son travail jusqu’au bout avait été stupide : le duc s’était contenté de dissimuler le corps dans la cave. Les plaies du cadavre étaient restées béantes, et ses vêtements transpercés et rougis par le sang montraient clairement que Selvig avait été empalé de part en part. L’homme, allongé sur le dos, avait pris la pâleur de la mort et ses yeux qui ne pouvaient plus voir étaient demeurés grand ouverts.

-Qu’est-ce que ça veut dire ? s’exclama Heinrich. Qui a pu lui faire ça ? Je croyais qu’il avait quitté la ville !

Raiponce se tourna lentement vers lui. Elle ne pouvait plus lui cacher la vérité, en partie du moins, mais elle avait encore l’opportunité de tirer profit de cette découverte macabre, si elle réussissait à improviser un scénario plausible.

-Je ne voulais pas t’en parler, répondit Raiponce, pour ne pas te blesser davantage. En vérité, Selvig n’a jamais quitté cette maison.

Evidemment qu’il n’a jamais quitté cette maison, imbécile, sinon il ne serait pas là, étendu mort sur le sol ! pesta intérieurement la princesse.

-Il a été tué parce qu’il en savait trop, continua-t-elle, au sujet de ce qu’il s’est produit hier.

Difficile de faire plus vague. Mais qu’est-ce que je raconte ?

-Qu’est-ce que tu racontes ? s’alarma Heinrich. Qui l’a tué ?

-Selvig a été tué, hésita la jeune femme, par…

Par qui ? Réfléchis, bon sang ! Il était évident qu’elle ne pouvait pas dire qu’elle avait participé à ce meurtre, ou elle naviguerait alors en eaux troubles et se retrouverait dans une situation précaire. Il ne fallait pas mentionner Eugène, et il serait absurde de jeter le discrédit sur Anna ou Elsa étant donné leur absence depuis déjà deux jours. Parler de Weselton et de ses sous-fifres compliquerait inutilement les choses et ne l’aiderait pas à s’attacher définitivement le soutien d’Heinrich. Ne restait que…

-…Hans, mentit Raiponce.

-Hans ?! s’écria le jeune homme. Je ne comprends pas, pourquoi a-t-il fait ça ?

Ben oui. Pourquoi aurait-il fait ça ? Un mensonge en entraînait un autre, et il devenait difficile pour la princesse de justifier un acte pareil.

-Hans avait payé Selvig pour qu’il fasse semblant d’avoir été volé, et pour que tu sois injustement accusé. Je les ai surpris échanger une bourse de pièces d’or, et vu Hans assassiner Selvig à travers la fenêtre.

Le temps manquait à Raiponce, et comme souvent dans ce genre de situation, n’avait pu qu’attribuer à un autre ses propres méfaits plutôt que d’inventer une histoire de bout en bout. La réaction d’Heinrich fut celle à laquelle on aurait pu s’attendre : le jeune homme fronça les sourcils, secouant la tête sans avoir l’air de croire la princesse.

-En es-tu sûre ? Ce serait son propre projet de milice qu’il aurait fait capoter.

Très juste. Qu’est-ce que je raconte comme connerie, maintenant ? Raiponce se retrouvait dos au mur, et commençait sérieusement à paniquer, quand elle eut le déclic salvateur qui pourrait l’aider à renverser la situation.

-C’est exactement ce qu’il voulait faire, affirma-t-elle d’un air plus assuré. Tu n’as pas vu comment il s’est érigé en héros devant la population, hier ? Presque comme s’il voulait être vu comme un guide, au-dessus des vengeances mesquines et pétri de justice. Cela faisait partie de son plan pour s’attirer les faveurs des citoyens d’Arendelle, et préparer son accession au trône.

L’instinct de Raiponce venait de la sauver la mise, là où ses réflexions précipitées avaient échoué : Heinrich sembla croire à sa version des faits, et s’affaissa soudainement, comme si une grande peine venait de le frapper.

-Alors je n’étais qu’un pion pour lui, murmura le jeune homme. Il m’a utilisé, et méprisé comme tous les autres.

Le visage de la princesse trahit un court moment sa culpabilité, Raiponce étant en réalité celle qui utilisait Heinrich comme un pion dans la partie qu’elle jouait contre Hans. Mais le jeune homme, tout à sa peine, ne vit pas cette expression qui aurait pu lui faire comprendre que Raiponce lui mentait ; et ses traits se convulsèrent de rage alors qu’il posait sa main sur le pommeau de son épée.

-Il paiera. Tous ces salauds vont payer. Ils vont bien voir de quoi je suis capable, et ils regretteront de m’avoir traité comme de la merde.

Heinrich fit alors brusquement volte-face et grimpa à toute vitesse l’escalier, semblant prêt à en découdre avec ce monde qui l’avait rejeté toute sa vie, et qui le jour où il avait enfin réussi à trouver sa place, l’avait une nouvelle fois humilié et rejeté dans sa misère à laquelle il était sans cesse renvoyé. La trahison qu’il croyait que Hans avait commise était plus que ce qu’il pouvait supporter : la princesse songea amèrement que si elle avait voulu s’assurer de sa loyauté, elle avait peut-être trop réussi dans son entreprise et jeté Heinrich dans une voie dont il ne pourrait plus revenir.

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Désolé pour le retard !


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Dim 11 Fév 2018 - 21:41

Chapitre 12 : Evasions et meurtres à Arendelle

La princesse se hâta de rattraper Heinrich, ne se rappelant que trop bien ce qu'il s'était produit la dernière fois qu'elle avait vécu une situation semblable. Elle parvint à son niveau alors qu'il était déjà sur le pas de la porte.

-Heinrich, attends ! haleta-t-elle. Tu ne peux pas te précipiter au château sans l'esquisse d'un plan.

Le jeune homme s'immobilisa, mais son regard était toujours empli de colère.

-Bien, lâcha-t-il. Dans ce cas, qu'est-ce que tu proposes ?

-Même déguisé, il te serait trop risqué de passer par la porte principale, et je ne pourrais pas emprunter le même chemin. Je suis passée tout à l'heure par une ouverture dans la muraille, qui est moins gardée. Nous pouvons nous en servir pour monter sur les remparts.

-Je me souviens de ce passage, fit Heinrich d’un ton égal. Il contient une échelle menant à une trappe, située juste à côté du donjon. Il ne devrait pas y avoir de gardes entre cette trappe et l'entrée, mais ce sera une toute autre affaire une fois à l'intérieur. Les hommes sont rassemblés dans une petite pièce à l’entrée du donjon, et l’un d’eux va régulièrement patrouiller entre les cellules pour s’assurer que personne n’essaie de s’échapper.

-Ne t'en fais pas pour ça, assura Raiponce en tâtant sa poche contenant le fumigène soporifique. Si tous les gardes sont comme tu me l'as dit réunis au même endroit, j'ai le moyen de les neutraliser facilement et avant qu'ils ne puissent comprendre ce qui leur arrive.

La jeune femme misait tout sur l'emplacement des hommes de la garde : s'ils étaient dispersés, son fumigène ne suffirait pas pour tous les éliminer. Et alors, l'affrontement serait inévitable, ce qui révèlerait l'implication de Raiponce et fragiliserait grandement sa position.

Pendant qu'elle menait Heinrich aux quais, la princesse lui expliqua qu'il était nécessaire de traverser l'étendue d'eau gelée pour parvenir à l'entrée dans la muraille. Cette perspective ne parut pas inquiéter le jeune homme, car Raiponce avait déjà réussi à passer pour venir le rejoindre et il pensait la glace suffisamment solide pour supporter son poids. En dépit de quelques glissades incontrôlées, la traversée se déroula en effet sans encombre, et ils arrivèrent devant la porte qu'avait utilisée la princesse pour sortir alors qu'il devait être presque six heures, et que la nuit touchait à sa fin. La princesse calcula que cela devait faire moins de deux heures qu'elle avait endormi le garde présent derrière la porte, et qu'il lui faudrait encore une bonne heure avant qu'il ne se réveille. Elle ouvrit néanmoins la porte avec une pointe d'anxiété, et ne baissa sa garde qu'en entendant l'homme ronfler bruyamment là où elle l'avait laissé quelques heures plus tôt. Raiponce lui reprit ses clefs pour verrouiller de nouveau la porte une fois Heinrich passé, et les replaça à la ceinture du garde : il n'y avait désormais plus aucune trace d'un quelconque passage durant la nuit.

-Voilà le sérieux des gardes d’Arendelle, ragea Heinrich en toisant le garde assoupi. Et c’est moi qu’on vire pour un vol que je n’ai pas commis.

Raiponce préféra ne pas parler de la fléchette qu'elle avait utilisée, pour en apprendre le moins possible au jeune homme : on ne savait jamais, et Heinrich était bien trop instable pour que la jeune femme lui fasse pleinement confiance.

-Je crois que les gardes se relâchent un peu depuis le départ de la reine, répondit évasivement Raiponce.

Heinrich et elle trouvèrent rapidement une échelle accolée au mur, devant un espace à peine suffisant pour qu'une personne s'y déplace à la fois.

-J'y vais en premier, dit Heinrich en commençant son ascension, au cas où la sortie serait surveillée. Avec mon uniforme, je cours moins de risques que toi.

-Fais quand même attention, lui lança Raiponce alors qu'il atteignait la trappe, et évite de regarder les gardes dans les yeux pour qu'ils ne te reconnaissent pas.

Le jeune homme opina, puis ouvrit la trappe qui coulissa et se renversa au-dessus de la muraille. Il disparut au-dessus de l'ouverture, et la princesse commença aussitôt à s'inquiéter pour lui, car elle se souciait réellement d'Heinrich, malgré le fait qu'elle le manipulait depuis le début, et même surtout pour cette raison. Mais elle fut immédiatement rassurée, la tête du jeune homme réapparaissant au bout d'un instant dans l'encadrement de la trappe, lui indiquant d'un signe de le rejoindre. Raiponce s'exécuta sans attendre, et se retrouva après une courte escalade sur les remparts d'Arendelle. Jetant un œil aux alentours, elle s'aperçut que les gardes les plus proches étaient à plusieurs mètres de distance, et ne regardaient pas dans sa direction. La princesse ne perdit pas de temps à observer la magnifique vue qui s'offrait à elle, et s'élança pour retrouver Heinrich devant l'entrée du donjon qui n'était qu'à quelques mètres. Le donjon était une tour de pierre d'une ampleur massive, dans laquelle on pouvait pénétrer par une petite porte en bois.

-Je vais déverrouiller la porte avec l'une des clés que j'ai récupérées sur le garde, dit Heinrich. Prépare-toi à balancer ton truc.
Tous ses sens en alerte, Raiponce s'empara de son fumigène. Elle le serrait si fortement que ses phalanges en devenaient blanches.

-Prête ? Lança Heinrich. Un... Deux... Trois !

Il ouvrit brusquement la porte. Sans attendre, sans même regarder s'il y avait bien quelqu'un à l'intérieur, la jeune femme déboucha le fumigène et le lança de toutes ses forces à l'intérieur du donjon, alors qu'une volute de fumée commençait à s'échapper derrière l'objet et qu'Heinrich refermait immédiatement la porte. Le jeune homme et elle retinrent leur respiration le temps que la fumée se dissipe, et essayaient d’accélérer sa dispersion par de grands gestes. Heureusement, le fumigène n’était resté à proximité qu’un temps très court, et ils purent rapidement respirer sans crainte. Ce n’était apparemment pas le cas des hommes présents à l’intérieur du donjon : en collant son oreille à la porte, Raiponce put entendre pendant une poignée de secondes des cris surpris et des objets tomber au sol avec fracas, avant que le gaz ne fasse son office et que l’ampleur des exclamations ne diminue, puis que plus aucun son ne lui parvienne.

-Attendons une minute, dit la princesse, le temps que la fumée tombe au niveau du sol.

Elle et Heinrich patientèrent donc, avant que ce dernier n’ouvre doucement la porte : la pièce circulaire, remplie d’une fumée blanche à la densité si lourde qu’elle était concentrée sur une vingtaine de centimètres à partir du sol et qui masquait totalement ce dernier, était sens dessus-dessous : une table ronde au centre était renversée, ainsi que plusieurs chaises, et une demi-douzaine de gardes dormaient profondément, qui bavant sur une chaise, qui assis accolés aux murs. Heinrich et Raiponce entrèrent à l’intérieur, la jeune femme refermant la porte derrière eux pour qu’aucun garde ne s’aperçoive de leur présence. En s’approchant de la porte située de l’autre côté de la pièce, la princesse manqua de tomber en heurtant les gardes écroulés sur le sol qui étaient masqués par la fumée, et parcourut le reste du chemin avec plus de précautions. Heinrich, après avoir récupéré une clé sur l’un des gardes, déverrouilla la deuxième porte. La main crispée sur la poignée, il tourna la tête vers elle.

-On fait comme la dernière fois, dit le jeune homme. Je passe en premier, et je vais voir si je peux libérer Eugène.

Raiponce exprima son assentiment, mais ne restait que difficilement en place tandis qu’Heinrich rentrait dans le couloir où étaient détenus les prisonniers et refermait la porte derrière lui. La princesse, prenant son mal en patience, croisa les bras et fixa la porte, comme si elle croyait qu’un regard intense pouvait accélérer le temps et ramener Eugène auprès d’elle plus vite. Ce n’était pas le cas, et il semblait à la jeune femme qu’Heinrich mettait plus de temps à revenir que la dernière fois, ou du moins qu’il lui était à présent insupportable d’attendre sans rien faire, maintenue dans l’ignorance de ce qui pouvait bien arriver à Heinrich et à son époux. La porte disposant d’un judas, la princesse s’en approcha pour observer s’il se passait quelque chose à l’intérieur du couloir : mais ce dernier était vide, Heinrich ayant disparu après avoir bifurqué quelques mètres plus loin. Déçue, la jeune femme recula et recommença à attendre. Une seconde s’écoula. Une autre. Et encore. Raiponce, qui s’était mise à tourner en rond d’une manière presque psychotique, peinait à chaque instant davantage à réfréner ses pulsions et à ne pas bondir immédiatement pour retrouver son mari, dont elle ne savait même pas s’il vivait encore. Son bouillonnement intérieur était un véritable brasier, celui de son amour et de sa peur, et la submergea bientôt complètement. Incapable de se retenir plus longtemps, Raiponce saisit vivement la poignée de la porte, et la poussa avec brutalité, se jetant sans réfléchir dans le couloir des détenus. L’aspect lugubre et rocailleux des lieux aurait fait frémir jusqu’au plus courageux : le couloir était faiblement éclairé et son étroitesse donnait l’impression de se trouver dans un boyau prêt à vous asphyxier et vous dévorer sans aucune pitié. Raiponce, regardant successivement par les judas l’intérieur des différentes cellules, se déplaça sur quelques mètres, et bifurqua. Elle se figea à l’angle du mur : juste devant elle, un garde se tenait face à deux de ses collègues, devant la porte close d’une cellule. Par miracle, Raiponce était placée de telle sorte qu’aucun ne pouvait la voir, l’homme le plus proche lui tournant le dos et la masquant à la vue des autres gardes. De peur d’être vue au moindre mouvement, elle n’osa bouger, et resta immobile à écouter la conversation des gardes.

-Je vous dis que nous ne vous laisserons pas rentrer sans un ordre de mission, s’agaçait l’un de ceux que Raiponce ne voyait pas.

-C’est le Prince Hans qui m’envoie, répliqua durement celui se trouvant devant Raiponce. Alors vous feriez mieux de me laisser passer, parce que je n’ai pas de temps à perdre.

La princesse reconnut immédiatement la voix d’Heinrich, et réalisa que l’homme qu’elle avait pris pour un garde n’était que le jeune homme déguisé. Ce dernier paraissait particulièrement remonté, et son agressivité, dont Raiponce ignorait la raison, n’était clairement pas la meilleure tactique pour persuader les gardes de le laisser rentrer.

-C’est ça, répliqua le troisième homme. En attendant, ce prisonnier est sous notre garde et il est hors de question que vous rentriez dans sa cellule sans un ordre écrit.

Il semblait à la jeune femme qu’Heinrich était sur le point de repartir bredouille, et elle pensa qu’elle devrait reculer un peu et attendre qu’il revienne sur ses pas pour le retrouver et chercher un moyen de se débarrasser des gardes récalcitrants ; Raiponce rassembla donc son courage, et commença à se glisser le plus lentement possible derrière l’angle du mur. C’était sans compter sur un mouvement d’humeur d’Heinrich, qui ne semblait pas apprécier de se faire rebuter et dégainait son épée, se décalant légèrement à ce moment : ce geste malheureux rendit, pendant un instant bref mais plus que suffisant, visible le visage de l’un des gardes. La princesse aperçut son visage et son regard gris, et comprit alors qu’elle-même lui avait été dévoilée. Avant qu’elle n’ait pu esquisser la moindre pensée, le garde écarta brusquement Heinrich de son chemin et se rapprocha d’elle, la fixant d’un air ahuri. Il n’avait pas remarqué qu’il offrait ainsi son dos au jeune homme, qui tenait toujours son épée à la main et l’observait avec hargne. L’autre garde observait Raiponce sans s’apercevoir qu’Heinrich avait sorti sa lame.

-Princesse Raiponce ? s’ébahit l’un des deux gardes. Mais enfin, que faites-vous là ?

Instinctivement, la jeune femme porta sa main à sa sarbacane ; mais elle se rappela qu’elle avait épuisé sa seule, et qu’elle n’avait plus aucun moyen de neutraliser les gardes et de leur faire oublier qu’ils l’avaient vue. Le cœur de Raiponce rata un battement : elle était repérée, et son implication allait être rendue publique. La princesse allait être arrêtée, et Hans se ferait une joie de se débarrasser d’elle sans qu’il puisse lui être reproché quoi que ce soit. Etant prise sur le fait, Raiponce se sentait prise au piège et incapable de se défendre de manière cohérente.

-Eh bien… bredouilla-t-elle, j’ai dû me perdre, et…

La princesse lut dans les yeux de ses interlocuteurs qu’ils n’étaient pas dupe. Elle comprit qu’elle n’était pas crédible, et que les hommes venaient de comprendre la véritable raison de sa présence : libérer son époux. Le garde qui s’était adressée à elle ouvrit la bouche, sur le point de donner l’alerte. Mais alors que Raiponce se voyait déjà perdue, Heinrich, d’un mouvement vif et brutal, se jeta sur l’homme, l’agrippant par le col d’une main pour le retenir, et de l’autre main, lui plaça le fil de son épée sur le cou. Et sans hésitation, sans l’ombre d’un doute, Heinrich trancha la gorge du garde. Ce dernier, dont le visage marqua successivement la surprise, la douleur et la terreur de celui qui se sent mourir d’une manière totalement imprévisible, porta vainement ses mains à son cou pour tenter de contenir le sang qui commençait à s’échapper par grands jets. Heinrich leva son épée pour l’écarter de l’homme, avant de projeter violemment ce dernier au sol. Le garde y agonisa quelques secondes, s’étouffant dans son propre sang qui s’écoulait et imbibait le sol, avant de mourir dans un gargouillement abominable et insoutenable. Pétrifié de stupeur, son collègue ouvrit sa bouche dans un début de cri d’horreur. Mais avant que le moindre son ne s’échappe de sa bouche, Heinrich revenait vers lui et lui transperçait le crâne de part en part. Ressortant sa lame couverte de cervelle et de sang mêlés, l’ancien milicien regarda durement le cadavre du garde tomber au sol. Raiponce avait assisté à toute la scène, trop stupéfaite pour sortir de sa tétanie. Elle finit par détacher son regard de ce terrible spectacle et fixa Heinrich avec horreur. Le jeune homme, l’épée écarlate, semblait insensible à ce qui venait de se produire et sortait un chiffon de sa poche pour nettoyer sa lame, le visage inexpressif.

-Heinrich... murmura Raiponce d'une voix tremblante.

La métamorphose du jeune homme était saisissante, et même effrayante. Il existait une part sombre en lui, que la princesse avait décelé dès leur première rencontre ; mais jamais elle n'aurait imaginé qu'Heinrich puisse ainsi assassiner deux hommes de sang-froid, qui, même s'ils étaient des gardes, n'étaient que des personnes comme les autres et étaient innocents de tout crime. Le jeune homme, dont les mains tremblaient de rage tandis qu'elles nettoyaient l'épée et la rangeaient dans son fourreau, gardait les mâchoires serrées et l’œil noir.

-Ils t'avaient vue, non ? Répliqua sèchement Heinrich. Et puis, ils l'ont mérité. C'étaient deux des salopards qui m'ont humilié et dépouillé de mon épée et de mon uniforme ; celui qui m’a craché dessus alors que j’étais à terre était l’un d’eux. Ils ne m'ont même pas reconnu. Je n'étais rien pour eux, mon visage n'était même pas digne d'être gardé en mémoire. Et maintenant, ce sont eux qui ne sont plus rien.

Ils ne faisaient que leur travail, avait envie de hurler Raiponce. Ils ne pouvaient pas savoir que tu étais innocent ! Le désarroi de la princesse provenait en grande partie d'une vérité qu'elle ne pouvait pas assumer : en manipulant Heinrich, elle était responsable de la mort de ces gardes. Le jeune homme avait toute sa vie été rejeté, si longtemps qu'il en avait presque supprimé son désir de devenir un homme respecté de tous ; c'était Raiponce qui avait réactivé ce désir, avant de le briser lorsqu'elle avait orchestré sa déchéance. À présent qu'elle lui avait révélé le prétendu responsable, Hans, toute la frustration et la rage du jeune homme s'était tourné vers lui, et tous ceux qu'il estimait coupables de l'avoir méprisé et blessé durant toute sa vie. Raiponce craignait à présent ce qui pourrait se produire, si par malheur Heinrich apprenait ce qu'il en était vraiment.

Le jeune homme ignora l'absence de réponse de Raiponce, récupérant sur l’un des cadavres le trousseau de clefs contenant celle de la cellule d’Eugène. Après plusieurs essais infructueux, il finit par trouver la bonne : l'insérant dans la serrure, il ouvrit la porte avec un grincement. Heinrich s'écarta de quelques pas, laissant le passage libre à la princesse. Raiponce oublia aussitôt son inquiétude au sujet de la psyché d'Heinrich et ne pensa plus qu'à la vie de son époux. Elle se précipita en avant, et tira brusquement la porte vers elle ; allongé sur un lit de pierre, les mains contenues dans des fers reliés au sol par des chaînes, Eugène n’avait apparemment pas été réveillé par le grabuge provoqué par son épouse et Heinrich. Mais le son de l’ouverture de la porte le tira de son sommeil, et le prince leva sa tête en clignant des yeux. Il vit alors son épouse, et se mit à sourire pendant qu’il se redressait et s’asseyait au bord de sa couche. Raiponce sentit son cœur manquer d'exploser de joie, et toutes ses inquiétudes et pires craintes ne furent plus qu'un nuage de fumée dissipé par un vent d'été. Elle franchit les derniers mètres qui la séparaient d'Eugène en courant, et l'enlaça de tout l'amour qu'elle avait pour lui, l'enlaça aussi fort qu'au jour où elle avait cru le perdre pour la première fois et qu'il lui était finalement revenu, des années auparavant.

-On dirait que je t’ai manqué, brunette, dit joyeusement Eugène. Je me ferais arrêter tous les jours si ça me donnait le droit à la même démonstration.

-Tais-toi, imbécile ! rit la princesse en plongeant ses yeux dans ceux qu’elle avait craint ne jamais revoir. Qu’est-ce qui t’as pris d’attaquer Hans sans réfléchir ? Il aurait pu te faire exécuter !

-C’est bien ce qu’il comptait faire, avoua Eugène. Il est venu me narguer tout à l’heure, pour m’expliquer qu’on me retrouverait au matin suicidé dans ma cellule.

Il l’observa avec tendresse.

-Mais ce que tu dis est vrai. Je n’ai pas supporté d’apprendre qu’il comptait te faire du mal, et envahir Corona. Je suis désolé d’avoir perdu mon sang froid.

-Ne me refais plus jamais ça, exigea Raiponce. Promet-le moi.

-C’est promis, compte sur moi pour ça, affirma le jeune homme, je…

-Vous pourrez continuer votre discussion plus tard, le coupa Heinrich. Il faut d’abord te libérer et te faire sortir d’ici. Toute la garde peut débarquer d’une seconde à l’autre.

Eugène découvrit la présence de son ami avec surprise. Il le regarda d’un air hésitant, oscillant entre la reconnaissance et le remords. Il sembla être sur le point de dire quelque chose qui lui tenait à cœur, mais réfléchit un instant et répondit simplement :

-Tu as raison, Heinrich. Et puis, je n’ai pas envie de croupir ici plus longtemps, on gèle ici. Je crois que la clé de mes menottes est sur le trousseau de l’un de mes geôliers, elle est petite et cuivrée.

Heinrich écarta plusieurs clefs et les rassembla d’un côté du trousseau, n’en conservant qu’une qu’il montra à Eugène.

-Celle-ci ?

Le prince, après une courte réflexion, hocha positivement la tête. Heinrich, s’agenouillant devant son ami, déverrouilla les menottes l’une après l’autre, et elles tombèrent avec fracas sur le sol, ouvertes. Eugène se massa les poignets en se relevant.

-Merci, vieux, dit-il après un soupir de soulagement. Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

-On sort du château, répondit Raiponce, et on verra pour la suite.

La jeune femme et ses compagnons quittèrent sans regrets la cellule, Heinrich marchant devant pour laisser Eugène et Raiponce à leurs retrouvailles. Lorsque le prince se retrouva devant les cadavres de ses geôliers, il eut une expression choquée.

-Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? demanda-t-il.

Raiponce se rembrunit.

-Tout ne s’est pas passé comme prévu, murmura-t-elle, et Heinrich… s’est emporté. Je lui ai raconté que Hans avait organisé le complot contre lui, et ça l’a complètement bouleversé.

-Raiponce, je n’aime pas ça. On est en train de le manipuler, et il ne mérite pas ça. Je ne sais pas s’il pourra se remettre de tout ce qu’il s’est passé, surtout s’il finit par apprendre ce que nous lui avons fait.

-Je n’avais pas le choix, regretta la jeune femme. Ecoute, je n’ai pas le temps de tout te raconter, mais j’ai été prise au dépourvu, et j’ai du inventer quelque chose pour le motiver à m’aider.

Son époux ne répondit pas, le visage triste ; Raiponce éprouvait de véritables remords pour toute cette situation, ainsi que la façon dont elle traitait Heinrich, et la peine que cela causait à Eugène. Cela était en totale contradiction avec sa propre nature : la princesse, bienveillante et chaleureuse avec tous, n’occultait sa nature que pour protéger ses proches, et avec des difficultés morales grandissantes. Jusqu’où irai-je encore ? se lamenta intérieurement Raiponce. Et la voix intérieure de la force de son amour lui répondait : Aussi loin qu’il le faudra. Heinrich et Raiponce revinrent sur leurs pas, guidant Eugène de la sortie du donjon (où le jeune homme poussa un sifflement admiratif devant le travail de son épouse qui avait mis hors d’état de nuire une bonne partie de la garde d’Arendelle) jusqu’à la porte extérieure de la muraille du château. Le garde posté là roupillait toujours, et les trois compères sortirent sans crainte de l’enceinte du palais, arrêtant leur marche après avoir descendu l’escalier menant aux berges du royaume.

-Enfin libre ! s’exclama Eugène. Si nous en profitions pour manger un bout avant de nous tirer de ce maudit royaume ?

Bien que Raiponce ne le désirât nullement, elle devait pourtant se résoudre à une réponse à laquelle son époux ne s’attendait pas.

-Non, Eugène, regretta-t-elle. Tu sais bien qu’il est impossible de partir d’ici tant qu’Elsa n’a pas provoqué le dégel. Et dès que Hans apprendra ton évasion, il fera tout pour te capturer de nouveau. Maintenant que je sais qu’il prévoyait de te tuer, il est hors de question que cela se produise. Il faut que tu restes caché, aussi longtemps qu’il le faudra, pendant qu’Heinrich et moi partons nous occuper de Hans.

Son époux la dévisagea avec un air d’incompréhension.

-Qu’est-ce que tu veux dire par là ? s’inquiéta-t-il. Qu’allez-vous lui faire ?

-Il est un danger pour nous tous, tant qu’il reste en vie, avoua Raiponce. Nous n’avons aucune preuve de ses plans : la seule solution est de… de l’éliminer avant le retour d’Anna et d’Elsa, ou bien mes cousines seraient perdues.

La révélation de la résolution de son épouse stupéfia Eugène, qui en apparut choqué, même bouleversé.

-Raiponce, tu… Tu ne peux pas faire ça…

-Je n’ai pas le choix, persista la princesse en retenant ses larmes. Je n’ai pas le choix.

-Laisse-moi au moins t’accompagner, la supplia-t-il. Je veux rester avec toi.

-Non, tu ne peux pas, articula-t-elle avec une peine encore plus grande. Tu seras bientôt recherché, et ton visage est connu de tous. Tu serais arrêté à vue, ou pire. S’il te plaît, Eugène…

Le jeune homme fit mine de tendre la main vers son épouse, le regard triste, mais arrêta son geste à mi-course. Il eut un soupir de résignation et fit quelques pas en arrière.

-Comme tu voudras, Raiponce, murmura-t-il. Je sais que tu ne me demanderais pas de m’éloigner de toi si ce n’était pas nécessaire. J’espère juste que tu... que tu ne feras rien qui pourrait te faire de mal.

Plus déchirée qu’elle ne l’avait jamais été, Raiponce ne put répondre un mot tant sa gorge était serrée, tandis que l’homme de sa vie faisait demi-tour et s’éloignait lentement sur la glace. C’était là une vision presque insupportable pour la jeune femme, qui par la nécessité absolue d’accomplir son devoir de protéger ses êtres chers, devait éloigner d’elle celui dont l’amour lui était le plus indispensable. Elle ressentait déjà l’absence d’Eugène comme un vide qui se creusait à l’intérieur d’elle-même, et qui appelait aussitôt pour le remplir toutes les terreurs et angoisses de la jeune femme. Se reprenant au bout de quelques secondes, elle se tourna vers Heinrich. Le jeune homme avait assisté à toute la scène sans intervenir, semblant presque insensible à cette séparation tragique.

-Nous ne devons plus perdre de temps, dit Raiponce. Retournons à l’intérieur du château, et montons à l’étage des quartiers royaux. C’est sans doute là que nous trouverons Hans.

Heinrich approuva silencieusement, et laissa passer la princesse devant, la suivant pendant que cette dernière retraversait les couloirs de l’intérieur de la muraille et ressortait de l’autre côté. Rasant les murs, Raiponce se faufila sans être vue des quelques gardes qui poursuivaient leurs rondes sur les murailles, et franchit les portes du château. Elle mena Heinrich à travers les couloirs vides, retournant avec empressement à l’escalier le plus proche. Ils arrivèrent rapidement à l’étage où dormaient d’ordinaire Elsa et sa sœur, et passèrent à côté de Finland en le saluant brièvement. Le garde les observa avec incompréhension, mais ne dit rien.

-Vite, murmura la princesse. Nous devons agir maintenant, tant que le château dort encore et que personne ne s’est rendu compte de l’évasion d’Eugène.

Elle accéléra son pas pour se diriger vers la chambre de Hans. Plusieurs incertitudes planaient encore sur la suite des événements : que faire une fois devant la porte de ses quartiers ? Un garde pourrait y être posté. En admettant qu’il n’y avait personne, il faudrait encore parvenir à s’introduire à l’intérieur, sans pour autant réveiller Hans (dont le sommeil n’était pas une garantie), ni être vu de qui que ce soit d’autre. Et ensuite ? Se glisser jusqu’à son lit et l’égorger pendant son sommeil ? La réussite de cet assassinat semblait hautement improbable. De plus, la mort de Hans ne résoudrait pas le problème de l’hiver éternel dans lequel le royaume était plongé, ni ne ramènerait Anna et Elsa au bercail. Resterait encore à dissimuler toute implication dans le crime, et à reprendre le pouvoir de façon subtile pour le sécuriser en attendant le retour de la reine. L’entreprise était plus qu’hasardeuse, mais protégerait Corona de toute attaque, et empêcherait définitivement le prince de mener ses plans à leur terme, sauvant ainsi la vie d’Elsa. La situation serait indubitablement meilleure sans Hans, et Anna de même ; mais cette dernière pourrait bien être dévastée par le trépas de celui qu’elle considérait comme son grand amour. Malgré la peine terrible que cet acte causerait à sa cousine, Raiponce s’y était résignée avec le cœur lourd, et ne s’autorisait désormais plus aucun doute : au moindre tremblement, à la plus petite hésitation, la princesse défaillirait et renoncerait. C’est qu’elle était toujours profondément révulsée par l’idée même d’un meurtre, et qu’elle ne l’avait acceptée que par l’absence de tout autre choix.

Une surprise allait cependant chambouler tous ces plans : arrivée devant la chambre de Hans, Raiponce s’aperçut avec désarroi qu’une petite feuille de papier y était collée, indiquant :

Je ne serai pas dans ma chambre cette nuit et ce jusqu’à l’aube. Je me rendrai au village pour aller à la rencontre des citoyens d’Arendelle et leur proposer mon aide.

Prince Hans des Îles du Sud, régent du royaume d’Arendelle


-Quelle poisse ! s’exclama Raiponce.

-On a aucune chance de le retrouver dans le village, intervint Heinrich, et vu l’heure, il ne devrait pas tarder à arriver. On devrait peut-être l’attendre ici.

Raiponce prit un temps pour réfléchir. Il lui revenait en mémoire que Finland était en faction jusqu’au bout de la nuit, et qu’il pourrait lui servir de complice.

-Ce serait trop risqué, répondit la princesse. Mais nous pourrions plutôt…

Consciente que Hans pouvait arriver à tout instant, Raiponce lui expliqua son plan avec fébrilité. Il permettait de n’éveiller aucun soupçon chez le prince et de maximiser leurs chances de réussite, mais se reposait presque entièrement sur la capacité d’Heinrich à le mettre en place. Ce dernier l’accepta immédiatement, visiblement désireux d’en découdre avec celui qu’il croyait responsable de son éviction et humiliation. S’en retournant à l’entrée de l’étage, Heinrich et Raiponce revinrent vers Finland.

-Finland, dit Raiponce. J’aimerais que vous preniez congé et que vous retourniez auprès du Premier Ministre. Dites-lui que j’ai pris ma décision. Il comprendra. Et si vous le pouvez, je vous demande de ne rien répéter de ce que vous avez vu.

Le jeune garde observa la princesse, puis Heinrich. Malgré sa loyauté, il semblait en conflit avec lui-même. Mais, fort heureusement, son professionnalisme prévalut.

-Bien, Votre Altesse, dit-il.

Il quitta le couloir et laissa Heinrich et Raiponce seuls dans l’étage. Raiponce sourit tristement à Heinrich : plus rien ne s’opposait à leur plan, à présent. Elle lui murmura un encouragement pour lui remonter le moral et s’éclipsa, ne pouvant s’empêcher de remarquer que la rage bouillonnante d’Heinrich semblait prête à exploser. Elle retraversa l’étage, et retourna dans sa chambre en refermant la porte derrière elle. D’après le plan qu’elle avait improvisé, Heinrich était censé prendre la place de Finland, afin d’être présent sans attirer les soupçons de Hans. Il pourrait ensuite éliminer Hans. Cependant, rien n’était sûr, et la princesse devait à présent faire une des choses qu’elle détestait le plus au monde : rester à attendre dans l’incertitude. Cela lui fut cette fois moins difficile, car le sort d’Eugène n’était plus suspendu à la réussite de son action. Elle demeura immobile, assise sur son lit avec le regard plongé dans le vide, ruminant vainement ses regrets et se lamentant sur le parcours qui l’avait conduite à se réfugier dans l’option qu’elle avait choisie. Il lui semblait souvent que rien de bon ne pouvait sortir de tout cela, et qu’elle en viendrait inévitablement à regretter ce crime. La princesse ne saurait véritablement cela qu’une fois l’acte tenté ou accompli ; et cette dernière chose se produisit à cet instant. Car des bruits de pas et de discussion se rapprochaient de plus en plus de sa chambre, et la rumeur inaudible se transforma rapidement en une vague conversation éloignée dont il était possible de distinguer un certain sens. Raiponce sauta du rebord pour rejoindre la porte et écouter avec le plus d’attention possible.

- …comprends… …ssadeur…, …inquiétudes, disait la voix d’Hans. …vous invite donc… chambre de Sa Majesté… ensemble.

-Bien, répondait le dignitaire irlandais. Mais sachez… voudrais pas… impoli.

-Oh, mais pas du tout ! s’exclama le prince. Il me faudra ensuite… voir… prisonnier…

De ce que la jeune femme pouvait comprendre, il était question de pénétrer dans la chambre d’Elsa, pour des raisons qu’elle ne comprenait pas. Cependant, cela ne lui disait rien qui vaille, et la présence du dignitaire irlandais accentuait les incertitudes de la situation. Le prince désirait se rendre par la suite dans le donjon pour rencontrer, et certainement tuer Eugène ; il devait ignorer qu’il s’était échappé. L’esprit troublé, Raiponce jeta un regard en arrière, vers sa valise. Le succès d’Heinrich lui paraissait à présent plus incertain que jamais, et elle craignait de devoir intervenir elle-même pour mettre fin à la menace du prince. La princesse se déplaça jusqu’à la malle, puis en retira tous les vêtements qu’elle déposa sur le côté. Au fin fond de la valise, se trouvait un poignard. L’arme appartenait autrefois à Gothel, la femme qui l’avait kidnappée étant bébé. La vieille femme l’avait utilisée pour poignarder Eugène, juste avant que ce dernier se sacrifiât dans un sublime effort et sauvât Raiponce en tranchant sa chevelure et retournant ainsi Gothel à la poussière en la privant de la dernière chose qui la maintenait en vie. Même si le jeune homme avait été ramené à la vie par les larmes de sa dulcinée, la lame était bien celle qui avait temporairement mis fin à ses jours. Raiponce l’avait récupérée, étrangement poussée par son instinct à prendre possession du dernier objet qui la rattachait encore à sa « mère ». Depuis, elle ne parvenait pas à s’en séparer. La princesse n’avait pas imaginé l’utiliser durant son voyage, mais comprenait à présent qu’elle y serait peut-être obligée. Elle regarda la lame, presque effrayée par son propre reflet dont l’éclat lui rappelait presque celui de Gothel : toutes ses manipulations n’auraient en effet pas été reniées par sa « mère » adoptive. La jeune femme eut un frisson de dégoût en glissant le poignard dans une de ses poches, et retourna immédiatement devant sa porte. Mais à ce moment, la princesse s’alarma : un grand cri venait d’être poussé, et avait retenti dans tout l’étage malgré les cloisons murales. Raiponce hésita à peine, et songeant qu’on ne pourrait lui reprocher d’avoir été réveillée par le hurlement et de s’être rendue sur place, se jeta hors de la chambre. La princesse s’élança à toute vitesse, entendant d’autres éclats de voix, puis des bruits d’épées s’entrechoquant : Heinrich affrontait apparemment Hans à ce moment même. Elle parvint à la source du raffut en peu de temps : la chambre de la Reine Elsa. Reconnaissant la porte à ses motifs, Raiponce s’en approcha avec une anxiété folle. Que se passait-il à l’intérieur ? Que devait faire la princesse ? Elle se compromettrait irrémédiablement en intervenant, mais elle pourrait ainsi s’assurer du succès de son plan. Alors qu’elle était encore partagée entre sa raison et sa détermination, Raiponce leva sa main vers la poignée dans un espèce de spasme instinctif. Mais alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir la porte, le bruit métallique d’un objet tombant au sol retentit, suivi du crépitement d’une matière entrant en combustion. L’instinct de survie de la jeune femme la poussa à reculer brusquement, et elle aperçut derrière l’interstice qui séparait la porte du sol une lueur rougissante. Des hurlements horribles s’élevèrent de l’intérieur de la chambre, et Raiponce en vint à ressentir une terreur indicible. Ces cris devaient être ceux d’un homme, mais comment imaginer qu’un homme puisse laisser échapper de tels hurlements ? Ce n’était certes plus un homme, mais ceux d’une bête tourmentée par une souffrance inimaginable. Les secondes passèrent, et les cris ne cessaient pas, alors que la porte même commençait à s’embraser et que les flammes léchaient le parquet devant Raiponce. Celle-ci ne pouvait plus supporter plus longtemps cette vue, et après avoir fait quelques pas en arrière, fit demi-tour et ferma les yeux. Bientôt, les cris s’étranglèrent dans la gorge du mourant, et furent totalement masqués par le crépitement des flammes. C’est alors qu’un énorme coup fit s’ébranler la porte de bois, faisant se retourner vivement la princesse. Une seconde fois, la porte fut frappée, et elle se craquela. Il y eut un temps de battement, et la jeune femme crut que la personne frappant la porte avait perdu de ses forces. Mais à peine un instant plus tard, cette dernière vola en éclats, et deux hommes surgirent du trou béant qu’il avait fait, tombant au sol parmi une pluie de copeaux de bois.

Il s’agissait de Hans, qui avait porté Heinrich sur son épaule à travers l’ouverture, et le bas de son vêtement gris était en feu. L’homme, après avoir laissé tomber Heinrich sur le côté, se roula frénétiquement au sol, parvenant à étouffer le début d’incendie. Raiponce, au-dessus de lui, assistait à la scène, sidérée. La réalité frappa violemment la princesse : la tentative d’assassinat avait échoué, et Heinrich était blessé, ou pire. Sans réfléchir, elle saisit le manche de son poignard, qui était camouflé dans son manteau ; elle n’avait plus le choix, désormais. Sur le point de mettre fin à la vie du prince, qui, essoufflé, se relevait avec peine sans avoir vu Raiponce, la jeune femme fut interrompue par l’arrivée de Louis-Napoléon se précipitant depuis la droite du couloir. Il avait apparemment entendu les cris et le vacarme émis depuis la chambre d’Elsa : il était à présent impossible pour Raiponce de tenter quoi que ce soit, et la princesse retira immédiatement sa main de son manteau, et se baissa dans le même mouvement pour aider Hans à se relever. Le jeune homme la regarda, presque interloqué, mais se tourna immédiatement vers Bonaparte, alors que le feu commençait à se propager à l’extérieur de la pièce.

-Allez chercher tout de suite la garde ! s’écria-t-il. Le dignitaire irlandais est encore à l’intérieur !

N’attendant pas de voir si Louis-Napoléon obtempérait, il s’engouffra dans la brèche pour repartir à la rescousse de l’ambassadeur, esquivant les flammes avec agilité. Louis-Napoléon repartit précipitamment en arrière, et Raiponce se pencha avec inquiétude sur Heinrich. Il avait perdu sa toque et ses vêtements étaient roussis, mais il semblait respirer malgré son état inconscient. Soulagée, Raiponce s’empressa de le tirer (non sans difficulté) quelques mètres plus loin. Le souffle court, elle se redressa, et vit qu’autour d’elle Bonaparte était revenu avec quelques gardes en renfort, transportant chacun un seau rempli d’eau. La princesse les vit s’activer devant la chambre, éteignant l’incendie avec efficacité, alors que certains des plus courageux pénétraient à l’intérieur pour mettre fin au brasier. Ils y parvinrent assez rapidement, et ressortirent alors de la pièce un par un. Raiponce ne voyant pas Hans était déjà prête à se réjouir, mais ce fut vite la douche froide : le régent revint le dernier, portant dans ses bras un corps vêtu de loques calcinées, et au visage presque fondu. La princesse se rapprocha lentement, ignorant complètement ce qu’elle allait faire, tandis que Hans déposa le cadavre devant la chambre avec une grande délicatesse. Tous se retournèrent vers Raiponce quand ils la virent arriver, et l’observèrent avec circonspection. Le régent avait l’air épuisé et respirait avec difficulté, le bas de son manteau brûlé.

-Quelle tragédie, murmura Bonaparte. Heureusement que Son Altesse Raiponce était là pour aider le Prince Hans !

-Prince Hans, s’exclama la jeune femme, que s’est-il donc passé ?

-Le dignitaire irlandais et moi avons été attaqués, haleta-t-il. Heinrich a tenté de me tuer, et il a déclenché un incendie qui a coûté sa vie à l’ambassadeur. Je suis parvenu à maîtriser Heinrich, et à le sauver pour qu’il puisse répondre de ses crimes.

-Heinrich ? fit semblant de s’étonner la princesse. Vous dites qu’il a essayé de vous tuer ? Mais pourquoi, et comment a-t-il réussi à pénétrer dans le château ?

Après ce lamentable échec, il fallait à tout prix que Raiponce parvienne à se décharger de toute implication dans ce qu’il s’était passé. Elle ne pouvait afficher aucun sentiment de culpabilité, sentiment qui pourtant la taraudait depuis qu’elle s’était rendue compte qu’un innocent venait une fois de plus de perdre la vie dans ses machinations ; mais elle ne pouvait en aucun cas s’apitoyer.

-Je ne le sais pas, avoua Hans. Mais je compte bien le découvrir.

Il fit un signe à deux de ses hommes, qui se dirigèrent vers Heinrich et relevèrent le jeune homme inconscient, passant ses bras derrière leur tête.

-Amenez-le dans la salle du conseil. Une fois qu’il sera réveillé, vous l’escorterez jusqu’au grand salon, ordonna Hans. Monsieur Bonaparte, veuillez avoir l’obligeance d’informer le capitaine Norway et le Premier Ministre Magnus de ce qui s’est produit.

-Bien entendu, Votre Altesse, répondit Louis-Napoléon.

-Qu’allez-vous faire d’Heinrich ? s’inquiéta Raiponce.

Le prince se tourna vers elle, la mine grave.

-Cet homme a commis un crime impardonnable, répondit-il. Il sera jugé et condamné, et je vous promets que je ferai la lumière sur cette affaire.

La dernière phrase, pourtant prononcée d’un ton neutre, sonna aux oreilles de Raiponce comme une terrible menace. Ce fut comme si le couperet était déjà tombé : un procès allait avoir lieu, et rien ne garantissait que la princesse elle-même serait épargnée de la furie vengeresse du régent qu’elle avait voulu assassiner.

___

Encore un chapitre assez court. Après ce véritable carnage, vous découvrirez au prochain chapitre quelles en seront les conséquences pour Heinrich et Raiponce. Hans découvrira-t-il les machinations de notre princesse préférée ? Quel prix paiera le pauvre milicien déchu ? Vous saurez tout cela mercredi prochain !


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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 14 Fév 2018 - 23:08

Je suis au regret de vous informer qu'exceptionnellement je ne pourrais pas publier de chapitre aujourd'hui. Promis, je m'en occuperai entre demain et ce week-end, et il y aura également un autre chapitre dimanche, donc le rythme ne change pas.


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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Jeu 15 Fév 2018 - 23:32

Chapitre 13 : Le procès

L'aurore pointait à peine, et pourtant le grand salon était déjà comble : Raiponce, qui se tenait à gauche du trône de la reine, voyait devant elle l'ensemble de la noblesse réunie des deux côtés du tapis déroulé jusqu'à l'entrée de la pièce, laissant cependant un espace vide d’une surface respectable devant le trône. La princesse était entourée de Weselton, et du dignitaire français, tandis que les dignitaires allemand et espagnol se situaient de l'autre côté du trône. Magnus se tenait à droite devant le trône, au plus près de ce dernier. Tous portaient une mine grave. La nouvelle s'était répandue avec la vitesse d'un secret soigneusement dissimulé : un meurtre avait été commis dans les murs mêmes du château, et le régent lui-même n'avait échappé à la mort que de justesse. Le récit s'était déformé et amplifié au fur et à mesure que l'on s'éloignait des témoins directs de la scène, comme il en est coutume pour chaque événement qui sort de l'ordinaire. D'aucuns prétendaient que la Reine Elsa, ayant perdu l'esprit, serait revenue et aurait assassiné de sang-froid le dignitaire irlandais et grièvement blessé le Prince Hans. Ce fut ensuite l'identité du défunt qui devint trouble, et devenait selon la personne celle de Weselton, de Raiponce, ou même d'Anna, en dépit de toute logique. La survie de Hans n'était même plus une certitude dans les murmures de la noblesse, et la croyance la plus répandue, également celle qui était débattue parmi les nobles dans un brouhaha épouvantable, était désormais la suivante : Elsa, ramenée par sa sœur au château, serait retournée dans sa chambre, où elle aurait reçu la visite de Hans. Elle n'aurait alors toujours pas accepté ses fiançailles avec Anna, et aurait réagi avec violence, utilisant ses pouvoirs pour essayer de tuer le couple ; en désespoir de cause, Hans aurait mis le feu à la pièce afin d'éliminer la reine, et aurait accidentellement tué sa fiancée et péri lui-même dans l'action. Presque tous étaient persuadés qu'Elsa s'était de nouveau volatilisée et que toute la garde était à sa poursuite en ce moment-même, pour en terminer une bonne fois pour toutes avec sa menace et l'hiver qu'elle avait provoqué.

Cette théorie grotesque n'aurait pas été sans amuser Raiponce, si l'heure n'était pas aussi grave : Heinrich avait été capturé, et serait jugé d'un moment à l'autre pour la tentative d'assassinat perpétrée sur Hans et le meurtre de l'ambassadeur irlandais. Son sort était entre les mains du régent, et rien ne laissait espérer que le verdict serait clément : il avait là l'occasion d'effectuer une démonstration de force, et de devenir aux yeux de toute la noblesse le dirigeant ferme et juste dont Arendelle avait besoin.

Raiponce, les doigts nerveusement entrelacés devant sa taille, fendait la foule compacte de son regard, guettant à tout hasard son époux. Elle n'avait aucune nouvelle de lui depuis leur séparation, et la plus grande douleur de son cœur lui était due. S'il était possible de communiquer un message par la seule force de la pensée, le jeune homme aurait sans nul doute perçu les prières de Raiponce qui l'enjoignaient de demeurer caché et de ne commettre aucune imprudence. Malheureusement, la télépathie n'existait pas, et la princesse ne pouvait compter que sur le bon sens de son époux, qui pouvait parfois s'avérer très limité.

De l'autre côté du grand salon, les portes s'ouvrirent largement, et toutes les têtes se tournèrent vers l'ouverture. C’était Hans, et il était escorté de deux gardes marchant derrière lui, l’épée au fourreau. Des murmures l’accompagnèrent durant son trajet jusqu’au trône d’Elsa : comment, le prince n’avait pas été assassiné ? N’avait-il pas péri dans un terrible incendie ? Comment donc des bruits de couloirs avaient-ils pu se tromper à ce point ? Hans fit peu de cas de l’effet qu’il produisait sur l’assistance, ne stoppant sa marche qu’une fois devant le trône, où il se retourna pour faire face à la foule, les deux gardes positionnés à ses côtés.

-Mesdames, messieurs, déclama-t-il, honorables membres de la noblesse. Je vous ai ici réunis en cette heure matinale car un événement grave et tragique vient de se produire. Le dignitaire irlandais a été assassiné !

Pour une minorité, ce fut stupeur, choc, et déception : ainsi, ce n’était QUE l’ambassadeur irlandais qui avait perdu la vie. Les faisait-on donc venir pour si peu ? Certains nobles ne dissimulèrent pas leur déception, poussant un soupir de consternation. Mais la majorité la plus raisonnable frémit d’horreur, car l’homme qui avait perdu la vie était connu pour sa probité et apprécié pour son amabilité. Il était l’un des leurs, et son trépas s’ajoutait aux précédents maux qui s’étaient abattus sur eux ces deux derniers jours.

-L’homme qui est coupable de ce crime a également tenté de mettre fin à mes jours, poursuivit Hans, sans y parvenir. Il a dans sa tentative failli perdre sa propre vie, et je ne l’ai sauvé que pour pouvoir le ramener en ce lieu et le juger au nom du royaume d’Arendelle.

L’assemblée approuva avec enthousiasme, s’épanchant en applaudissements et acclamations. Raiponce s’agaça de la docilité de la noblesse, si prompte à être bernée par un beau parleur. Elle observa le prince avec dédain, alors que ce dernier prenait place sur le trône royal en dissimulant parfaitement la jouissance intérieure que Raiponce supposait être la sienne. Le jeune homme haussa la voix.

-Faites entrer le prisonnier ! ordonna-t-il.

Un homme posté devant l’entrée de la salle opina du chef et quitta la pièce pour sortir du château, laissant la noblesse s’épandre de nouveau dans les ragots. L’homme ne pouvait être qu’Eugène Fitzherbert, cela ne faisait aucun doute. Mais comment, n’était-il pas déjà prisonnier ? (la nouvelle de son évasion étant encore inconnue, cette dernière ne s’étant produite qu’une heure auparavant et personne ne s’étant encore rendu dans le donjon, pour s’apercevoir que tous les gardes stationnés étaient endormis pour les plus chanceux, et morts pour les malheureux éliminés par Heinrich). Le retour du garde coupa court aux rumeurs : tenant fermement Heinrich par le bras, il le força à adopter sa cadence pour le présenter devant le prince. On avait retiré son uniforme au criminel, celui-là même qu’il avait utilisé pour s’infiltrer dans le château. Il n’était plus vêtu que d’un pantalon rapiécé à la va-vite et d’une chemise blanche, bien trop fine pour être d’une quelconque protection par un climat pareil. Raiponce fut saisie d’une bouffée de colère devant le traitement injuste qui était infligé à Heinrich. Mais elle demeura silencieuse, et son visage impassible alors que le jeune homme était poussé avec violence au pied l’estrade montant jusqu’au trône. L’homme qui l’avait ramené le maintint au sol, le bras sur son épaule. Agenouillé devant le trône, Heinrich fixa le prince d’un regard où une haine féroce et rancunière était visible.

-Heinrich, asséna durement Hans, vous êtes accusé d’être entré par effraction dans l’enceinte de ce château, et ce en dépit de mon interdiction formelle, d’avoir volontairement provoqué un incendie qui a endommagé les biens d’Arendelle, coûté la vie à un innocent et failli causer ma mort. Vous êtes également soupçonné d’avoir attenté à la vie de la Princesse Raiponce en empoisonnant son dîner. Les charges qui pèsent sur vous sont donc les suivantes : non-respect d’une injonction d’éloignement, intrusion dans un bâtiment officiel, dégradation de biens publics, mise en danger de la vie d’autrui, tentative de meurtre, homicide volontaire, et enfin, haute-trahison, certains de crimes ayant été commis durant des temps de crise et à l’encontre de ma personne, qui ai reçu la charge de régent du royaume de la part de la Princesse Anna. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

Mais l’accusé ne daigna pas broncher, restant totalement crispé. Il semblait décidé à garder le silence tout le long du procès, ce que Raiponce préférait à une révélation dramatique de son implication dans l’affaire.

-Rien ? persifla le prince. Cela ne m’étonne guère. Mais pouvez-vous au moins vous expliquer sur la tenue que vous portiez tout à l’heure, et sur son véritable propriétaire ? Appartient-elle à un membre de la garde que vous auriez éliminé ? Nous attendons justement le retour de Glasgow, qui devait patrouiller cette nuit dans la rue où vous avez commis votre dernier forfait. Avez-vous quelque chose à voir avec sa disparition ?

Il n’eut pas davantage de succès.

-Bien, reprit Hans, puisque vous persistez dans votre mutisme, je pense qu’il vaut mieux passer directement à l’audition des témoins. Bjorn, pouvez-vous-

-VOTRE ALTESSE ! VOTRE ALTESSE !

L’intervention impromptue coupa Hans dans son élan, et tous se tournèrent vers l’intrus : c’était le capitaine de la garde, qui se précipitait vers le prince en provenance de l’extérieur. L’affolement était perceptible sur son visage et dans sa voix, et sa course effrénée laissait présager qu’il venait pour annoncer une nouvelle d’importance.

-Que se passe-t-il, Norway ? s’enquit le prince.

-Il s’agit de Glasgow, Votre Altesse, haleta le garde. Nous l’avons retrouvé.

-Très bien, apprécia Hans. Je veux qu’il vienne immédiatement me faire son rapport.

-Je crains que cela ne soit impossible, monsieur, répondit prudemment Norway. Il est mort.

La noblesse réagit à cette annonce par des cris de stupeur et d’effroi. Plus d’une dame manqua de défaillir, et les visages pâles de beaucoup en disaient long sur l’effet que ce nouveau meurtre produisait. Weselton et les dignitaires paraissaient soufflés, et Hans lui-même était visiblement ébranlé. Magnus seul jeta un regard entendu en direction de Raiponce.

-Mort ? s’ébahit le prince. Comment cela est-il arrivé ?

-Je l’ignore, Votre Altesse, avoua le garde. Nous obéissions à votre ordre d’aller quérir le citoyen Selvig pour le procès, mais lorsque nous sommes arrivés à son domicile, nous n’avons reçu aucune réponse, et nous sommes entrés de force ; le rez-de-chaussée était vide de toute présence humaine. Nous sommes alors descendus à la cave, et c’est là que nous avons trouvé le cadavre, non seulement de Glasgow, mais également de Selvig. Le citoyen Selvig avait été empalé par le fer de façon très brutale, et quand à Glasgow, sa nuque avait été brisée par un coup très puissant. Il avait été dépouillé de son uniforme : le meurtrier l’aura peut-être pris pour se faire passer pour lui. Votre Altesse, d’après l’état des cadavres, il semble que Selvig soit mort hier après-midi, alors que le décès de Glasgow ne date que de quelques heures.

Alors que Weselton se frottait la nuque avec embarras, un nouveau murmure parcourut la foule, accusateur et plein de certitudes : comme lorsqu’un événement est répété, le responsable devenait automatiquement le coupable précédent aux yeux de tous, et qui était Heinrich. Il est en effet naturel et plus facile d’accuser d’être la cause de tous les maux ceux qui ont déjà fauté et qui souffrent d’une mauvaise réputation ; le jugement est biaisé, et l’accusé déjà condamné avant même d’avoir parlé. Ce phénomène ne concerne pas que les individus, mais aussi certains groupes et communautés : ces derniers, auxquels sont souvent attribués divers clichés et vices par le fait de crimes commis par une minorité des leurs, se retrouvent affublés des pires accusations. On cherche par-là à détourner le regard de ses propres problèmes, à rejeter leur origine sur le dos d’un autre, pour éviter d’avoir à admettre son ignorance de celles-ci. Dans le cas présent, il était légitime de soupçonner Heinrich, qui avait en gardant le silence déjà admis le meurtre du dignitaire, mais le jeune homme n’était pas moins innocent de la mort de Glasgow et de Selvig. Les véritables responsables, Weselton et Raiponce, n’attiraient pas le moindre soupçon : du fait de leur naissance, ils n’auraient jamais été soupçonnés d’un tel forfait. Telle était la justice de ce temps.

-La mort de ces deux jeunes hommes, l’un courageux défenseur du royaume, et l’autre honnête citoyen, est une bien triste nouvelle, dit Magnus d’une voix chagrinée. Le coupable semble tout désigné. Le meurtre sanglant de Selvig a sûrement été inspiré par une soif de vengeance, et Heinrich lui gardait sans doute rancune de l’avoir dénoncé pour son vol de la veille. Nous sommes à présent sûrs que l’uniforme porté par Heinrich était celui de Glasgow, qu’il aura tué pour l’obtenir et s’infiltrer dans le château. Est-ce bien cela, Heinrich ?

La nouvelle accusation fut un coup supplémentaire pour le jeune homme, qui, déstabilisé, sembla fléchir un instant, et jeta brièvement un regard sur Raiponce, comme par un réflexe nerveux de recherche d’assistance. Au grand dam de la princesse, Hans parut capter la direction de la pensée du jeune homme, et tourna sa tête vers Raiponce pendant un instant, durant lequel la jeune femme resta de marbre, visage de glace et cœur battant. Le prince se détourna sans rien laisser paraître de ses réflexions, et revint sur Heinrich.

-Je prends cela pour un aveu de votre culpabilité, dit Hans. Je souhaiterai rappeler à la noblesse qu’Heinrich s’est déjà montré coupable de vol hier, à l’encontre de Selvig, raison pour laquelle je désirais sa présence aujourd’hui. Mais cela ne change rien, et de plus, l’heure de la mort de Glasgow correspond aux témoignages de plusieurs citoyens d’Arendelle, qui vont à présent être réitérés devant la cour. Je disais donc, Bjorn, que…

-VOTRE ALTESSE ! VOTRE ALTESSE ! s’époumona un nouvel arrivant se ruant depuis l’entrée du grand salon.

Il s’agissait d’un autre garde. Que vient-il annoncer, celui-là ?

-Eh bien ? s’agaça Hans. Qu’y a-t-il ?

S’apercevant soudain qu’il était la cible de centaines de regards curieux, l’homme déglutit difficilement, observant la foule avec un mal-être visible.

-Le… le… balbutia le garde.

Le prince fut un moment sur le point d’invectiver sévèrement le garde, mais se radoucit au dernier moment, se replongeant dans son personnage de dirigeant bon et noble.

-Du calme, répondit doucement Hans. Respirez. Qu’est-ce qui vous trouble à ce point ?

L’homme ralentit son rythme respiratoire, et expira lentement. Il se dressa avec plus d’assurance, et parvint à parler d’une voix forte.

-Le prince Eugène s’est échappé, Votre Altesse, révéla-t-il.

Ce fut une nouvelle bombe. La salle explosa aussitôt en une rumeur bourdonnante et frénétique, comme excitée par cette nouvelle révélation. Ces derniers jours étaient véritablement palpitants, si l’on oubliait qu’une mort atroce menaçait de saisir tout le royaume de ses bras de glace. La princesse observa Heinrich du coin de l’œil, surveillant sa réaction ; mais l’accusé resta parfaitement immobile, toujours à genoux et immobilisé par un garde.

-Comment ? s’écria Hans en bondissant du trône. Il était sous la garde d’une demi-douzaine d’hommes !

-Ils ont été neutralisés, Votre Altesse, expliqua le garde. Je les ai trouvés alors que je me rendais au donjon pour ma patrouille matinale. Tous les gardes stationnés à l’entrée du donjon étaient profondément endormis, et je n’ai pu les réveiller qu’avec beaucoup de mal. Ils étaient engourdis et confus, et j’ai cru comprendre qu’une sorte de gaz avait été utilisé à l’intérieur de la pièce. J’ai tout de suite pensé à un complot pour faire évader le prisonnier, et je me suis précipité à sa cellule. Les hommes postés devant la porte, Darius et Godefroy, avaient été l’un égorgé, et l’autre avait son crâne transpercé, il y a quelques heures à peine selon moi, et sans trace de lutte apparente, leurs clefs disparues. La cellule était grande ouverte ; et le prince Eugène n’y était plus. Ses menottes reposaient ouvertes sur le sol, et il n’y avait aucun indice qui aurait pu permettre de le retrouver.

-Ceci explique cela, s’exclama Hans. Darius et Godefroy ont été pris par surprise par un homme qu’ils pensaient être leur collègue : Heinrich, portant l’uniforme de Glasgow. Merci de m’avoir informé, Elbert. Retournez au donjon, et ramenez les dépouilles de Darius et Godefroy pour qu’elles reçoivent les derniers sacrements. Maintenant, s’il n’y a pas d’autre interruption, je voudrais entendre le témoignage de l’aubergiste Bjorn, qui a rencontré Heinrich cette nuit.

Le prince se rassit, attendant l’arrivée de Bjorn. Un homme sortit de l’assemblée pour se présenter devant le trône, à côté d’Heinrich, et Raiponce reconnut la personne qui avait expulsé le jeune homme de l’auberge la nuit dernière.

-M’sire, dit Bjorn. C’que vous dites est vrai, ce vaurien était bien dans mon auberge cette nuit. J’lai r’connu qu’après quelques heures, mais il traînait déjà là d’puis bien deux trois heures. J’lai viré vers quatre heures du matin.

-Je vous remercie, monsieur, dit Hans. Nous allons à présent entendre quelques anciennes victimes d’Heinrich, qui ont accepté de nous en dire plus sur la personnalité de l’accusé.

Il y eut pendant plusieurs minutes un véritable défilé d’hommes, de femmes et même d’enfants, de tous âges et de toutes professions, qui avaient été flouées ou volées par Heinrich à un moment ou à un autre depuis son arrivée à Arendelle. L’un après l’autre, chaque témoignage faisait s’affaisser davantage le jeune homme, obscurcissait son visage, provoquait les quolibets et moues désapprobatrices de la noblesse, et désolait la princesse qui assistait, impuissante, au carnage. Certains s’étaient vus perdre leur pain, d’autres leurs bijoux ; un vieillard s’était même fait dérober sa dent en or. Tous ces témoignages étaient accablants et ne faisaient que conforter l’assemblée dans son opinion : Heinrich était coupable de tous les crimes qu’on lui reprochait, et il était bel et bien irrécupérable. Lorsque la dernière victime quitta la scène et revint se mêler aux spectateurs, tout était joué, ou presque. Bonaparte s’approcha finalement.

-Je n’ai vu que la Princesse Raiponce porter assistance au Prince Hans, admit-il. Je ne peux pas accabler davantage l’accusé, mais je peux au moins louer l’attitude de la princesse.

Il fut bruyamment approuvé par l’assemblée, qui applaudit à tout rompre la jeune femme. Cette dernière se passa la main sur la nuque avec gêne tandis que Louis-Napoléon retournait parmi les spectateurs du procès.

-Il nous reste à écouter un dernier témoignage, dit Hans : Finland, qui était de garde à l’étage des quartiers royaux peu avant la mort du dignitaire irlandais.

Le neveu de Magnus se présenta à son tour. Son embarras visible laissait imaginer qu’il pouvait avouer les allées et venues nocturnes de la princesse : couvrir Raiponce sur ordre de son oncle passait encore, mais être complice d’un meurtre était une toute autre chose. La princesse comprit qu’il n’avait pas été informé par son oncle Magnus de ce qui se tramait.

-Votre Altesse, dit Finland d’une voix faible et timide, je…

-Pourriez-vous vous exprimer d’une façon plus intelligible, mon neveu ? le coupa Magnus. Nous n’entendons rien.

Le garde se racla la gorge. Raiponce le fixa de ses yeux suppliants, espérant de toutes ses forces que l’homme suivrait les ordres du Premier Ministre et ne parlerait pas.

-Il… ne s’est rien passé durant mon tour de garde, prétendit Finland. Peu avant le meurtre de l’ambassadeur, un homme que je croyais un de mes collègues m’a proposé de prendre la relève, et j’ai accepté.

Finland n’avait pas mentionné Raiponce, au ravissement de cette dernière. Elle était sauve, pour le moment.

-Pouvez-vous nous confirmer qu’il s’agit d’Heinrich ? demanda Magnus.

Finland observa longuement l’accusé, dont le visage se fermait de plus en plus. Il se tourna vers Hans.

-C’est en effet cet homme, confirma Finland, je suis formel.

La foule réagit bruyamment, son chuchotement lancinant s’échangeant entre les nobles, qui n’avaient plus aucun doute sur la culpabilité d’Heinrich.

-Bien, répondit Hans. Merci pour votre collaboration, Finland. Il s’agit de l’un des deux seuls témoignages dont nous disposons sur la localisation d’Heinrich depuis qu’il a hier après-midi été expulsé de la milice. C’est en effet à partir de ce moment qu’il a disparu. Voilà donc le parcours que nous pouvons reconstituer : Heinrich, après son éviction, est retourné dans la demeure de Selvig pour se venger, et l’a tué de sang-froid. Il a ensuite de son propre aveu erré dans les rues jusqu’au soir, avant de se rendre à l’auberge. Il y est resté jusqu’à quatre heures du matin, avant d’en être expulsé. Nous pouvons supposer qu’il savait alors que le prince Eugène, l’un de ses amis d’enfance, était prisonnier, et qu’il a décidé de le libérer. Heinrich est alors retourné dans la rue où habitait Selvig. Il y a attendu Glasgow, connaissant les heures et lieux de patrouilles, avant de l’assassiner à son tour pour lui voler son uniforme et ses clefs. Après avoir caché son cadavre et celui de Selvig dans la cave de ce dernier, il est retourné au château et est parvenu à s’y infiltrer en se faisant passer pour un garde du royaume. Après avoir pénétré dans le donjon et neutralisé l’ensemble des gardes présents par l’utilisation d’une sorte de fumigène, il s’est dirigé vers la cellule d’Eugène et l’en a sorti après avoir assassiné les courageux gardes qui gardaient l’entrée, et qui était également deux de ceux lui ayant hier confisqué son épée et son uniforme. Il restait encore à Heinrich de terminer sa vengeance, et il est finalement monté à l’étage des quartiers royaux, où il a trompé Finland en le convainquant de le laisser prendre son tour de garde. Nous connaissons la suite : après que je sois arrivé avec le dignitaire irlandais, pour rechercher dans la chambre de la reine des informations qui auraient pu nous être utiles, Heinrich y est entré pour essayer de nous tuer. Son visage enragé lui donnait l’air d’un dément, et l’ambassadeur et moi ne pûmes le persuader de faire machine arrière : il s’est jeté sur moi, faisant tomber au passage le dignitaire qui portait une chandelle. Le feu s’est déclenché et a coûté la vie à l’ambassadeur, tandis que j’affrontais Heinrich et réussissais à le maîtriser. Je l’ai sorti des décombres de la chambre de la reine, et il est resté sous notre garde depuis. Ce scénario semble le plus probable, mais il reste cependant des zones d’ombre. Monsieur le Duc de Weselton, Princesse Raiponce, vous étiez il me semble restés un peu après mon départ hier après-midi. Pourriez-vous nous indiquer vers quelle direction Heinrich s’est rendu par la suite ?

La princesse ne s’attendait pas à être questionnée et était prise de court. Elle ne souhaitait pas mentir et accabler davantage Heinrich, mais se trouvait également dans l’impossibilité de dire la vérité. Alors qu’elle se trouvait dans une fâcheuse position, Weselton prit les devants et sortit du rang, se déplaçant jusque devant le trône.

-Je me souviens l’avoir vu rôder dans le quartier avant que le prince Eugène, Raiponce, et moi ne repartions, Prince Hans, mentit le duc.

-Menteur !

C’était le premier mot prononcé par Heinrich depuis le début du procès. Le jeune homme, subissant coup sur coup les différents témoignages, n’avait pu supporter le mensonge corroborant un crime dont il était totalement innocent. Ses dents découvertes et jaunies donnaient presque un air bestial à son visage convulsé par la rage. Weselton, effrayé, recula vivement et se dissimula derrière le trône royal, malgré le fait que le jeune homme était parfaitement inoffensif, étant maîtrisé par un garde et genoux à terre. Toute l’assemblée, ulcérée par l’attitude de ce gueux criminel, se répandit en injures en pointant du doigt Heinrich. Raiponce se tendit : elle craignait qu’Heinrich révélât dans sa fureur quelque information sensible.

-Vous dites que le Duc de Weselton ment ? interrogea Hans. Quelle est votre version des faits ?

Tout était suspendu. Raiponce savait parfaitement qu’Heinrich était parti bien avant Weselton, Eugène et elle, et elle avait prétendu que le Prince Hans lui-même avait assassiné Selvig. Un faux pas, ou un éclat, et c’en était fini de la princesse.

-Je n’ai jamais tué Selvig, et vous le savez très bien ! s’écria Heinrich. Et Weselton et les autres étaient encore-là quand je suis retourné vagabonder dans les rues !

La jeune femme était crispée comme un condamné face au peloton d’exécution. Serait-elle graciée de la dénonciation d’Heinrich ?

-Non, je ne le sais pas, réfuta Hans. En l’absence d’un autre témoignage, votre parole est celle d’un meurtrier et n’a aucune valeur.

Heinrich le fixa avec haine, mais ne rajouta rien. Raiponce s’affaissa quelque peu, soulagée d’avoir échappé au pire. Malheureusement pour elle, Heinrich avait perçu ce mouvement et parut se rappeler à cet instant qu’elle pouvait peut-être le secourir.

-Raiponce, la supplia-t-il, dis leur que je suis innocent. Dis leur ce que tu m’as dit, qu’Hans a tout organisé et assassiné Selvig pour couvrir ses traces !

Le peloton d’exécution avait fait feu. Raiponce pâlit, et toute l’assemblée la fixa avec des yeux ronds. La princesse ne sut un instant quoi répondre, mais une idée lumineuse l’éclaira soudain, de celles dont on ignore d’où elles sortent et qui sont les meilleures et les plus simples : c’était sa parole contre celle d’Heinrich, et sa réputation était bien trop bonne pour que quiconque ne la croie pas sans l’esquisse d’un doute. Les regards posés sur elle étaient d’ailleurs plus dubitatifs qu’accusateurs, ce qu’elle remarqua avec soulagement. Raiponce se résolut à mentir, à contrecœur.

-Je ne vois pas de quoi tu veux parler, Heinrich, répondit-elle avec froideur. Je n’ai jamais rien dit d’aussi absurde, et je ne t’ai pas revu depuis qu’Eugène et moi t’avons laissé près de la maison de Selvig.

La princesse venait de dégainer et d’abattre le dernier espoir d’Heinrich, par un acte de trahison qui toucha le jeune homme en plein cœur. Il croyait encore avoir au moins le soutien de la jeune femme qu’il avait aidée et pour laquelle il avait risqué sa vie ; mais Raiponce l’avait abandonné et utilisé comme un moyen, niant de fait son humanité. Cet ultime coup de destin fut de trop pour le jeune homme, dont le cœur déjà noir acheva de se craqueler et de s’abandonner à la haine. Raiponce vit cette transformation fatidique dans le regard d’Heinrich, qui après s’être voilé un instant devint terrible et fou. La jeune femme comprit que toutes ses manipulations avaient fait une victime de plus : l’humanité d’Heinrich.

-Voilà qui règle la question, reprit Hans. Mais dites-nous la vérité, Heinrich. Il semblerait au regard des faits que vous n’ayez pas agi seul : en effet, Selvig a été tué par l’épée, alors que la vôtre avait été confisquée, et l’origine du fumigène que vous avez utilisé reste un mystère. Enfin, j’imagine mal que vous ayez pu vous-même empoisonner le plat de Raiponce hier soir. Qui donc est votre complice ?
La perspicacité du prince menaçait à présent directement Raiponce. Il suffisait à la princesse de regarder Heinrich pour comprendre que les derniers liens qui l’attachaient à elle venaient d’être tranchés. Le jeune homme avait compris que l’histoire que lui avait racontée Raiponce au sujet de Hans et Selvig n’avait été qu’un mensonge destiné à lui donner une motivation supplémentaire. Plus personne ne trouvait grâce aux yeux de l’accusé, car Eugène était bien loin, et, ne pouvant pas le raisonner, devenait pour Heinrich aussi responsable que son épouse. De ses yeux tourmentés, l’âme chagrinée du jeune homme ne pouvait voir que des visages hostiles qui se riaient de son malheur et le méprisaient comme le roturier orphelin et criminel qu’il était. Un homme ne peut supporter une pression que jusqu’à un certain point, et il en est peu de pires que celle d’une société ouvertement cruelle et enragée. Heinrich n’y tint plus, et craqua, laissant se déverser la vérité dans le dernier spasme de son instinct de survie agonisant, ou du moins dans une tentative haineuse d’emporter dans sa chute l’un des responsables de sa misérable vie.

-Mon complice ?... cracha-t-il. Mais elle est ici. Dans cette pièce.

-De qui parlez-vous ? répliqua Magnus.

Les spectateurs, perplexes, se regardèrent les uns les autres. Personne ne soupçonnait Raiponce. Ne fais pas ça, Heinrich… le supplia intérieurement la princesse. Mais au fond d’elle, ignorait-elle vraiment qu’elle le méritait ?

-De Raiponce ! explosa finalement Heinrich. Sa très royale, très noble, Altesse Raiponce, princesse héritière de Corona.

Le silence qui s’ensuivit fut assourdissant. Tous s’étaient figés ; Raiponce n’osait faire le moindre geste. Puis, soudainement, d’une façon totalement inattendue, l’assemblée éclata d’un même rire. Nobles et roturiers se moquaient de concert de cette accusation jugée ridicule, absurde : qui donc était ce voleur et meurtrier pour ainsi blâmer une princesse royale ? Cela n’avait pas de sens. Les dignitaires eux-mêmes s’esclaffaient (Raiponce se forçant à les imiter pour ne pas paraître suspecte), hormis Weselton qui paraissait déceler dans les paroles d’Heinrich une vérité qu’il était le seul à connaître : le duc savait pertinemment que Selvig avait été exécuté sur son ordre, qu’Heinrich avait effectivement été victime d’une machination, et devait donc se douter que Raiponce était liée à la mort de Glasgow qui avait été dissimulé chez Selvig, et par conséquent à l’évasion d’Eugène et la tentative d’assassinat sur Hans. Magnus, quant à lui, regardait Raiponce avec une certaine inquiétude. Le régent, une expression indéchiffrable affichée sur son visage, observa silencieusement Heinrich. Une fois que l’assemblée fut calmée, il répondit :

-Pourriez-vous nous expliquer en quoi la Princesse Raiponce serait liée à ces crimes épouvantables ?

Les propos du prince donnaient l’impression qu’il ne rejetait pas totalement l’hypothèse d’une complicité de Raiponce ; l’auditoire fut sous le choc et resta muet de surprise. Le Premier Ministre intervint prudemment :

-Prince Hans, vous ne pouvez tout de même pas imaginer que ce scélérat puisse dire la vérité, n’est-ce pas ?

Hans le regarda, et sourit avant de répondre d’un ton mielleux qui n’alla pas sans inquiéter la princesse.

-Je ne fais qu’essayer de comprendre la version des faits de l’accusé, monsieur le Premier Ministre.

Il se tourna vers Heinrich.

-Revenons-en à ce que vous disiez, Heinrich, reprit le régent. Avez-vous la moindre preuve de ce que vous avancez ? Ou au moins un mensonge plausible ?

-C’est elle qui a tout organisé, révéla Heinrich. J’ai en effet passé la journée à errer dans les rues, à deux doigts de me foutre en l’air. Mais j’ai pas tué Selvig ni empoisonné le repas de Raiponce, et j’ai fini par atterrir à la taverne, d’où j’ai été viré au bout de quelques heures, une fois qu’on m’a reconnu. C’est là que Raiponce m’a retrouvé. Elle portait une espèce de veste à capuchon, et elle était armée d’une poêle et d’une espèce de grenade fumigène. Elle m’a raconté qu’Eugène avait été foutu en taule, et m’a demandé de l’aider à le libérer. J’étais pas trop motivé, mais j’ai quand même accepté. On est retourné près de chez Selvig, pour attendre Glasgow qui devait faire une ronde dans le coin. Quand il est passé, Raiponce lui a donné un grand coup de poêle au niveau du cou, et ça l’a tué net. Elle m’a demandé de l’aider à cacher le cadavre dans la cave de Selvig, et c’est là qu’on a découvert son corps. Raiponce m’a raconté un espèce de bobard sur un complot que vous auriez préparé pour me virer de la milice et vous faire passer pour un héros. Je sais pas si c’est vrai ou pas, mais honnêtement je m’en fous maintenant. Vous êtes tous pareils, de toute façon. En tout cas, ça m’a foutu en rogne, et j’étais décidé à en finir une bonne fois pour toutes. J’ai volé l’uniforme de Glasgow, et on s’est infiltrés dans le château par un passage dans la muraille qui n’était gardé que par un seul homme, qui dormait en plus. Une fois devant le donjon, j’ai ouvert la porte et Raiponce a balancé son fumigène, qui a endormi tout le monde. Je suis directement allé dans les quartiers des prisonniers, où deux derniers gardes étaient postés devant la cellule d’Eugène. Raiponce est arrivée à ce moment-là, et l’un des gardes l’a reconnue : alors je l’ai égorgé comme un porc, avant de transpercer le crâne son camarade. On a libéré Eugène, qui s’est barré par l’océan gelé, et on est allés aux quartiers royaux. Raiponce a persuadé Finland de partir pour que je prenne son tour de garde. Dès que ça a été fait, j’ai pris son poste et j’ai attendu que vous arriviez. La suite, vous la connaissez.

Si invraisemblable que paraissait l’histoire d’Heinrich, elle avait néanmoins instillé un doute dans l’esprit des spectateurs présents, qui s’entreregardèrent avec indécision. Hans resta de marbre, et se retourna vers Finland qui était posté à sa droite, derrière lui.

-Ne m’aviez-vous pas dit que c’était Heinrich vous avait proposé de vous relever, Finland ?

L’homme aurait dû avouer la vérité ; il lui aurait été aisé de faire passer cet « oubli » pour une broutille, et aucun châtiment ne lui aurait été infligé, car il aurait pu prétendre s’être simplement trompé et avoir oublié la présence de la princesse. Mais heureusement pour Raiponce, son précédent mensonge était pour Finland une véritable muselière, et il était cloué par la peur, et peut-être aussi par sa loyauté envers son oncle : Finland était persuadé que son intérêt était désormais de poursuivre dans sa version, de façon tout à fait irrationnelle. Ne désirant donc prendre aucun risque et en prenant ironiquement un bien plus grand, il n’osa que répondre :

-Je le confirme, Votre Altesse. Je ne sais pas de quoi il veut parler. La princesse n’a pas bougé de sa chambre durant toute la nuit. Quant à moi, je suis resté… tout à fait alerte et immobile durant mon tour de garde.

Ce fut un soulagement perceptible dans toute la noblesse : ainsi aucune royauté ne serait entachée aujourd’hui, et tous les crimes commis ces derniers jours pouvaient sans problème être mis sur le dos d’un voleur récidiviste. Tout allait bien. Les nobles ne portaient certes pas la princesse dans leur cœur depuis qu’elle avait si sévèrement imposé l’ordre après la fuite de la reine, mais elle restait l’héritière de Corona et une femme politique respectée. Raiponce cependant ne baissa pas sa garde, et décida de prendre un risque et d’intervenir elle-même pour se défendre.

-En effet, mentit-elle en s’avançant devant la foule sans daigner regarder Heinrich alors qu’elle le dépassait. Je ne me suis réveillée que lorsque j’ai entendu des cris provenant de la chambre de la Reine Elsa, où je me suis immédiatement précipitée. J’ai vu qu’un incendie venait de se déclencher, et alors que je m’apprêtais à appeler à l’aide, j’ai vu le Prince Hans briser la porte et s’échapper de la chambre, portant un homme sur ses épaules. Il a pu éteindre le début d’incendie qui menaçait d’enflammer ses vêtements, et je l’ai aidé à se relever alors que des gardes venaient d’arriver pour voir ce qu’il se passait. Alors que le prince retournait dans la chambre pour essayer de sauver le dignitaire irlandais et que les gardes repartaient chercher de l’eau, j’éloignai l’homme évanoui qu’Hans avait ramené, ignorant ce qu’il avait fait mais l’ayant reconnu comme étant Heinrich. Ce fut-là mon seul rôle dans cette histoire. Je suis maintenant accusée d’avoir manipulé Heinrich pour le persuader de libérer mon époux et de tuer le Prince Hans ; aucun de mes mots ne pourrait être suffisant pour décrire la colère que je ressens en entendant cet outrage qui m’est fait.

La princesse balaya toute l’assemblée du regard, tâchant de mettre autant d’émotion qu’elle le pouvait dans sa voix. Cela n’était pas difficile : elle avait conscience d’abandonner Heinrich par ce nouveau mensonge, et de le jeter aux loups une nouvelle fois. Son visage meurtri et sa voix tremblante de la culpabilité qu’elle ressentait étaient parfaitement appropriés pour une foule qui lui était déjà à demi acquise.

-L’idée même de verser le sang me révulse, m’écœure profondément. Elle me fait horreur, et je ne sais comment quiconque pourrait en toute honnêteté me croire coupable de tous ces crimes qui ont été commis : une trahison contre la couronne d’Arendelle, une tentative de meurtre sur le régent, un meurtre sur un homme fidèle de la garde, et pourquoi pas sur un des citoyens du royaume, que je n’ai d’ailleurs vu qu’une fois, et brièvement ! Jamais, jamais mon comportement et mon honnêteté n’ont été remis en cause. J’ai été dévastée par la folie qui a hier saisi mon mari, le prince Eugène, car je l’aime et jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse faire preuve d’une telle violence. Mais pourquoi aurais-je voulu le libérer, alors qu’il semblait être pris de folie et être un danger pour lui-même et ceux qui l’entourent ? Je savais que, pour son propre bien, il lui fallait rester enfermé, le temps que la reine revienne et que la crise se termine. Je n’aurais pas risqué sa vie, la mienne, et décidé d’entrer par effraction là où il était retenu en massacrant tant d’innocents sur mon passage, avant d’essayer de tuer le Prince Hans, qui est fiancé à ma cousine Anna que j’aime comme ma propre sœur !

Elle s’arrêta un instant, ses paroles s’étranglant dans sa gorge. Il lui était presque impossible de continuer. Pourrait-elle de nouveau se regarder dans une glace un jour ? La population et la noblesse se méprirent sur l’origine de son émoi, et plus d’un sortit un mouchoir pour s’essuyer discrètement les yeux.

-Je n’ai jamais rien fait de mal, termina difficilement Raiponce. Tout ce qu’a raconté Heinrich est un mensonge, je vous le jure : je ne sais pas s’il avait un complice, mais cette personne qui a commis tous ces crimes… ce n’est pas moi.

En effet, ce n’était pas elle : il s’agissait de la créature affaiblie et désespérée qu’elle était devenue. Raiponce ne se reconnaissait plus, et se dégoutait d’avoir ainsi menti avec un tel aplomb, d’avoir fait fi de l’une de ses principales valeurs : ne jamais rompre une promesse. Mais cela avait fonctionné : tout l’auditoire avait été conquis, et demeurait silencieux, gardé muet par l’émotion suscitée par le discours de Raiponce. Seul Heinrich continuait de la fixer de son regard haineux, et l’aurait peut-être agressée sans le garde qui le maintenait à terre. La jeune femme se retourna vers Hans et les dignitaires : tous sauf Hans la regardaient avec compassion et gravité, et même Weselton semblait presque douter de la responsabilité de Raiponce, malgré ce qu’il savait d’elle. Magnus souriait franchement et paraissait très soulagé. Le Prince Hans, lui, hocha gravement la tête, semblant résigné à devoir laisser Raiponce lui filer entre les doigts.

-Votre innocence n’est pas à prouver, Votre Altesse, dit-il. Votre parole a mille fois plus de valeur que celle de ce meurtrier. Soyez tranquille : vous ne serez pas tenue responsable de l’évasion de votre époux, et nous ferons tout pour ramener ce dernier sain et sauf.

-Merci, Votre Altesse, répondit la princesse avec un immense soulagement.

Elle rejoignit sans tarder le reste des ambassadeurs, n’attendant plus que le verdict de Hans pour quitter enfin le grand salon. Le régent se leva, faisant face à tous les spectateurs.

-Tous les témoins ont à présent été entendus, et l’accusé a pu se défendre du mieux qu’il le pouvait. Mais nous ne pouvons nier l’évidence : Heinrich est le seul coupable connu des crimes sordides qui ont été commis depuis hier. Nous poursuivrons l’enquête pour rechercher d’éventuels complices, mais nous pouvons d’ores et déjà fixer le sort de ce criminel. Accusé, levez-vous.

Le garde qui retenait Heinrich lui agrippa férocement l’épaule pour le redresser. Le jeune homme trébucha, mais fut rattrapé par l’autre homme. Il regarda Hans, une lueur de peur mêlée à sa colère lancinante.

-Vous êtes reconnu coupable de toutes les charges qui vous ont été reprochées, ainsi que celle du meurtre de Selvig, des gardes Glasgow, Darius, et Godefroy, de la tentative de meurtre sur la personne de Raiponce, et de l’évasion du prince Eugène. J’ai hier fait preuve de miséricorde ; mais au nom de tous les innocents qui ont péri par votre faute, je ne peux plus me soustraire à mon devoir. Mon cœur saigne de prononcer cette sentence, et je ne le fais que pour le bien d’Arendelle. Heinrich, je vous condamne à mort. La justice a parlé.

Loin, très loin de là, la Princesse Anna observait son royaume dans la distance, s’arrêtant un instant dans sa quête pour retrouver sa sœur. Elle ne se doutait pas un instant de ce qui s’était produit, ni que son cher fiancé venait de condamner un homme à mort.

Une immense clameur parcourut la foule, des citoyens de toute classe applaudissant et se réjouissant du verdict qu’ils considéraient exemplaire : leur soif de sang des criminels avait été assouvie. Le regard du condamné s’était éteint, comme s’il avait déjà accepté son sort funeste, et il fut brutalement retourné et conduit vers l’extérieur du château. Weselton paraissait soulagé du jugement, persuadé que son secret serait bien mieux protégé ainsi, et les dignitaires affichaient une mine satisfaite. Raiponce était la seule à baisser la tête : ainsi était le poids de celui qui n’avait d’autre condamnation que celle de sa conscience agonisante.

___

Encore désolé pour ce retard ! Après cette apogée dramatique, un nouvel arc scénaristique va se mettre en place, tandis que l'on retrouve doucement l'intrigue du film : la scène du procès se déroule très peu de temps avant le retour du cheval d'Anna à Arendelle, ce qui va se produire au chapitre suivant.


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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Lun 19 Fév 2018 - 0:02

Chapitre 14 : Un retour inattendu

Dire que l’ambiance du petit-déjeuner fut sombre aurait été un euphémisme. Elle fut même pire que celle du dîner de la veille : sitôt l’euphorie et l’excitation du procès passées, il revint vite à la mémoire de la population que l’exécution d’un meurtrier ne changeait rien de la situation précaire dans laquelle elle se trouvait. C’était maintenant le deuxième jour depuis la fuite d’Elsa et le départ de sa sœur partie la retrouver, et l’hiver ne semblait toujours pas faiblir. La peur était présente dans tous les esprits, et des tensions entre les citoyens commençaient à apparaître et à diviser la population. L’ordre demeurait néanmoins, grâce à la régence de Hans qui avait obtenu le respect et la confiance de tous, principalement du fait de son courage durant l’incendie qui avait ravagé la chambre de la reine, et de son attitude ferme et juste pendant le procès qui s’en était suivi. Même son initiative de lever une milice avait été bien perçue, en dépit de son échec cuisant. Tout compte fait, les actions de Raiponce avaient ironiquement conduit à une domination sans partage du prince sur le royaume ; mais la princesse se consolait en se rappelant qu’il aurait été impossible de l’arrêter si sa milice avait été formée, et qu’au moins Eugène était sain et sauf. De plus, même s’il était encore alité et en convalescence, Pascal se remettait lentement de son empoisonnement. Mais rien n’était terminé et Raiponce s’était juré de ne pas laisser Hans faire le moindre mal à Arendelle ou à sa famille.

Heinrich avait été jeté dans une geôle du donjon pour y attendre son exécution. Il y avait bien-sûr interdiction absolue de lui rendre visite, ce que Raiponce n’ignorait pas. Elle n’avait d’ailleurs même pas essayé, pour cette raison mais aussi à cause de la rage folle qu’éprouvait à présent le jeune homme à son égard. La princesse s’en voulait terriblement d’avoir abandonné Heinrich, mais savait pertinemment qu’elle ne pourrait cette fois s’introduire dans le donjon pour le sauver : la sécurité avait été renforcée, et Raiponce ne disposait plus d’aucun artifice qui aurait pu l’aider dans cette hypothétique tentative. Un seul espoir persistait : qu’Elsa rentre suffisamment tôt pour que la princesse puisse la convaincre de gracier Heinrich.

La fin de la matinée approchait alors que Raiponce déambulait dans le village, près du pont qui liait ce dernier au château. Elle n’avait pas vraiment de but, mais regardait les quelques citoyens présents avec angoisse ; la princesse, sans s’en rendre vraiment compte, recherchait en fait Eugène, car son époux était son soutien le plus vital et qu’elle chérissait le plus. L’incertitude sur sa localisation actuelle mettait Raiponce dans un état de détresse extrême. Mais elle ne voyait sur la place du village que quelques hommes et femmes vêtus d’épais manteaux colorés, qui se réchauffant devant un brasero, qui débattant vivement devant un tas de buches pour déterminer la meilleure façon de les faire sécher. La jeune femme dépitée de ne pas trouver son mari décida de s’éloigner sans chercher à rencontrer les habitants, contrairement à ses habitudes. Deux pâtés de maisons aux toits recouverts de neige se trouvaient à proximité, l’un à sa gauche, et l’autre devant elle. Le village s’étendait dans ces directions, tandis qu’à sa droite les quais ouvraient sur une mer glacée et inhospitalière. Le dos au château, elle se dirigea sur sa gauche en passant dans l’espace situé entre un parapet et le pâté de maisons, se glissant dans une petite ruelle après avoir pris à droite au bout de quelques mètres. Raiponce eut la fâcheuse surprise de tomber nez à nez avec le Duc de Weselton qui était accompagné de ses gardes, ce qui était pour elle une habitude dont elle se serait bien passée. Le vieil homme, les bras croisés et posés sur ses épaules, semblait loin d’apprécier la fraîcheur de l’hiver.

-Votre Altesse ! S'exclama Weselton d'un ton mièvre. Quelle joie de vous revoir.

-Inutile de jouer la comédie, monsieur le duc, répliqua froidement Raiponce. Que faites vous ici, cette fois ? J'espère que vous n'envisagez pas de piller à nouveau les biens d'Arendelle...

-Mais non voyons, qu'allez vous imaginer là, répondit Weselton avec précipitation. Je ne fais que prendre l'air après toutes ces émotions fortes. Et vous ?

-Rien de particulier. Mais puisque vous êtes là, j'aimerais vous parler du procès de ce matin...

-Il n'y a rien à en dire, la coupa vivement le vieil homme. Je ne sais rien de votre implication dans toute cette histoire, et je ne veux pas y être mêlé. En ce qui me concerne, je n'ai fait que couvrir mes traces concernant la mort du vaurien que nous avons éliminé. À présent qu'Heinrich a été condamné à mort, le royaume est persuadé qu’il est aussi coupable de ce meurtre.

-Vous et moi savons que cela n’est pas vrai.

-Quelle importance ? répondit Weselton d’un air méprisant. Il est bien coupable du reste, et aurait perdu sa tête quoi qu’il en soit.

Le duc disait vrai : la mort de Selvig n’avait fait que s’ajouter aux autres cadavres qu’Heinrich avait laissés derrière lui. Qu’il soit également reconnu responsable des propres crimes de Raiponce était une aubaine, même si la jeune femme regrettait que cela soit aux dépends d’Heinrich. Cependant, le fait qu’il fut également accusé d’une tentative de meurtre orchestré par Hans en personne était assez cruel.

-C’est probable, reconnut Raiponce.

-Bien, fit le duc avec satisfaction. J’espère donc que vous ne me ferez pas de leçon de morale. Ce séjour est déjà suffisamment pénible comme cela ! Dire que je venais pour affaires…

-A ce sujet, fit la princesse avec un sourire ironique au coin des lèvres, je suis navrée de vous apprendre que le commerce risque d’être quelque peu perturbé.

Weselton fronça les sourcils, une inquiétude nouvelle apparue sur son visage.

-Que voulez-vous dire par-là ? demanda-t-il prudemment.

-Le Prince Hans va sortir d’une minute à l’autre pour faire don de vêtements chauds à la population, révéla la jeune femme. D’ici le retour de la reine, il ne devrait plus rester grand-chose.

-Comment ? s’insurgea le vieillard en sautillant sur place. C’est un scandale ! Le Prince Hans en entendra parler.

Là-dessus, il partit vivement en passant derrière Raiponce, suivi de ses gardes. La jeune femme se tourna juste à temps pour le voir bifurquer à gauche et disparaître derrière le coin du mur du pâté de maisons, se dirigeant à pas rapides vers le château. La jeune femme, lassée et fatiguée après une nuit d’aventures, songea qu’un peu de repos avant le déjeuner ne serait pas de refus, et se dirigea à sa suite après quelques secondes. Mais elle s’arrêta net un instant avant de dépasser l’angle du mur, entendant Weselton s’exclamer d’une voix courroucée, déjà lointaine :

-PRINCE HANS !

La princesse sourit doucement : Hans devait être sorti au moment alors que Weselton et elle discutaient. Elle préféra rester hors de vue, ne voulant pas prendre part à la discussion et considérant qu’il était bien plus intéressant de l’écouter avec délectation.

-Sommes-nous censés rester les bras croisés à mourir de froid pendant que vous dilapidez tous les biens d’Arendelle ? poursuivit le vieil homme.

Le duc était à peine audible du fait de la distance qui le séparait de Raiponce, mais cette dernière parvenait tout de même à comprendre l’intégralité de l’échange. Parfaitement calme, le régent répondit :

-La Princesse Anna a donné des ordres.

-Vous faites bien d’en parler ! s’écria immédiatement Weselton. Ne vous est-il pas venu à l’esprit que votre princesse puisse comploter avec une méchante sorcière pour nous anéantir ?

Hans sembla alors perdre son sang-froid, au grand étonnement de Raiponce qui l’avait toujours pris pour un homme qui savait se maîtriser à la perfection.

-Je vous interdis de douter de la princesse ! Elle m’a laissé des ordres. Et je protégerai ce royaume de toute forme de trahison !

-Oh, de-de trahison ? balbutia le duc.

Il est comme un miroir, comprit Raiponce. Il affiche sa colère parce que le duc en fait de même. La pensée de la jeune femme fut interrompue par une cavalcade et un hennissement bruyant.

-Whoa, whoa, doucement, tout doux ! Doucement… s’exclama Hans.

Il y eut quelques exclamations inaudibles, tandis que Raiponce essayait de comprendre ce qu’il se passait. Il devait s’agir d’un cheval rentré précipitamment au royaume, et la seule personne en étant partie ces derniers jours était… Anna ! Raiponce avait visé juste, car elle entendit immédiatement le Prince Hans proclamer :

-La Princesse Anna a des ennuis. J’ai besoin de volontaires avec moi, pour partir à sa recherche !

Quelques cris vinrent répondre à son appel, le duc ajoutant :

-Je vous propose deux de mes hommes, monsieur…

Enfin, on partait retrouver Anna, et Raiponce n’aurait plus à surveiller Hans à Arendelle ! La jeune femme, en dépit de l’inquiétude qu’elle éprouvait, sa cousine se trouvant après tout sans monture et seule dans les montagnes (ce qui n’était pas le cas, comme nous le savons bien), se réjouit de cette nouvelle, et commença à avancer après ces quelques secondes de réflexion. Elle aperçut alors l’attroupement sur la place du village, où gardes et citoyens mélangeaient étaient réunis autour d’Hans et du cheval d’Anna. Weselton et ses gardes tournaient le dos à la princesse, se situant entre elle et le reste de la foule. Raiponce se dirigea vers le prince, ignorant le duc et le dépassant pour arriver au niveau du prince. Ce dernier faisait face de six gardes et des deux hommes de Weselton. Le cheval d’Anna, portant sur son dos un élégant tapis de selle pourpre aux motifs du royaume, était emmené par un homme en direction de l’écurie. J’espère qu’il n’est rien arrivé de grave à Anna.

-Nous devons partir sans tarder, disait le prince tourné vers ses hommes. Prenez vos armes et provisions, et rejoignez-moi ici avec vos montures.

Raiponce fut remarquée lors de son arrivée, et tous les gardes d’Arendelle la saluèrent d’une inclinaison de la tête. Hans voyant ce signe de respect se retourna et vit à son tour la princesse. Il lui sourit gravement.

-Princesse Raiponce. Nous avons décidé d’organiser une expédition afin de retrouver la Princesse Anna, expliqua-t-il.

-J’ai entendu, répondit la jeune femme. En fait, je voudrais en être.

Les gardes s’échangèrent des regards dubitatifs ; leur confiance en les capacités de Raiponce à participer à une telle mission semblait plus que fragile.

-Je crains que cela ne soit impossible, refusa poliment le prince. Il est possible que nous affrontions de graves dangers, et voyager dans les montagnes par ce climat sera très éprouvant physiquement.

Il était clair que le régent ne voulait pas de Raiponce, peut-être par peur de son ingérence qui pourrait lui mettre des bâtons dans les roues ; préparait-il quelque chose de répréhensible ?

-Je ne suis pas une petite fille, persista la princesse. J’ai déjà affronté bien pire qu’une petite montagne couverte de neige. Cela fait plusieurs années que j’ai quitté ma tour, et j’ai depuis fait mes preuves. Je peux endurer le voyage que vous préparez, et même combattre si cela est nécessaire.

Sans se laisser démonter par l’argumentaire de la jeune femme, Hans répondit :

-Je comprends votre désir, Votre Altesse, mais même si vous aviez l’expérience requise, il serait irresponsable de ma part de vous laisser venir avec nous. En tant que régent d’Arendelle, il est de mon devoir de protéger les citoyens de ce royaume et les alliés de ce dernier. Je ne peux pas risquer la vie de l’héritière de Corona, et cousine de la reine, lors d’une expédition au résultat si imprévisible. J’ai de plus besoin de vous ici pour régenter le royaume à ma place jusqu’à mon retour.

Le destin voulait que la scène d’il y a deux jours se reproduise, et que ce soit cette fois Raiponce qui se vît offrir la régence : le prince tentait là de l’acheter pour la garder loin de lui, au lieu de confier naturellement le pouvoir à Magnus. Mais hélas la jeune femme ne pouvait qu’accepter, sachant bien qu’elle devait s’en remettre à la décision de Hans, ce qui la révulsait au plus haut point. Elle songea cependant qu’elle serait bien plus utile à gouverner le royaume qu’à accompagner le prince dans sa quête.

-Très bien, si je ne peux vous faire changer d’avis, céda Raiponce.

-Je vous remercie d’accepter cette charge, Votre Altesse, répondit Hans. Il faut que je vous informe des dispositions que j’ai prises concernant la crise que nous traversons : le grand salon est prêt à accueillir la population pour que nous leur fournissions de la soupe et des boissons chaudes, et leur permettre de s’abriter. Des vêtements d’hiver sont également distribués par la garde aux citoyens d’Arendelle.

-Je suis ravie de voir que vous avez suivi mon idée, fit la princesse d’un air légèrement moqueur. Je poursuivrais ces efforts durant votre absence.

-Bien. Maintenant, veuillez m’excuser, car il me faut me préparer pour le départ.

Le prince s’éloigna en direction du château, alors que les gardes volontaires se dispersaient. Raiponce était seule, entourée par les citoyens d’Arendelle qui pour certains portaient dans leurs bras quelques chandails aux couleurs vives.

-Je vous invite à rentrer dans le château pour vous nourrir et vous réchauffer un peu, dit Raiponce. N’hésitez pas à en parler autour de vous, et à rediriger vers le château tous les sans-abris. N’oubliez pas que la garde est là pour répondre à vos besoins et vous aider en cas de problème. Je me chargerai de réorganiser les patrouilles en prenant en compte la réduction de nos effectifs causée par l’expédition du Prince Hans, afin que vous puissiez toujours trouver un garde à proximité. Nous veillerons à ce que tout se déroule pour le mieux, et que personne ne soit laissé pour compte. Pas un ne dormira à la rue ou ne sera pas nourri. Restez calmes, et tout se déroulera au mieux. Merci.

Il y eut quelques applaudissements et une approbation globale du discours de la princesse. Cette dernière avait un don pour se faire aimer et apaiser les plus récalcitrants, et la population lui faisait confiance pour les gouverner en l’absence du Prince Hans. Il lui fallait à présent se montrer à la hauteur de la tâche. Elle retourna à l’intérieur du château, découvrant dans le grand salon le nouvel agencement de la pièce : des buffets avaient été accolés aux murs de droite et de gauche, près desquels étaient postés quelques gardes qui patientaient le temps que les premiers citoyens du royaume arrivent. Les longues tables, qui avaient été retirées pour le procès, avaient été replacées dans le grand salon avant le petit-déjeuner, et n’attendaient plus que plats et couverts pour être mises à disposition de qui voudrait bien s’y asseoir. Devant le trône, un homme à la corpulence assez forte et une femme, fine aux cheveux grisonnants, tous deux vêtus de l’uniforme vert du personnel discutaient sobrement. Raiponce les rejoignit, interrompant leur conversation et les saluant d’une révérence élégante.

-Votre Altesse, s’inclina l’homme d’une voix altière. Je suis Kaï, et voici Gerda. J’ai pour rôle de superviser l’intendance du château et l’accueil des invités. Je veux que vous sachiez que nous sommes à votre entière disposition.

-Formidable, se réjouit la princesse en souriant bonnement. J’ai vu que vous avez déjà préparé l’accueil de la population.

-Oui, madame, confirma Kaï. Le déjeuner sera servi dans cette pièce pour les roturiers, alors que la noblesse prendra place dans la salle à manger, comme nous le faisons depuis le début de la crise.

La ségrégation sociale était de coutume dans le monde entier en cette année 1839 ; mais Raiponce, qui avait vécu enfermée dans une tour durant dix-huit années, n’avait pas été élevée dans les codes de la société et traitait indifféremment nobles et roturiers. N’étant pas aux commandes jusqu’à présent, la princesse s’était pliée au protocole durant les deux derniers jours, mais maintenant qu’elle était temporairement régente…

-J’ai une meilleure idée. Et si nous mélangions tout le monde ?

La jeune femme eut pour réponse des visages abasourdis. Kai et Gerda se regardèrent en haussant les sourcils. Ils n’avaient pas l’air de prendre Raiponce au sérieux.

-Votre Altesse, répondit prudemment l’intendant, je ne suis pas sûr de bien vous comprendre…

-Nous allons réunir les nobles, les sans-abris, les membres d’équipage, et tous les citoyens qui voudront déjeuner au château. Et pour éviter que les groupes originels ne se forment malgré tout, nous placerons en alternance l’aristocratie et les personnes de basse extraction. Ce n’est pas tout. Fini, les repas constitués entièrement de soupe pour la populace ! Ce sera soupe ET saumon pour tout le monde.

L’évidence était que la princesse ne s’était pas maladroitement exprimée et qu’elle ne plaisantait pas non plus. Devant ce fait établi, les deux servants fixèrent Raiponce comme si elle sortait d’un asile de fous.

-La noblesse risque de ne pas apprécier, tenta Kai…

-Mais si, voyons, prétendit Raiponce en écartant cette « broutille » d’un geste de la main. Nous vivons une crise sans précédent, et ici, pas plus les nobles que les habitants ne payeront la nourriture consommée aujourd’hui, si ? Je ne vois pas pourquoi certains mangeraient dans de meilleures conditions que d’autres. Cela serait d’autant plus injuste pour les habitants, qui se voient servir de la soupe alors que les dignitaires étrangers mangent des plats raffinés avec des couverts en argent. Tout le monde sera à la même enseigne aujourd’hui. Je suis certaine que le royaume a les réserves nécessaires.

Kai, semblant capituler, s’inclina bassement en fermant les yeux.

-A votre guise, madame.

-Je vous remercie de votre… enthousiasme, répondit sarcastiquement la princesse. Mais ne vous inquiétez pas, je serai là pour vous aider.

-Nous aider, Votre Altesse ? s’ébahit Gerda.

-Bien-sûr, je ne serai pas de trop pour aider à servir les plats. Quoi, vous n’avez jamais vu de princesse qui sache faire quelque chose de ses mains ? se moqua-t-elle gentiment.

Raiponce s’en fut donc avec Kai et Gerda ; ils rejoignirent en cuisine d’autres membres du personnel que la princesse salua chaleureusement, avant de débuter leurs nombreux allers retours entre la cuisine, la salle à manger et le grand salon pour servir ceux qui commençaient déjà à s’installer. La réaction des aristocrates fut celle à laquelle on aurait pu s’attendre, la plupart marmonnant des imprécations indignées tandis que l’on les plaçait à proximité de gens du « commun », qu’ils considéraient bien trop vulgaires pour leur propre nature supérieure. Les fondations de leur monde se trouvaient ébranlées, leur petite vie bien rangée était remise en cause ! Quel crime abject, quelle terrible contrainte ! Car dans toute leur morgue et leur implacable sentiment de supériorité, les nobles en venaient à oublier une réalité essentielle : de beaux atours et un sang « noble » ne les rendait pas plus Hommes que n’importe qui d’autre sur Terre.

Le service fut bientôt terminé grâce à l’efficacité du personnel de cuisine, et Raiponce se déplaça jusqu’à l’entrée de la salle à manger pour s’exprimer devant tous les invités. L’opération de mixité avait été réalisée avec succès : on pouvait voir à chaque table des personnes de toute extraction placées à proximité d’autres aux classes sociales différentes.

-Bonjour à tous ! clama Raiponce. Pour ceux d’entre vous qui ne me connaissent pas, je suis la Princesse Raiponce de Corona, pour vous servir. Je vais m’occuper de la régence jusqu’au retour du Prince Hans. J’espère que vous passerez tous un bon moment durant ce déjeuner et que vous saurez dépasser vos… différences. Merci.

L’accueil des paroles de la jeune femme fut relativement froid du côté de la noblesse, mais fut très enthousiaste chez la population et les matelots, qui appréciaient beaucoup Raiponce comme nous l’avons déjà vu. Cette dernière se retira dans le grand salon, où un autre groupe avait déjà commencé à se sustenter. Elle revint dans sa chambre pour se munir de sa poêle, comme « arme de fonction », et l’attacha à sa ceinture de cuir. Revenant dans le grand salon, elle marcha jusqu’au pied du trône, l’observant un instant en gardant un silence mélancolique. Ce trône n’est pas le mien. Elsa ou Anna devrait y siéger, pas moi. Raiponce s’y assit néanmoins, attendant le rapport du capitaine des gardes qui s’approchait justement d’elle. L’homme portait son uniforme bleu, et arborait un air très pompeux.

-Votre Altesse, dit Norway, nous n’avons rien à signaler ce matin, hormis une inquiétude générale au sein de la population. Quels sont vos ordres ?

Il y avait en effet de quoi être inquiet : la reine s’était révélée être une sorcière aux pouvoirs de glace qui avait fait tomber le royaume dans un hiver possiblement éternel, avant de s’enfuir suivie par sa sœur qui laissait la régence à un parfait étranger, Hans. De multiples vols, agressions et meurtres s’en étaient suivis, et l’on apprenait maintenant que la Princesse Anna était en danger, peut-être déjà morte ! Pour couronner le tout, Hans lui-même était parti retrouver Anna, accompagné d’une demi-douzaine de gardes, ce qui réduisait de plus les effectifs du royaume. L’incertitude était absolue ; les chances de survie étaient vues comme maigres. Il fallait que Raiponce maintienne l’ordre le temps que la crise s’achève.

-Je veux que vous réorganisiez les effectifs en tenant compte des six hommes que le Prince Hans a emmenés avec lui. Arrangez-vous pour que chaque rue soit visitée par des hommes de façon régulière, toutes les demi-heures, voire moins si possible. Qu’ils s’assurent que personne n’a besoin d’aide et que tous les sans-abris soient informés que les portes du château sont ouvertes.

-Votre Altesse, objecta le garde, nous risquerions de démunir les effectifs du château.

-Craignez-vous une attaque ? plaisanta Raiponce. Il n’y a qu’un seul criminel dans le royaume, n’est-ce pas ? Et je ne parle pas de mon époux, évidemment.

Norway eut l’air incertain, et la princesse fronça les sourcils.

-Il n’y a bien qu’un seul criminel, n’est-ce pas ? Le seul prisonnier que nous avons est Heinrich.

-En réalité, il y en a deux, Votre Altesse, révéla Norway.

-Deux ? s’exclama Raiponce. Qui est le deuxième ?

-L’évêque du royaume. Le Premier Ministre l’a fait arrêter il y a quelques minutes. Il va vous en parler quand il sera de retour.
Alors, l’altercation était vraiment sérieuse. Raiponce songea que l’extrémisme religieux du Premier Ministre l’avait poussé trop loin, et se promit de lui en parler afin de libérer le pauvre évêque.

-Je l’ignorais, dit Raiponce. Mais de toute façon, j’imagine mal qui pourrait bien prendre d’assaut le château. Une garnison squelettique suffira à maintenir l’ordre ici, et à arrêter n’importe quel loup solitaire qui voudrait nous attaquer ou nous voler. Il faudrait des dizaines d’hommes pour faire tomber ce lieu.

-Très bien, si cela est votre décision, Votre Altesse, répondit l’homme avec raideur avant de s’éloigner exécuter les ordres de la régente.

Magnus vint à son tour devant elle.

-Je suis ravi que la régence vous soit échue durant l’absence de Hans, dit-il. Je ferai de mon mieux pour vous aider.

-Merci, Magnus. Pour le moment, contentez-vous de veiller au bien-être de la population. Mais je voulais vous parler de l’évêque…

Le Premier Ministre jeta un regard inquiet à gauche et à droite, et s’approcha de la princesse pour lui chuchoter à l’oreille :

-Cette arrestation me permet de conserver une apparente loyauté envers Hans. Le prince craignait une trahison de l’évêque, car il connaissait sa proximité avec la famille royale et son influence auprès de la population. A son retour, il ne pourra plus douter de moi, et ce jusqu’à ce que je révèle ma véritable allégeance. A ce sujet, il faudra que nous parlions plus tard dans la journée, pour discuter des options qui se présentent à nous.

-C’est d’accord, répondit la princesse. Mais j’entends bien libérer ce pauvre évêque dès que tout cela sera terminé.

-Bien-sûr, Votre Altesse, affirma Magnus. A tout à l’heure.

Il s’éloigna, et Raiponce vit Kai s’approcher d’elle quelques instants plus tard. L’intendant l’invita respectueusement à s’attabler à la table centrale pour déjeuner, ce qu’elle accepta. Raiponce s’installa en bout de table, entourée d’un matelot colossal aux cheveux broussailleux et d’une femme dont les vêtements bleus et gris épousaient une silhouette ronde. Assis à gauche du membre d’équipage se trouvait Weselton, qui ne semblait guère ravi d’être là, et regardait avec dégoût le matelot s’abreuver de sa soupe en levant son assiette à ses lèvres et en avalant la mixture en ignorant la somptueuse cuiller disposée devant lui à cet effet.

-Alors, monsieur le duc, le railla la princesse après quelques premières cuillerées, appréciez-vous cette expérience sociale ?
Le vieil homme darda sur elle un regard furibond.

-Ce n’est pas digne de mon rang de fricoter ainsi avec la populace ! s’insurgea-t-il. Votre soi-disant ouverture d’esprit est inadmissible.

-Allons, ce n’est pas si terrible, vous exagérez. Tenez, cet homme a par exemple l’air charmant, n’est-ce pas monsieur…?

-Sweden, grommela le matelot. Enchanté. Maint’nant, si vous v’lez bien m’excuser…

Entre le duc et elle, le matelot repus recula bruyamment sa chaise et se leva pour partir, bousculant et faisant tomber au passage celle du duc dans une maladresse bourrue. Le vieil homme poussa un cri indigné en s’écrasant au sol, provoquant l’hilarité générale. Raiponce ne se retint que par une politesse que ne méritait certes pas Weselton. Ce dernier fut brusquement relevé par le membre d’équipage, qui se répandit en excuses.

-S’cuzez, m’sieur, répétait-il en remettant sur pied le vieillard.

Sa force était telle qu’entre ses mains Weselton paraissait une poupée de chiffons. Le duc, se remettant vite de sa frayeur, l’invectiva vertement en s’époussetant, tandis que l’autre homme s’éloignait déjà.

-Misérable, comment oses-tu…

-De grâce, monsieur le duc, épargnez-vous vos plaintes, soupira Raiponce, et réservez les plutôt à vos hommes. Où sont-ils, d’ailleurs ? Je m’étonne de ne pas les voir se jeter sur votre « agresseur ».

-Ils sont partis avec le Prince Hans, répondit le duc en relevant sa chaise et en se rasseyant. Je les ai envoyés pour qu’ils l’aident à retrouver la Princesse Anna.

La princesse se souvint qu’elle les avait effectivement vus autour de Hans à son arrivée sur la place du village.

-Quelle générosité de votre part, ironisa Raiponce. C’est donc par pure bonté d’âme que vous vous séparez de vos gardes du corps ?

Weselton retroussa ses lèvres, et se dandina sur sa chaise avec un malaise évident.

-Tout à fait, répondit-il. Il faut bien sauver cette petite des griffes de sa sorcière de sœur.

-Cessez de parler ainsi de la reine, s’agaça Raiponce. Elsa est ma cousine et notre hôte, dois-je vous le rappeler ?

-Je crois pourtant me rappeler l’avoir vue vous bannir du royaume, persifla Weselton. Deux fois !

Il était vrai que Raiponce en avait beaucoup voulu à Elsa, pour cette raison et pour le rappel cuisant qu’elle lui avait infligé : la princesse demeurait indirectement responsable de la mort de ses parents, fut-ce par un lien très diffus. Mais à la lumière de la vérité et des pouvoirs révélés de la reine, Raiponce n’avait pu que lui pardonner, trop consciente des souffrances d’une enfance passée à se cacher et à rester enfermée.

-Elle était encore bouleversée, la défendit Raiponce. Je suis sûre qu’elle le regrette profondément.

-C’est vous qui le dites. Mais ça ne fait rien ; dès que le Prince Hans sera revenu, mes hommes et moi prendront le large au plus vite pour quitter ce royaume de malheur.

-S’il trouve également Elsa et la persuade de ramener l’été.

Le duc s’immobilisa un bref instant, avant d’hocher vigoureusement la tête.

-Oui, c’est ce que je voulais dire, affirma-t-il précipitamment.

Sa voix sonnait faux, et l’instinct de Raiponce lui soufflait qu’il mentait : comment pouvait-il être sûr que l’hiver prendrait fin suite à l’expédition du prince ? Un flot de souvenirs frappa soudain Raiponce, comme en réponse à son appel muet : la proposition du duc de ramener Elsa de force, le froid avec lequel il avait ordonné l’assassinat de Selvig, son habitude enfin de fomenter duperies et complots pour son intérêt personnel. Raiponce bondit de sa chaise, détendit son bras avec la vitesse d’une vipère à l’attaque, et saisit le duc par le col. Weselton glapit, soulevé une deuxième fois du sol en l’espace de deux minutes. Toute la salle se tut, observant la scène avec ébahissement.

-Vous mentez ! cria Raiponce. Quels sont les ordres que vous avez donnés à vos sbires ?

-Mais-mais, balbutia Weselton, je ne comprends pas…

-Leur avez-vous ordonné de tuer la reine ? reprit impitoyablement la princesse.

Le frêle petit homme suait à grosses gouttes, gigotant inutilement ses petites jambes dans le vide. Les gardes présents ne réagissaient pas, soit par leur devoir d’obéir à la régente, soit par indifférence au sort de Weselton, qui n’était guère aimé dans la région.

-Jamais je n’aurais fait cela, prétendit le duc dans un gémissement.

Mais il avait le regard fuyant de celui qui, sous la menace, tentait néanmoins un mensonge désespéré. La jeune femme sut qu’elle avait vu juste. Elle lâcha le vieil homme sans cérémonie, et abandonna là toute l’assemblée. La princesse se rua en direction de l’écurie sous des centaines de regards étonnés, se retrouvant à l’extérieur du château. Arrivée devant les boxes clos, Raiponce ouvrit frénétiquement les volets supérieurs à la recherche de son cheval Maximus. Tous étaient vides ; l’étalon devait être sur pattes depuis longtemps. Alors que la princesse commençait à désespérer, un hennissement heureux lui parvint de derrière elle. Le cœur de cette dernière bondit lorsqu’elle se retourna et vit que son fidèle cheval, ensellé et vigoureux, était venu à elle. L’avait-il entendue ou vu arriver, avait-il été guidé par un instinct de fidélité, Raiponce l’ignorait. Mais la princesse soulagée lui sauta au cou, lui murmurant dans une étreinte :

-Nous devons partir immédiatement. J’ai peur qu’il arrive quelque chose à Elsa.

Le cheval eut un reniflement d’assentiment, et Raiponce se jucha sur son dos avec agilité. Elle enserra la bride, intima à Maximus de s’élancer au galop d’un geste doux et déterminé, et en une seconde, était partie. Vers Hans, Elsa, et sa destinée.

___

Ainsi nous rejoignons l'intrigue du film. Le chapitre suivant sera le dernier de la troisième partie de la fan-fiction, et recouvrera le trajet de Raiponce jusqu'au palais de sa cousine, où elle tentera d'empêcher son assassinat des mains des sbires de Weselton...


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Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Jeu 22 Fév 2018 - 1:59

Chapitre 15 : Le voyage vers le palais de glace

La forêt entourant Arendelle semblait être d’un climat encore plus glacial que le village. Les hautes cimes des arbres, leurs branches, leur feuillage et leurs rameaux, étaient tous recouverts d’une neige éternelle et figée, compagne d’un silence hivernal ayant surpris et bouleversé une faune et un équilibre naturel estivaux. La vie avait déserté les collines, et se terrait à présent sous terre, dans les terriers, dans les cavernes. Les derniers êtres vivants qui ne s’étaient pas cachés, fuyaient : car le calme de la forêt était cette journée rompu par une cavalcade furieuse. Raiponce, seule et emmitouflée dans son manteau, chevauchant son destrier, s’élançait sur la trace d’Hans et de son groupe, uniquement guidée par le flair et l’expertise de Maximus, qui volait plus qu’il ne galopait. La dizaine d’hommes qui avait traversé les neiges à la recherche d’Anna avait laissé ses empreintes : il était un jeu d’enfant de les suivre et de comprendre leur direction sans perdre de temps à les analyser plus d’un instant. Raiponce ne réfléchissait plus, emportée par sa chevauchée haletante. Partis, les doutes, peurs, et regrets. Seule restait sa seule motivation : sauver Elsa des brutes de Weselton. Ce temps de course folle parut alors très court, privé de toute pensée ou perturbation extérieure, s’écoulant d’heure en heure sans que la conscience de la princesse ne soit sollicitée : l’après-midi passa en un clin d’œil tandis que les paysages se suivaient sans changer le moins du monde, les pins succédant aux pins, les collines aux collines, les pentes grimpant, grimpant, grimpant. Mais lorsque le soir vint et que les bâillements de Raiponce commençaient à se multiplier, un changement se produisit.

Tout d’abord, il ne fut perceptible que par la chute de quelques flocons troublant l’immobilité parfaite de l’endroit. Cela fut d’ailleurs tellement discret que la princesse ne remarqua rien, au début. Mais bientôt, alors que le Soleil enflammé disparaissait à l’Ouest derrière les montagnes, les précipitations s’accentuèrent, le vent commença à tempêter, et il ne fut plus possible pour Raiponce d’ignorer plus longtemps le changement climatique qui s’opérait : l’hiver s’aggravait et frappait une nouvelle fois. Maximus eut alors de plus en plus de mal à avancer, et ralentissait son rythme, à la peine du fait des vents furieux qui transportaient des flocons par millions. Arrivant par un dernier effort au sommet d’une colline, il s’arrêta : les conditions climatiques rendaient impossible de repérer les traces laissées par la troupe de Hans, et les effaceraient peut-être définitivement. Raiponce songea que cette manifestation n’avait rien de naturel, et ne se trompait pas : quelque part dans les montagnes, Elsa venait d’avoir été trouvée par sa sœur, et, apprenant les dégâts qu’elle avait causés, lui avait gelé le cœur dans un accès de terreur, avant de l’expulser elle et Kristoff dans le désir de les protéger d’elle-même. Cloîtrée dans son palais de glace, la reine plus que jamais seule s’enfermait dans une nouvelle prison, dont les barreaux restaient les mêmes : sa propre peur. Ainsi, l’hiver qu’elle avait déclenché ne pouvait qu’empirer, et causait à présent encore davantage de dégâts. Raiponce, aux abois, plissait les yeux et cherchait sans trop d’espoir quelque lieu où son cheval et elle pourraient s’abriter ; et là, miracle ! Non loin, en contrebas, un chalet illuminé émettait une fumée grise et brillait comme un phare dans la tempête. C’était peut-être là la voie de son salut.

-Par là, Max ! cria-t-elle en indiquant le bâtiment.

Les facultés de compréhension de l’étalon dépassaient la norme ; il comprit ce que lui intimait la princesse et commença à descendre la colline avec moult précautions, le vent hostile et la pente ardue menaçant de le faire glisser sur la neige et dévaler la butte jusqu’à son pied une dizaine de mètres plus bas. Raiponce serra les dents durant la descente, s’agrippant avec force à la bride de l’étalon. Mais ce dernier était robuste et expérimenté, et parvint au pied de la colline sans encombre. Il sauta par-dessus le ruisseau gelé devant lui, et se traîna jusqu’au chalet en bois quelques mètres plus loin. La bâtisse était basse, et à moitié ensevelie sous la neige. Une lueur, promesse de chaleur et de présence humaine, émergeait de derrière deux fenêtres de part et d’autre du chalet. Après être descendue du dos de Maximus, Raiponce grimpa à son côté les quelques marches menant à un petit préau soutenu par deux colonnes de bois. Accroché au-dessus de la princesse, un panneau soufflé par le vent indiquait :

Chez Oaken

Bazar

Et sauna


La jeune femme, à bout de nerfs, ne désirait nullement profiter d’un quelconque sauna, et songea qu’un refuge et un approvisionnement en nourriture lui serait suffisant. Elle s’avança vers la porte d’entrée, et ouvrit. Il s’agissait bien d’une boutique, d’après les nombreuses étagères fourmillant d’ustensiles, pots, et autres objets divers. Raiponce pénétra dans le bâtiment, et laissa Maximus entrer à son tour avant de refermer. Elle était trop tendue pour s’émerveiller des curiosités entreposées ça et là dans le bazar, et sursauta lorsqu’elle fut surprise par une voix haut-perchée.

-Hou hou !

La princesse se tourna sur sa gauche ; derrière un comptoir, un homme massif à la barbe blonde et drue, vêtu d’un chandail norvégien et d’un bonnet colorés, la fixait avec un sourire amical. Mais Raiponce n’avait pas le temps de faire preuve de délicatesse.

-Vous, là ! l’apostropha-t-elle. Je suis à la recherche de la famille royale et des troupes d’Arendelle. Dans quelle direction sont-ils allés ?

Le vendeur se crispa et sembla hésiter à lui répondre. Devant son mutisme, Raiponce serra les dents et dégaina sa poêle qu’elle pointa sur lui. Le temps pressait et les hommes de Weselton se rapprochaient de minute en minute : la princesse ne pouvait se permettre de se montrer polie.

-Je vous assure que mes intentions sont bonnes, affirma-t-elle. Mais j’ai besoin d’une réponse rapide, car la reine est en danger. Des hommes en armes ont dû passer par ici à la recherche de la princesse Anna. Les avez-vous vus ?

Le vendeur déglutit difficilement, visiblement intimidé malgré sa carrure imposante.

-Le Prince Hans des Îles du Sud est entré dans ma boutique il y a deux heures à peine, confirma-t-il. Il m’a également posé des questions au sujet de la reine et de sa sœur.

-Et que lui avez-vous répondu ? le pressa Raiponce.

-Qu’une jeune femme rousse est venue ici hier soir, ainsi qu’un montagnard que j’ai pris soin d’expulser de mon établissement après qu’il m’ait traité d’escroc. La femme parlait elle aussi de retrouver la reine, et il me semble qu’elle est ensuite partie du côté de la montagne du Nord. Le Prince Hans a paru satisfait et il est reparti dans la même direction.

Raiponce songea qu’il était une aubaine qu’elle passât précisément dans la boutique qui avait accueilli Hans et Anna avant elle.

-Où nous situons-nous par rapport à cette montagne dont vous me parlez, et où se trouve-t-elle ? demanda la princesse d’un ton sec.

Le vendeur se retourna et récupéra sur une étagère murale un parchemin maintenu enroulé par un ruban. Il la déroula sur son comptoir et la princesse l’observa avec attention. La carte représentait le royaume d’Arendelle : au sud du continent, le château d’Arendelle était relié à l’océan par un bras de mer s’enfonçant dans les terres, vers le nord, et se divisait par deux fois vers l’est en d’autres bras (situés donc au nord du château), plus petits. Des montagnes encadraient les frontières du royaume, et ne laissaient qu’un fin espace entre elles et les bras de mer, un passage que Raiponce avait emprunté en suivant les traces de Hans et ses troupes.

-Nous sommes ici, madame, répondit le vendeur, et la montagne du Nord se trouve par là bas.

Oaken pointait du doigt une zone située au nord-est du château, et le dirigeait vers l’une des montagnes nordiques la plus éloignée du château et du village. Elle devait se situer à plusieurs heures de distance, au galop de surcroît : il ne fallait pas espérer arriver avant l’aube. Raiponce devait donc repartir au plus vite, se rappelant que Hans avait entre une et deux heures d’avance sur elle.

-Bien, fit-elle en raccrochant son arme. Je prendrai cette carte ainsi qu’une sacoche.

La jeune femme se baissa pour récupérer également quelques fruits et une gourde d’eau sur les étagères d’intérieur du comptoir. Elle vida à la hâte une partie de sa bourse sur le meuble et prit possession de ses achats avant de repartir en lâchant un « merci » à peine grommelé. Au pas de la porte, elle eut cependant un moment d’arrêt tandis qu’elle réalisait la brusquerie et l’agressivité avec lesquelles elle s’était comportée avec Oaken, qui ne l’avait sans doute pas mérité. Raiponce s’alarma de se sentir basculer dans une cruauté gratuite et mauvaise, et éprouva quelque remords. Elle tourna légèrement la tête vers le vendeur, et murmura d’une voix à peine audible, sans vraiment savoir à qui elle s’adressait :

-Désolée.

Et Raiponce repartit sans un mot de plus.

La tempête semblait s’être calmée. Malheureusement, les empreintes qui avaient été laissées par l’expédition du prince avaient été effacées par la neige, comme l’avait craint Raiponce. Cette dernière savait cependant où il lui fallait désormais se rendre, et intima à Maximus de se diriger vers le nord après être remontée sur son dos. La lune gibbeuse éclairait une nuit autrement noire, permettant au cheval de s’élancer en avant sans soucis.

Plusieurs dizaines de minutes s’écoulèrent, durant lesquelles Raiponce et son cheval traversèrent successivement forêts et flancs de montagnes abruptes. La fatigue commençait à se faire sentir chez la princesse : celle-ci était éveillée depuis près de vingt-quatre heures, et avait vécu des épreuves très éprouvantes. Elle papillonnait des paupières et luttait pour ne pas tomber de sommeil.

Tandis que la jeune femme venait de se sustenter et de récompenser la vigueur du cheval par une pomme bien méritée, Maximus s’arrêta soudainement, et Raiponce ne fut pas propulsée en avant par son élan que parce qu’elle se tenait fermement sur le dos de l’étalon. La princesse découvrit vite la raison de cet arrêt imprévu : juste devant Maximus, se trouvait un précipice béant de quelques dizaines de mètres de profondeur, que la jeune femme, le regard dirigé vers le ciel et perdue dans ses pensées, n’avait pas remarqué. De l’autre côté, une pente montant vers les montagnes semblait mener vers l’objectif de la princesse. Mais l’espace à franchir au-dessus du vide était si large qu’il aurait fallu être fou ou désespéré pour tenter le passage. Raiponce regarda autour d’elle : prendre sur la droite ou la gauche lui permettrait de contourner la faille, mais lui coûterait sans doute plus d’une heure.
C’était le choix le plus raisonnable ; il n’en demeurait pas moins qu’il était vital que Raiponce regagne le retard qu’elle avait pris sur Hans. Ce dernier avait sans doute opté pour le chemin le plus sûr, même si la princesse n’avait aucun moyen d’en être certaine. La princesse n’avait pas d’autre alternative si elle voulait espérer parvenir à Elsa avant les sbires de Weselton : elle devait franchir ce gouffre, pourtant promesse d’une mort brutale et implacable. Elle observa le fond avec une appréhension résignée, et découvrit que des débris de ce qui semblait être traineau y gisaient. Il n’y avait cependant pas de cadavre visible. J’espère qu’Anna n’était pas à l’intérieur, songea Raiponce.

Elle l’avait été, en réalité, mais était parvenue à passer de l’autre côté sans dommages, avant de continuer sa route avec Kristoff vers le palais d’Elsa, ce qu’évidemment Raiponce ignorait. Cette dernière fit reculer Maximus à quelques dizaines de mètres, préférant lui laisser la distance la plus grande possible pour que son élan soit suffisant au franchissement du gouffre. Le cheval ne montrait aucune peur, habitué par son expérience à ce genre d’exercice. La princesse l’était aussi, mais aurait tout de même préféré éviter de risquer sa vie. Elle prit une grande inspiration, son cœur battant la chamade avec un mélange d’adrénaline et de crainte. Puis, sans réfléchir davantage, indiqua à son cheval de partir au galop. Ce fut le début d’une nouvelle course frénétique ; la vitesse de Maximus croissait progressivement, et sous ses sabots volaient des nuages de neige soulevés par la cavalcade de l’animal. Raiponce se refusait à toute pensée, toute à l’instant présent, et ne ressentait plus que l’excitation d’un danger mortel. Le bord du précipice approchait à toute vitesse ; et alors que d’une brusque et sublime accélération Maximus livrait ses dernières forces, le vide fut là. La majesté du saut de l’étalon fut telle qu’on aurait pu prendre ce cheval pour Pégase, et Raiponce n’eut que le temps de voir le fond du gouffre défiler sous elle, que le cheval avait déjà gracieusement atterri de l’autre côté : ils étaient passés.

-Bien joué, Max, souffla Raiponce en tapotant avec affection le front de l’animal.

Mais le voyage n’était pas terminé : un coup d’œil à la carte l’informa qu’il lui restait encore à atteindre les montagnes. Elle repartit alors en avant, murmurant à son étalon la direction qu’il devait emprunter. A présent, l’épuisement de Raiponce était tel que cette dernière en tombait presque de sommeil. Les muscles de la princesse étaient endoloris d’une chevauchée de plusieurs heures, et ses yeux se fermaient tous seuls, victimes d’une fatigue légitime. Raiponce dodelina de la tête ; mais la princesse parvint à se ressaisir, et secoua vigoureusement le chef, déterminée à ne pas se laisser tomber dans un sommeil qui pourrait lui être fatal. Elle raffermit sa prise sur les rênes, et observa silencieusement le ciel. Les étoiles brillaient avec une force inhabituelle, presque onirique. La lumière reflétée sur la neige rendait cette dernière très visible, et lorsque Raiponce redirigea son regard vers le sol, elle put repérer avec surprise et inquiétude de nouvelles empreintes ; celles-ci ne pouvaient dater que d’après la tempête et étaient certainement celles du groupe de Hans. La princesse indiqua à Maximus de s’arrêter, suivant du regard la direction vers laquelle menaient les traces de pas. De façon très étrange, elles se séparaient quelques mètres plus loin pour disparaître derrière les arbres qui se situaient à la droite et à la gauche de Raiponce. Celle-ci s’avança avec méfiance, sans comprendre pourquoi le groupe s’était divisé en deux avant de changer de direction. Raiponce, certaine du chemin qu’elle empruntait, ignora cette étrangeté et poursuivit sa route. Le pas lent de l’étalon bruissait sur la neige. Tout le reste n’était que silence ; et puis, le craquement sonore d’une brindille sur laquelle on marche retentit soudain à sa droite. Maximus stoppa net sa marche, et la jeune femme éprouva un sentiment de mal-être viscéral. Elle l’écarta cependant, prenant l’incident pour l’action hasardeuse d’un animal. Mais alors qu’elle s’apprêtait à repartir, des silhouettes inquiétantes surgirent brusquement tout autour d’elle, vêtues de vert, et l’encerclèrent dans un immense vacarme : Raiponce avait été prise en embuscade par l’expédition de Hans.

Quelle imbécile ! Si les traces de pas s’étaient séparées, c’était pour mieux attendre l’arrivée de la princesse et la prendre en tenaille. Son instinct de survie lui hurlait de s’échapper, mais où qu’elle regardât, l’un des huit hommes du prince ou de Weselton lui barrait la route, l’épée dégainée. Néanmoins, nulle trace d’Hans ; la jeune femme voulut en profiter pour essayer de temporiser la situation.

-Messieurs, lança-t-elle à la cantonade, qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi donc ai-je l’impression que vous m’avez tendu un piège ?

-Les ordres, madame, répondit l’un des gardes d’Arendelle.

-Ceux du Prince Hans ? demanda Raiponce avec appréhension.

-En effet, confirma une voix à l’orée du bois situé vers la gauche.

Un homme –Hans, évidemment- se dévoila alors aux yeux de Raiponce, sortant de derrière l’arbre où il s’était dissimulé. Il trainait derrière lui un captif par le col, ligoté et bâillonné. Eugène, reconnut la jeune femme avec effroi. Le régent se plaça devant Raiponce, jetant à terre le prince prisonnier. Eugène tomba dans la neige sans pouvoir se réceptionner, et émit un gémissement étouffé par son bâillon. Raiponce descendit de Maximus en un éclair, se précipitant au chevet de son époux. Elle s’agenouilla devant lui, et lui caressa la joue d’une main tremblante, cherchant son regard ; mais ce dernier était éteint, presque résigné.

-Nous l’avons trouvé en train de fureter dans les environs, révéla Hans d’un air arrogant. Après que nous l’ayons maîtrisé, il ne nous a fallu que peu de temps avant de lui faire avouer votre rôle dans son évasion et dans le complot que vous avez ourdi à mon égard pour m’empêcher de lever une milice. J’ai appris avec surprise que vous étiez sur nos traces, ce pourquoi nous avons décidé de vous… attendre ici.

-C’est complètement faux ! s’écria Raiponce. Je vous l’ai déjà dit, je n’ai rien à voir avec tout ce qu’il s’est produit. Et je ne crois pas une seconde qu’Eugène ait pu raconter de telles choses !

Avec la foi inébranlable de celle qui aime inconditionnellement, la princesse plongea de nouveau ses yeux dans ceux de son époux, à la recherche d’une réponse muette ; mais il baissa le regard. Cette fuite sonna Raiponce, la laissant hébétée de stupeur et le cœur saignant.

-Il l’a pourtant fait, répliqua Hans. Peut-être pensait-il sauver sa vie.

-Que voulez-vous dire ? fit la princesse en relevant la tête vers le prince.

La jeune femme ne reçut aucune réponse, et fut au lieu de cela redressée avec force et tirée en arrière par l’un des hommes de Weselton. Elle essaya de se débattre, mais celui-ci la retenait par le poignet, aussi inflexible qu’une montagne. Pendant ce temps, Hans relevait également Eugène, et le maintint par l’épaule en dégainant sa lame. L’éclat de la lune et des étoiles se reflétait sur l’acier, qui brillait d’une flamme d’enfer. Ce ne fut qu’alors que Raiponce comprit ce qui allait se produire. Elle redoubla d’efforts pour tenter de se libérer, multipliant coups et poursuivant sa lutte pour arracher son poignet au garde, mais ne parvint qu’à s’endolorir davantage sa main, presque broyée par la forte poigne de l’homme. La princesse gagnée par la panique sentait les larmes lui monter, et regarda Eugène avec impuissance. Elle n’eut que le temps de partager avec son époux qu’un simple regard. Et ce dernier, bref et funeste, ne pourrait être conservé dans l’éternité que dans un souvenir traumatique. En un éclair, l’épée du régent avait transpercé Eugène par le dos, ressortant couverte d’un sang écarlate sous les yeux épouvantés de Raiponce. Dans un hurlement assourdi, le prince de Corona retomba à genoux, avant de se détacher du fil de l’épée de son bourreau et de s’effondrer sur la neige, face contre terre. Mort.

Raiponce laissa échapper un cri rauque, une plainte folle et vengeresse, et de ses forces renouvelées par la rage donna un puissant coup de coude dans la poitrine de son assaillant, lui coupant momentanément le souffle et permettant à la jeune femme de se libérer. Dans le même mouvement, la princesse, qui s’était aperçue de la présence d’une épée accrochée à la ceinture du garde, dégaina l’arme de son ennemi dans un chuintement et la plongea verticalement sous la gorge du sbire de Weselton, le tuant sur le coup lorsqu’elle traversa le cerveau et le crâne de l’homme. L’action avait été si rapide que pas un des autres hommes n’avait pu réagir, et alors même que la princesse était encerclée et seule, Raiponce put dans sa furie dévastatrice effectuer une pirouette agile et gracieuse, pivotant sur elle-même pour décapiter sans difficultés le deuxième homme de Weselton. La dépouille sanguinolente, séparée de sa tête, s’effondra comme une marionnette dont on aurait tranché brutalement les fils.

Raiponce fit aussitôt demi-tour, défiant de son regard enragé les sept hommes qui lui faisaient face, disposés en arc de cercle dont Hans était le centre. Le choc qu’ils avaient ressenti en assistant à la mort violente des sbires de Weselton les ébranla pendant un moment ; le doute naquit dans leurs regards échangés, et par l’étincelle de ce doute s’embrasa une funeste réalisation : il leur serait impossible de se prémunir contre les représailles cruelles d’une femme à qui ils avaient tout pris. Raiponce profita de leur émoi pour lancer une nouvelle attaque ; déjà elle se jetait à gauche, effectuant une roulade jusqu’à l’homme le plus proche, pour lui trancher une jambe, et alors qu’il perdait son équilibre et s’écroulait face contre terre avec un hurlement abominable, fit tournoyer son épée et la planta entre les omoplates. La lame traversa la chair jusqu’à la neige, et en ressortit en même temps que la vie du garde. La princesse s’était redressée sans attendre : l’armée de Hans enfin reprenait ses esprits et préparait, qui sa lance, qui son épée. Sa vision aquiline perçut le geste de l’un des hommes, le plus éloigné, qui, lance à la main, raffermissait sa prise et contractait ses muscles pour se parer à projeter son arme sur elle. La jeune femme n’attendit pas : elle fut en un bond sur l’un des gardes qui se trouvaient à proximité, et esquiva sans peine le coup d’estocade qu’il tenta de lui porter avec sa lance, lui saisissant le bras et l’accompagnant dans son mouvement pour placer l’homme devant elle. Elle y parvint juste à temps : le projectile lancé par l’autre homme se ficha à cet instant dans le cœur du garde dont Raiponce s’était servi comme bouclier humain, manquant de peu d’embrocher également la jeune femme et n’arrêtant son parcours qu’à quelques centimètres d’elle.

Lâchant son épée, la princesse récupéra l’arme du défunt, et celle qui l’avait transpercé, la retirant de son cadavre avec un bruit écœurant de muscles déchirés alors qu’il tombait dans la neige rouge de sang. D’une main, elle projeta l’une avec force et habileté dans la direction de son ancien propriétaire, tandis que de l’autre elle visa son comparse le plus proche : les deux hommes n’eurent pas la moindre chance d’échapper à la mort qui les attendait et s’écroulèrent, la gorge transpercée de part en part. Raiponce récupéra immédiatement son épée ; trois hommes étaient encore en vie.

-Ne bougez pas ! ordonna Hans à ses hommes autour de lui. Elle ne peut pas nous tuer si nous restons ensemble.

Mais un sentiment nouveau, presque imperceptible et pourtant bien présent, troublait sa voix et son regard : la crainte, enfin. Le garde à sa droite dut le percevoir et comprendre que le prince ne maîtrisait plus la situation : avec un cri de guerre destiné à lui conférer le courage nécessaire à sa folie, il se rua sur Raiponce en agitant son épée de manière erratique. La princesse se baissa brusquement alors qu’il était presque sur elle, n’esquiva la lame que d’un cheveu, et donna elle-même un puissant coup horizontal à son ennemi au niveau de son estomac : son épée fit son œuvre macabre, tailladant la chair du garde et laissant ainsi se tomber ses tripes sur le sol tandis qu’il poursuivait sa course pendant un mètre ou deux avant de s’effondrer. Raiponce poussa son avantage, véritable déesse du combat en cet instant où elle était transcendée par sa rage, et jeta son épée sur le dernier homme de Hans, ne se souciant même pas qu’il ne s’agissait pas d’une arme de lancer ; mais la distance qui séparait la princesse de sa victime était suffisamment basse pour que cela n’ait pas d’importance, et le cadavre du garde rejoignit bientôt celui de ses frères d’armes.

Seule face à Hans, face à son ennemi juré, celui qui lui avait arraché l’homme qu’elle aimait, Raiponce perdit alors tout contrôle, et arracha sa poêle de sa ceinture, avant de se précipiter sans réfléchir sur le régent avec un rugissement effroyable. Elle leva son arme dans sa course, et arrive au niveau de Hans alors qu’il levait également son épée, le visage désormais marqué par une véritable terreur. Sa haine aveugle lui donna la force dont elle avait besoin, le coup qu’elle porta fut d’une vitesse surprenante pour une poêle d’une telle masse : Raiponce atteignit sa cible avant qu’Hans puisse en faire de même, et frappa le bras armé du prince avec une telle force que la princesse éprouva des difficultés à ne pas se laisser entraîner par le coup et à arrêter l’élan de son arme. L’avant-bras de Hans craqua sinistrement, et le prince laissa tomber son arme avec un cri de douleur. Il tomba à genoux, tenant son poignet droit qui pendait étrangement avec sa main valide. Sa souffrance semblait insoutenable ; mais Raiponce n’en avait pas fini avec lui. La princesse endeuillée découvrit les dents, et leva une nouvelle fois sa poêle au-dessus de sa tête, avant de la fracasser sur le crâne de Hans avec toute la puissance qui lui était possible de donner. Les hurlements du prince tombant sur le côté en furent exacerbés, sans attirer la moindre pitié de la jeune femme, qui, éperdue de rage, n’éprouvait rien d’autre qu’une pulsion meurtrière. Raiponce se laissa tomber à califourchon sur le prince, et frappa encore. Et encore. Et encore. Jusqu’à ce que les hurlements cessent. Jusqu’à ce que le visage de Hans ne soit plus qu’une charpie sanguinolente. Jusqu’à ce que la princesse soit noyée par les larmes et vidée de sa colère, et qu’elle lâche sa poêle couverte de sang d’une main molle et sans vie. La princesse, sans raison d’être, rampa sur une neige écarlate du sang des vaincus, jusqu’à Eugène, dont le cadavre reposait au milieu du carnage. Elle se laissa tomber sur lui, brisée ; au désespoir, elle parvint à articuler entre deux sanglots :

-Fleur aux pétales d’or… Répand ta magie… Inverse le temps… Rends-moi… Ce… Qu’il… M’a… Pris…

Raiponce clôt ses yeux, et laissa tomber sa tête dans le cou de son défunt époux. Elle pleura longuement, incapable d’effectuer le moindre geste ; quand elle ressentit soudainement le corps d’Eugène remuer sous elle. La princesse se redressa brusquement, prise d’un fol espoir ; mais son sang se glaça, et une nouvelle horreur prit possession de son visage ravagé.

-Tu m’as appelée, ma petite fleur ? ricana Gothel.

Il y eut alors un terrible grondement dans les hauteurs, ou peut-être dans le cœur de Raiponce ; des cimes de toutes les montagnes tombèrent et tombèrent d’implacables éboulements de neige. La princesse n’eut le temps que de relever la tête et de voir un immense mur blanc fondre sur elle ; et ce fut tout.

Etendue face contre le sol et la tête enfoncée dans la neige, la princesse s’appuya sur ses bras pour relever la tête. Elle crachota la poudreuse qu’elle avait ingérée, s’essuya le visage et se releva, l’esprit confus. Eugène, Maximus, Gothel, Hans… Où étaient-ils ? Que s’était-il passé ? Des images incohérentes se mêlaient à la vision de Raiponce. Celle-ci se tenait près du sommet d’un col enneigé et sinueux, et de majestueuses montagnes s’étendaient à perte de vue ; plus aucune forêt n’était visible. Des souvenirs clairs, mais épars, revenaient à Raiponce : l’embuscade tendue par Hans, la… la mort d’Eugène, le carnage qui s’en était suivi, et… Gothel ? Une avalanche ? Tout semblait si incohérent, si étrange ! La vérité était piégée quelque part entre les brumes des rêves et le choc de la réalité.

-Eugène ? appela-t-elle d’une voix chevrotante. Maximus ?

Son regard se voila de larmes, alors que la princesse se démenait pour démêler le vrai du faux. Tout ce qu’il s’était produit n’avait-il été qu’un rêve ? Mais non, cela ne se pouvait pas, un rêve n’aurait pu être si net, n’est-ce pas ? Fébrile, Raiponce effectua quelques pas vers le sommet du col, mais se retrouva déséquilibrée par la profonde neige et retomba au sol. De là, elle resta immobile, déboussolée et ravagée par l’incertitude dans laquelle elle se trouvait. Il fallait dire que la solitude de Raiponce et la dégradation de son état mental étaient à la source de doutes qui ne devraient pourtant pas être. Toutes les horreurs dont elle avait été témoin et auxquelles elle avait participé, associées à son épuisement, l’avaient finalement brisée, et rendue incapable de dissocier le réel de l’imaginaire. Elle éclata en sanglots incontrôlés, comme lorsqu’elle s’était effondrée après avoir été expulsée de la chapelle au couronnement d’Elsa. Mais aujourd’hui, alors que tout espoir semblait avoir disparu et qu’aucune issue ne se dévoilait, Raiponce ignorait bien comment elle pourrait se relever.

-Quel froid ! Cela change de chez moi. Je me demande bien comment vous pouvez supporter un temps pareil…

La voix, masculine, était familière aux oreilles de Raiponce, et cette dernière releva la tête. Un homme à la veste noire se dressait au-dessus d’elle ; Jean.

-Que faites-vous ici ? murmura la princesse.

-Il est vrai que je n'ai rien à faire dans cette contrée, répondit le jeune homme. Mais je ne pouvais pas rester passif alors que vous étiez dans un tel état de détresse. Je suis venu vous venir en aide, Raiponce.

-Vous ne pouvez pas m’aider. J’ai tout perdu. Je ne sais pas où je suis, et je n’ai aucune idée de ce que je dois faire.

-Détrompez-vous, réfuta Jean. Vous savez très bien ce que vous devez faire : poursuivre votre route et sauver Elsa. Et puis, vous n’avez pas tout perdu, pas encore. Eugène est en vie. Cessez de vous apitoyer sur votre sort et relevez-vous donc, vous faites peine à voir !

La jeune femme papillonna des paupières. Bien-sûr. Je dois continuer. Jean lui tendit une main secourable, qu’elle saisit avec reconnaissance pour se relever avec peine. Raiponce essuya la neige de ses vêtements avant de tourner son regard vers le jeune homme.

-Comment êtes-vous arrivé dans ces montagnes ? répéta Raiponce avec plus d’assurance. M’avez-vous suivie ?

-Je ne suis jamais loin de vous, répondit Jean avec nonchalance. Mes moyens de transports sont plus fiables que les vôtres.

Cela rappela à la princesse la disparition de Maximus, et la jeune femme regarda les alentours avec inquiétude. Heureusement, son fidèle étalon n’était pas bien loin : il apparut de derrière un arrondi de la montagne, trottant jusqu’à elle avec un hennissement. Raiponce se remit aussitôt en selle ; elle comprenait à présent qu’elle avait dû s’endormir pendant le trajet, et qu’elle était tombée sans que Maximus ne s’en aperçoive. La princesse toisa Jean, juchée sur son cheval.

-Vous m’avez poussée à tenter d’assassiner Hans, l’accusa-t-elle.

-Moi ? fit le jeune homme d’un ton innocent. Je n’ai rien fait de la sorte. Laissez cette tragédie derrière-vous, car le temps presse. Le prince sera bientôt là.

-Maximus a du errer durant des heures alors que j’étais endormie, répondit Raiponce. Je dois être à des lieues d’Elsa, et Hans la retrouvera avant moi.

-Nous verrons cela, sourit Jean.

Le jeune homme se détourna, descendant le col à pas lents.

-Comment rentrerez-vous à Arendelle ? s’enquit Raiponce d’une voix inquiète.

-Oh, ne vous en faites pas pour moi, répondit Jean en poursuivant sa route. C’est vous qui affronterez les difficultés à venir dans ce troisième acte, où se mêleront peur et espoir, doute et détermination, culpabilité et rage intense. C’est aujourd’hui enfin que tout se dénouera, et que prendront peut-être fin vos tourments, que vous confronterez finalement tous vos démons et que vous accomplirez l’ultime sacrifice. Je vous souhaite bien du courage, Raiponce.

Raiponce secoua la tête, et renonça à comprendre l’étrange comportement du jeune homme. Elle repartit sans trop y croire vers le sommet du col, cherchant à obtenir une vision d’ensemble de la région. Au bout de quelques mètres cependant, elle fut prise de culpabilité à l’idée de laisser seul un inconscient dans cette nuit glaciale, et tourna la tête vers l’endroit où s’était dirigé Jean ; mais il n’y avait plus aucune trace de lui. Elle continua donc sur son chemin, de plus en plus désarçonnée. Après s’être glissée entre deux roches couvertes de givre, la princesse s’immobilisa soudainement une fois parvenue à l’air libre. Une nouvelle vision s’offrait à elle, plus inattendue encore que les autres : quelques mètres plus loin, au-dessus d’un gouffre béant, un long escalier de glace montait dans une courbe gracieuse, montait en direction d’un- Un palais de glace ? Après un moment d’ébahissement incrédule, Raiponce dut se rendre à l’évidence : une bâtisse immense en forme de tour, montant telle une spirale de glace vers le ciel, se trouvait bel et bien perchée au flanc d’une montagne. Et il n’y avait aucun doute à avoir : il s’agissait là de la demeure d’Elsa, créé de toutes pièces à partir de la magie de la reine des neiges. Raiponce s’approcha avec une timidité respectueuse du pied de l’escalier ; la nuit mourait, et l’aube pointait à peine, alors que le dernier acte de cette pièce dramatique s’apprêtait à s’ouvrir.

___

Désolé pour cet énième retard !
C'est la fin de la troisième partie, et la quatrième et dernière s'ouvrira sur la deuxième confrontation entre Raiponce et Elsa -à moins qu'Hans ne soit arrivé avant ?
Quoi qu'il en soit, la tension approche de son paroxysme, tandis que toutes les voies se dirigent vers un dénouement final qui s'annonce aussi sombre que sanglant.


"L'imagination gouverne le monde." Napoléon Ier
Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Lun 26 Fév 2018 - 0:44

Chapitre 16 : La reine et la princesse

Raiponce descendit de Maximus, se doutant que son étalon ne pourrait pas emprunter l’escalier de glace.

-Attends-moi quelque part où l’on ne pourra pas te voir, lui demanda-t-elle. Je reviendrai bientôt.

Le cheval hennit en guise de réponse, et repartit en arrière. La jeune femme s’en retourna vers l’escalier raffiné, prenant une grande inspiration. L’escalier était tellement fin qu’il paraissait pouvoir se briser au moindre contact, et précipiter à une mort certaine celui ou celle qui tenterait de traverser. La princesse devait cependant avoir foi en sa solidité si elle voulait parvenir à Elsa : elle grimpa alors courageusement sur la première marche. Cela fut pour elle plus facile une fois l’escalade débutée, et Raiponce franchit alors presque tranquillement cet obstacle, tâchant d’oublier qu’elle se trouvait à plusieurs dizaines de mètres du sol. La princesse arrivée au sommet se retrouva face à une immense porte de glace translucide, ornée d’un motif en forme de flocon, qui n’était pas sans rappeler ceux de la porte de la chambre d’Elsa. Après une infime hésitation, et le cœur lourd d’appréhension (car la princesse craignait l’accueil de la reine du fait de leurs précédentes rencontres, pour lesquelles elle lui en voulait encore un peu), Raiponce poussa doucement la double-porte qui s’ouvrit grandement, et pénétra dans le palais de glace, le regard tourné vers le plafond. Un escalier en colimaçon menait à un étage proche du sommet, et l’ensemble du lieu était empreint d’une majesté à couper le souffle : on n’aurait pu lui rendre justice avec des mots, et simplement dire qu’il semblait tiré d’un conte de fées où se seraient mêlés le rêve le plus doux et la géométrie la plus précise. Cependant, baisser la tête suffit à Raiponce pour désenchanter immédiatement : une immense forme de glace et de neige, positionnée au pied de l’escalier, montait la garde. C’était un véritable monstre, au dos cabossé, aux doigts de glace et à la tête vaguement humanoïde, avec deux trous en guise d’yeux. La princesse se figea en croisant son regard ; c’est alors que le monstre écarta les bras, et que de sa bouche sortirent un terrible rugissement, résonnant avec force entre les murs du palais et glaçant le cœur de Raiponce, ainsi qu’une brume de givre, promesse d’un hiver éternel. Des stalagmites jaillirent de tout son corps, montrant l’agressivité explosive du monstre, et la princesse se sentit gagnée par la peur, hésitant entre battre en retraite et dégainer courageusement sa poêle. Mais alors qu’elle était à deux doigts de se décider pour l’une ou l’autre décision…

-Qui va-là ?

La voix était forte, et pourtant si fragile et submergée par la peur ; celle d’une femme ; celle d’Elsa. La reine se tenait au milieu de l’escalier de glace, un bras posé sur la rambarde. Elle était vêtue d’une robe bleu glace, d’où une traîne glissait jusqu’au sol, et de sa tête libre de toute couronne tombait une natte posée sur son épaule droite. Son visage montrait une panique véritable, ainsi que ses doigts crispés d’où commençaient à jaillir une fumée de glace : Elsa paraissait avoir de nouveau perdu le contrôle de ses pouvoirs.

-C’est moi, Raiponce, répondit la princesse avec précipitation. Elsa, je-

-Tu ne dois pas rester ici, répliqua vivement Elsa. Personne n’est en sécurité auprès de moi. Je ne fais que… que détruire tous ceux qui m’approchent.

Il y avait eu comme une cassure lorsque la reine prononça ses derniers mots, et ce fut seulement à ce moment que Raiponce abandonna définitivement quelque rancune qu’elle pouvait encore lui tenir, pour la froideur dont elle avait fait preuve à son égard trois jours auparavant.

-Mais non, enfin, qu’est-ce que tu racontes ? se désola Raiponce. Rien n’est encore fini, tu peux encore maîtriser tes pouvoirs, revenir au château… Laisse-moi t’aider, Elsa, je t’en prie.

-Tu ne peux pas m’aider, personne ne le peut ! s’écria la reine en faisant involontairement jaillir des étincelles de ses mains roses pâles. La seule chose que tu puisses faire, c’est repartir au château et ne plus en sortir. S’il-te-plaît, Raiponce…

Mais la princesse s’avança pourtant, se rapprochant de l’escalier et du monstre qui lui barrait la route. A cela, ce dernier réagit par un mouvement brusque dans sa direction, et tendit son énorme main pour tenter de s’emparer d’elle. Raiponce eut le temps de reculer à temps, mais fut exaspérée du refus de sa cousine de s’ouvrir davantage.

-Ah non, je ne suis pas venue jusqu’ici pour me faire expulser comme une malpropre, une troisième fois ! Je dois t’avertir, tu cours un grave danger, Elsa...

La nouvelle parut stupéfier la reine, qui baissa un instant sa garde, et fit même disparaître les volutes de fumée qui s’échappaient de ses mains.

-Un danger ? Comment cela ? la pressa Elsa.

Raiponce prit une inspiration : elle devait être concise, et profiter de ce moment de battement pendant lequel une ouverture semblait se dessiner.

-Des hommes armés s’approchent de ce palais, révéla Raiponce. Certains ont l’intention de te tuer.

La princesse n’avait pas voulu brusquer sa cousine en accusant immédiatement Weselton ou en abordant le problème de Hans, et s’était contentée d’aller droit au but.

-Je ne comprends pas, répondit la reine. Pourquoi voudraient-ils me tuer ?

-Ils pensent qu’ils mettront fin à l’hiver, expliqua Raiponce. Il n’y a pas de temps à perdre, ils pourraient arriver d’une minute à l’autre…

Les paroles de la princesse eurent l’air de faire mouche, car Elsa se tourna vers le monstre et ordonna :

-Va monter la garde devant l’escalier qui mène au palais, s’il-te-plaît, et reste camouflé du mieux que tu le peux.

La chose assentit par un grognement, et se dirigea vers la porte alors que Raiponce s’écartait pour le laisser passer. Il passa la porte, et fit alors un gigantesque bond par-dessus le précipice pour atterrir devant l’escalier. De là, il se roula en boule et fit rentrer ses pics dans son corps, semblant n’être plus qu’un gros monticule de neige.

-Suis-moi, Raiponce, dit Elsa. Si quelqu’un s’approche de mon palais, nous pourrons le voir depuis le balcon.

La princesse grimpa l’escalier à la suite de sa cousine.

-As-tu vu Anna ? s’enquit-elle. Elle est partie à ta recherche après ton départ et nous ne l’avons plus revue depuis.

Elsa sembla se crisper légèrement à la mention du nom de sa sœur.

-Oui, elle est arrivée hier soir, répondit la reine d’une voix hésitante. Ça ne s’est pas très bien passé.

Raiponce devinait qu’Anna avait du être jetée du palais sans ménagement par l’intermédiaire du monstre de glace. Ne désirant pas subir le même sort, elle n’insista pas. Après un long silence, la reine reprit dans un murmure :

-Je crois que je l’ai blessée. Ce n’était pas la première fois. J’espère que tout va bien pour elle… J’ignore ce que je ferais si jamais il lui arrivait quelque chose.

-Je suis sûre qu’elle se porte bien et qu’elle est sur le retour, affirma Raiponce qui n’en avait pourtant pas la moindre idée.

La reine ne répondit pas. Sans qu’elle ne le sache, Raiponce avait raison : Anna retournait bien à Arendelle. Elsa l’avait involontairement blessée dans une manifestation de peur, et la princesse d’Arendelle était en danger de mort. Son seul espoir de survie était un acte d’amour sincère qui dégèlerait son cœur, qui avait été frappé par la glace de sa sœur. Anna espérait obtenir cet acte de la part de Hans, sans savoir que le régent n’éprouvait rien pour elle et ne la voyait que comme un moyen pour accéder au trône.

Alors qu’Elsa et Raiponce approchaient du sommet de l’escalier et que la hauteur vertigineuse commençait à inquiéter la princesse, Elsa dit brusquement :

-Tu sais, je ne t’en veux pas vraiment. Pour la mort de mes parents. Je sais que tu as essayé de nous prévenir que les conditions climatiques ne permettaient pas ce voyage.

Raiponce ne s’était absolument pas attendue à ce que sa cousine aborde ce sujet ; mais elle ressentit un grand réconfort en entendant Elsa avouer son véritable ressenti.

-Je comprends que tu aies été en colère contre moi au couronnement, soupira Raiponce. C’est naturel.

Elsa secoua la tête, jetant un bref regard sur sa cousine, derrière elle.

-J’ai été odieuse avec toi et Eugène. Et je ne mérite pas que tu viennes me retrouver après la façon dont je vous ai traités.

La reine et Raiponce étaient parvenues à l’étage du palais. Celui-ci était constitué d’une salle dont les multiples ouvertures en forme d’arches devaient mener vers d’autres parties du palais. Le sol était orné d’un unique motif en forme de flocon, au-dessus duquel un énorme lustre pendait. Sur les cristaux de ce dernier se reflétait la pâle lueur irisée de l’aube, comme une myriade d’étoiles scintillantes. De l’autre côté de la pièce, une porte close située sous l’une des arches était certainement l’accès au balcon du palais. L’atmosphère du lieu était assez oppressante : les murs étaient craquelés et les contours des arches hérissés de piques. Tout cela semblait refléter l’état d’esprit dans lequel se trouvait la reine.

-Je ne pouvais pas laisser les hommes de Weselton te tuer, réfuta Raiponce.

Parvenue au centre de la pièce, Elsa s’immobilisa, interloquée. Elle se tourna vers sa cousine, qui arrivait à son niveau.

-Le Duc de Weselton veut ma mort ? comprit la reine. Cela ne m’étonne pas vraiment, même si j’avais espéré qu’on me laisse vivre en paix plus de deux jours. Il disait de moi que j’étais un monstre, je crois…

-Elsa, tu n’es pas un monstre, répondit doucement la princesse. Ta magie… elle ne fait pas de toi quelqu’un de mauvais. Tu as le pouvoir de créer des choses merveilleuses à partir de rien, comme ce palais, et même la vie. Cela n’a rien de monstrueux.

La reine baissa les yeux, et se détourna. Suivie par Raiponce, elle se dirigea vers la porte menant à l’extérieur, et la franchit. Les deux jeunes femmes se retrouvèrent sur un balcon de glace, aux contours fermés par une balustrade protectrice. Elsa s’accouda, le regard tourné vers le soleil levant.

-Mais cet hiver… murmura-t-elle. Tout ce que j’ai fait subir à ma sœur…

Raiponce hésita une seconde, puis sa nature bienveillante fut la plus forte, et elle posa une main réconfortante sur l’épaule de sa cousine. Chose encourageante, celle-ci ne se retira pas et tourna la tête vers la princesse. Dans ses yeux bleu glace qui avaient si souvent affecté la froideur, de nouveaux sentiments indéchiffrables se disputaient à la timidité des premiers camélias de l’hiver.

-C’était un accident, affirma Raiponce. Rien qu’un banal accident. Quand tu auras appris à maîtriser tes pouvoirs, cela ne se reproduira plus jamais, et tu n’auras plus besoin de t’isoler de ta sœur et du reste du monde. Tu dois seulement t’accepter telle que tu es.

Elsa soutint le regard de sa cousine sans réagir, avant d’esquisser bravement un sourire timoré, et de déporter une nouvelle fois son regard sur l’horizon. Raiponce s’aperçut que les fêlures du palais commençaient à se résorber, comme les longs pics présents sur les murs : la peur d’Elsa s’affaiblissait. La princesse sentait que le terrain lui était favorable, et envisageait de parler de la duplicité de Hans, quand elle vit sa cousine froncer les sourcils et reculer précipitamment. Raiponce suivit son regard : une file de chevaux s’avançait sur le col, à une très courte distance du palais. Distraites par leur conversation, les deux femmes ne s’étaient aperçues de rien.

-Qui sont ces gens ? s’alarma Elsa. Ils portent l’uniforme de la garde d’Arendelle.

-Ce doit être l’expédition menée par Hans, déduisit Raiponce. Tu dois-

-Dont font partie les hommes de Weselton, qui veulent ma mort ! la coupa la reine.

Elle repartit en arrière au pas de course, talonnée par sa cousine. La reine s’immobilisa une fois revenue à l’intérieur, et regarda frénétiquement autour d’elle. Ses yeux se posèrent rapidement sur une des colonnes de glace accolées aux murs, et elle intima d’un geste à sa cousine de la suivre.

-Tu n’es pas en sécurité ici, dit vivement Elsa en effaçant d’une main l’un des côtés de la colonne. Cache-toi là-dedans, je reviendrai te chercher une fois cette histoire réglée. S’il m’arrive quelque chose…

-Non, je ne peux pas te laisser affronter ça seule, l’interrompit Raiponce en se plaçant entre la reine et l’intérieur de la colonne. C’est hors de question.

Le visage marqué par la peur, Elsa ne put que sourire tristement, et elle se rapprocha de sa cousine. Cette dernière recula légèrement, incertaine de ce que la reine s’apprêtait à faire.

-Désolée, Raiponce. Je ne te demande pas la permission.

D’un seul coup, avant que la princesse ne puisse réagir, Elsa fit jaillir un flot de magie de ses mains ; et la colonne se referma devant Raiponce, étroitement enfermée entre quatre murs. Les parois parfaitement translucide lui laissait voir l’ensemble de la pièce, mais étaient totalement infranchissables. Alors que la princesse se jetait vainement en avant et frappait de ses mains la glace pour tenter de s’échapper, Elsa se précipitait hors de l’étage et redescendait l’escalier à toute vitesse. Le cœur battant à tout rompre, Raiponce cessa bientôt ses efforts inutiles, et attendit avec anxiété le retour de sa cousine. De l’extérieur lui parvenaient vaguement des bruits de lutte, les rugissements du monstre et les cris des hommes de Hans. Le son d’une course précipitée dans l’escalier se fit bientôt entendre, et Elsa apparut de nouveau, l’air terrorisée, et s’arrêta au cœur du flocon dessiné au sol.

-Là voilà ! s’exclama une voix qui était celle d’un sbire de Weselton.

Les deux gardes du duc surgirent à leur tour, levant leurs arbalètes en direction de la reine. Raiponce ne pouvait qu’assister à la scène, impuissante.

-Non, je vous en prie… les supplia la reine en levant les mains devant elle.

Mais le sbire à la moustache, impitoyable, redressa davantage son arbalète, et tira, droit sur la reine. Raiponce poussa un cri ; mais celui-ci fut piégé par les parois de glace, et nul ne l’entendit. Le carreau fila à la vitesse de l’éclair, et alors que le cri de la princesse mourait dans sa gorge, transperça le stalagmite de glace qu’Elsa venait de conjurer. La reine, les yeux fermés, avait agi instinctivement, et eut une exclamation de surprise quand en ouvrant les yeux elle s’aperçut que le carreau était fiché à quelques centimètres à peine de son crâne.

-Avance par-là, par-là ! s’écria le tireur en décrivant un cercle autour de la jeune femme.

Son comparse lui jeta une nouvelle munition, mais Elsa s’exclama alors furieusement :

-N’approchez-pas !

La reine invoqua alors un torrent de glace, qui s’incrusta dans le sol et s’élança jusqu’aux deux hommes, pour s’immobiliser dans une vague gelée qui les força à esquiver l’attaque d’une roulade pour ne pas être atteints.

-Tire ! Tire ! cria l’un des hommes de Weselton.

La reine, les traits douloureux et marqués par la peur, invoqua plusieurs autres sculptures de glace, certaines ne manquant ses cibles que de peu, mais les empêchant d’effectuer un nouveau tir. Le manège se poursuivit pendant plusieurs secondes, la pièce bientôt remplie de formes gelées invoquées par la reine pour se défendre et attaquer ses ennemis. Raiponce entendit alors le golem pousser un nouveau rugissement, plus diffus, comme disparaissant dans un abime, accompagné d’un bruit de verre brisé. Quelques instants plus tard, tandis que les deux sbires s’étaient mis à tourner autour de la reine dans l’attente d’une ouverture, celui qui était imberbe, et qui se trouvait juste devant la colonne où Raiponce était enfermée, sembla sur le point de tirer sur elle ; mais Elsa, le regard noir de colère, se tourna brusquement vers lui, et donna naissance à une série de piques projetant l’homme droit sur le pilier contenant la princesse et l’y maintint en le clouant par le biais de ses vêtements. De là où elle se trouvait, Raiponce ne pouvait dès lors plus observer grand-chose, mais crut voir l’un des pics grandir et se rapprocher dangereusement de la gorge du garde. L’autre s’apprêtait à abattre la reine en profitant de sa distraction, mais Elsa revint vite vers lui : elle le désarma d’un geste et le déséquilibra, avant de conjurer un mur de glace devant lui quand il tenta de s’enfuir. Il repartit en arrière, uniquement pour se retrouver bloqué de nouveau par un autre mur. Finalement, se trouvant devant la porte du balcon, il recula avec précipitation devant l’avancée d’un dernier mur, forcé de devoir battre en retraite en direction du balcon. Raiponce le perdit alors de vue, mais entendit rapidement la porte et la balustrade se fracasser pendant que la reine continuait de lancer sa magie vers son bourreau. Raiponce songea en voyant le visage déterminé et dur de sa cousine que cette dernière était sur le point de mettre à mort les deux gardes ; mais l’arrivée de Hans et ses hommes à l’intérieur de la pièce les sauvèrent in extremis. Le prince s’arrêta à l’entrée de la pièce, indiquant à ses hommes d’en faire de même, et regarda l’homme cloué sur la colonne, puis Elsa.

-Majesté ! s’exclama-t-il. Prouvez-leur que vous n’êtes pas le monstre qu’ils s’imaginent !

La reine stoppa son flux de magie, et sembla réaliser ce qu’elle avait été prête à faire. Elle hésita, déboussolée ; mais le sbire de Weselton qui se trouvait devant Raiponce avait gardé son arbalète. L’homme leva son arme, ce que la princesse put percevoir derrière la glace. Raiponce, en levant ses mains pour frapper la paroi une fois encore, effleura involontairement le manche de sa poêle, et se rappela alors de son existence ; la princesse dégaina alors son arme, espérant pouvoir briser le pilier à temps et empêcher l’homme d’accomplir son dessein. Au moment où la jeune femme levait sa poêle pour porter le premier coup, Hans parut comprendre ce que tramait le garde et se précipita sur lui, déviant l’arbalète au dernier moment après un coup d’œil en direction du lustre. Le carreau brisa le lien entre le lustre et le plafond, ce dont s’aperçut Elsa avec une exclamation d’horreur. La reine se précipita vers la sortie de la pièce, évitant juste à temps le lustre qui s’écrasa au sol en mille morceaux dans un fracas terrible, au moment même où Raiponce frappait la paroi de sa poêle de toutes ses forces. Le mur se craquela, et la princesse donna un second coup, alors qu’Elsa désarçonnée glissait sur le sol du fait de la chute du lustre et s’écrasait lourdement par terre. La paroi se brisa cette fois tout à fait, faisant tomber au sol l’homme cloué à la colonne et Hans qui se trouvait à ses côtés. Raiponce s’élança vers sa cousine, indifférente aux exclamations de surprise des gardes d’Arendelle et à celles de douleur du garde de Weselton et de Hans. Elsa gisait, évanouie –ou pire, ce que Raiponce n’osait imaginer- sur le sol, parmi les milliers d’éclats de glace. La princesse effleura le cou de sa cousine : elle pouvait percevoir son pouls, à son grand soulagement.

-Comment êtes-vous donc arrivée ici ?

Hans, couché près du garde du duc, s’était exprimé, un agacement très audible dans sa voix. La jeune femme prise au dépourvu se mordilla les lèvres, incertaine de quoi répondre. Elle était la cible de regards méfiants et incrédules, y compris de l’autre sous-fifre qui revenait du balcon, les bras croisés. Mais son compère s’occupait plutôt de l’épée de Hans, qui était rangée dans son fourreau : il la dégaina soudainement avant de se relever, et de marcher à grands pas vers la reine désarmée et inconsciente. Raiponce réagit au quart de tour, et dressa sa poêle entre Elsa et le fer destiné à l’occire, alors que l’homme tentait de donner un puissant coup d’estocade à la gorge de la reine. La force du coup fut telle que la lame transperça la poêle de part en part ; mais l’intervention de Raiponce avait sauvé la souveraine et bloqué l’épée utilisée par le sbire de Weselton. Une surprise courroucée s’afficha sur le visage de l’homme, mais la princesse ne lui laissa pas le temps de réagir en faisant brusquement pivoter sa poêle où l’épée était encore fichée, pour désarmer son adversaire. L’homme lâcha involontairement l’épée, qui glissa à terre dans un cliquetis métallique ; Raiponce le poussa violemment en arrière, le forçant à s’éloigner d’Elsa.

-Je suis venue ici, s’écria-t-elle, pour empêcher cet imbécile et son comparse d’exécuter les ordres de leur maître et d’assassiner la reine. Ma cousine a paniqué en vous voyant arriver et m’a enfermée pour me protéger. Je viens seulement de réussir à me libérer, et juste à temps. Il semble que je ne sois pas venue pour rien.

Les gardes d’Arendelle n’eurent pas l’air ravis qu’on tente de tuer leur souveraine, leurs regards hostiles se tournant à présent sur les sous-fifres du duc. Hans, quant à lui, se releva et saisit son épée avec force et fermeté. Il regarda tour à tour les deux hommes de Weselton, qui le fixaient sans broncher.

-Je vous avais pourtant donné l’ordre de ne faire aucun mal à la reine, fulmina-t-il.

-Nous ne suivons que les ordres du Duc de Weselton, objecta l’un des deux hommes.

-Plus maintenant, répliqua Hans. Pendant le reste de notre quête, je ne veux plus de grabuge. Est-ce clair ?

Les sbires échangèrent un regard agacé, et l’un d’eux maugréa :

-Oui, Prince Hans.

-Pensez-vous sérieusement poursuivre les recherches ? intervint Raiponce. Le palais d’Elsa était le seul endroit où Anna aurait pu se rendre. Puisque ni moi ni vous ne l’avons croisée, les chances de la trouver sont pratiquement nulles. Anna sera certainement revenue à Arendelle avant que nous ne la retrouvions, et le royaume a besoin de notre présence. De plus, il nous faut ramener la reine au plus vite, la rassurer, pour qu’elle puisse mettre fin à l’hiver.

Hans n’eut pas l’air ravi d’être de nouveau contredit par Raiponce, mais devait se rendre à l’évidence : la jeune femme avait raison, comme à son habitude. Elle était d’ailleurs persuadée qu’il valait mieux que Hans cesse sa quête : si par malheur il la retrouvait, Raiponce n’était pas certaine que cela soit une bonne nouvelle pour sa cousine. Cette dernière, selon les dires d’Elsa, était déjà parvenue au palais de glace, et Raiponce espérait qu’elle reviendrait bientôt d’elle-même.

La jeune femme se pencha une fois encore sur sa cousine Elsa, et tenta de la réveiller en la secouant doucement.

-Qu’êtes-vous en train de faire, Votre Altesse ? s’enquit Hans.

-Vous le voyez bien, j’essaie de réveiller la reine, répliqua Raiponce en se tournant vers le jeune homme.

-Je vous demande de vous arrêter, ordonna Hans.

La jeune femme le dévisagea, perplexe.

-Il faut pourtant qu’elle soit éveillée pour mettre fin à l’hiver et revenir au royaume.

-Tant que la reine ne sait pas maîtriser ses pouvoirs, elle reste un danger pour elle-même et tous ceux qui l’entourent. Il vaut mieux que nous la transportions jusqu’au château pendant qu’elle est encore inconsciente, et la maintenir captive jusqu’à ce que l’on puisse s’assurer qu’elle soit parfaitement calme.

Il apparut à Raiponce que c’était là une simple manigance dont le but était de faciliter la mort d’Elsa, que Hans avait déjà prévue depuis plusieurs jours ; la jeune femme sentit la colère monter.

-Quelle légitimité avez-vous pour prendre une telle décision ? s’insurgea-t-elle en se relevant d’un bond.

-J’ai été nommé régent par la Princesse Anna, répondit calmement le prince.

-Hein ? Mais vous savez très bien que jamais Anna ne cautionnerait l’emprisonnement de sa sœur ! protesta Raiponce.

Les gardes du royaume se dandinèrent sur place, l’air mal à l’aise. Mais Hans ne se démonta pas et persista :

-Je suis persuadé qu’elle comprendrait que c’est la seule solution. Dès que Sa Majesté sera remise et qu’elle sera disposée à ramener l’été, elle retrouvera sa liberté et nous rentrerons tous chez nous.

Elle retrouvera sa liberté ? Comme Eugène était censé retrouver la sienne, alors que tu prévoyais de l’assassiner ? La princesse savait pertinemment qu’on ne pouvait croire Hans sur parole. Mais elle devait admettre qu’elle ne pouvait rien faire pour libérer Elsa, pour le moment. Il lui fallait seulement s’assurer que la reine parvienne au château sans qu’il ne lui arrive rien.

-J’imagine mal que les hommes de Weselton acceptent de se tenir tranquille jusqu’au retour, persifla Raiponce. Il est préférable qu’ils retournent au château séparés du reste du groupe, sous ma surveillance.

Les sbires du duc grommelèrent des paroles incompréhensibles, mais qui ne laissaient guère de doute sur leur tonalité contestatrice. Hans eut l’air de peser le pour et le contre de la proposition de la princesse, mais sembla considérer qu’il n’y avait rien à objecter.

-Je suis d’accord avec vous, Votre Altesse. Nous vous laissons donc un peu d’avance.

-Bien, fit Raiponce avec satisfaction. Je repars immédiatement. S’il m’arrive quelque chose pendant le trajet, vous saurez à qui vous adresser…

La jeune femme espérait ainsi dissuader les hommes du duc de toute tentative de meurtre à son encontre. Elle était assez confiante, car elle ne les pensait pas assez courageux pour faire preuve d’une telle initiative et risquer la colère de leur maître en agissant sans son aval. Suivie des sous-fifres du duc, elle se dirigea vers les escaliers du palais. Mais elle ne se sentait pas très à l’aise à l’idée d’abandonner le sort de sa cousine aux mains de Hans. Elle se tourna vers ce dernier, qui réunissait ses hommes près de la souveraine.

-Je ne suis pas certaine de vous revoir, Prince Hans, dit-elle. Je veux que vous sachiez que si l’hiver prenait fin –pour une raison ou pour une autre- avant que nous nous revoyions, je prendrais immédiatement le large pour rentrer à Corona. Avec Eugène, si je parviens à le retrouver. Comme je n’aimerais pas partir sans vous avoir fait mes adieux, je vous prierai de prendre bien soin de la reine. Au revoir, monsieur.

Raiponce planta là le prince, le laissant cogiter ses paroles. Elle misait sur son désir de ne pas la laisser s’échapper en vie et de risquer une guerre avec Corona pour garantir la survie de sa cousine : Hans pensant certainement que tuer Elsa ramènerait l’été, ne tenterait rien tant qu’il n’était pas sûr de pouvoir éliminer Raiponce avant qu’elle ne profite de la fin de l’hiver pour retourner dans son royaume. Cela devrait suffire, si le prince avait quelque once de jugeote. La jeune femme poussa un soupir, et débuta le voyage du retour.

___

Désolé pour ce chapitre très court, mais j'ai préféré scinder le chapitre originel, qui traitait de deux intrigues assez différentes.
J'ai repris la scène du film que l'on connaît, en ajoutant un petit twist auquel j'ai dû réfléchir un moment avant de me satisfaire : la présence de Raiponce dissimulée à l'intérieur d'une des colonnes de glace du palais. Si vous regardez à nouveau la scène, vous pourrez vous dire que Raiponce se trouve dans la colonne où Elsa "cloue" l'un des gardes Very Happy
C'est un peu le destin déjà écrit qui rattrape mon histoire, où la tentative de Raiponce de rassurer Elsa ne peut être totalement couronnée de succès pour respecter l'histoire du film Smile


"L'imagination gouverne le monde." Napoléon Ier
Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 28 Fév 2018 - 19:44

Chapitre 17 : L’émeute

La princesse redescendit les marches et sortit du palais ; un morceau de la balustrade de l’escalier qui passait au-dessus du gouffre manquait, probablement brisé durant l’affrontement entre le monstre (qui avait du reste disparu) et l’armée de Hans. Tous les chevaux de l’expédition étaient présents, ainsi que Maximus qui trottait dans sa direction. Raiponce et les hommes du duc se mirent en selle, avant de commencer à descendre la montagne. Et dire qu’Elsa a accompli ce trajet à pied, et en à peine quelques heures ! Je me demande comment elle s’y est pris. La princesse réfléchit quelques instants à ce problème, avant de se souvenir qu’elle avait entendu les villageois dire que la reine avait coupé à travers la mer gelée. Raiponce intima à Maximus de s’arrêter, ce que firent également ses « compagnons ». Nous pourrions être rentrés aujourd’hui même en empruntant le même chemin. La jeune femme expliqua son idée aux gardes du duc, sans qu’elle ne soit accueillie avec un réel enthousiasme. Elle avait cependant pris sa décision, et changea son itinéraire pour gagner plus de temps.

Le retour fut donc bien plus rapide que l’aller, et la glace solide qui avait pris la place de la mer ne leur causa aucun souci. Quelques heures plus tard, en début d’après-midi, ils furent de retour au village, où la neige semblait s’être davantage épaissie encore, recouvrant toits et rues avec des couches de quelques dizaines de centimètres. Après être passés (avec l’accord du garde posté en faction) par le passage dans la muraille que Raiponce avait déjà utilisé plusieurs fois, la princesse et les deux hommes parvinrent à l’intérieur de la cour du château, où une grande agitation semblait tourmenter les personnes présentes. L’ensemble de la garde était réunie sur les remparts au-dessus de la porte principale, et nobles et petit personnel se mêlaient dans la cour et s’échangeaient des murmures inquiets. Si la vision de ce qu’il se passait aux portes de l’enceinte du château était possible malgré la densité de la foule, cela n’était que parce que Raiponce avait une position en hauteur, puisqu’elle chevauchait encore Maximus. Weselton, les dignitaires étrangers, et plusieurs gardes échangeaient devant les portes, visiblement très inquiets. La princesse et les sbires du duc les rejoignirent, la foule s’écartant respectueusement devant leurs chevaux. Les hommes de Weselton glissèrent du dos de leur monture et se placèrent aux côtés de leur maître, tandis que Raiponce descendait également de cheval et hélait le duc.

-Alors vous, commença-t-elle avec fureur, vous allez m’entendre. Vos deux guignols ont bien failli tuer la reine, et…

-Votre Altesse, l’interrompit le capitaine de la garde, je vous prie de m’excuser, mais la situation est critique. Une horde de plusieurs dizaines d’hommes et de femmes se massent aux portes. Ils sont pour la plupart armés et font preuve d’une grande hostilité.

Des cris et imprécations hargneuses pouvaient en effet être entendus. La population d’Arendelle, finalement poussée dans ses retranchements, était réduite à l’état de bête sauvage et déraisonnée. Sa peur l’avait rendue folle, et plus agressive que jamais : tout être qui oserait se dresser entre elle et l’objet qu’elle avait désignée coupable de son désarroi se retrouverait impitoyablement massacré. Raiponce cependant ne comprenait pas l’attitude de ces braves gens, qui avaient pourtant été accueillis à bras ouverts durant la crise.

-Comment ? s’exclama-t-elle. Mais pourquoi ? Que s’est-il passé durant mon absence ?

-Votre départ précipité a laissé le pouvoir vacant, expliqua le capitaine. Monsieur le Duc de Weselton a assumé la régence depuis hier après-midi, avec l’accord des ambassadeurs et de la noblesse locale. Il a cru bon d’expulser tous les roturiers du palais qui ne faisaient pas partie du personnel, et de leur en interdire l’accès.

Raiponce revint sur le duc. Le vieil homme tentait d’esquiver son regard, et se massait la nuque avec une gêne significative.

-Vous avez fait quoi ? gronda-t-elle.

La jeune femme peinait à garder son sang-froid, devant le mépris ostensible du duc pour le peuple et son comportement à la fois irresponsable et inhumain.

-Eh bien, répondit Weselton d’une voix aiguée, j’ai considéré qu’il valait mieux privilégier le bien-être de la noblesse et laisser nos équipages et la population dans-

-Dans la rue ?! cria Raiponce. Par ce temps ?! Est-ce que vous êtes un monstre ?!

Sans attendre une quelconque excuse, la princesse fit volte-face et se remit en scelle. Elle fit cavaler Maximus en direction de l’autre porte dans la muraille, et, après avoir brièvement continué à pied pour passer à l’intérieur, remonta à cheval pour s’élancer sur la glace qui enserrait le royaume. Comme elle l’avait fait la veille, elle se dirigea jusqu’aux quais, à grand galop cette fois, et repartit en direction du château du côté de la porte principale. Son raisonnement était le suivant : sachant que les émeutiers ne pourraient la percevoir que comme une ennemie si elle se présentait à eux du haut des murailles ou en sortant par la porte principale, il serait folie de tenter de les raisonner par ce moyen. Il fallait donc employer un stratagème, en rejoignant directement la foule comme si elle venait elle aussi du village. Ainsi, elle serait reconnue comme une des leurs, et pourrait plus facilement les calmer en se positionnant même comme leur chef.

La jeune femme ralentit la cadence de Maximus à l’approche du château. De là où elle se trouvait, elle pouvait constater que le village était pratiquement enseveli sous les neiges de l’hiver d’Elsa. La couche de neige était si épaisse qu’elle parvenait presque au niveau de la muraille qui entourait la ville, et qu’elle atteignait souvent la moitié de la hauteur des portes des habitations. Si Elsa ne parvient pas à ramener l’été, nous serons bientôt perdus, abri ou pas. Cette pensée ne semblait pas préoccuper ceux qui se dirigeaient avec empressement en direction du château, et qui recherchaient ou bien un endroit où ils pourraient se réchauffer et être en sécurité, ou bien une occasion d’assouvir leur soif de vengeance envers la noblesse. Raiponce arriva en vue de la foule qui assiégeait le château, et qui avait pris possession de tout le pont qui y menait : forte d’une centaine de personnes, mélange cosmopolite de matelots, de sans-abris et de miséreux, elle rugissait, parée à prendre d’assaut l’objet de leur convoitise. Certains portaient des fourches, d’autres des harpons ou des gourdins ; il y avait même un bélier improvisé, ou plutôt un long rondin de bois, porté par plusieurs hommes solidement bâtis. A son désarroi, Raiponce s’aperçut que deux émeutiers s’étaient emparés d’un otage et le bousculaient en riant : Louis-Napoléon Bonaparte. Il faut que je les persuade de le libérer, avant que tout ça ne dégénère. Du haut des remparts de pierre, les gardes du château et les deux hommes de Weselton toisaient la foule, leurs mains anxieusement serrées sur leurs arbalètes et lances. Il y avait une certaine poésie à la scène : le peuple opprimé se soulevait pour anéantir son tyran, et prendre d’assaut sa forteresse, dans un cadre hivernal où les flocons tombant tels des pétales se mêleraient bientôt à l’écarlate du sang des vaincus. Mais déjà les cris s’intensifiaient : il était probable que la foule fusse sur le point d’attaquer. Le carnage serait alors inévitable : les gardes du château tueraient facilement quelques assaillants avec leurs arbalètes et lances, mais le nombre et la détermination des assaillants aurait finalement raison des défenseurs, et aboutirait au massacre de toute la noblesse présente, de Bonaparte, ainsi que du personnel. Ce dénouement, Raiponce le refusait.

La princesse prit son courage à deux mains, et s’approcha de « l’arrière-garde » des assaillants. De sa réussite dépendait le sort du royaume. Alors que les hommes portant le bélier poussaient un cri de guerre féroce et prenaient leur élan pour donner le premier coup aux premières doubles-portes, Raiponce intervint.

-Mes amis ! Quelle est la raison de votre fureur ?

Les porteurs du bélier s'immobilisèrent, et se retournèrent avec surprise, comme les autres émeutiers. Devant la porte, les deux hommes qui tenaient fermement Bonaparte cessèrent de le malmener, et le prétendant au trône regarda la jeune femme avec espoir. Leurs cris sauvages de haine se turent assez rapidement, l'attention des assaillants étant captée par l'apparition de Raiponce.

-C'est la Princesse Raiponce ! S'écria l'un d'eux en pointant la jeune femme du doigt.

Il y eut comme un moment de flottement : la foule hésitait, n'avait pas de réponse unanime à donner ; la princesse faisait partie de la noblesse, mais elle était aimée de tous au village. Chacun attendait que l'un de ses compagnons parle, indique la marche à suivre, désigne Raiponce comme une ennemie ou une amie. On perd une part de son identité lorsque l'on fait partie d'une foule, et sa volonté n'est plus que celle du groupe, ou bien souvent du premier qui s'exprime. Il était donc possible que la princesse soit accueillie avec chaleur et amitié ; mais également qu'elle le soit avec des injures et la violence du fer. Raiponce ne voulut pas laisser son destin aux mains du hasard.

-Oui, c'est bien moi, affirma la jeune femme en balayant la foule de son doux regard. Je reviens de la montagne du Nord, d'où le Prince Hans ramène votre souveraine en ce moment même, pour mettre fin à l'hiver.

Plusieurs exclamations de soulagement éclatèrent : la population se croyait sauvée. Puisque la reine revenait, tout serait bientôt fini, n'est-ce pas ? Le calvaire se terminerait le jour-même, et les jours des bonnes gens ne seraient plus en danger. Raiponce, rassurée d'avoir bien engagé la conversation, essaya de pousser son avantage.

-Vous n'avez donc plus rien à craindre, dit-elle. Nous allons nous charger de loger tous les sans-abris et de reprendre la distribution de bois.

-Mais l’duc nous a expulsés du château, et il nous a r’pris tout c’que le Prince Hans nous avait donné ! Objecta un homme.
C’était un matelot imposant, à la barbe fournie : Raiponce reconnut Sweden, l’homme qui avait fait tomber Weselton de sa chaise lors du déjeuner de la veille. L’homme fut bruyamment approuvé par ses camarades.

-Quoi que le duc ait ordonné, cela n’a pas d’importance, répondit Raiponce. Je me charge de vous faire ouvrir les portes dans l’instant, et je vous promets qu’aucun de vous ne dormira cette nuit dans la rue par cet hiver glacial.

Les émeutiers ne se sentirent plus de joie, et lâchèrent leurs armes, toute rage envolée, préférant applaudirent leur sauveuse à tout rompre. Le bélier tomba à terre, et ne devint plus qu’un rondin de bois inutile ; et la foule plus qu’une assemblée de citoyens bons et joyeux. Ils s’écartèrent comme s’ils n’étaient qu’un, et saluèrent chaleureusement le passage de la princesse qui chevauchait Maximus en direction des portes de l’enceinte du château. Raiponce ne voyait désormais que des visages heureux et reconnaissants, et sourit à son tour, émue et soulagée d’être parvenue à calmer si facilement la foule. Parvenue au niveau du bélier et de Bonaparte, elle mit pied à terre et s’approcha des émeutiers qui le tenaient encore fermement.

-Je vous en prie, dit la princesse. Libérez-le, en signe de bonne volonté, et nous pourrons vous ouvrir les portes.

Les hommes qui s’étaient saisis de Louis-Napoléon le lâchèrent sans hésiter ; l’un d’eux rit et lui ébouriffa les cheveux avant de le pousser avec force, ce qui le fit presque chuter sur Raiponce.

-Je vous remercie du fond du cœur, Votre Altesse, murmura Bonaparte. Je vous dois la vie. Mais il faut que vous sachiez que Weselton a pris mes armes et…

-Nous en parlerons plus tard, fit Raiponce. Pour l’instant, vous devez rentrer dans l’enceinte du château. Allez !

Le Prince Impérial obtempéra après un hochement de tête, et les portes s’ouvrirent brièvement pour le laisser passer. Les voyant se refermer, la jeune femme marcha jusqu’au pied des murailles et leva la tête, s’adressant aux hommes postés au-dessus d’elle.

-Ouvrez ces portes, que ces pauvres gens puissent se réfugier à l’intérieur ! ordonna-t-elle avec sévérité.

Norway et ses hommes se regardèrent d’yeux appréhensifs. L’idée d’ouvrir le château à ce qui était encore une horde quelques instants plus tôt semblait les effrayer.

-Qu’attendez-vous ? s’impatienta Raiponce.

Elle sentait que la situation lui glissait entre les doigts : si la foule s’apercevait qu’on risquait de ne pas accéder à ses demandes, elle risquait de s’enflammer à nouveau. Pourquoi Norway ne fait-il rien ? N’obéit-il pas à Magnus ?

-C’est que, madame, je ne suis pas sûr que ce soit une excellente idée… avança prudemment Norway.

La panique gagnait –encore une fois- Raiponce, et une chaleur angoissée lui monta à la tête. Derrière elle, Sweden commençait à émettre un genre de grognement, s’impatientant.

-Ouvrez la porte. Maintenant. Répéta-t-elle avec la plus grande fermeté.

Mais Norway tourna la tête vers l’arrière sans répondre, avant de s’écarter sur sa droite ; à sa place apparut Weselton, qu’entourèrent aussitôt ses deux hommes de main.

-Je ne crois pas, Votre Altesse, refusa-t-il avec orgueil. J’ai donné des ordres clairs : plus personne ne rentrera dans ce château. Norway, faites votre devoir.

-Bien-sûr, monsieur, accepta obligeamment le capitaine.

La foule indolente se mit alors à gronder : comment, on se refusait à elle, on la condamnait à mort ? Cette injustice ne saurait être tolérée ! Déjà les émeutiers recommençaient à s’agiter, et une rumeur incompréhensible se répandait, de plus en plus puissante. Dans le même temps, Sweden se penchait sur le sol pour ramasser quelque chose, sans qu’aucun garde ne le remarque.

-Messieurs, reprit Norway, préparez-vous à…

A faire feu sur la population ? A transpercer tous les émeutiers par le fer ? Personne ne sut jamais ce que le capitaine fut sur le point de dire. Car Sweden avait saisi une lourde pierre qui avait été laissée sur la neige par l’un des émeutiers. Et il l’avait propulsé de toute la force de ses muscles, droit sur la tête de Norway. Le tir avait été vif, précis, gracieux même ; le capitaine en uniforme bleu n’avait pas eu la moindre chance. Il fut atteint en plein sur le front, lequel fut entaillé profondément, laissant s’échapper un flot de sang ; le choc avait été fort, trop fort. On entendit un cri, expression d’une terrible douleur, et Norway s’effondra derrière la muraille avant de se ture. Mort ou vivant, Raiponce n’aurait su le dire. La réplique fut immédiate : les gardes du duc, craignant pour la vie de leur maître, levèrent leur arbalète et tirèrent droit sur Sweden. Deux carreaux se fichèrent presque aussitôt dans le cou robuste du matelot. Il voulut rugir de douleur, mais son cri se transforma en sang écarlate dans sa bouche. Il tomba à son tour, mourant alors qu’il heurtait les pavés enneigés.

Raiponce n’avait pas réagi durant l’action de quelques secondes, trop stupéfaite pour cela : mais se reprenant, elle eut assez de présence d’esprit pour essayer d’empêcher la situation de dégénérer davantage encore. Elle se positionna courageusement entre les émeutiers sur le pont et les gardes sur les remparts, agitant vigoureusement les bras.

-ARRÊTEZ ! cria-t-elle. CESSEZ LE TIR !

Son ordre fit hésiter les gardes survivants, qui s’apprêtaient déjà à abattre les émeutiers. Ceux-ci, redevenus foule rugissante et violente, reprenaient leurs armes, emplis d’une fureur aveugle. La princesse se tourna vivement vers eux.

-Je vous en conjure, les supplia-t-elle, attendez un moment ! Ne faites pas couler plus de sang. Les deux hommes responsables ont été tués, arrêtons à présent ce massacre ! Laissez-moi encore cinq minutes, que je puisse vous faire ouvrir les portes !

Les émeutiers ne semblaient pas persuadés, mais l’intervention de Raiponce avait eu le mérite de les faire au moins hésiter un instant. Ils se calmèrent sensiblement, mais la tension très élevée du moment n’était pas de très bon augure. La princesse descendit de Maximus, et se précipita sur la porte.

-Ouvrez. Moi. Cette porte ! cria-t-elle.

Sa vie était en jeu, elle le savait. A tout moment, la foule pouvait se déchaîner, la lyncher, la réduire à néant. Mais Raiponce ne reçut qu’un silence funeste en guise de réponse.

-OUVREZ-MOI TOUT DE SUITE ! hurla-t-elle.

Son esprit terrorisé se mettait à divaguer. Elle ne pensait plus correctement. La jeune femme se voyait déjà morte. Non, elle ne pouvait pas, pas maintenant, pas comme ça… Sa respiration s’accélérait, son cœur menaçait de faire éclater sa poitrine, des sanglots montaient dans sa gorge ; mais miracle, la porte s’ouvrit. Raiponce bondit à l’intérieur, sans prendre la peine de remercier le garde courageux qui l’avait sauvée, Finland, et passa derrière la deuxième porte pour se retrouver dans la cour. Maximus fit de même, et les portes se refermèrent, les séparant des émeutiers courroucés. La princesse se posa un instant, s’imposant un rythme de respiration normal : elle était saine et sauve. Peut-être ne mourrait-elle pas aujourd’hui. Raiponce ne s’accorda pas plus de quelques secondes avant de rentrer dans la muraille et de grimper jusqu’au sommet. Elle continua à courir pour rejoindre Weselton et les hommes postés sur les remparts, qui la regardaient avec un mélange de crainte et d’indécision. Norway avait survécu : assis adossé à la muraille et hors de vue de la population, il portait une main à son front où une plaie béante laissait s’échapper une coulée de sang.

-EST-CE QUE VOUS ÊTES COMPLETEMENT DINGUE ? s’époumona la princesse. VOUS AURIEZ PU ME FAIRE TUER ! VOUS VOULEZ MASSACRER TOUTE LA POPULATION ?!

-C-ces gueux al-llaient attaquer, bégaya le duc, je-je…

-Quoi ? MAIS ILS AVAIENT DEPOSE LEURS ARMES !

Le vieillard déglutit difficilement. Ses deux gardes qui se tenaient autour de lui raffermirent leur prise sur leurs arbalètes : la jeune femme emportée par sa rage devenait instable et imprévisible, au point qu’elle avait saisi et brandi sa poêle sans même s’en rendre compte. La princesse se sentit menacée par les hommes du duc, et fit volte-face pour ordonner aux gardes situés derrière-elle :

-Saisissez-vous de leurs armes immédiatement.

Le ton péremptoire et le brasier noir du regard de la princesse étaient sans appel : les hommes intimidés hochèrent fébrilement la tête et se dirigèrent rapidement vers les sous-fifres de Weselton. Ces derniers visèrent alors les gardes d’Arendelle qui prétendaient les désarmer, et qui dégainèrent simultanément leurs épées ; d’autres hommes également armés s’approchaient de l’autre côté des murailles, bien décidés à s’attirer les faveurs de Raiponce. Encerclés, les hommes du duc cherchèrent une marche à suivre dans le regard de leur maître, qui fixait la jeune femme avec nervosité.

-Dites à vos hommes de se déposséder de leurs arbalètes, asséna sèchement Raiponce. Vous n’avez aucune chance.

Weselton affaissa ses épaules et soupira, résigné. La garde d’Arendelle n’attendit pas plus et prit possession des armes des hommes de main du duc, que ces derniers abandonnèrent avec quelques imprécations injurieuses. La jeune femme baissa les yeux vers Weselton, désormais sans défense. Le vieillard avait traité Elsa de monstre, l’avait fait passer pour tel aux yeux de la population et tenté de la faire assassiner ; non content de ces forfaits, il avait également projeté de s’accaparer les richesses du royaume d’Arendelle dans son heure la plus sombre, et aurait condamné sans scrupules toute la population à mort en réponse à sa propre peur de couard ; et il venait de risquer imprudemment, peut-être volontairement, la vie de Raiponce. Tout cela le rendait passible de la peine capitale. La régente durcit alors son regard, sous lequel Weselton ploya et se ratatina. La peur originelle, la hantise du néant passa dans les yeux du duc. Le château se fit silence. Silence. Silence. Mais Raiponce poussa un grand soupir, et l’atmosphère se détendit.

-Jetez les tous les trois dans la geôle la plus profonde. Quand au capitaine Norway, occupez-vous de faire recoudre sa plaie.

Raiponce avait elle-même cru pendant un instant qu’elle était sur le point de faire exécuter le duc ; mais sa raison et sa bonté avaient surpassé sa colère. Pour combien de temps encore ? La princesse s’écarta alors que plusieurs gardes s’emparaient de Weselton et de ses laquais, pour les emporter en direction du donjon sans le moindre ménagement, et sans se préoccuper de leurs vaines protestations, alors que deux autres hommes épaulaient Norway pour le conduire dans ses quartiers. L’arrestation du duc fut accueillie par des cris de joie et de nombreuses acclamations, provenant du pont situé sous les murailles du château : la foule (que Raiponce avait du reste complètement oubliée) se réjouissait de la chute de leur tyran. Elle avait été hypnotisée par le déchaînement de fureur de la princesse, en oubliant jusqu’à sa précédente rage. Cette distraction avait été salutaire pour les habitants du château ; Raiponce revint aussitôt vers la population pour sceller définitivement l’émeute. Elle prit la parole, tandis que la porte du donjon se refermait bruyamment sur les prisonniers.

-A présent, mes amis, nous allons accéder à vos demandes, et-

-Merci, Princesse Raiponce, la coupa une voix d’homme, mais je crois que je vais prendre le relais.

La jeune femme se tourna : Hans était monté sur les murailles, finalement rentré du palais d’Elsa. Il souriait et parlait d’une voix doucereuse, et terriblement agaçante. Raiponce se retint d’envoyer promener le prince qui venait récolter les fruits de son labeur, et s’écarta à contrecœur. Hans prit position au-dessus des portes, et s’adressa à la foule.

-Prince Hans ! Prince Hans ! l’acclama-t-elle.

Ils n’ont aucune idée de qui il est vraiment, songea amèrement Raiponce. Le prince sourit, et leva ses bras, comme s’il voulait enlacer la population.

-Je vous ai compris, affirma-t-il.

Les bonnes gens se répandirent en acclamations, éperdues de reconnaissance et de naïveté.

-Le duc sera châtié pour sa tyrannie, promit-il. Je me rendrai tout à l’heure dans sa cellule pour décider de son sort. J’ai également ramené la Reine Elsa du palais qu’elle avait construit sur la montagne du Nord, et je ne doute pas qu’elle nous aidera bientôt à ramener l’été !

Il ne précise pas qu’il l’a ramène enchaînée. La jeune femme observa du coin de l’œil un garde porter Elsa avec douceur jusqu’au donjon, et pénétrer discrètement à l’intérieur, sans que la foule ne le remarque.

-Avant cela, nous nous occuperons de loger tous les sans-abris. Chacun de ceux qui n’ont pas de foyer pourra habiter dans les habitations des citoyens d’Arendelle, qui recevront pour cela du bois, de la nourriture et des vêtements chauds. Nos gardes vont sortir de l’enceinte du château, pour vous conduire dans un logement sûr. Merci.

Il salua la foule en délire, tout sourire, et revint vers Raiponce.

-Nous avons repéré vos traces de pas, dit-il, et pensé qu’il serait plus rapide de couper à travers les glaces pour revenir au château. Je vois que nous avons bien fait.

-Evidemment, ironisa la princesse. Ce n’est pas comme si j’avais déjà la situation sous contrôle.

-Je n’en doute pas, répondit doucement Hans. Mais maintenant que je suis de retour, je reprendrai naturellement la charge de régent que la Princesse Anna m’a confiée. J’ignore quand elle reviendra –peut-être partirai-je encore à sa recherche si elle ne donne aucun signe de vie-, mais je pense qu’il serait mieux pour vous que vous retourniez dans votre chambre jusqu’au dîner. La disparition d’Eugène, votre périple et toutes ces émotions ont dû vous épuiser.

La jeune femme n’en croyait pas ses oreilles : Hans la consignait dans sa chambre, comme une enfant. Mais elle décida d’obtempérer encore, sachant qu’elle n’avait aucun intérêt à résister : il lui fallait du temps pour réfléchir, et décider de ses prochaines actions. Elle fit la révérence, et s’éclipsa avec un sourire ingénu.

-Vous avez parfaitement raison, Votre Altesse, répondit-elle.

Elle laissa derrière elle un Hans méfiant et indécis, et descendit des murailles pour se diriger vers les portes du château, fendant la foule de nobles avec indifférence. Elle grimpa à l’étage des quartiers royaux, passant près de Finland qui était posté une fois encore dans cette partie du château. Elle s’adressa à lui :

-Êtes-vous bientôt relevé, Finland ?

-Dans quelques minutes, madame, répondit le garde.

-Bien. Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais que vous vous rendiez dans la cour du château, pour m’avertir dès que la Princesse Anna sera de retour.

En effet, les paroles d’Elsa laissaient penser qu’Anna était en route vers le château ; la princesse d’Arendelle pourrait donc rentrer à n’importe quel moment. Raiponce préférait être informée du moment où sa cousine reviendrait : elle n’attendait que cela pour lui révéler enfin la part la plus sombre de son fiancé.

-Absolument, Votre Altesse, consentit l’homme.

Satisfaite, Raiponce se dirigea vers la chambre royale. Elle s’arrêta cependant en entendant Finland la rappeler d’une voix hésitante :

-Votre Altesse ?

Allons bon, qu’y a-t-il encore ? songea la princesse en se retournant et en arborant un beau sourire.

-Oui, Finland ?

-Je voulais vous demander, dit-il avec prudence, à propos de ce qui s’est passé la nuit de l’évasion de votre époux et de la mort du dignitaire irlandais… Je sais que mon oncle m’a demandé de ne pas poser de questions, mais…

La jeune femme sentit le danger venir, et coupa court aux interrogations du garde.

-Je n’ai fait qu’un tour dans l’enceinte du château, l’interrompit Raiponce. Rien de plus. Je préférais éviter que cela se sache pour que je ne sois pas soupçonnée, voilà tout.

L’homme eut l’air soulagé, et se rasséréna.

-Bien, madame. Veuillez m’excuser de mon impolitesse.

-Il n’y a rien à pardonner, sourit la princesse. Mais n’oubliez pas de vous rendre dans ma chambre lorsque ma cousine sera de retour.

Raiponce retourna dans sa chambre en fermant la porte derrière-elle. Elle s’approcha de son caméléon qui dormait sur son coussin, et lui embrassa tendrement le front. J’espère qu’il sera bientôt remis sur pattes. Puis, elle alla s’allonger sur son lit, les yeux tournés vers le plafond. La jeune femme pressentait que le dénouement était proche : elle avait joué presque toutes ses cartes. La seule chose à faire était d’attendre, attendre le retour d’Anna pour mettre fin aux agissements de Hans avant qu’il ne soit trop tard. Ainsi, Eugène ne serait plus un fugitif, et lui et Raiponce pourraient finalement rentrer chez eux. Et si Anna ne croyait pas à la fourberie de Hans… Raiponce n’aurait pas d’autre choix que d’essayer d’assassiner encore le prince, pour le bien de tous.
La jeune femme resta immobile durant plusieurs dizaines de minutes, méditant sur les événements récents ; jusqu’à ce qu’on frappe à sa porte.

-Oui ? fit-elle.

-C’est Finland, Votre Altesse. La Princesse Anna est revenue.

Raiponce bondit de son lit, et se jeta sur la porte qu’elle ouvrit à la volée, le cœur battant la chamade.

-En êtes-vous sûr ? demanda-t-elle avec fébrilité.

-Sûr et certain, madame. La Princesse Anna est arrivée il y a moins de cinq minutes. Elle était dans la cour quand je suis revenu vous prévenir.

-Merci, Finland, répondit Raiponce avec reconnaissance.

Elle s’élança à travers les couloirs, cherchant à retrouver sa cousine au plus vite : elle ne devait pas laisser Hans la voir en premier. Raiponce esquiva le garde posté à l’entrée et descendit les escaliers à toute vitesse, sans se soucier du cri de protestation émis par l’homme ; elle parvint au rez-de-chaussée en quelques instants, puis sortit pour arriver à l’intérieur de la cour. Elle rechercha frénétiquement sa cousine des yeux ; mais rien. Tremblante, elle se tourna vers une servante qui sortait du château.

-Où est passée la Princesse Anna ? s’enquit-elle.

-La princesse a été amenée auprès du Prince Hans, révéla la femme. Je crois qu’il se trouvait dans la bibliothèque, avec les autres dignitaires.

Elle a dû monter juste avant que je ne descende. Je n’ai pas de temps à perdre. La jeune femme repartit alors en sens inverse, craignant mille et une choses toutes plus invraisemblables les unes que les autres : qu’Hans assassine brutalement Anna, qu’il la jette dans une geôle comme sa sœur avant elle, qu’il l’exile du royaume… Ce n’est qu’arrivée au dernier étage que ses pensées s’arrêtèrent et que la jeune femme ne se concentra plus que sur une seule chose : arriver dans la bibliothèque. Elle y avait déjà passé un long moment, quelques heures après l’arrestation d’Eugène, et y avait discuté avec Jean de ses troubles intérieurs. La princesse se rappelait parfaitement de sa localisation, et s’y dirigeait donc avec certitude. Pourtant, son trouble la conduisait à courir trompeusement entre les couloirs écarlates, sans qu’elle ne s’en rende compte. Arrivée près d’une double porte ouverte, des voix l’interpellèrent et la poussèrent à ralentir ; Raiponce était arrivée devant la salle du conseil. Elle entendit alors quelque chose qui lui glaça le sang et la plongea dans un état de stupéfaction totale :

-C’est le cœur lourd, que j’accuse la Reine Elsa d’Arendelle… de trahison, et ordonne son exécution.

-Comment ? Quoi ? balbutia-t-elle après quelques secondes d’ébahissement.

Elle pénétra dans la pièce. A l’extrémité la plus proche de la longue table, les dignitaires et Weselton, regardant la princesse avec surprise, étaient debout devant Hans, qui était assis et se penchait sur la gauche, observant également Raiponce d’une mine grave teintée d’un étonnement frustré.

-Princesse Raiponce, dit-il doucement. Je vous croyais dans votre chambre.

-J’en suis sortie lorsque j’ai appris le retour de ma cousine, répliqua-t-elle durement.

Elle s’approcha du prince, écartant brusquement le duc au passage et l’envoyant bousculer les autres ambassadeurs.

-Qu’est-il arrivé ? Pourquoi Weselton ne pourrit-il pas dans un cachot ? Où est Anna ? Et pourquoi, pourquoi avez-vous décidé d’exécuter la reine ?

Hans répondit, faisant fi de l’exclamation indignée du duc :

-J’ai libéré le Duc de Weselton, qui est un allié d’Arendelle et qui ne s’était montré irresponsable que du fait d’une peur toute naturelle. Et à propos d’Anna…

Le régent prit une expression douloureuse, et ferma les yeux. Raiponce se tint sur ses gardes, mais une inquiétude pointait dans son cœur.

-Anna est revenue très affaiblie. Elle était mourante, blessée par sa sœur. Il ne lui restait plus longtemps à vivre, mais nous avons pu nous marier avant qu’elle ne s’éteigne, malgré tous mes efforts. Il m’a fallu condamner la Reine Elsa à mort, pour protéger les autres citoyens de ce royaume de sa sorcellerie et mettre fin à l’hiver.

Le choc fut terrible. Anna était morte. Anna… était morte. Non, c’est impossible. Tous les efforts de Raiponce avaient été vains : sa cousine avait perdu la vie, et elle n’avait rien pu faire pour l’en empêcher. Ce fut comme si le monde s’effondrait pour la princesse. Son sentiment de culpabilité ressurgit alors, plus puissant que jamais, et lui causa une telle douleur qu’elle faillit en perdre la raison : il lui fallait un responsable. Les yeux de Raiponce brulèrent de rage incontrôlée ; sans réfléchir, elle agrippa sa poêle de toute sa poigne et la fit voler vers le visage du prince haï. Mais sa main fut retenue à mi-course, sans que Hans n’ait cillé : un des hommes du royaume –Norway, dont la plaie avait été cousue-, s’était saisi du bras de la jeune femme. Attrapée par un autre garde, la princesse ne pouvait que vainement se débattre et darder le régent de regards furibonds.

-La douleur l’a rendue folle, dit tristement le prince. Messieurs, escortez Son Altesse jusqu’aux cachots du donjon, et veillez à ce qu’elle ne s’en échappe pas.

Et malgré ses plaintes, ses cris, ses insultes, ses larmes et sa rage, la princesse fut emportée. Elle était prisonnière du Prince Hans.

___

Le dénouement approche. A présent que Raiponce est emprisonnée, plus rien ne semble pouvoir arrêter le Prince Hans et dévoiler sa véritable nature au royaume d'Arendelle ; et Elsa pourrait être condamnée. A moins que... ?


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Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Dim 4 Mar 2018 - 11:26

Chapitre 18 : Une triste fin

C’eut été un euphémisme que de dire que Raiponce avait connu des jours meilleurs. En l’espace de quatre journées, elle avait été bannie deux fois du royaume, subi la rancœur amère de sa cousine et son hiver éternel, assisté impuissante à l’empoisonnement de Pascal et à l’emprisonnement d’Eugène, et traversé une séries d’épisodes dépressifs durant lesquels son irrépressible sentiment de culpabilité l’avait poussé à renier toutes ses valeurs. Et voilà qu’on la jetait dans un cachot comme la dernière des criminelles ! Oui, il était clair que la princesse de Corona ne profitait guère plus de son second séjour à Arendelle que de son premier. A présent qu’elle était cloîtrée dans une cellule sombre, elle ne pouvait que ruminer sur son dur banc de pierre, guettant avec anxiété l’hypothétique arrivée d’un visiteur par la porte de sa cellule. Elle ne pouvait même pas profiter du confort de l’unique lit de la cellule : un homme endormi l’occupait, tourné immobile vers le mur grisâtre.

Les pensées de la jeune femme flottèrent jusqu’à Heinrich ; Raiponce éprouva une pointe de culpabilité en réalisant qu’elle n’avait plus guère songé au condamné depuis le procès. Seul et entouré d’ennemis, le jeune homme avait reçu le coup de grâce de Raiponce elle-même, qui l’avait abandonné et enseveli sous de terribles mensonges pour sauver sa propre tête. S’il était trop tard pour le sauver… Peut-être est-il déjà mort. Cette éventualité était probable : Hans n’aurait sûrement pas désiré retarder trop longtemps l’exécution d’Heinrich, alors que les événements à venir étaient si imprévisibles. Si Raiponce voyait juste, ses machinations auraient conduit à la mort d’un homme de plus, après qu’elle l’ait perverti et poussé à la folie, jusqu’à en faire un être assoiffé de vengeance. Et à quoi bon ? Inutiles avaient été ces sacrifices, puisqu’Anna avait péri ; Raiponce n’avait pu qu’affaiblir temporairement Hans, sans parvenir à l’empêcher de s’autoproclamer souverain d’Arendelle. Il ne restait plus à l’usurpateur qu’à exécuter Elsa pour régner sans partage sur le royaume… Et Raiponce n’y pouvait plus rien. Elle en pleurait de rage ; et à travers la brume de ses larmes, la princesse retrouvait tous les cadavres qu’elle avait laissés derrière elle : Selvig, Glasgow, Darius… Des flots de sang avaient coulé et noyé le royaume, pour rien. Même la survie d’Eugène n’était pas garantie. Dès lors, sans succès, sans d’autre possibilité de rédemption, comment retenir plus longtemps cette culpabilité et ces remords oppressants ? Raiponce se sentait plus seule que jamais, et n’imaginait plus revoir Corona un jour. Sa cellule de pierre était également de chair : enfermée, Raiponce ne pouvait plus longtemps échapper à la réalité des choses, à toutes les morts qu’elle avait directement ou indirectement causées. Mais cette fois, il ne lui était plus possible de se jurer de protéger Anna comme elle l’avait fait trois jours plus tôt : il ne lui restait plus rien. Elle se sentit envahie par un brasier de glace, asphyxiée par un étau dont l’inexorable avancée menaçait de la réduire à néant. Il lui semblait que tout tournait autour d’elle, qu’elle perdait pied, ou bien que le monde s’effaçait ; elle aurait peut-être péri de chagrin à cet instant, si la porte de sa cellule ne s’était pas ouverte à la volée.

Raiponce leva brusquement la tête. Une forme humaine surgit du couloir pour s’écraser au sol, tandis que des bras à peine aperçus refermaient tout aussi rapidement la porte qu’ils ne l’avaient ouverte. L’homme aux pieds de Raiponce portait une veste bleue, ornée de motifs représentant l’emblème de Corona, et avait les cheveux bruns et courts. Raiponce se pencha fébrilement sur lui tandis qu’il se relevait en grommelant. La princesse l’aida à se redresser, et l’homme tourna son visage vers elle : c’était Eugène, comme elle l’avait pensé. A la joie de retrouver son époux succéda immédiatement l’horreur de le retrouver également prisonnier, et Raiponce étouffa un cri de désarroi.

-Eugène, murmura-t-elle. Non…

-Salut ma belle, répondit le prince en esquissant un sourire, je t’ai manquée ?

-Plus que tu ne le crois, avoua Raiponce. Mais j’aurais préféré te retrouver une fois tout cela terminé. Comment t’ont-ils capturé ?

-Après t’avoir quittée, je me suis caché dans les ruelles du mieux que j’ai pu pour y dormir ; hier matin, j’ai essayé de glaner des informations où je pouvais, et j’ai compris qu’Heinrich avait tenté de tuer Hans et qu’il avait été condamné à mort. J’ai aussi appris ton départ suite à la lancée de l’expédition de Hans pour retrouver Anna. Après une longue hésitation, je me suis dit qu’il valait mieux que je reste au village pour surveiller les agissements de Weselton pendant qu’il dirigeait le royaume. J’ai bien fait : ce vaurien prévoyait une nouvelle fois de voler toutes les richesses du royaume, tu le crois ? Je ne pouvais pas le laisser faire, alors j’ai réuni quelques habitants et nous nous sommes infiltrés dans les réserves du château…

-Tu as fait quoi ?! s’exclama la princesse.

-Oui, je me doutais que tu réagirais comme ça, continua Eugène d’un air sarcastique. Nous avons réussi à transporter les objets de valeur hors de portée de Weselton, mais je me suis fait prendre par le duc alors qu’il arrivait justement pour voler tous les trésors d’Arendelle et des invités. Il a donné l’alerte, et j’étais encerclé avant d’avoir pu faire quoi que ce soit.

-Mais il ne m’a rien dit de tout cela à mon retour, répondit Raiponce en fronçant les sourcils.

Mais que faisait Magnus ?

-Il a du deviner que ça t’aurait mise en rogne. Bref, j’ai été jeté dans une cellule, et Hans a fini par me rendre visite il y a une heure ou deux, pour que je lui explique en détail la façon dont je m’étais échappé. Bien sûr, je ne lui ai rien dit, ce qui l’a assez énervé, je dois dire. Il a essayé de m’intimider en m’agrippant par le col, mais je me suis dégagé et lui ai clairement fait comprendre qu’il ne pourrait rien tirer de moi. Après qu’il soit parti, on m’a tiré de mon cachot pour me transférer ici, sans que je sache pourquoi. Et toi, quoi de neuf au paradis ?

La princesse lui raconta en détail les aventures qu’elle avait traversées depuis leur séparation. Eugène parut tiquer légèrement à la mention du procès, mais ne pipa mot jusqu’à la fin.

-Eh bien, nous voilà dans de beaux draps, conclut la jeune femme. Même si je pense que Hans ne considérera pas Maximus et Pascal comme une menace, je ne suis pas sûre qu’ils soient en sécurité. Nous-mêmes sommes tous deux prisonniers, et nous n’avons aucun moyen de l’arrêter.

-Je n’en suis pas si sûr, la contredit mystérieusement Eugène. Mais avant de t’en dire plus…

Il regarda avec méfiance l’homme étendu sur le lit, s’inquiétant certainement qu’il puisse entendre leur conversation. Eugène s’en approcha lentement, et s’accroupit derrière lui en tendant l’oreille afin d’entendre sa respiration. Après quelques secondes, il tourna la tête vers son épouse, un air de perplexité affiché sur son visage. Revenant vers l’homme, il tendit la main jusqu’à son épaule et le retourna lentement sur le dos. La jeune femme et Eugène eurent alors un sursaut stupéfait : l’homme était mort. Son visage avait une teinte bleutée, et des marques à la forme de maillons de chaînes étaient imprimées sur son cou, rouges et profondes. Raiponce reconnut l’aubergiste Bjorn, qui avait expulsé Heinrich de sa taverne et avait témoigné contre lui. La princesse en informa son époux.

-Ce n’est peut-être pas une coïncidence, affirma Eugène. Et il semble avoir été étranglé par un autre prisonnier. Ça ne me dit rien qui vaille…

Il tâta les poches du cadavre, recherchant un objet qui pourrait leur être utile ; en vain. Il se tourna vers Raiponce.

-Au moins, personne ne pourra nous entendre, tant que nous ne parlons pas trop fort. Je ne t’ai pas tout dit : au moment où j’ai été saisi par Hans, j’ai pu mettre à profit mes talents de voleur pour lui subtiliser un certain journal…

Le jeune homme glissa sa main dans sa veste, et en sortit le carnet de Hans, qu’Eugène et Raiponce avaient déjà trouvé deux jours plus tôt.

-Tu as volé le journal de Hans ? s’enthousiasma à voix basse Raiponce en sautant au cou de son époux. Oh, Eugène, tu es vraiment formidable !

-Je sais, répondit laconiquement le jeune homme en enlaçant tendrement sa dulcinée. Avec ça, Hans est cuit ; mais avant de prévenir la garde, nous devrions lire plus en détail ce fameux journal.

Raiponce se détacha de son époux, et s’assit à côté de lui sur le banc. Eugène ouvrit le journal à la date de juillet 1839.

25 juillet 1839
Je me rends à Arendelle à l’occasion du couronnement de la Reine Elsa. J’y suis envoyé comme simple représentant des Îles du Sud, mais j’ai bien l’intention de profiter de cette opportunité pour séduire la reine et m’emparer de son trône par le mariage. Bientôt, les miens cesseront de me regarder de haut et de me mépriser. Je ne serai plus longtemps le treizième fils inutile et décevant qui n’a jamais su attirer l’attention de son père et de ses aînés. Quand je serai roi, je serai enfin respecté de tous et j’obtiendrai le pouvoir qui m’est dû. Je suis sûr que la Reine Elsa ne posera aucun problème.

26 juillet 1839, midi
Dès mon arrivée à Arendelle, j’ai rencontré la Princesse Raiponce et son époux, qui m’ont naïvement révélé qu’Elsa était bien trop renfermée sur elle-même pour accepter mes avances. J’ai donc décidé de séduire sa sœur à sa place, la Princesse Anna, qui serait d’après sa cousine Raiponce bien plus ouverte. J’ai pu le constater par moi-même et ai réussi à me rapprocher de cette jeune imbécile après un malencontreux « accident » de cheval. Je me suis ensuite rendu au couronnement de la reine, qui s’est très bien déroulé, même si je ne suis pas parvenu à retrouver Anna après la cérémonie terminée : elle s’est immédiatement enthousiasmée en apercevant Raiponce, et doit je pense passer l’après-midi avec elle. Mais ce n’est que partie remise.

26 juillet 1839, soir
Beaucoup de choses se sont déroulées, cette nuit. Après seulement quelques heures, je suis parvenu à me fiancer avec Anna, lors du bal donné à l’occasion du couronnement. Cette imbécile ne faisait que rêver du « grand amour », et avait une telle carence d’affection qu’elle était prête à se marier avec un inconnu ! Ce fut encore plus facile que je ne le croyais. Je comptais patienter quelques temps avant de demander sa bénédiction à la reine, mais Raiponce est intervenue et a persuadé sa cousine de ne pas attendre davantage. Elle semble encore plus naïve et plus stupide qu’Anna. Cependant, son enthousiasme a bien failli ruiner mon plan : la reine a très mal réagi à l’annonce de nos fiançailles, et a ordonné la fermeture des portes du château.

C’est à ce moment qu’un phénomène incroyable s’est produit : durant une altercation entre Anna et Elsa, la reine a fait jaillir de la glace de ses mains, avant de s’enfuir en gelant le fjord derrière elle. Cet événement imprévu a sauvé mes fiançailles. Anna a alors décidé de la suivre, mais a refusé de me laisser venir avec elle. Je comptais bien sûr profiter de l’occasion pour assassiner la reine, mais ma « chère » fiancée m’a donné une plus grande opportunité : devenir le régent d’Arendelle. J’ai immédiatement accepté, et vais dorénavant essayer d’obtenir un maximum de pouvoir durant l’absence d’Elsa et d’Anna. J’ai déjà repéré un homme qui pourrait m’être utile : Heinrich, un rat des rues avec un grand potentiel. Je pense pouvoir lui trouver une place dans mes plans. Je devrais remercier Raiponce pour m’avoir offert la possibilité de prendre le pouvoir, en me poussant à séduire Anna et en me présentant Heinrich. Le Premier Ministre Magnus semble être un allié, mais je me demande s’il acceptera de me servir lorsque j’aurai tué la reine. Sinon, il devra être éliminé.

27 juillet 1839, après-midi
Mon premier projet en tant que régent a été de lever une milice, afin de former des hommes qui me seront loyaux. J’ai placé Heinrich à sa tête, ce que j’estimais être un choix judicieux ; mais j’ai eu tort. Durant la « période d’essai » de la milice, Heinrich a volé un bijou de grande valeur à l’un des habitants. J’allais pourtant réussir à rattraper le coup auprès des dignitaires étrangers, mais la Princesse Raiponce s’est lancée dans une espèce de tirade gauchiste qui a convaincu les ambassadeurs qu’il ne serait pas sage de lever cette milice. J’avais pensé asseoir mon pouvoir dès aujourd’hui, mais l’intervention de Raiponce a tout gâché et saboté ce projet. Même le dignitaire espagnol m’a ensuite confié qu’il ne pouvait donner l’aval de son pays. Je n’ai réalisé que trop tard que Raiponce était bien plus intelligente qu’elle n’y paraissait. Une fois que j’aurai assassiné la reine et mis fin à l’hiver, il me faudra penser à tuer cette peste et envahir Corona en représailles. Je ne peux prendre aucun risque. Peut-être devrais-je en faire de même avec le Premier Ministre d’Arendelle une fois couronné, car il semble soupçonner mes véritables plans.

27 juillet 1839, soir
L’époux de Raiponce, Eugène, m’a agressé alors que je revenais dans ma chambre. Il y eut plus de peur que de mal, mais j’ai compris qu’il avait découvert ce journal. C’était stupide de ma part de le laisser dans cette chambre. Dorénavant, je le garderai toujours sur moi. Mais je ne peux laisser la vie sauve à Eugène : il n’aurait de cesse de m’éliminer, avec l’aide de son épouse que je soupçonne d’en savoir plus qu’elle ne le laisse paraître. Je l’ai envoyé pourrir dans une geôle en attendant que je prenne une décision à son sujet. Je pourrai peut-être le « suicider » durant la nuit.

P.S : apparemment, quelqu’un a tenté d’empoisonner la Princesse Raiponce. J’aimerais le remercier personnellement si c’était possible, mais je crois qu’il s’agissait d’une erreur et que j’étais la véritable cible. Magnus est-il responsable ? Je dois rester sur mes gardes.

28 juillet 1839, matin
Eugène s’est évadé. Heinrich a tenté de me tuer et a assassiné le dignitaire irlandais ainsi que plusieurs gardes et le citoyen qu’il avait volé. Je n’ai réchappé à la mort que de justesse, et ai prononcé la peine capitale à l’encontre d’Heinrich, mais je soupçonne Raiponce d’avoir utilisé ce vaurien pour m’atteindre, même si je ne peux rien prouver. Il faut que je reste sur le qui-vive, d’autant plus que je n’ai aucune nouvelle d’Anna. Peut-être devrais-je partir à sa recherche et m’occuper d’Elsa moi-même.

29 juillet 1839, matin
Le cheval d’Anna est revenu au royaume, ce qui m’a décidé à rechercher la princesse. J’ai atteint le palais de glace que la reine avait construit, et ai réussi à capturer la reine. J’ai bien tenté de la tuer et de maquiller son meurtre en accident, mais cela a raté ; et Raiponce (arrivée avant moi sans que je sache comment), toujours prompte à ruiner mes plans, m’a bien fait comprendre qu’elle filerait aussitôt à Corona si jamais quelque chose devait arriver à Elsa. Je ne pouvais me le permettre et risquer une guerre avec son royaume, étant assuré à présent que Raiponce est informée de mes véritables intentions. Elle ne doit pas rentrer chez elle en vie, ou mon règne ne connaîtra pas de repos.

29 juillet 1839, midi
Une émeute a eu lieu au royaume. Un citoyen a perdu la vie et Norway a été légèrement blessé, mais Raiponce a stabilisé la situation le temps que j’intervienne. Weselton était responsable de ce chaos, et avait été envoyé au cachot ; alors que je pensais le faire exécuter, il m’a informé de la récente capture d’Eugène, ce qui m’a rendu plus enclin à la clémence. Je l’ai libéré après l’avoir prévenu qu’un seul faux pas supplémentaire lui ferait perdre sa tête. Je vais me rendre dans la cellule d’Eugène pour le questionner sur les agissements de Raiponce ; et si je mets la main sur la princesse, je parviendrais peut-être à l’éliminer en même temps que son époux. A ce sujet, Heinrich pourrait peut-être m’être encore utile.


-Alors Hans n’est pas responsable de l’empoisonnement de Pascal, comprit Raiponce. Si Magnus a réellement tenté de le tuer et fait de mon caméléon un dommage collatéral, il aura affaire à moi. Mais pourquoi parle-t-il d’Heinrich ? Que veut-il-

La princesse fut interrompue par une nouvelle ouverture de la porte, et elle et son époux se levèrent pour reculer précipitamment. Eugène parvint à dissimuler le journal dans sa poche avant qu’un individu blond entrât dans la cellule : Heinrich. Son visage impassible ne trahissait aucune émotion ; il était aussi stoïque qu’une roche marquée par nul siècle. Il portait les mêmes vêtements que lors du procès, mais était cette fois ceint de son épée. Le jeune homme referma la porte derrière-lui.

-Heinrich ! s’exclama joyeusement Eugène. Alors, tu viens nous libérer ? Je savais que Hans ne pourrait pas te garder longtemps prisonnier !

Non, réalisa Raiponce avec horreur. Il est venu pour… C’était évident. Tout semblait avoir mené à cet instant : la trahison de Raiponce lors du procès, la prétendue condamnation à mort d’Heinrich, la réunion improbable de la princesse et son époux dans la même cellule. Hans avait envoyé Heinrich les assassiner. Le milicien déchu dégaina son arme, la mine sombre.

-Je ne libérerai rien d’autre que vos corps de votre misérable existence, asséna froidement le jeune homme.

Le sourire d’Eugène se figea, et il regarda alternativement Raiponce et Heinrich.

-Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda-t-il avec prudence.

-Tu sais parfaitement ce que je veux dire, répliqua Heinrich. Vous avez détruit ma vie, tous les deux. Eugène, toi qui te disais mon ami, mon frère, m’as abandonné comme un moins que rien à l’orphelinat. Et lorsque la fortune t’a souri, que tu t’es amouraché de la princesse de Corona et t’es installé au palais, as-tu tenté de me retrouver et de prendre de mes nouvelles, comme je m’y attendais pourtant ? Que dalle. Tu t’es bien vite habitué à ta nouvelle vie bien confortable, sans te soucier de tes anciens camarades. Je suppose que tu ignorais que je m’étais présenté aux portes du palais peu après le retour de Raiponce, espérant y être reçu. J’en ai été renvoyé, et menacé d’être jeté dans un cachot si je devais remettre les pieds dans les environs ! C’est pourquoi je me suis tenu à l’écart pendant les années qui ont suivi, malgré les différentes occasions qui se sont présentées. Et même une fois parti à Arendelle, je n’ai jamais oublié. Mais malgré ma rancœur, j’ai naïvement tenté de renouer les liens du passé, après ton arrivée et celle de ta femme. Raiponce, tu m’as même redonné l’espoir d’une vie meilleure. Tout ça pour qu’il me soit arraché quelques heures plus tard et que tu m’abandonnes comme ton époux l’avait fait avant toi. Je suis sûr que tu m’aurais facilement oublié ensuite ; mais après qu’Eugène ait été emprisonné, il te fallait mon aide. Tu m’as utilisé comme un pantin, et manipulé pour que je libère Eugène et tue Hans ! Evidemment, quand ça a mal tourné, tu n’as pas hésité à te retourner contre moi et à mentir pour que Hans me condamne à mort. Mais tu n’avais pas prévu que Hans reviendrait sur sa décision. J’ai été très surpris lorsque je l’ai vu arriver dans ma cellule il y a quelques heures à peine. Il m’a fait une proposition : je pourrais retrouver mon grade et ma liberté, à condition que je vous assassine toi et Eugène. Il laisserait ma cellule ouverte, et je n’aurais qu’à intervenir au moment où vous seriez réunis dans une même cellule. En signe de bonne foi, il a proposé de faire enlever Bjorn et de me le livrer dans cette cellule pour que je me venge de lui. Je dois dire que je n’ai pas longuement hésité…

Il dégaina son épée. La lueur des torches accrochées aux murs se reflétait dans ses yeux froids. Raiponce, horrifiée, regarda le monstre qu’était devenu Heinrich. J’en suis responsable. Tout est de ma faute. Eugène esquissa un mouvement vers son ancien ami, mais Raiponce fut plus rapide. Elle se plaça directement devant l’ancien milicien, et le regarda droit dans les yeux en faisant fi de la lame pointée sur sa poitrine.

-Heinrich, écoute-moi, intervint-elle d’un ton suppliant. Tu as parfaitement le droit de te sentir trahi, et de chercher justice. Mais s’il te plaît, s’il subsiste dans ton cœur une dernière trace de pitié, prends un moment pour entendre ce que j’ai à dire.

Le vert de l’espérance et le noir de l’obscurité s’affrontèrent un instant dans le regard échangé entre Raiponce et Heinrich. Le jeune homme contractait les mâchoires à se les briser, et ses jointures de phalanges étaient blanches, enserrées autour de la poignée de son épée. Il n’avait qu’à plonger sa lame dans le cœur de Raiponce pour mettre fin à ses jours, et la princesse le savait. Mais Heinrich ne broncha pas, et s’il ne donnait aucun signe de relâchement, il ne montrait pas non plus qu’il s’apprêtait à passer à l’acte. La princesse fit un signe à Eugène afin qu’il demeurât immobile et poursuivit donc, n’ayant rien à perdre.

-Ce que j’ai fait est inexcusable. Crois-moi, je le sais. Je t’ai utilisé et j’ai risqué ta vie, avant de te laisser en pâture à Hans. Mais tu te trompes, Heinrich, en croyant que j’ai fait tout cela sans états d’âmes ; pas une seule minute ne passait sans que je n’éprouve des doutes, puis que je ressente des remords pour tout ce qui t’est arrivé. Sache que je ne me pardonnerai jamais cette souffrance dont j’ai été la cause. Mais sache aussi que jamais je n’aurais agi de la sorte si une autre solution s’était présentée à moi. Ces derniers jours, je n’ai jamais été aussi bouleversée, aussi irrationnelle, aussi peu moi-même. J’ai compris le jour de mon arrivée ce que je t’ai révélé ensuite : que Hans était venu à Arendelle pour obtenir le pouvoir. Dès lors, je n’ai eu de cesse de tenter de l’arrêter, parfois de façon cruelle et stupide. J’imaginais que quel que soit le mal que je pourrais causer, il serait toujours moindre à celui que ferait Hans en devenant roi. J’ai sombré peu à peu dans des ténèbres si profondes qu’elles menacent à présent de m’engloutir toute entière. J’ai fait des choses dont je ne suis pas fière. Je t’ai demandé de commettre un assassinat, avant de te laisser être condamné à mort ; mais j’étais prise au piège, et aveugle à toute autre solution. Je pensais que si je disais la vérité lors du procès, nous serions tous les deux condamnés à mort, et que mon sacrifice serait vain, assurant de plus à Hans de pouvoir régner sans partage. C’est pour cette raison que j’ai menti, Heinrich. Je comprendrais que tu ne puisses pas me pardonner ; mais écoute au moins mes dernières paroles : j’ai pour toi une véritable amitié, et t’abandonner comme je l’ai fait m’a déchiré le cœur. Si tu épargnes la vie d’Eugène et la mienne, je te jure que je ferai tout pour racheter mes fautes auprès de toi.

L’impassibilité d’Heinrich se craquela sur son visage dur. Ses traits se détendirent, et une certaine émotion apparut dans son regard. Il ne dit mot, mais son épée s’abaissa légèrement. Des larmes de reconnaissance coulèrent sur les joues de la princesse.

-Je t’en supplie Heinrich, acheva Raiponce dans un sanglot, aide-nous à arrêter Hans pendant qu’il en est encore temps. Il a tué la Princesse Anna, et il est sur le point d’exécuter la reine. Nous n’avons plus beaucoup de temps. Tu peux encore devenir un héros…

Les yeux humides, Heinrich hocha fébrilement la tête, puis baissa le regard. Raiponce s’écarta pour le laisser s’avancer vers Eugène. Ce dernier lui posa une main amicale sur son épaule, souriant timidement.

-Je suis vraiment désolé de ne pas avoir cherché à renouer le contact, Heinrich. C’est sûrement la plus grosse erreur de ma vie.

L’ancien milicien le regarda brièvement, et répondit d’un court signe de tête.

-Oublie ça, marmonna-t-il en évitant son regard, c’est du passé.

-Non, je le pense vraiment, Heinrich. Je suis désolé de t’avoir oublié comme je l’ai fait, et pour tout le reste d’ailleurs ; te faire accuser pour le vol de la bague de Selvig était impardonnable.

Heinrich releva vivement les yeux sur Eugène, le fixant avec incrédulité.

-Mais de quoi est-ce que tu parles ?

-Tu le sais bien, répondit Eugène d’un air surpris. Je parlais de ce qui s’est produit avant-hier, lorsque j’ai volé la bague de Selvig pour la placer dans ta sacoche. Tu ne t’en rappelles pas ?

Heinrich continua de regarder Eugène, et fronça les sourcils. Il se tourna vers Raiponce. L’estomac de la jeune femme se noua, et sa poitrine sembla prête à s’embraser d’angoisse. Elle venait de se rappeler qu’Heinrich croyait toujours qu’Hans avait orchestré sa déchéance.

-Qu’est-ce qu’il raconte, Raiponce ? s’inquiéta Heinrich en faisant un pas vers la princesse. Ne me dis pas que…

Il s’immobilisa, et Raiponce n’osa répondre. Elle sentait qu’Heinrich venait de réaliser que la trahison qu’on lui avait infligée était encore plus grande qu’il ne le croyait. Le jeune homme retrouva son expression de rage froide, et raffermit sa prise sur son épée.
Il fit demi-tour, et marcha d’un pas assuré vers Eugène, alors que ce dernier reculait précipitamment. Raiponce ne réfléchit pas, et s’élança en direction d’Heinrich, lui agrippant son bras armé et tentant une dernière plaidoirie en le forçant à la regarder.

-Heinrich, s’il te plaît-

Mais le jeune homme la repoussa violemment et la fit tomber à terre. Il avait perdu la raison, et n’était plus disposé à écouter. Le temps de la parole était terminé : Heinrich était résolu, bien déterminé à éliminer Eugène et son épouse. Si une dernière miséricorde d’espérance avait brillé un bref moment dans son âme, elle venait de s’éteindre à tout jamais. Une armure de haine était érigée entre ce qui restait de son cœur noir et toutes les supplications que Raiponce aurait pu émettre. Rien n’aurait pu l’atteindre désormais, car il était tout à sa haine. C’est ce que vit la princesse en relevant la tête vers lui ; le visage transfiguré par la rage en devenait presque grotesque et méconnaissable. C’était une bête qui n’avait plus rien d’humain. Il bondit sur Eugène avec la vitesse d’un fauve, et lui porta un coup d’estocade comme le lion assène un coup de griffe. Adossé à la porte, Eugène esquiva maladroitement la lame, sans réussir tout à fait ; l’épée se ficha profondément dans son épaule, et le prince poussa un hurlement, glissant au sol en laissant une trainée de sang sur la porte.

Désespérée de voir son époux subir une telle souffrance, Raiponce ressentait presque sa douleur et son tourment : ainsi en allait de ceux qui s’aiment vraiment. La jeune femme lutta contre la fièvre de terreur qui la submergeait et rechercha frénétiquement quelque chose qui pourrait lui permettre de sauver Eugène, n’importe quoi plutôt que de le laisser mourir sans rien faire. Ses yeux paniqués s’immobilisèrent immédiatement sur un objet aux reflets métalliques : le poignard de Gothel. Il était demeuré dissimulé dans sa veste depuis la veille et venait de tomber au sol lors de la chute de la princesse, et cette dernière l’avait complètement oublié ; mais on ne l’avait pas fouillée avant de la jeter dans le cachot, et l’arme pourrait bien être le salut d’Eugène. Elle la saisit avec l’énergie du désespoir et se releva en titubant. Raiponce tint le poignard, la lame tournée vers l’arrière. Heinrich avait retiré son épée de la blessure d’Eugène et le surplombait, ombre terrible planant sur l’ancien voleur comme l’Ange de l’Abyme Abaddon ; et il leva son épée pour asséner le Jugement Dernier.

C’est à cet instant précis que Raiponce sut ce qu’elle devait faire. Il n’y avait plus à tergiverser : il n’y avait plus qu’une solution pour sauver l’homme qu’elle aimait. Oubliant sa morale, oubliant sa bonté, ne se souciant que de son cœur, Raiponce se glissa derrière Heinrich avec la discrétion et la rapidité d’un serpent. Là, elle plongea sa lame droit dans le cœur du jeune homme, à la peau rendue vulnérable par l’absence de toute protection. L’acte fut presque facile : comme le meurtre vient naturellement à celui qui est sur le point de perdre ce qu’il aime ! Le poignard s’enfonça dans la chair d’Heinrich comme dans du beurre, et sa tunique en lambeaux s’imbiba de sang alors qu’il poussait un cri de douleur et tombait à genoux. Heinrich tomba sur le côté, l’épée à la main, son sang s’écoulant abondamment de sa plaie d’où son assaillante avait retiré son poignard.

La princesse l’enjamba et s’agenouilla auprès d’Eugène, s’inquiétant de son état ; fort heureusement, sa blessure n’était pas mortelle, quoique douloureuse et handicapante. Mais en dépit de sa douleur, son époux semblait plus horrifié encore du sort d’Heinrich, le regardant avec tristesse et pitié. Le cœur lourd, Raiponce tourna la tête vers sa victime. Celle-ci fixait la jeune femme d’yeux emplis d’une haine indicible, et tentait vainement de soulever son épée. Raiponce songea qu’il devait se sentir mourir, car la peur submergea progressivement la rage dans son regard ; puis, même cette terreur disparut tout à fait, remplacée par une morne résignation, dans une expression presque déjà éteinte. Il se coucha lentement sur le dos et lâcha son arme, celle-ci retombant au sol dans un léger cliquetis. Cet abandon était celui d’un homme qui n’avait plus la volonté de se battre. Finalement, du sang envahit même la bouche du condamné, et le regard apathique d’Heinrich s’arrêta tout à fait. Raiponce l’avait tué.

___

Repose en paix, Heinrich ! A présent, Raiponce a franchi une nouvelle étape : le meurtre volontaire, envers une personne qu'elle avait démolie psychologiquement pendant plusieurs jours. Où donc s'arrêtera-t-elle ?


"L'imagination gouverne le monde." Napoléon Ier
Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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Voldago

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MessageSujet: Re: [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos [Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos Horlog11Mer 7 Mar 2018 - 23:56

Chapitre 19 : Fin de règne

Une ombre passa sur le front d’Eugène. Il regarda son épouse, et les mêmes regrets apparurent dans leur regard respectif. Légèrement tremblante, Raiponce essuya son poignard sur sa manche et le replaça à l’intérieur de sa veste. A ce moment, une main appuyée sur son épaule blessée, le prince se déplaça maladroitement jusqu’au cadavre de son ancien ami, et s’accroupit pour lui fermer délicatement les yeux.

-Il ne méritait pas cela, murmura Eugène. Ça n’aurait jamais dû arriver.

Raiponce se sentit injustement agressée, et pinça les lèvres. Elle eut un mouvement d’humeur et répliqua vivement :

-Tu crois que je voulais que ça se produise ? Il était sur le point de te tuer, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué ! Je n’avais pas le choix.

Son époux releva ses yeux tristes vers elle, et il soupira.

-Je le sais, Raiponce. Je… Je ne voudrais t’accuser de rien, mais-

-Mais quoi ?! explosa la princesse dans un sanglot de rage. Je l’ai poussé à bout ? J’ai détruit sa vie ? Je l’ai manipulé, trahi, torturé, transformé en monstre ? Tout cela, je le sais déjà ! Penses-tu que ça m’a fait plaisir de le tuer ? Peut-être que tu l’ignores, mais tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi. Pour nous. Pour Arendelle et Corona. Tu n’as aucune, aucune idée d’à quel point j’ai pu en souffrir depuis notre arrivée ici !

-Raiponce, je te promets que je sais-

-Merde ! Tu n’en sais rien du tout, Eugène ! Chaque nuit, je fais des cauchemars plus horribles les uns que les autres. Mon passé me hante, je revois chaque nuit tous ceux que j’ai laissés derrière moi et qui ne sont plus. Jour après jour, la situation a empiré. J’ai été rejetée par ma propre cousine qui m’a renvoyée la responsabilité de la mort de ses parents, quelques heures avant qu’elle s’enfuie en gelant tout le royaume à cause d’un conseil que j’ai donné à sa sœur ! Je n’arrivais plus à penser rationnellement, j’étais perpétuellement en souffrance. Pour moi, réparer mes fautes était une question de vie ou de mort. Quand j’ai compris que Hans était venu dans de mauvaises intentions, j’ai saisi l’occasion qui se présentait. Je me suis juré de tout faire pour l’arrêter, quel qu’en soit le prix. Alors, j’ai cherché à m’opposer à sa première décision d’importance, la création de sa foutue milice. D’ailleurs, n’étais tu pas d’accord avec moi, même en sachant que cela coûterait à Heinrich sa place ? Nous savions tous deux ce qui aurait pu arriver si Hans disposait d’une force armée et loyale ! Peut-être y avait-il un autre moyen. Mais je ne le connaissais pas. Sais-tu au moins que cela m’a arraché le cœur de voir Heinrich être à ce point humilié ? Probablement pas. De toute façon, tu ne peux rien dire sur ce sujet Eugène, tu as même participé à l’affaire !

-Mais Raiponce, ce qui s’est produit ensuite-

-Quoi ? La mort de Selvig ? Tu sais très bien que s’il avait parlé, c’en aurait été fait de nous tous et du royaume ! Sa vie valait-elle plus que toutes les nôtres ? Il a choisi son propre destin en menaçant de nous dénoncer ! Sur le moment, j’ai cru qu’il n’y avait qu’une seule chose à faire pour préserver notre sécurité et nous permettre de continuer le combat. Alors quand Weselton a ordonné à ses roquets de l’éliminer, je n’ai rien dit, parce que je pensais que nous devions régler le problème immédiatement pour conserver le secret. Maintenant, je réalise que nous aurions pu le maintenir en captivité le temps que la crise se termine ; mais Weselton m’a prise de court. Je n’aurais pas accompli ce meurtre moi-même. Ma seule faiblesse a été d’en être complice. Mais peut-on m’en vouloir, alors que j’avais pour seul but de protéger toutes ces autres vies ?

-Je comprends, mais lors de mon évasion…

-Est-ce que ce serait ma faute si j’ai dû venir te libérer ? Qui a eu l’idée de voler le journal de Hans ? Qui a perdu son sang-froid et s’est fourré dans la merde en allant l’agresser ? Tu m’as laissée toute seule Eugène, toute seule au milieu de ces aristocrates froids et égoïstes qui ne se souciaient que de leur petit confort, toute seule face à Hans ! Comment peux-tu être assez ingrat après tout ce que j’ai fait pour te sauver ? Penses-tu que j’aurais dû tenter de te faire évader seule ? Je n’aurais pas eu la moindre chance ! J’avais besoin d’Heinrich. Alors oui, je lui ai menti et l’ai utilisé pour pénétrer à l’intérieur du donjon. Cela n’en valait-il pas la peine ? Je t’ai sauvé, après tout, non ?

-Oui, mais tenter de tuer Hans-

-J’avais peur ! Je ne savais pas ce que je pouvais faire pour l’empêcher de tuer Elsa. Après avoir lu son journal, j’avais compris que le temps pressait et qu’il saisirait la première opportunité d’assassiner ma cousine. Sans preuve pour le confondre, j’ignorais quoi faire à part… A part le tuer. Que pouvais-je faire d’autre, Eugène ? Que pouvais-je faire d’autre ?

-Je ne sais pas, Raiponce.

-Bien-sûr que tu ne sais pas ! Il n’y avait rien d’autre à faire.

Il y eut un court silence. Presque à court d’objections, Eugène tenta une dernière fois de revenir à la charge, comme s’il voulait changer le passé et le destin d’Heinrich en cherchant un hypothétique chemin que Raiponce aurait pu emprunter. Ou bien peut-être désirait-il obtenir de son épouse la certitude que les choses devaient bel et bien en être ainsi.

-Tu n’avais pas besoin de le dénoncer lors du procès, laissa-t-il tomber.

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Raiponce, submergée par une pression de cent atmosphères, libéra d’un seul coup toute la rage qui lui restait.

-TU N’ETAIS PAS AU PROCES ! hurla-t-elle. Heinrich m’avait mise dos au mur ! Je n’avais que deux possibilités : tout avouer ou décharger ma responsabilité sur lui. Tu m’as entendue, tout à l’heure, non ? Si j’étais tombée avec lui, cela ne l’aurait avancé à rien. Oui, je l’ai abandonné, mais cela m’a permis par la suite de sauver Elsa lorsque sa vie était en danger, et d’arrêter l’émeute avant qu’elle ne dégénère.

Raiponce s’arrêta un instant. Ses yeux étaient rougis par ses larmes, et sa bouche émettait une voix rauque de ses sanglots.

-J’ai fait toutes ces choses. Je ne m’en croyais pas capable, je ne voulais même pas en être capable. Mais je les ai faites tout de même. J’ai écarté la morale, la douceur, l’innocence. J’ai commis des meurtres et ai laissé une trainée de cadavres derrière moi. Peut-être que je ne pourrai plus jamais me regarder dans une glace, mais ça n’a pas d’importance. Sais-tu pourquoi ça n’a pas d’importance ? Parce que je t’aime. C’est mon amour qui m’a donné la force de changer et de surmonter mes peurs. J’ai tout sacrifié, pour toi, Eugène, pour ne pas te voir mourir dans ce désert de glace, si loin de chez nous. Toi qui m’avais sauvée il y a toutes ces années, libérée de cette tour dans laquelle j’étouffais, je te devais mon bonheur et ma raison de vivre. Ne comprends-tu pas à quel point je t’aime, et jusqu’où je suis prête à aller pour que nous puissions retourner chez nous sains et saufs ?

Sur ces mots, le silence se fit totalement. Les deux époux dévastés se fixèrent longuement. Puis, comme une ultime fois brisés par les terribles événements qui s’étaient abattus sur eux, ils s’effondrèrent l’un dans les bras de l’autre et pleurèrent pendant un certain temps, libérant finalement les restes de leurs tourments. La tête de Raiponce était nichée au creux du cou d’Eugène, et la princesse songeait à quel point ce « séjour » à Arendelle l’avait poussée au bord de l’abime. Elle recula et sourit timidement à son époux. Ce dernier ferma les yeux, ébranlé et contrit.

-Je suis désolé, Raiponce. Jamais je n’aurais dû douter de tes raisons. J’ignorais tout ce que tu avais pu ressentir, tout ce que tu avais pu endurer. Pardonne-moi, s’il te plaît.

Pour toute réponse, la princesse l’embrassa. Elle et Eugène restèrent un moment enlacés, et auraient pu demeurer ainsi encore plus longtemps, si l’air ne s’était pas soudainement refroidi. Raiponce se dégagea, interloquée, et entendit ce qui lui paraissait être le gel et le craquellement des murs du donjon, quoique le phénomène ne se produisît pas dans leur cellule. Elle se rappela alors qu’Elsa était sur le point d’être exécutée.

-Eugène, s’exclama-t-elle, nous devons sauver Elsa !

-Tu as raison, l’approuva son époux. Sortons d’ici, sa cellule ne devrait pas être loin.

La princesse s’approcha de la porte de leur cachot, mais entendit plusieurs voix lui parvenir de manière assourdie alors qu’elle allait ouvrir. Elle recula prudemment, inquiète, et son regard se posa sur le cadavre d’Heinrich et sur l’épée tombée à son côté. J’en aurai plus besoin que lui. Raiponce se baissa pour ramasser l’arme écarlate du sang d’Eugène, avant de revenir vers la porte, d’où elle entendit l’échange suivant :

-Dépêchez-vous !

-Elle est dangereuse, nous devons agir vite !

-Attention…

-Impossible d’ouvrir !

-C’est à cause de la glace.

Des interjections et de puissants grincements s’ensuivirent, puis un grand craquement et le choc sourd du bois s’écrasant au sol. Raiponce tira la porte et se glissa à l’extérieur. Plus loin dans le couloir des quartiers des prisonniers, elle découvrit Hans et quatre des gardes du royaume sortir au pas de course d’une des cellules et s’élancer vers la sortie du donjon, la direction opposée à l’endroit où se trouvait Raiponce. Cette dernière se précipita à leur suite, et s’arrêta brièvement devant la cellule qu’ils avaient quittée. Le cachot était éventré et couvert de givre, des menottes brisées et tordues gisant au sol, attachées à une chaîne blanchie par la glace ; une ouverture béante menait au fjord gelé, quelques dizaines de mètres plus bas, et un vent froid et enneigé s’engouffrait pour faire frissonner la princesse. Elsa y avait certainement été enfermée et venait de s’en échapper en sautant du haut du donjon. J’ignore si je pourrais la retrouver en partant dans sa direction. Le plus simple serait de suivre Hans et l’arrêter avant qu’il ne la rattrape. Raiponce se retourna vers son ancienne cellule, cherchant Eugène des yeux. Il était adossé à un mur et semblait mal en point, clignant lentement des yeux. Un coup d’œil suffit à Raiponce pour comprendre qu’il ne pourrait pas lui venir en aide.

-Je dois les suivre, dit-elle d’un ton peiné.

-C’est trop dangereux, Raiponce, répondit son époux en secouant la tête. Je ne peux pas te laisser faire ça.

-Il le faut, Eugène ! s’écria-t-elle en retournant auprès de lui. Donne-moi le journal, vite !

A contrecœur, le prince le lui céda. Raiponce le rangea dans l’une des poches de sa veste et repartit à reculons, regardant tristement son époux et ignorant si elle devait le revoir dans ce monde ; tant de sentiments, tant d’émotions que n’auraient pu transcrire tous les mots du monde ! Mais les yeux d’Eugène les captèrent, et Raiponce fit volte-face pour s’élancer à la poursuite de Hans. Assurée que son époux eût connaissance de l’ampleur de son amour pour lui.

Raiponce ressentit les effets du froid s’aggraver durant sa course, des picotements sur ses membres se faisant ressentir et du givre apparaissant progressivement sur les dalles et murs du donjon. La reine n’avait jamais connu une telle panique, et sa magie le faisait sentir. Pourvu que j’arrive à temps. La jeune femme accéléra davantage encore, passant comme une flèche à travers la salle d’entrée du donjon –fort heureusement vide de toute présence humaine- et jusqu’aux murailles d’Arendelle. Raiponce y resta immobile, incertaine de la direction à emprunter, quand elle sentit que le vent déjà fort se levait plus encore, assez pour déstabiliser la jeune femme et manquer de la faire tomber. Le cœur alourdi d’une nouvelle inquiétude, la princesse regarda autour d’elle ; et assista à un nouveau phénomène plus terrible encore. Une fumée grise et très épaisse s’élevait progressivement et s’enroulait autour du château et de ses environs, grondant et tempêtant comme un ouragan hivernal. La visibilité fut bientôt complètement nulle, et Raiponce chercha aussitôt à ouvrir la trappe qui menait à la cour du château, avant d’être engloutie par la fumée. Elle y parvint tant bien que mal, et se glissa dans l’ouverture avant de refermer la trappe et de se frayer un chemin à travers les couloirs étroits et sinueux de la muraille. Tous les gardes avaient disparu, probablement réfugiés à l’intérieur du château.

La température diminuait à une vitesse alarmante, et la glace semblait poursuivre la princesse, formant stalactites et stalagmites tout autour d’elle. Elle sentait que la porte ouvrant sur la cour pouvait bien être gelée, et qu’elle serait alors piégée ; la respiration haletante et brumeuse, Raiponce continua sa route en évitant les pics de glace qui se formaient, tantôt en se baissant, tantôt en se plaquant contre les murs. La porte de bois apparut bientôt. La jeune femme voulut l’ouvrir, mais le gel faisait déjà son œuvre ; luttant de toutes ses forces, poussant un cri défiant, Raiponce persista néanmoins, parvenant même à déplacer la porte de quelques centimètres en avant malgré le givre et la tempête. Encouragée par ce succès, elle continua encore et encore ; et petit à petit, elle réussit à dégager une ouverture. Raiponce s’y faufila aussitôt, mais n’y voyait cure à l’intérieur de la cour du château tant les tombées de neige étaient fortes. Seules de vagues silhouettes dansaient devant elle, et Raiponce crut apercevoir des formes courir vers le château. Peut-être qu’il s’agit d’Hans et de ses hommes. A court d’idées, elle réussit à se diriger vers la porte d’entrée du château de mémoire. Engourdie par le froid, la princesse se sentait envahie par des images et bruits étranges et incohérents : un navire englouti par les flots, une femme chutant du haut d’une tour, un incendie dans un château, des murmures venus d’outre-tombe, un jeune homme au visage juvénile et aux yeux marron l’observant silencieusement. Je dois continuer. Elle faillit trébucher sur un obstacle dur et de petite taille. Des traces de pas en avaient dégagé une partie et le rendaient visible : il s’agissait d’une marche d’escalier. Raiponce était parvenue à l’entrée du château. Mais elle était frigorifiée et épuisée, et gravir l’escalier se montra être une épreuve achevant de l’exténuer. La fatigue lui fit perdre l’équilibre à l’avant-dernière marche ; son pied glissa en arrière, et sa tête heurta durement le sommet de l’escalier, dont la neige avait été malheureusement rendue plus fine par le passage de Hans et de ses hommes. La jeune femme perdit connaissance.

L’obscurité était totale ; et pourtant, Raiponce voyait Gothel comme en plein jour. La femme était vêtue d’une robe carmin d’un autre âge, telles celles que portaient les nobles de la Renaissance.

-Pourquoi êtes-vous revenue me torturer ? s’écria Raiponce. Pourquoi ne partez-vous pas à tout jamais ?

-Mais parce qu’il y aura toujours une part de moi en toi, mon trésor, répondit Gothel.

Sa voix glaça le sang dans les veines de la princesse. Elle était de miel et d’acier.

-Vous et moi n’avons rien en commun ! proclama la jeune femme.

-Vraiment ? fit Gothel après un ricanement mauvais. Tous ces complots, trahisons et meurtres… Je te félicite, je n’aurais pas fait mieux. Et si je ne m’abuse, c’est avec mon poignard que tu as assassiné Heinrich, de la même manière dont je l’avais utilisé pour transpercer ton époux. Telle mère, telle fille.

-VOUS N’ÊTES PAS MA MERE ! hurla Raiponce.

La princesse, emportée par sa rage, se jeta sur Gothel. Les paroles de cette dernière l’avaient atteinte au cœur, et lui causaient d’autant plus de douleur que Raiponce les savaient vraies. Plutôt que d’admettre cette réalité inacceptable, la jeune femme redirigeait sa souffrance et sa colère sur Gothel ; et elle l’aurait peut-être réduite en charpie, si un mur invisible ne s’était pas dressé entre Raiponce et sa cible. La jeune femme rebondit sur la surface et tomba en arrière. Elle se releva sans comprendre, et l’environnement autour d’elle s’illumina soudainement. Raiponce se trouvait à l’intérieur de sa tour, et ce qu’elle prenait pour un mur n’était que le verre de son miroir. Gothel la regarda d’un air goguenard, comme la défiant de l’attaquer. Raiponce portait une épée à sa ceinture : sans réfléchir, la princesse la dégaina et transperça le miroir par l’acier. Dès que la lame entra en contact avec le verre, ce dernier se craquela en une infinité d’éclats ; et chacun d’eux reflétait l’œil vert de Raiponce… où était-ce le regard gris de Gothel ?

Le miroir resta un instant figé de cette façon, alors qu’il suintait un sang noir et visqueux qui rongeait l’acier de Raiponce et lui faisait exhaler une fumée à l’odeur pestilentielle. Puis, le verre se brisa totalement, et une forme bondissante surgit à travers les éclats pour se précipiter sur Raiponce : Gothel était sortie du miroir, et ses mains squelettiques enserraient le cou de la princesse. La jeune femme se défendit en agrippant les poignets de son ennemie, et leur lutte les amena toutes deux à se heurter au muret situé sous la fenêtre ouverte de la tour. Raiponce risqua un regard en direction du sol, et ne put retenir une exclamation de frayeur. Plusieurs dizaines de mètres plus bas, une terrible tempête de glace avait gelé tout le paysage et projetait des particules de givre partout dans les environs. Un combat acharné se déroula alors entre la princesse et Gothel, chacune tentant de précipiter l’autre vers une mort certaine. La vieille femme était grande et disposait d’une force surprenante, mais Raiponce avait pour elle une volonté de fer, celle d’une femme dont les êtres aimés sont menacés. La princesse surmonta tous ses doutes et ses regrets, et saisit Gothel par la taille, avant de la soulever avec un cri de défi. Raiponce défenestra sa « mère » et lâcha prise alors qu’elle se trouvait au-dessus de l’enfer de glace. Mais les doigts longs et crochus de l’une des mains de Gothel s’agrippaient fermement à la main de Raiponce.

-Lâchez-moi ! hurla la princesse.

-Je ne peux pas, petite fleur, sourit Gothel d’un air machiavélique.

-Je vous dis de me lâcher ! Pourquoi ne pouvez-vous pas accepter la réalité ? Vous êtes déjà morte depuis des années !

-Dans ce cas, pourquoi continues-tu de me retenir ? demanda Gothel.

Raiponce allait contredire la vieille femme, quand elle réalisa quelque chose d’effroyable. Ce n’était pas Gothel qui s’accrochait désespéramment à la vie.

C’était elle qui refusait de la laisser partir. La princesse s’aperçut que c’était sa propre main qui retenait le poignet de Gothel et l’empêchait de tomber. Une larme coula sur sa joue pâle quand elle comprit enfin qu’une partie d’elle ne s’était jamais totalement pardonnée la mort de sa « mère », malgré tout le mal qu’elle lui avait fait.

-Toi et moi ne sommes qu’une, souffla Gothel. Tu as besoin de moi.

La princesse aurait voulu répliquer d’un trait acerbe, démentir Gothel, mais les paroles désirées ne vinrent pas à elle. Qu’importe combien elle désirait lâcher prise, cela lui était impossible. Puis, une série d’images lui vint en tête : sa première rencontre avec Eugène, leur premier baiser, leur mariage… Et elle trouva la force de tenir tête à Gothel.

-Vous vous trompez sur moi, affirma Raiponce. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par amour, alors que vous ne vous souciiez que de votre jeunesse éternelle. Au moment de votre mort, vous n’aviez plus rien ; mais j’aurais toujours le soutien de ceux que j’aime, et je continuerai de vivre à travers eux. Je n’ai pas besoin de votre haine… Je n’ai pas besoin de vous.

Pour la première fois, le sourire de Gothel disparut de son visage. Et lorsque Raiponce lâcha prise, le hurlement de la vieille femme fut de terreur et de sang. Gothel tomba et disparut dans la terrible tempête, et sa voix s’éteint pour ne plus jamais être entendue.
Une autre prit sa place, joyeuse, insouciante, emportant Raiponce hors de ce cauchemar et la ramenant à l’éveil : « Bonjour ? Est-ce que vous dormez ? » La princesse se releva, et se frotta le front en grimaçant. Elle poussa un cri surpris en ouvrant les yeux : un bonhomme de neige se trouvait devant elle. Vivant. Son corps était composé d’une boule de neige de taille moyenne sur laquelle se tenait une autre de taille plus modeste, et une tête grotesque où l’on pouvait voir une carotte en guise de nez, une unique dent descendante, deux yeux globuleux, et trois brindilles plantées sur le sommet de son… crâne ? En lieu et place de bras, deux branches étaient encastrées dans son corps, ainsi que deux boutons incrustés l’un au-dessus de l’autre. Mais cette fastidieuse description ne devait pas faire oublier l’élément principal : ce bonhomme de neige venait de parler. Raiponce n’eut alors plus de doute quant à sa santé mentale, et se crut définitivement perdue. Elle monta vivement le restant des marches et recula avec frayeur, mais l’inquiétante apparition l’y suivit en bondissant.

-Bonjour, je m’appelle Olaf et j’aime les gros câlins ! s’exclama-t-il joyeusement. Sauriez-vous où se trouve Anna ?

La princesse déglutit difficilement. Ce doit être une création d’Elsa, en fin de compte. Je ne suis pas encore folle.

-Sans doute ? hésita-t-elle. J’ai entendu dire qu’elle se trouvait dans la bibliothèque.

Elle ne voulait pas avouer à cet « Olaf » qu’Anna avait perdu la vie.

-Splendide ! s’enthousiasma Olaf. Pouvez-vous m’y emmener ?

Je n’ai pas le temps pour ces conneries.

-Non, répliqua-t-elle brutalement en poussant difficilement les portes du château.

Mais le bonhomme de neige s’engouffra à l’intérieur avant que la princesse ne puisse les refermer. La température y était légèrement plus supportable, et le givre n’avait pas encore pris possession des lieux.

-Vas-tu me laisser tranquille ? s’agaça Raiponce alors qu’elle se précipitait vers la salle du trône.

-Je ne crois pas, s’amusa Olaf en sautillant à sa suite. Anna est blessée et a besoin d’un baiser de son grand amour, Hans, pour retrouver la santé !

Raiponce et son compagnon d’infortune étaient arrivés à l’entrée du grand salon, et les portes étaient ouvertes. Cela explique pourquoi Anna s’est retrouvée seule avec Hans. Bien sûr, ce dernier ne pouvait donner une preuve d’amour sincère à une femme qu’il considérait comme un pion. La princesse resta silencieuse, et avança à pas de loups à l’intérieur de la salle entièrement vide. Le curieux bonhomme trottinait toujours derrière elle. Autour de la jeune femme, les bases colonnes de bois soutenant le toit se couvraient progressivement d’une glace émettrice d’une fine brume givrée. Le trône était vacant. Alors que Raiponce s’arrêtait devant le siège royal, perplexe, elle entendit des voix en provenance des sorties de la pièce, situées plusieurs mètres à droite et à gauche du trône :

-Il n’y a plus de temps à perdre. Il nous faut nous lancer à la poursuite de la reine immédiatement.

Hans. La main de la princesse se crispa sur son épée.

-Absolument, Prince Hans, geignit Weselton. Ce monstre doit être éliminé au plus vite.

-Soyez sûrs que nous vous soutenons, renchérit le dignitaire espagnol.

-La garde d’Arendelle sera à vos côtés, intervint Norway.

Les voix se rapprochaient. Raiponce recula instinctivement, Olaf en faisant de même, mais il était déjà trop tard : Hans, accompagné de tous les ambassadeurs et d’une vingtaine de gardes, surgit à grands pas à l’intérieur du grand salon. Il portait son ample manteau vert à ceinture, ressemblant ainsi au sombre assassin qu’il était. Sa troupe était menée par Norway, qui s’était vite remis de sa blessure et dont la plaie avait été soignée par des points de suture. Le roi autoproclamé stoppa son mouvement en s’apercevant de la présence de Raiponce et d’Olaf ; ne sachant ce qui le surprenait le plus, son regard alterna avec hébétude entre le bonhomme de neige vivant et la princesse qu’il croyait déjà morte.

-Princesse Raiponce ! siffla Hans. Comment vous êtes-vous échappée ? Et quel est cette chose qui vous accompagne ?

-C’est un monstre créé par la reine ! glapit Weselton. La sorcière et la Princesse Raiponce s’unissent pour nous anéantir !

-Je ne suis pas un monstre, protesta le bonhomme de neige. Je m’appelle Olaf, et j’adore les câlins ! Je cherche la Princesse Anna. Pouvez-vous me dire où se trouve la bibliothèque ?

Il était évident pour Raiponce qu’Hans allait immédiatement révéler à l’innocent bonhomme de neige qu’Anna avait péri ; mais au lieu de cela, le prince eut une réaction étonnante : pendant un instant, il fixa Olaf d’un œil dans lequel la jeune femme aurait juré déceler une fulgurante peur. Il ne fallut à la princesse qu’une seconde pour comprendre la raison de son émoi : Hans ne voulait pas que l’on voit Anna. Ce qui signifiait… qu’il avait menti en prétendant qu’elle était morte. Anna est toujours en vie. Ce salaud l’a enfermée en espérant qu’elle meure à petit feu. A l’immense soulagement et l’indescriptible joie qui s’emparèrent de Raiponce se substitua aussitôt la terrible angoisse de perdre à nouveau sa cousine. Voyant Hans s’approcher d’Olaf avec un air lugubre, Raiponce s’interposa, dégaina immédiatement sa lame et la pointa droit sur son ennemi, le faisant bondir en arrière et le forçant à se tenir à distance respectable. Les vingt gardes se saisirent en réponse de leurs propres armes et entourèrent Hans de leur protection virile. La princesse s’adressa vivement à Olaf sans quitter Hans des yeux, tandis que le prince posait sa main sur la poignée de sa propre épée.

-Retourne sur tes pas et prends l’escalier le plus proche pour monter au dernier étage. Tu devrais trouver la bibliothèque sans trop de mal. Ne perds pas de temps, allez !

Une fois n’est pas coutume, la créature obéit sans discuter, et fila à l’anglaise en direction de l’entrée. Hans esquissa un geste pour partir à sa poursuite, et Raiponce sentit que la seule chance de survie d’Anna passait par le succès d’Olaf. Elle décida de tout faire pour retenir Hans le plus longtemps possible, et barra la route du prince avec l’épée qu’il tentait de contourner. Tenu en respect par la lame de Raiponce, il dut renoncer et darda alors la jeune femme d’un regard furibond.

-Saisissez-vous d’elle ! s’écria-t-il rageusement.

Les hommes d’Arendelle s’approchèrent dangereusement de la princesse, et commencèrent à se déployer autour d’elle. Finland était parmi eux, semblant obéir sans grande conviction.

-Pas si vite ! s’exclama Raiponce. J’ai quelque chose qui devrait vous intéresser.

Elle sortit de sa poche le journal de Hans. A cette vision, les yeux du prince s’agrandirent et le jeune homme serra les poings.

-Ceci ne vous appartient pas ! s’insurgea Hans.

-Vous reconnaissez donc que ce journal est le vôtre ? sourit malicieusement la princesse. Voilà qui me facilite les choses. Eh, messieurs les ambassadeurs, attrapez-ça !

La jeune femme fléchit le bras, avant de le tendre vivement en lançant le carnet au-dessus de la tête de Hans et de ses hommes, en dépit d’une vaine tentative du prince pour l’attraper au vol ; le journal effectua une courbe gracieuse, pour retomber dans la main du dignitaire français qui le rattrapa avec adresse. Tous portèrent leur attention sur le Français, y compris Hans et ses hommes qui se retournèrent vers lui. L’ambassadeur le soupesa et l’observa avec circonspection, avant de l’ouvrir et de feuilleter quelques pages. Au fur et à mesure que les mots et les révélations parvenaient jusqu’à ses yeux ébranlés, le visage de l’homme se décomposait. D’une main tremblante, il transmit le journal à l’un de ses collègues, et le manège se reproduisit avec l’ensemble des dignitaires étrangers.

-Quelles que soient les informations présentes dans ce journal, intervint Hans, soyez certains qu’elles sont fausses et qu’elles n’ont pas été écrites par ma main. Ce journal est une imitation grotesque.

-Dans ce cas, pourriez-vous nous dire où se trouve votre véritable journal ? demanda la princesse d’une voix mielleuse.

Le journal était parvenu aux mains de Weselton, qui fixait désormais le prince avec un certain dégoût. Venant de lui, cela était assez révélateur de l’ampleur de la monstruosité de Hans. Les autres le regardaient également, dans l’attente insupportable d’une réponse du prince qui infirmerait ou confirmerait les accusations de Raiponce. Mais Hans, le front en sueur, balbutia :

-Je… je ne l’ai pas sur moi.

-Prince Hans, intervint l’ambassadeur français d’une voix glaciale, il est pourtant indiqué sur ce journal que vous le gardiez toujours en votre possession depuis que le prince Eugène vous l’a volé.

-Mais cela est faux, puisque ce journal dont vous me parlez n’est pas le véritable exemplaire ! s’écria Hans.

-Cela me paraît peu probable, le contredit l’ambassadeur espagnol, puisque ce journal mentionne une de nos conversations, alors qu’aucun témoin n’était présent.

Il y eut un silence mortel. Raiponce sentit que la situation était en train de basculer en la défaveur du prince. Ce dernier finit par se ressaisir et secoua vigoureusement la tête.

-Nous n’avons pas de temps pour cela. Norway, vous arrêterez la Princesse Raiponce plus tard. En attendant, venez avec moi, nous devons rattraper la reine au plus vite.

Hans dépassa Raiponce pour se diriger vers la cour. La princesse le laissa passer : elle sentit qu’il ne tarderait pas à revenir de lui-même. En effet, le jeune homme s’arrêta et se retourna bientôt, comprenant sans doute que quelque chose n’allait pas. Il avait raison : aucun de ses hommes ne l’avait suivi. Ceux-ci et l’ensemble des ambassadeurs s’étaient rangés derrière Raiponce, comme supportant et soutenant silencieusement la princesse, et condamnant l’usurpateur.

-Qu’attendez-vous ? s’impatienta Hans.

-Vous prévoyiez d’assassiner le Premier Ministre, répliqua Norway. Il est hors de question que je vous suive. Nous attendrons ici son arrivée afin qu’il décide quoi faire de vous.

Durant l’échange, Raiponce s’était écartée pour laisser le prince face à ses anciens subordonnés, et marchait tranquillement pour se positionner entre Hans et la sortie.

-Il faudrait tout de même éliminer la reine, avança timidement Weselton.

-Mais nous savons à présent que nous avons été manipulés par le Prince Hans, refusa le Français. Il est à présent hors de question que nous l’exécutions !

Hans réalisa à cet instant qu’il en était terminé du soutien de la garde et des puissances étrangères, et son visage se convulsa de rage. Raiponce savoura le goût du triomphe : finalement, toutes ses manigances avaient porté leurs fruits, et la partie d’échecs qu’elle avait joué avec Hans venait de s’achever, la faisant émerger victorieuse.

-A présent, dit joyeusement Raiponce, il est temps de conclure. Déposez votre arme, Hans, et rendez-vous.

Lentement, l’usurpateur se retourna vers elle. Des éclairs dansaient dans ses yeux, ainsi qu’une haine à nulle autre pareille. Le jeune homme dégaina brusquement et se mit en garde.

-Jamais ! cria-t-il.

Raiponce sourit. Autour d’eux, le froid tempétueux s’infiltrait dans le château et dans l’atmosphère de la pièce. Du gel commençait à se former sur le parquet, et à gagner les murs.

-J’espérais que vous diriez cela, répondit la princesse alors qu’une volute de fumée s’échappait de sa bouche.

La princesse et l’usurpateur étaient parvenus au point culminant de leur relation. Raiponce se rappelait de leur première rencontre, où elle avait trouvé charmant ce jeune homme qui semblait si parfait. D’heure en heure, ses premiers soupçons étaient apparus, ainsi que la réalisation des véritables ambitions du prince. La jeune femme avait alors lutté dans l’ombre pour saper l’autorité de son adversaire par l’intrigue et le complot. Il lui avait fallu finalement révéler au grand jour son opposition, et agir de façon de plus en plus violente, enfreignant toutes les lois, qu’elles soient juridiques ou morales. La lutte s’était transformée en un combat à mort, chacun tentant par mille occasions de mettre fin à la vie de l’autre. Cette rivalité devait se terminer par un duel où l’acier rencontrerait l’acier, où l’affrontement physique supplanterait les tortueuses manigances. Raiponce avait par la plume privé Hans de tout soutien ; mais c’était par l’épée qu’elle voulait donner le coup de grâce.

Aveuglé par une rage démente, Hans se rua sur son ennemie, donnant un coup d’épée oblique dans sa direction. Raiponce fut surprise par la violence et la vitesse de l’assaut, et plaça immédiatement sa lame sur la trajectoire de l’épée du prince. Elle ne para l’attaque que de justesse, et se retrouva presque à genoux, utilisant la force de ses deux bras pour maintenir la lame à distance. L’épée de Raiponce était la seule chose qui empêchait celle de Hans de mettre fin à sa vie. La pression était telle que la jeune femme en était presque écrasée, lui faisant comprendre qu’elle ne pourrait pas résister plus longtemps. Hans se tenait au-dessus d’elle, les mâchoires serrées de rage. Raiponce s’aperçut qu’il était trop occupé à la fixer pour prêter attention aux lames qui s’entrechoquaient, et saisit l’occasion de se dégager tant qu’il était distrait. Elle fit coulisser son épée sur la gauche et fit un pas sur le côté dans le même temps, ne laissant soudainement plus aucun obstacle à l’arme du régent. Le jeune homme fut entraîné par sa propre force, et trébucha en manquant de tomber. Il siffla entre ses dents et attaqua une nouvelle fois ; mais cette fois-ci, Raiponce était prête. Elle esquiva chacun de ses coups par d’agiles mouvements de torse, laissant s’épuiser son adversaire. Plus d’une fois, l’épée du prince ne rata Raiponce que d’un cheveu ; un ample mouvement de Hans visant sa tête trancha même l’une de ses mèches. Mais la princesse demeurait autrement indemne, et prit même l’avantage en donnant un puissant coup de genou dans l’estomac de Hans. Ce dernier recula, plié en deux et le souffle coupé, ce qui permit à Raiponce de se reposer un instant. Elle remarqua alors que des pics de glace se formaient à grande vitesse, sur le sol et les murs de la salle du trône ; une couche de glace blanche recouvra rapidement toutes les surfaces du grand salon.

Durant le combat, les dignitaires et les gardes se tenaient prudemment à l’écart, dispersés autour d’un large cercle où s’affrontaient Hans et Raiponce. Norway, s’il avait l’intention de venir en aide à Raiponce, n’en donnait pas le moindre signe. Je me débrouillerai sans lui. Hans se remit bientôt de l’attaque de Raiponce, et se rua sur la princesse avec un hurlement bestial. Mais il semblait plus lent qu’auparavant, plus maladroit ; la jeune femme n’eut aucune difficulté à éviter cet assaut et à frapper la nuque du prince d’un coup du pommeau de son épée, ce qui lui arracha un nouveau cri. Il massa sa nuque endolorie en dardant son ennemie d’un regard furibond, et repartit à l’attaque. Chacun de ses coups était plus faible que le précédent, et le parquet qui gelait davantage à chaque seconde faillit le faire tomber à plusieurs reprises. La princesse ne prenait même plus la peine de les éviter, et les parait avec une facilité déconcertante. Elle avait laissé le jeune homme venir à elle durant tout le duel, lui faisant traverser la salle du trône de part en part. Alors que Hans se trouvait désormais le dos tourné au trône d’Elsa, Raiponce décida finalement que le moment était venu de passer à l’offensive. Elle porta plusieurs coups en direction de son adversaire, alternant feintes et frappes directes, et le prince ne se défendait qu’avec une grande peine. Le fracas des épées résonnaient dans le hall gelé. Hans reculait à chaque attaque, et était débordé par la précision et l’agilité de Raiponce. Il trouva néanmoins la force de tenter un dernier assaut, bien trop faible pour menacer la princesse. Cette dernière saisit le bras armé de son ennemi alors qu’il essayait de l’éventrer ; et de son épée, elle frappa l’arme d’Hans de toutes ses forces. Déstabilisé, le prince laissa s’échapper sa lame qui se fracassa au sol, juste devant le trône. Hans se dégagea, surpris d’avoir été désarmé, et fit un pas en arrière. C’est alors que Raiponce, finalement victorieuse, serra fortement son poing gauche et l’expédia dans la pomme d’Adam de l’usurpateur. Ce dernier en eut la respiration coupée, et porta sa main à sa gorge en titubant en arrière avant de s’effondrer sur le trône. Il toussota plusieurs secondes, et eut un terrible choc en relevant la tête : Raiponce se tenait debout devant lui, son épée à moins d’un centimètre de son cou. L’affrontement était terminé, et la princesse de Corona avait triomphé.

Etait-ce de la frustration, de la fureur, ou de la peur que Raiponce lisait dans les yeux du prince ? Probablement un mélange de tous ces sentiments. Hans se redressa sur le trône et plaqua sa tête contre le dossier, cherchant à s’éloigner le plus possible de la lame qui menaçait sa vie. Les spectateurs de la scène se rapprochèrent pour assister au dénouement, formant un arc de cercle derrière la princesse. Cette dernière se rapprocha et leva son épée, le visage comme illuminé par une colère enflammée. Enfin, Hans était à sa merci, et un seul geste le séparait de la mort. Raiponce était animée par une soif de sang bestiale, et était sur le point d’accomplir ce geste ; mais une voix la retint.

-Raiponce, tu n’as pas besoin de faire ça !

La princesse et tous les autres se retournèrent : c’était Eugène. Recouvert de neige de la tête aux pieds, seule sa blessure rougie dénotait avec son apparence autrement blanchie par les flocons de l’hiver. Il chevauchait Maximus qui se dirigeait au pas vers la princesse, avançant prudemment pour ne pas glisser sur la glace.

-Pourquoi devrais-je l’épargner ? se rebiffa Raiponce. Il nous tuerait tous, si on lui en donnait l’occasion.

-Mais tu n’es pas comme lui, la raisonna Eugène en descendant difficilement de Maximus et s’approchant d’elle. Tuer un homme désarmé, commettre un meurtre de sang-froid, ce n’est pas toi, Raiponce. N’oublie pas qui tu es…

Les mots de son époux firent écho dans la mémoire de Raiponce, et ce furent d’autres paroles qui surgirent du passé pour la ramener à la raison, celles de Jean. « Il n’est pas de monstre qui agit par amour véritable, et vous resterez vous-même tant que vous n’oublierez pas qui vous êtes, ni pourquoi vous écarterez morale et justice : pour sauver votre époux, votre famille, et votre royaume. », avait-il dit. Tuer Hans ne devait être qu’un moyen, un répugnant moyen de parvenir à sauver ceux que Raiponce aimaient ; mais cet assassinat avait fini par devenir une fin en lui-même. Je ne recherche pas la mort des autres. Des sentiments contradictoires luttèrent dans la psyché de la jeune femme : la rage et la sagesse, la cruauté et la bonté. C’est alors que surgit du plus profond de son être, l’ancienne Raiponce, la douce et innocente princesse qui n’aurait jamais voulu blesser qui que ce soit. C’était sa véritable nature, celle qui s’était progressivement enfouie et tue pour permettre à Raiponce de tout faire pour sauver ses proches, celle qu’elle avait un moment crue disparue, qui revenait. A présent que son ennemi était vaincu et que les siens étaient hors de sa portée, à quoi bon cette colère qui la rongeait ? A quoi bon cet élan furieux, qui déjà refluait et disparaissait, ne laissant en Raiponce qu’horreur pour ce qu’elle était sur le point de faire et regrets pour ceux dont elle avait causé la mort ? La jeune femme, finalement redevenue elle-même, abaissa lentement son épée.

Mais Hans n’en avait pas terminé, et son histoire n’était pas encore achevée. Dès qu’il comprit que Raiponce allait épargner sa vie, il saisit l’opportunité qui se présentait et bondit du trône, frappant la princesse d’un coup de boule dans la poitrine pour dégager le passage ; s’écrasant –une fois encore- au sol, la jeune femme vit Hans slalomer entre les stalagmites en récupérant au passage son épée, tombée au sol à la fin de leur duel.

-Je m’occuperai d’Elsa moi-même, et je reviendrai m’occuper de vous ! s’écria le jeune homme en écartant brutalement Weselton qui lui barrait la route.

Je ne peux pas le laisser faire ça. Tandis que Raiponce se relevait avec l’aide de son époux et que Maximus, handicapé par la glace et les stalagmites, ne parvenait pas à poursuivre Hans, ce dernier s’élançait vers la sortie du château avec l’énergie du désespoir. La princesse savait la vie de sa cousine en danger, et cette fois, elle n’hésita pas. La percée de Hans avait laissé un espace entre les personnes qui faisaient face à Raiponce ; et les fins stalagmites ne pouvaient servir d’obstacle entre la princesse et sa cible. Avec l’agilité et la vitesse du faucon, elle saisit son poignard dissimulé sous sa veste, et le projeta de toute sa force en direction de Hans. La lame tournoya, tournoya, tournoya dans les airs, alors que le prince était presque parvenu aux portes de la pièce. La dague parvint à l’arrière du crâne du jeune homme ; mais ce fut le pommeau et non la lame qui le frappa, sauvant ainsi sa vie. Cela déséquilibra néanmoins le prince qui tomba à genoux avec un grognement étouffé. Cependant, il se remit presque instantanément et parvint à quitter la salle du trône, refermant brutalement les portes derrière-lui ; son sort et celui d’Elsa étaient à présent entre les mains de leur destinée.

___

Plus que deux chapitres et l'épilogue ! Même s'il semble que l'histoire soit achevée, il reste cependant un dernier coup de théâtre, qui pourrait bien tout faire basculer...


"L'imagination gouverne le monde." Napoléon Ier
Ma fan-fiction sur Raiponce et la Reine des Neiges Very Happy
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[Fan-fiction] Raiponce dans un enfer de glace : les larmes du héron albinos
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